Le bouc-émissaire de Francis VEBER (auteur du scénario) + la causticité satirique d'un Bertrand BLIER portée par son acteur fétiche de l'époque, Patrick DEWAERE = "Coup de tête", deux ans avant qu'un "Coup de torchon" (1981) ne vienne balayer les restes d'une notabilité locale corrompue (dont l'un des gardes-chiourme est interprété également par Gerard HERNANDEZ) et quelques années encore avant qu'elle ne reçoive le KO subversif de "Quelques jours avec moi" (1988), Daniel AUTEUIL étant par ailleurs l'un des interprètes de François Pignon dans les films de Francis VEBER. "Coup de tête" présente un petit monde consanguin d'"Affreux, sales et mechants" (1976) (la référence à la comédie italienne est revendiquée par Jean-Jacques ANNAUD lui-même) qui tiennent une petite ville de province, Trincamp (le film a été en réalité tourné à Auxerre) sous leur coupe réglée avec le football pour ciment. Cela va du président du club de foot et de l'usine qui va avec, Sivardière (Jean BOUISE) aux marchands de meubles et d'automobiles (Paul LE PERSON et Michel AUMONT) en passant par le bistrot "Le Penalty" tenu par Maurice BARRIER. Bref toute une petite économie prospérant sur la religion du foot comme moyen de contrôle des masses. C'est là qu'il faut peut-être chercher la raison de la présence de Jean-Jacques ANNAUD que l'on associe d'habitude à des films historiques certes mais dépeignant souvent une communauté (voire une communauté religieuse comme dans l'enquête de "Le Nom de la Rose") (1986) en tension entre repli et ouverture. Perrin, qualifié de "primate" (et pourtant, on n'est pas dans "La Guerre du feu") (1981) parce que trop fort en gueule pour entrer dans les cases se retrouve brutalement exclu des rouages de cette communauté au fonctionnement très féodal et même s'il reste confiné à l'intérieur d'un espace restreint, il fait l'expérience de l'exclusion liée à l'altérité, voyageant avec les éboueurs africains sans sortir de chez lui. Cela ne rend que plus délectable le coup de théâtre footballistique qui le transforme brutalement de paria en héros local, lui donnant les moyens de mettre ses persécuteurs au tapis mais pas de la manière dont on l'imagine. Perrin, incarné avec ce mélange d'attitude bravache, de fureur et de fragilité extrême qui rendait Patrick DEWAERE si unique ne cesse jusqu'à la fin de déjouer les attentes de ses adversaires et s'avère parfaitement insaisissable.
Les bons réalisateurs français de comédies sont des perles rares. Dans une veine sociale et humaniste, Emmanuel COURCOL prouvait déjà avec "Un Triomphe" (2020), son deuxième long-métrage qu'il avait trouvé son style, "une ligne de crête" comme il le dit lui-même entre le cinéma d'auteur, celui qui "fait souffrir le spectateur" (autre mot pour "exigeant") et le cinéma populaire, celui des "grosses ficelles". En essayant de tricoter le meilleur de chacun, on aboutit à un cinéma dont la finesse d'écriture déjouant la facilité n'a d'égale que l'envie de parler au plus grand nombre en levant les barrières, notamment culturelles. "Un Triomphe" comme "En Fanfare" célèbre l'art et plus précisément le pouvoir salvateur du spectacle vivant. Tiré d'une histoire vraie qui semble faite sur-mesure pour lui, il raconte l'aventure d'Etienne (Kad MERAD), un comédien en galère qui pour s'en sortir va donner des cours de théâtre en prison. Là où cela devient intéressant, c'est qu'il découvre des pépites d'acteurs chez ses élèves et décide de voir les choses en grand en faisant jouer à cinq d'entre eux "En attendant Godot" de Samuel Beckett. Une pièce tout à fait appropriée à leur situation, eux qui passent leur temps à "attendre" mais difficile, d'autant que Etienne veut les faire jouer dans un vrai théâtre dirigé par son ancien partenaire (avec lequel justement il avait interprété la pièce de Beckett). Etienne déploie une énergie considérable pour abattre les nombreux obstacles qui se dressent devant son projet et réussit son pari au-delà de toute espérance puisque la représentation unique se transforme en tournée mais c'est là que les vraies difficultés commencent nous dit Emmanuel COURCOL alors que nous en sommes qu'à la moitié du film. Etienne semble vivre un rêve par procuration alors que ses protégés, eux semblent entamer un processus de reconstruction personnelle, supportant de moins en moins bien la privation de liberté et d'être tiraillés entre l'adulation que le public leur porte et les humiliations redoublées de surveillants furieux de leur succès. Cette tension aboutit à un final tout à fait inattendu, aussi surprenant qu'émouvant.
PS, le film permet de comprendre la "private joke" de "En fanfare" (2023) quand Jimmy demande à Thibaut pourquoi il ne s'appelle pas Jordan. Or Jordan est le nom du personnage qu'il interprète dans "Un Triomphe" (2020).
Je suis plus que partagée sur "Red Rocket". D'un côté je lui trouve des qualités esthétiques et documentaires et un attrait pour le sordide maquillé en rose bonbon qui fait la spécificité de ce réalisateur. On a donc d'un côté un panel de marginaux avec une prédilection pour le white trash (même s'il y a aussi dans l'histoire une famille matriarcale haute en couleurs de dealers afro-américains) et de l'autre une imagerie lollipop au travers du personnage bien surnommé de Strawberry dans sa boutique de donuts ainsi que des panoramas photographiques grandioses sur les cheminées fumantes de la raffinerie sur fond de coucher de soleil. Tout cela est "diablement" séduisant. Oui mais d'un autre côté, le personnage que l'on suit, Mikey (Simon REX, ex-star du porno gay) est tellement à gerber que cela devient pénible à la longue de se sentir manipulé par une telle crapule. Certes il a pour lui l'assurance, le bagout, certains diront le charisme (bof), certes ses mésaventures et sa mythomanie peuvent faire sourire tant qu'il ne passe que pour un pique-assiette à la Jean-Claude Dusse sous testostérone mais la fin du film nous dévoile qu'il s'agit d'un prédateur de type pervers narcissique de la pire espèce. C'est embêtant de sentir une certaine sympathie de la part du réalisateur envers ce personnage sous prétexte qu'il rame comme un malade pour s'en sortir. Comme je l'ai déjà dit, tant qu'on en reste à des combines foireuses ou à des petits mensonges, aucun problème mais le film garde le même ton mi-goguenard, mi-complice quand Mikey se met à exploiter les autres sans vergogne, faisant taire son jeune voisin sur sa complicité dans un carambolage ce qui lui fait échapper à toute poursuite ou détournant une mineure dans le but de la prostituer dans le milieu du cinéma porno d'Hollywood et ainsi de se refaire une santé financière en tant que proxénète. Il est impossible de supporter la satisfaction indécente d'un tel personnage face à de tels actes et la complaisance que manifeste le réalisateur à son endroit invalide le film pour une très large part.
J'avais quitté Alain GUIRAUDIE au bord d'un lac en été, je le retrouve dans les sous-bois en automne pour un thriller rural pas piqué des vers mais mené de main de maître avec une science du cadre et des espaces dont il a le secret et qui aboutit à une géographie physique mais aussi mentale au périmètre très identifiable. Alain GUIRAUDIE sait entremêler le désir et la mort comme personne et celles-ci sont partout présentes, tapies dans l'ombre, prêtes à frapper à tout moment. La cueillette des champignons qui sert de prétexte aux rencontres en forêt d'un petit microcosme de gens pas très catholiques ^^ fait penser au supermarché de la drague à ciel ouvert de "L'Inconnu du lac" (2012). Est-ce la forme suggestive des morilles qui met tout ce petit monde en émoi? D'autant que le champignon est lui-même un aliment ambigu, qu'il soit hallucinogène ou mortel. Ce qui est sûr, c'est que la venue au village de Jérémie (Felix KYSYL) pour les obsèques de son ancien patron boulanger cristallise une crise englobant tous les protagonistes. Ce que filme admirablement Alain GUIRAUDIE, en plus de son petit théâtre de verdure où se nouent et se dénouent pulsions et conflits, c'est l'aspect obsessionnel du désir inassouvi. Celui-ci prend la forme d'une route qui serpente et revient toujours à son point de départ: la boulangerie. Un regard insistant de Jérémie sur la photo de son ancien patron en maillot de bain suffit à le faire comprendre. Mais Jérémie est parti et le patron est décédé. Donc le désir se déplace sur les vivants qui font ce qu'ils peuvent avec. Certains le dissimulent sous de l'affection (Martine la veuve jouée par Catherine FROT), d'autres au contraire deviennent agressifs (Vincent le fils de Martine joué par Jean-Baptiste DURAND, le réalisateur de "Chien De La Casse") (2021) ce qui donne aux scènes de bagarre une connotation des plus ambigües, sans parler du cadavre dans le placard (ou plutôt sous les feuilles mortes qui se ramassent à la pelle ^^). Le seul qui l'assume, l'exprime et le montre (lors d'un plan choc à ne pas mettre entre toutes les mains ^^) c'est l'abbé (Jacques DEVELAY), figure centrale du film comme le titre, emprunté aux valeurs chrétiennes, le suggère. Abbé qui est le seul à tenir la dragée haute (c'est le cas de le dire ^^) au flic (Sebastien FAGLAIN), figure récurrente du cinéma de Alain GUIRAUDIE et qui lui aussi fait partie de l'inconscient troublé de Jérémie que tout le monde ou presque vient visiter dans sa chambre au milieu de la nuit quand ce n'est pas lui qui dans un état plus ou moins altéré (prétend-il) vient se frotter dangereusement aux autres corps. Corps non conformes peut-on souligner, autre aspect qui singularise Alain GUIRAUDIE. A l'exception de Jérémie qui fait figure d'Apollon local, ceux qui lui tournent autour sont moches, obèses, vieux, chauves, affligés d'un bec de lièvre bref, absolument pas désirables. Sans montrer un seul ébat érotique (contrairement à "L'Inconnu du lac") (2012) tout au plus quelques plans de corps dénudés dont un en érection, Alain GUIRAUDIE réussit à profondément troubler et déranger tout en évacuant le malaise par le rire que nombre de ces situations provoquent.
La mort récente de Niels ARESTRUP a fait ressurgir à la télévision son dernier film, "Divertimento". Un biopic qui a le mérite de mettre en lumière la cheffe d'orchestre Zahia Ziaouni (interprétée par Oulaya AMAMRA) dont les années de formation ont été semées d'embûches relatives à son genre, à sa classe sociale et à ses origines. D'ailleurs le film rappelle s'il en était besoin que dans le monde seulement 6% des chefs d'orchestre sont des femmes et encore moins en France (4%). Zahia détonne donc dans le milieu machiste et élitiste de la direction d'orchestre classique, tout comme sa soeur jumelle, Fettouma, brillante violoncelliste (jouée par Lina EL ARABI). L'amour du père (Zinedine SOUALEM) pour la musique classique est mis en avant pour expliquer l'éveil musical précoce de ses deux filles et leur engagement visant à permettre à un plus large public d'accéder à la culture. Ces parcours hors-normes auraient cependant mérité d'être illustrés de façon moins convenue et moins maladroite. Tel quel, le film accumule les poncifs du genre "avec la persévérance, on y arrive" et les maladresses. Après un bizutage en bonne et due forme, l'hostilité des élèves parisiens friqués fond comme neige au soleil lorsque Zahia est repérée par un mentor faisant autorité c'est à dire un chef d'orchestre reconnu et cochant toutes les cases du bon profil. Heureusement que c'est Niels ARESTRUP qui l'interprète mais son personnage a tendance hélas à se réduire à sa fonction, rebattue au cinéma: propulser Zahia Ziaouni vers la réussite. Il en va de même avec la facilité déconcertante avec laquelle Zahia et sa soeur réussissent à créer de la mixité avec leur orchestre mêlant beaux quartiers parisiens et conservatoire de banlieue, y incluant même une jeune fille handicapée. Bref, on est davantage dans le conte de fées que dans la réalité, dans des schémas usés jusqu'à la corde que dans la nouveauté. Le récent "En fanfare" (2023) qui pose également la question du comblement du fossé social par la musique et l'illustre dans sa scène finale par l'interprétation du Boléro de Ravel s'avère autrement plus percutant.
Je n'avais pas eu envie de le voir à sa sortie, ni sur MyCanal. Mais difficile de se faire un avis sur une Palme d'or sans l'avoir vue alors j'ai profité de son passage sur Arte pour me faire une séance de rattrapage. Le film est divisé en trois parties inégales (ce que son titre en VO "Triangle of sadness" suggère d'ailleurs). La première (la note au restaurant) et la dernière (le Koh-Lanta sur l'île) sont trop longues et répétitives car il n'y a pas assez d'idées pour les nourrir. Ou disons que les idées qui sous-tendent ces parties (guerre des sexes et lutte des classes) sont illustrées de façon trop simpliste et désincarnée pour me convaincre. Entre les deux, se trouve cependant un morceau de choix, celui de la croisière qui bénéficie d'une mise en scène burlesque ciselée. La séquence du repas du commandant est un authentique morceau de bravoure qui tire son efficacité comique d'une chorégraphie parfaitement huilée. Dans le seul film de Ruben OSTLUND que j'avais vu avant, "Snow Therapy" (2014) ce que j'avais préféré c'était l'avalanche qui faisait tomber les masques de l'ordre social et familial bourgeois. La tempête de "Triangle of sadness" joue exactement le même rôle. Tel un croisement improbable de "Titanic" (1997) et de M. Creosote dans "Monty Python : Le Sens de la vie" (1982) (dont Ruben OSTLUND s'est sûrement inspiré) on y voit un service "so british" tenter de rester imperturbable face aux éléments puis aux organismes des milliardaires qui se déchaînent. Dommage que Ruben OSTLUND ait chargé la barque avec là encore les discours (même avinés) du commandant américain marxiste et du milliardaire russe capitaliste façon "bonnet blanc, blanc bonnet" puis avec une attaque de pirates faisant exploser le bateau. Alors disons qu'il y a du savoir-faire et quelques moments hautement jouissifs mais tout cela est bien clinquant, manque absolument de subtilité et d'humanité et n'a absolument rien de subversif, bien au contraire. Ce n'est pas en utilisant les codes langagiers et culturels des élites, même pour s'en moquer qu'on va renverser la table. Bref ça ne dépasse pas le niveau d'un divertissement sophistiqué et régressif en même temps, au final inoffensif.
La bande-annonce m'avait attirée, notamment parce que j'avais envie de découvrir Pierre LOTTIN dont je n'avais pas retenu la prestation dans "La Nuit du 12" (2021) perdue au milieu de la galerie de rôles d'ex masculins macho et/ou violents. Cette fois, il tient un premier rôle complexe aux côtés d'un Benjamin LAVERNHE tout aussi remarquable. Mais pour une fois la bande-annonce ne dévoile pas la réalité du film, du moins pas complètement. Elle fait croire qu'il s'agit juste d'une comédie "feel good" alors qu'il y a en son sein des éléments dramatiques voire même tragiques qui finissent par donner au film un caractère poignant, déchirant. Lorsque Thibaut, bouleversé d'apprendre qu'il a été adopté dit au début du film que "le mensonge tue", il sait de quoi il parle: il souffre d'une leucémie. Cette maladie, traduction d'un corps en souffrance (Alice Miller disait dans son dernier livre que "notre corps ne ment jamais") lui permet de découvrir la vérité sur ses origines et Jimmy, ce frère biologique dont il ignorait l'existence. Frère passionné et surdoué en musique tout comme lui-même ("c'est dans les gènes") mais séparé de lui par une infranchissable barrière sociale. Jimmy est cantinier dans une petite ville du Nord et joue du trombone dans une fanfare locale tandis que Thibaut est un chef d'orchestre issu de la bourgeoisie parisienne et mondialement connu. Alors certes, comme on peut s'y attendre (et comme la bande-annonce le souligne de façon insistante), la rencontre entre ces deux pôles opposés fait des étincelles comiques. Mais elle produit également de la souffrance et pousse à s'interroger sur les injustices générées par le déterminisme social. Jimmy éprouve logiquement du ressentiment envers la réussite de Thibaut mais ce dernier, seul et malade n'est pas montré forcément comme mieux loti. Il est d'ailleurs lui aussi rongé par un sentiment de gâchis irréparable qui le pousse à tout tenter pour combler le fossé qui le sépare de Jimmy. En réalité et c'est ce qui fait aussi l'intelligence du film, Emmanuel COURCOL se garde bien de fournir des réponses toutes faites. Il laisse le spectateur se faire sa propre idée. Et ceux qui pensent que "En fanfare" est une success story en seront pour leurs frais, tant les deux frères, pour des raisons différentes semblent de débattre dans une impasse. Mais la bouleversante réunion autour du Boléro à la Seine musicale rappelle que l'idée serait venue à Ravel en passant devant les chaînes de montage de l'usine Renault de Boulogne-Billancourt bien avant qu'elle ne soit remplacée par la salle de concert de l'île Seguin.
Je n'avais pas très envie d'aller voir "L'Amour Ouf" et je n'ai pas vraiment aimé le résultat. Certes, il y a d'excellentes idées de mise en scène, une photographie qui décoiffe, une envie de cinéma XXL à l'américaine qui n'est pas fréquente dans le cinéma français, une interprétation qui "déchire", surtout de la part des deux jeunes acteurs Mallory WANECQUE et Malik FRIKAH qui peuvent légitimement espérer rafler un prix révélation lors de la prochaine cérémonie des César car ils portent la moitié du film sur leurs épaules. Adele EXARCHOPOULOS et Vincent LACOSTE sont également excellents (en revanche je trouve le jeu de Francois CIVIL trop limité). Oui mais le résultat ne m'a pas convaincu. C'est trop: trop long, trop tape-à-l'oeil, trop m'as-tu vu, trop kitsch avec certains plans frôlant le grotesque (le coeur et le chewing-gum qui battent, le baiser sur fond de coucher de soleil cliché à mort). Et ce n'est pas assez à la fois parce que Gilles LELLOUCHE veut faire une sorte de cinéma total qui brasse un peu tous les genres (drame romantique, teen movie, film de gangsters, comédie musicale, film de procès, film social, comédie "buddy movie" avec Raphael QUENARD et Jean-Pascal ZADI...) mais n'arrive pas bien à les amalgamer et surtout à les creuser. Dans certains films, les contraires s'attirent et s'enrichissent mutuellement mais dans celui-ci, c'est comme s'ils se repoussaient. Peut-être parce que cela manque de dialogues un tant soit peu consistants. On a donc au final une maîtrise insuffisante et un manque de profondeur criant.
Voilà une comédie au succès mérité et qui respire la sincérité jusqu'au fond de ses tripes. On dit souvent qu'on ne fait pas de bons films avec de bons sentiments mais cette phrase mérite d'être nuancée. Il faudrait plutôt dire qu'il est difficile de faire un bon film avec de bons sentiments. "Un P'tit truc en plus" y parvient grâce à deux ingrédients bien dosés: l'humour et la tendresse. Pour cela, il propose de briser la barrière qui sépare habituellement le monde des handicapés de celui des valides. A la suite d'un quiproquo, un valide est pris pour l'un des pensionnaires d'un centre s'occupant de jeunes adultes atteints de handicaps mentaux ou neurodéveloppementaux. Le valide, c'est Paulo alias ARTUS qui cherche à échapper à la police après un braquage avec son père (joué par Clovis CORNILLAC) et se glisse donc dans la peau d'un handicapé, nous permettant de découvrir leur monde. Un principe qui a été la base de quelques monuments de la comédie, tels que "Certains l'aiment chaud" (1959) ou "Les Aventures de Rabbi Jacob" (1973). " Un P'tit truc en plus" n'a pas la prétention de les imiter, pourtant, c'est avec un naturel confondant que l'intrus s'intègre au milieu de ses nouveaux compagnons qui ne sont pourtant pas dupes, contrairement aux éducateurs qui se laissent berner. Un renversement de perspective réjouissant qui fait penser au génial "Ya Basta" (2010) de Gustave KERVERN dans lequel les handicapés prenaient les valides au propre piège de leurs préjugés. Quant au père de Paulo qui pour justifier sa présence doit se faire passer pour un éducateur, son attitude sans filtre remet en cause certains des principes du fonctionnement du centre (c'est à dire de la société), à commencer par la vie sous cloche, même dans un gîte en pleine nature. Il commence par dégager le ballon de Baptiste, l'un des jeunes handicapés fan de Ronaldo au fin fond de la forêt, le laissant aller seul le chercher. Mais c'est lorsqu'il propose de substituer l'aviron à la pâte à sel et qu'il doit se mettre de nouveau hors-la-loi pour y parvenir que l'on se rend compte combien la liberté de mouvement est un droit à défendre face à la tentation de l'enfermement. Ce que faisait déjà Fernand Deligny dans "Ce gamin, la" (1975) qui avait sorti les autistes des hôpitaux pour les laisser vagabonder dans les Cévennes ou encore le personnage (lui aussi intrus) de Patrick McMurphy qui le temps d'une séquence réussissait à prendre la mer avec ses compagnons dans "Vol au-dessus d'un nid de coucou" (1975). ARTUS poursuit donc cet engagement avec talent.
Un homme, trois femmes, combien de possibilités? Film de fin d'études de Emmanuel MOURET qui avait déjà réalisé trois courts-métrages pendant son cursus à la Fémis, "Promène-toi donc tout nu" est un moyen métrage qui fait beaucoup mais alors vraiment beaucoup penser à du Eric ROHMER, celui de "La Collectionneuse" (1967) ou du "Conte d'ete" (1996). L'histoire se déroule à Marseille, la ville d'où est originaire Emmanuel MOURET et raconte une jeu amoureux entre un jeune homme immature (Emmanuel MOURET), sa petite amie qui souhaite qu'il s'engage et lui pose un ultimatum en ce sens et deux filles pas farouches (une amie et "l'amie de son amie" ^^) qui jouent à pile ou face pour qu'il teste l'une d'entre elles avant qu'il ne se décide. Au menu: des jeunes gens en vacances au bord de la mer ou dans des villas désertées, les jeux de l'amour et du hasard, un ton décalé et ludique, des dialogues et des situations à la fois libertins (et parfois vulgaires) et candides, une mise en abyme (Clément est le narrateur de l'histoire et certaines des phrases qu'il emploie sont ensuite récitées par les personnages ce qui renvoie au fait qu'il est interprété par le réalisateur), des filles (Constance et Liberté ah ah ah!) qui mènent le jeu autour d'un garçon qui le subit jusqu'à ce qu'il finisse par se prendre en main. Au final, on a un assez joli conte initiatique, pas impérissable mais annonciateur de la suite de sa carrière.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)