Le premier film de Sofia COPPOLA adapté du roman éponyme de Jeffrey Eugenides fait penser à d'autres films qui sont contemporains de son histoire se déroulant dans les années 70 comme "Pique-nique a Hanging Rock" (1975) (le puritanisme, le mystère, les jeunes filles en fleur idéalisées qui s'évaporent) et "Carrie au bal du diable" (1976) (l'extrémisme religieux, la puberté, le lycée et ses rituels comme le bal de fin d'année). Mais il a été réalisé à la fin des années 90 par une femme et me fait également penser à un film encore plus contemporain et radical, "Mustang" (2014) où il est également question de cinq soeurs cloîtrées par leur famille et l'obscurantisme des moeurs de leur communauté afin de les contrôler jusqu'à leur mariage. Mais autant "Mustang" est rempli d'une énergie rageuse, autant "Virgin suicides" est éthéré. Il faut dire que jamais le film n'adopte le point de vue des jeunes filles. Le spectateur n'a accès qu'au souvenir nostalgique des garçons les ayant connu 25 ans plus tôt. Celles-ci étaient alors des fantasmes sur patte pour eux qui épient chacun de leur mouvement et collectionnaient les objets leur appartenant afin de tenter de saisir leur mystère insondable. Il y a même dans les poses de Lux (Kirsten DUNST) un côté "Lolita" (1962)(est-ce en pensant aux "lollipops" que Humbert Humbert a imaginé le surnom de Dolorès?). Et dès que celle-ci est "consommée", elle semble perdre tout attrait pour le jeune homme qui l'abandonne. L'émancipation entravée par les parents surprotecteurs s'avère être un cul-de-sac à l'aune du conformisme américain symbolisé par le quartier pavillonnaire où vivent les jeunes filles. Dans une scène hautement symbolique, elles tentent en vain de sauver un arbre malade promis à l'abattage pour qu'il ne contamine pas les autres et ont cette phrase tellement significative: "pourquoi ne pas laisser faire la nature?" L'arbre sera coupé et elles s'autodétruiront. Superbe musique du groupe "Air" renforçant le caractère irréel des images.
"Peggy Sue s'est mariée" fait partie des films sous-estimés de Francis Ford COPPOLA. Parce qu'il s'agit d'un film de commande qui ne devait pas être réalisé à l'origine par lui? Parce qu'il est d'allure modeste comparativement à la démesure d'un "Le Parrain" (1972) ou d'un "Apocalypse Now" (1976)? Parce qu'il s'agit d'une comédie à la tonalité (relativement) légère? Parce que le personnage principal est une femme? Parce que contrairement à un Steven SPIELBERG dont les films grand public du début des années 80 rencontrent un immense succès, la conversion du cinéaste du nouvel Hollywood contestataire des seventies au cinéma pop des eighties s'avère plus délicate? Sans doute un peu de tout cela à la fois.
Pourtant "Peggy Sue s'est mariée" n'est pas un film de seconde zone dans la carrière du cinéaste. Dès le premier plan, il nous propose une version bien à lui de "Alice de l'autre côté du miroir", celui du rétroviseur dans lequel vit la nostalgique Peggy Sue (Kathleen TURNER) qui à 43 ans pense avoir raté sa vie. Comme le titre l'indique, celle-ci se définit avant tout par son mariage, conclu au début des années 60 alors qu'elle n'avait que 18 ans. 25 ans plus tard, celui-ci est en train de s'écrouler alors plutôt que d'investir le présent, Peggy Sue préfère s'évader dans le passé, littéralement. On ne saura jamais comment le bal des anciens, fête typiquement américaine (bien qu'on trouve aussi ce genre de cérémonial de retrouvailles d'anciens élèves dans d'autres pays comme au Japon) se transforme en voyage dans le temps, mais voilà Peggy Sue transportée en 1960, dans son apparence d'adolescente (du moins pour son entourage) mais avec son expérience d'adulte d'âge mûr. Dans le bonus accompagnant le DVD du film, Jean-Baptiste Thoret souligne l'idéalisation des années 50 par le cinéma américain des années 80, en lien avec le triomphe de la politique réactionnaire de Ronald REAGAN (néo-conservatrice, néo-libérale, patriotique voire revancharde sur la scène internationale avec le "America is back" etc.) Ce n'est sans doute pas un hasard si "Peggy Sue s'est mariée" est l'exact contemporain de "Retour vers le futur" (1985) qui lui aussi emmenait son héros eighies à la rencontre de ses parents adolescents dans les fifties. Mais là où Marty tentait de transformer leur destin pour en faire de futurs winners du reaganisme (dans le premier volet, la suite étant nettement plus critique), Peggy Sue utilise cette expérience pour renouer avec sa famille défunte ou perdue de vue, réaliser ses désirs inassouvis en s'affichant avec des garçons marginaux et pousser son futur partenaire dans ses retranchements sans pour autant renoncer à lui. Car renoncer à lui signifierait renoncer à ses enfants et depuis "Le Parrain" (1972) on sait que pour Francis Ford COPPOLA, la famille s'est sacré. Tellement, même qu'il fait jouer dans le film sa fille Sofia COPPOLA et son neveu, Nicolas CAGE dans le rôle de Charlie, le mari de Peggy Sue dans l'un de ses premiers rôles où il s'avère déjà remarquable. On remarque aussi de futurs grands acteurs dans de petits rôles tels que Helen HUNT et Jim CARREY. Francis Ford COPPOLA fait donc moins de "Peggy Sue s'est mariée" un revival nostalgique des années 50 (et sa ménagère frustrée) qu'une variante pop, décalée, douce-amère de la comédie du remariage des années 30 et 40 où les femmes menaient la danse et les hommes par le bout du nez.
"Juste quand je m'en croyais sorti, ils m'y ramènent": ce cri du cœur de Michael Corleone qui n'arrive pas à se défaire de son passé mafieux est aussi celui de Francis Ford COPPOLA, contraint par les studios à tourner un troisième volet de sa saga culte, plus de quinze ans après le "Parrain II". Qu'à cela ne tienne, Coppola relève haut la main le défi et réussit à donner une cohérence d'ensemble à son œuvre que ce soit sur la forme ou dans le fond.
"Le Parrain III", injustement sous-estimé parce qu'écrasé par l'aura des deux premiers volets est pourtant un film admirable. D'abord par la maestria de sa mise en scène opératique. On retrouve les leimotiv de la saga notamment la cérémonie d'ouverture et la grande purge du dénouement magnifiés par le montage alterné dans le cadre du Vatican et de l'opéra qui mettent en abyme l'histoire tragique des Corleone. Il y a quelque chose d'un "Don Giovanni" dans ce volet grave et crépusculaire à ceci près que Michael cherche le pardon mais ne parvient pas à s'amender. Ensuite Francis Ford COPPOLA injecte beaucoup de lui-même dans son film qui est le plus intimiste des trois. Son double à l'écran c'est Michael Corleone que les remords liés à son terrible passé de criminel fratricide rongent à petit feu jusqu'à mettre à nu sa fragilité d'être humain. Car la souffrance le réanime et l'on voit dans ce volet quelques scènes très puissantes où il extériorise enfin l'étendue de sa douleur et montre qu'il peut aimer (Al PACINO est juste hallucinant, profondément shakespearien). Mais c'est trop tard, il doit boire la coupe jusqu'à la lie et contempler jusqu'au bout le désastre de sa vie. A l'origine, il devait mourir (le premier titre du film était d'ailleurs explicite "La mort de Michael Corleone"). Mais c'est un sort bien pire qui l'attend, à la hauteur des crimes qu'il a commis. Il est condamné à vivre pour souffrir et voir ceux qu'il aime mourir. Prisonnier d'un système pervers dont il ne parvient pas à s'extraire, il est condamné à répéter les mêmes erreurs. En voulant garder sa fille Mary (Sofia COPPOLA la propre fille du réalisateur) auprès de lui, il la condamne. Néanmoins, l'anéantissement n'est pas complet car son fils Antony (Franc D AMBROSIO) s'en sort en suivant l'exemple de Kay (Diane KEATON), c'est à dire en restant à distance et en se construisant une vie étanche de celle de son père. En donnant à son fils l'autorisation qu'il s'était refusée à lui-même lorsqu'il était jeune, Michael réussit au moins à le sauver lui. Le dénouement sur les marches de l'opéra démontre que la famille Corleone est désormais scindée en deux groupes: celui des mafieux sans états d'âme dont la relève est assurée par le fils illégitime de Sonny, Vincent Mancini (Andy GARCIA que je ne trouve pas terrible) et celui des gens honnêtes mais lucides, incarnés par Kay et Antony. Michael et Mary, coincés dans un entre-deux ambivalent (d'où provient toute la richesse de leur personnage même si Sofia COPPOLA n'a pas le talent pour le mettre en valeur) sont condamnés à disparaître.
" Pourquoi ce mystère/ Malgré la chaleur des foules/ Dans les yeux divers/ C'est l'ultra moderne solitude." Cet extrait de la chanson d'Alain Souchon pourrait tout à fait illustrer la teneur du film de Sofia Coppola. L'ultra moderne solitude de deux américains paumés dans leurs baskets et dans leur vie, errant sans but la plupart du temps dans leur hôtel de luxe tokyoïte aux proportions démesurées.
Film lent, contemplatif, mélancolique voire dépressif, "Lost in translation" n'a pas un style spécialement séduisant. De plus comme dans d'autres films de la réalisatrice, l'histoire de ces gens riches déracinés, tournant en rond dans leur bocal doré et se regardant le nombril peut sembler creuse voire parfaitement ridicule.
Mais en fait on accroche quand même et ici plutôt deux fois qu'une. La caméra de Sofia Coppola est élégante, les personnages, bien décalés, surtout dans un pays dont ils ne maîtrisent ni la langue, ni les codes. Bill Murray trouve avec Bob Harris un de ses meilleurs rôles. Tantôt absolument désopilant (les scènes de tournage de la pub pour le whisky Suntory sont des moments d'anthologie), tantôt neurasthétique façon Droopy, tantôt profondément ému, il fait une prestation mémorable qui vaut 4 étoiles à elle seule. Et Scarlett Johansson dans le rôle de Charlotte apporte de la sensualité, une bienvenue fraîcheur et un regard plus observateur et plus ouvert sur le monde extérieur. Leur belle relation en miroir fait gagner de l'épaisseur au film car elle contraste avec le monde de superficialité (mode/pub) dans lequel ils évoluent. On peut déplorer tout de même l'enfilade de clichés sur la culture japonaise traditionnelle (le mont Fuji, l'ikebana, les kimono, le temple, la scène du mariage) et pop (la trash TV, les manga lus dans le métro, les jeux de pachinko, le karaoké, la débauche technologique)... Coppola capte une atmosphère mais reste extérieure. Pouvait-il en être autrement avec ce qui est une autobiographie déguisée?
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.