Dans les années 80, je regardais à la TV la série "Nord et Sud" (1985) qui racontait l'histoire d'une amitié entre deux américains, l'un du Nord et l'autre du Sud qui s'étaient rencontrés à l'académie militaire de West Point mais par la suite s'étaient retrouvés dans des camps ennemis lors de la guerre de Sécession. "La Piste de Santa Fe" qui se déroule quelques années avant l'éclatement de la guerre civile américaine est également une histoire de camaraderie entre jeunes officiers formés à West Point, école montrée comme le creuset des USA lors de la cérémonie de remise des diplômes où les Etats dont sont originaires les jeunes officiers sont mentionnés. Cet aspect de propagande patriotique s'explique par le contexte du tournage alors que la seconde guerre mondiale avait débuté et que les USA étaient divisés sur le principe d'une intervention en Europe. Bien que la plupart des officiers mis en avant dans la film aient réellement existé et qu'ils se soient affrontés durant la guerre de Sécession (ce que prédit dans le film une vieille indienne, ne récoltant qu'une incrédulité hilare de la part des principaux concernés), le film met en avant une communauté de valeurs qui transcende les clivages. La cohésion du groupe est assurée par le combat contre "l'ennemi de l'Union", John Brown (Raymond MASSEY), un abolitionniste fanatique prêt à mettre les USA à feu et à sang pour sa cause, certes noble, mais qu'il dessert par les méthodes jusqu'au-boutistes qu'il emploie. Face à lui, Jeb Stuart le sudiste (joué par l'élégant Errol FLYNN dont c'était la onzième collaboration avec Michael CURTIZ, la plus connue étant "Les Aventures de Robin des Bois" (1937) où il est d'ailleurs déjà accompagné par Olivia de HAVILLAND qui sera sa partenaire à huit reprises) ne cesse de répéter que le Sud trouvera lui-même la solution à l'esclavage si on lui en laisse le temps (ce qui n'a pas été le cas). Il est secondé par un nordiste, George Custer joué par Ronald REAGAN, futur président des USA qui reste dans son ombre.
Même si l'aspect historique de ce western est fort intéressant, surtout au vu du contexte actuel où les clivages du passé refont surface, le plaidoyer en faveur de l'unité des USA semble une fois de plus bien embarrassé par la question afro-américaine. Certes, on est plus au temps de "Naissance d une nation" (1915) mais les quelques personnages noirs que l'on voit dans le film ont bien peu de temps d'écran et sont montrés comme les otages silencieux d'une querelle entre blancs. De même, comment ne pas sourire devant les nombreux cartons situant l'action à la frontière de la "civilisation" (la seule, l'unique!!), un terme qui rappelle au spectateur d'aujourd'hui que la conquête de l'ouest a été une forme de colonisation. Il est donc nécessaire de prendre du recul par rapport au discours du film. Par ailleurs, son réalisateur, Michael CURTIZ réussit de spectaculaires scènes d'action, bien secondé par Errol FLYNN: celle de la grange en flammes et celle de l'assaut final à Harper's Ferry sont dirigées de main de maître.
Comme beaucoup de réalisateurs naturalisés américains de l'âge d'or hollywoodien, Michael Curtiz est issu d'un monde disparu, la Mitteleuropa. D'origine juive hongroise, Michael Curtiz (qui s'appelait alors Mihály Kertész dans le milieu du cinéma hongrois mais dont le vrai nom est Manó Kertész Kamine) a en effet réalisé ses premiers films dans l'Empire austro-hongrois, celui-là même qui fut le déclencheur de la première guerre mondiale et n'y survécut pas. D'ailleurs la région montrée dans le film ne se trouve ni en Autriche ni en Hongrie dans leurs frontières actuelles mais dans les Carpates qui sont aujourd'hui partiellement en Roumanie.
"L'indésirable" est une rareté qui vaut plus pour sa valeur historique (c'est l'un des premiers films du cinéma hongrois que Michael Curtiz a donc contribué à fonder, l'un des rares a être parvenu jusqu'à nous et on y voit des scènes d'un grand intérêt ethnographique avec des costumes folkloriques au début et à la fin que l'on retrouve à la même époque à Ellis Island, le centre qui accueillait les migrants européens à New-York) que pour son histoire, mélodramatique et bourrée d'invraisemblances. Quant à la forme, elle est inégale (sans parler du fait que certains plans ont sans doute disparu, le montage semblant parfois être fait à la hache). Une partie du film ressemble à du théâtre filmé avec des scènes statiques et en prime un jeu outré (Michael Curtiz venait d'ailleurs du théâtre, ce qui est logique à cette époque primitive du cinéma) mais il y a aussi quelques beaux passages dynamiques en montage alterné. On voit également que le réalisateur a le sens de la composition des cadres notamment dans le positionnement des corps dans l'espace et dans les angles de prise de vue. Enfin il affleure une certaine sensibilité dans la manière de filmer les scènes campagnardes dans lesquelles les paysages sont magnifiés, un monde traditionnel qui était en train de disparaître sous l'effet de l'exode rural et de l'émigration.
Comme "Monnaie de singe" (1931) ou "Huit et demi" (1963), j'ai découvert "Casablanca" à travers "Brazil" (1985) (qui allait à son tour devenir un film culte, cité par les frères Coen dans "Le Grand saut" (1994) ou par Albert DUPONTEL plus récemment dans "Adieu les cons") (2019). Chez Terry GILLIAM, "Casablanca" n'est pas seulement le film que regardent les employés de M. Kurtzmann quand celui-ci a le dos tourné, le personnage principal s'appelle Sam, comme le pianiste emblématique du film de Michael CURTIZ. Comme lui, il est indissociable d'un air entêtant célébrant la nostalgie d'un paradis perdu (dans un Paris ou un Brésil d'opérette) qu'il ne joue pas mais fredonne. Et comme Rick (Humphrey BOGART dont il adopte au cours du film la défroque du privé) le Sam de Gilliam est appelé à sortir de sa neutralité/indifférence par amour en s'engageant au côté de la résistance à l'oppression. Bref il y a belle lurette que "Casablanca" est sorti du temps de l'histoire (celle de l'évolution du positionnement des USA dans la seconde guerre mondiale dont Rick est l'incarnation) et a dépassé les genres auxquels il a appartenu (le film de propagande et le mélodrame) pour devenir un mythe c'est à dire un récit d'explication du monde intemporel et universel. Les personnages y transcendent d'ailleurs leur petit "moi" au profit d'une cause qui les dépassent ce qui en fait d'authentiques héros de la première ou de la dernière heure (la palme au "vichysto-résistant" joué par Claude RAINS qui s'appelle Renault, comme l'entreprise automobile qui fut nationalisée après la guerre pour avoir collaboré). "Casablanca" est d'ailleurs un film-monde avec son café marocain recréé en studio à Hollywood dans lequel se pressent des réfugiés venus de l'Europe entière espérant décrocher le graal pour partir aux USA. La fiction rejoignant la réalité, nombre d'acteurs du film étaient des allemands ou des français ayant fui le nazisme et le régime de Vichy: Peter LORRE dans le rôle du trafiquant Ugarte, Marcel DALIO en croupier ou encore Curt BOIS dans le rôle d'un irrésistible pickpocket. On ne peut que saluer l'interprétation au diapason, la superbe photographie de Arthur EDESON et la mise en scène très fluide qui parvient à brasser tous ces personnages sans jamais nous perdre.
"Les Conquérants" s'inspire très librement de l'histoire de Wyatt Earp, personnage légendaire que le cinéma a souvent mis en scène. En effet il symbolise le moment où la loi parvenait à triompher du chaos régnant au Far West. Mais ici le récit est volontairement idéalisé pour emporter largement l'adhésion. Par conséquent les personnages sont tracés à gros traits, sans nuances. Ce manichéisme (loin de la finesse d'un John Ford par exemple) est la principale limite du film car il s'accompagne d'un discours réactionnaire sur le traitement à réserver aux criminels et aux déviants. Le tout justifié par des scènes d'assassinat brutales et révoltantes ou par des comportements inconscients mettant en danger la vie d'autrui.
Pour le reste, "Les Conquérants" est un travail de professionnel, un grand spectacle maîtrisé de bout en bout. On ne s'ennuie pas une seconde. La mise en scène est rythmée, les scènes d'action ont une amplitude qui en font de véritables morceaux de bravoure (la charge du troupeau, la destruction du saloon, le dénouement dans le train en flammes), les têtes d'affiche du casting sont charismatiques et s'équilibrent parfaitement (Errol Flynn le beau gosse aux dents étincelantes, Alan Hale le comparse clownesque, Olivia de Havilland, la femme de caractère, Bruce Cabot le méchant au sourire bien retors etc.) les dialogues sont efficaces, enfin le technicolor magnifie l'ensemble.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.