Film poétique et foisonnant mais difficile d'accès, "Stardust Memories" est néanmoins incontournable dans la filmographie de Woody ALLEN. Pour le comprendre il est indispensable de le resituer dans son contexte.
Woody ALLEN a commencé sa carrière comme créateur de gags et de sketches puis comme amuseur public de stand up. C'est en effet sur les planches qu'il a créé son personnage d'intellectuel névrosé et anxieux. Naturellement, ses premiers films se situent dans la continuité de ses sketches burlesques et satiriques dans lequel il fait figure d'ahuri maladroit. Un tournant intervient avec son premier grand film "Annie Hall" (1977) où l'écriture se fait plus délicate et bien plus personnelle. Mais bien que parfois mélancolique, il s'agit toujours d'une comédie. "Manhattan" (1979) se situe dans la même lignée avec en plus une esthétique éblouissante marquée par une superbe photographie de Gordon WILLIS et le classique et jazzy "Rhapsody in blue" de George GERSHWIN. Entre les deux films, Woody ALLEN a proposé cependant une rupture radicale avec le style qui avait fait jusqu'ici sa renommée: "Intérieurs" (1978) est son premier drame intimiste et le premier film où il révèle l'influence d'un grand maître, Ingmar BERGMAN. Mais le public américain, déconcerté ne suit pas.
"Stardust Memories" sonne à la fois comme une synthèse et un bilan de toute cette période. Woody ALLEN a d'ailleurs embauché de nouveau Gordon WILLIS pour le noir et blanc du film. Celui-ci reprend le principe de l'oeuvre sous influence sauf qu'ici ce n'est pas Ingmar BERGMAN qui est son modèle mais Federico FELLINI et plus précisément "Huit et demi" (1963). On peut même parler de pastiche (certains parlent même de plagiat mais il s'agit davantage d'un hommage) tant on retrouve d'éléments communs: le noir et blanc, l'artiste dépressif en panne d'inspiration, les lunettes noires, la satire du showbiz dépeint comme un poulailler grotesque (ça parle pour ne rien dire, ça s'agite, ça harcèle de sollicitations diverses le pauvre artiste qui ne sait plus où donner de la tête), les références au monde du cirque et de la magie, le mélange de rêves, de fantasmes, de cinéma et de réalité. Jusqu'à la scène d'ouverture qui est quasiment identique, la route ayant juste été remplacé par le rail (et une belle blonde muette de 22 ans alors inconnue, Sharon STONE). A travers ce dispositif, Woody ALLEN met en scène ses propres interrogations identitaires, aussi bien personnelles que professionnelles. La décoration de son appartement change d'ailleurs en fonction de ses humeurs, tantôt montrant Groucho MARX (l'un de ses grands maîtres, cité d'une façon ou d'une autre dans presque tous ses films) et tantôt ce qui semble être un cambodgien en train de se faire exécuter par un Khmer Rouge. Son personnage et double, Sandy Bates est écartelé entre trois femmes, une actrice brune, ténébreuse et bipolaire qui le hante (Charlotte RAMPLING qui est terriblement envoûtante et bergmanienne), une blonde plantureuse équilibrée et terre à terre (Marie-Christine BARRAULT) et une jeune violoniste névrosée (Jessica HARPER). Sur le plan professionnel, Sandy doit se confronter à des producteurs et à un public qui n'apprécient pas son évolution vers le cinéma sérieux et ne cessent de lui répéter qu'ils préféraient ses premiers films (Steven SPIELBERG qui a connu un peu la même trajectoire s'est d'ailleurs reconnu dans le personnage). On en arrive au paradoxe où Sandy défend ses choix en faisant du stand-up, provoquant l'hilarité de la salle comme s'il se retrouvait au point de départ. Chacun sait qu'il n'en est rien et que désormais, c'est la quête d'un équilibre entre les différentes facettes de sa personnalité qui constitue le fondement des films du réalisateur.
"The Lady in the Van" n'est certainement pas un grand film. La mise en scène est platement illustrative, les personnages secondaires sont affreusement mal écrits, caricaturaux et ridicules et on a quand même du mal à éprouver de l'empathie pour les personnages principaux que ce soit Margaret (caractère irascible, hygiène déplorable) ou Alan Bennett son hébergeur (et biographe, le film étant l'adaptation du livre qu'il lui a consacré en 1999) froid, précieux et guindé. Il y a trop de distance entre eux, trop d'incommunicabilité, trop de barrières (à commencer par celui du dégoût qu'Alan ressent vis à vis de Margaret et de l'incompréhension totale que manifeste cette dernière, bigote et conservatrice à l'extrême vis à vis de l'identité de ce dernier) pour que l'on puisse parler d'union (de deux solitudes, de deux exclusions sociales). Tout au plus Alan ressent-il une certaine fascination-répulsion pour cette femme qui comme lui a des secrets et incarne une certaine dualité. Cette étanchéité entre eux et avec le spectateur a quelque chose de réfrigérant et de morne d'autant qu'il n'y a aucune progression dramatique dans le film (il ne s'y passe pas grand chose hormis quelques révélations sur le passé de Margaret et le seul horizon du film est celui de la fin de vie).
Reste tout de même que le propos se focalise sur une figure habituellement exclue des représentations à l'écran, celle de la "vieille dame indigne" qui combine grand âge et extrême pauvreté, deux tares rédhibitoires dans notre société. Les propos récurrents sur l'odeur d'eau croupie des pauvres font penser à ceux du tout récent film coréen palmé "Parasite" (2019) qui s'attaque lui aussi à la hiérarchie sociale et au racisme de classe. De plus, Margaret est incarnée par Maggie SMITH, une immense actrice dont la présence pallie le caractère repoussant (physiquement et moralement) de son personnage. La scène du piano à la fin du film est très forte et les quelques moments où elle manifeste de la joie ressemblent à des rayons de soleil. Dommage qu'elle évolue dans un décor d'opérette au milieu de fantômes ce qui émousse considérablement la charge sociale qu'aurait pu inspirer son parcours tortueux et torturé. Il y a un réel problème de registre, le film n'ayant pas su trancher ou louvoyer de façon convaincante entre le réalisme social et la fable.
Premier grand succès public et critique du trio magique et cosmopolite formé par James Ivory (réalisateur américain), Ruth Prawer Jhabvala (scénariste britannique) et Ismaël Marchant (producteur indien), "Chambre avec vue" est également leur première adaptation cinématographique du romancier britannique Edward Morgan Forster. Deux autres suivront: "Maurice" (ma préférée) en 1987 (mais sans Ruth Prawer Jhabvala) et "Retour à Howards End" en 1992. L'ensemble forme une trilogie remarquable à laquelle on peut rajouter un autre sommet, "Les Vestiges du jour" réalisé en 1993 d'après le roman de Kazuo Ishiguro.
Bien qu'un peu inégal dans son interprétation (Lucy et George joués respectivement par Helena Bonham Carter alors toute jeune et Julian Sands sont trop fades) et son scénario (la fin semble bâclée) , "Chambre avec vue" fait office de prélude à ce qui fait tout le prix de l'œuvre de ce cinéaste et lui permet d'échapper à l'académisme: le surgissement de la nature dans un milieu corseté qui la réprime avec violence. C'est de cette contradiction permanente que jaillit l'intérêt du film. Celui-ci oppose de manière assez évidente la sensualité et la passion latine au puritanisme anglais incarné par le snob et guindé Cecil Vyse (Daniel Day Lewis qui joue le parfait dandy proustien) et la prude vieille fille Charlotte Bartlett (Maggie Smith qui sait à merveille incarner les personnages collets montés). Mais contrairement à ce qui a été écrit ici et là, ni l'un ni l'autre ne sont caricaturaux. La sensualité de la bouche de Cecil/Daniel Day Lewis est en contradiction flagrante avec le reste de son apparence et trahit une sensualité refoulée (sans doute homosexuelle). Le comportement de Charlotte est rempli d'actes manqués, ses yeux sont mélancoliques et on apprend qu'elle a eu par le passé une aventure à laquelle elle n'a pas donné suite. Et ce qui vaut pour les personnages vaut aussi pour les situations. En Italie, Lucy est le témoin horrifié d'une rixe sanguinaire alors qu'en Angleterre, elle voit surgir des herbes hautes trois hommes nus sortant de l'eau dont son frère Freddy (Rupert Graves) et Georges. Cette scène très picturale a d'ailleurs valeur de manifeste tant les élans du corps des trois gaillards sont mis en valeur. Il est assez évident que ces scènes font surgir la vérité des désirs et des sentiments de Lucy, laquelle n'est pas prête à y faire face (elle tourne de l'œil ou interpose son ombrelle entre elle et la vision choquante). Avec une légèreté narquoise, les cartons qui parsèment le film et les dialogues insistent sur les mensonges qu'elle profère aux autres et à elle-même. Dommage que son évolution vers l'affirmation de soi soit si vite expédiée, il faudra attendre "Maurice" pour voir une version pleinement aboutie de ce cheminement vers la connaissance et l'affirmation de soi-même par le renversement des barrières sociales, culturelles et morales.
En 2005, Cédric KLAPISCH donnait une suite à "L Auberge espagnole" (2002) pour ce qui allait finalement devenir une trilogie, conclue avec "Casse-tête chinois" (2013). "Les Poupées russes" censé se dérouler cinq ans après "L'Auberge espagnole" (2002) nous révèle un Xavier (Romain DURIS, le Antoine Doinel du réalisateur) proche de la trentaine dont la vie est complètement "en vrac". Tout comme le film, plus primesautier que jamais avec ses nombreux effets de montage, incrustation, split screen, film dans le film qui donnent l'impression d'une vie éparpillée façon puzzle.
Après avoir échappé à un destin tout tracé dans "L'Auberge espagnole" (2002), 'Les Poupées russes" montre un Xavier qui ne parvient pas à quitter l'adolescence. Son instabilité est aussi bien géographique (il squatte chez les amis, est souvent entre deux trains), professionnelle (il est un écrivain toujours un peu sur la corde raide, obligé de baratiner banquiers et éditeurs pour obtenir des boulots alimentaires ou rallonges financières sur fond d'air de pipeau ^^) et enfin sentimentale (son désordre amoureux donne lieu à d'hilarants quiproquos). Ses amis de "L'Auberge espagnole" du moins ceux dont la vie est un peu développée (Isabelle alias Cécile DE FRANCE, Martine alias Audrey TAUTOU, Wendy alias Kelly REILLY et William alias Kevin BISHOP) sont globalement plus stables que lui sur le plan professionnel mais tout aussi perdus sur le plan personnel (sauf William, et encore, son histoire avec la ballerine russe Natacha jouée par Evguenia OBRAZTSOVA a quelque chose d'irréel et il a la nausée le jour de son mariage). Par rapport à "L'Auberge espagnole" (2002) qui représentait l'âge des possibles et des expérimentations, "Les Poupées russes" établit un premier bilan qui fait naître derrière la légèreté de façade une sourde mélancolie. Ce qui est le plus important est ce qui se dit en creux, les questionnements liés à l'incapacité d'avancer et de construire faute de parvenir à choisir (c'est à dire à renoncer). C'est particulièrement frappant dans la deuxième moitié du film quand Xavier a la possibilité d'établir une vraie relation avec Wendy (Kelly REILLY est particulièrement émouvante) mais qu'il ne parvient pas à renoncer à sa chimère de la "femme parfaite" incarnée par une Célia (Lucy GORDON) insaisissable.
La première partie de la vie de Léo, un petit garçon enfermé dans un corps d'adulte se déroule entre les 4 murs de sa somptueuse propriété de Notting Hill. Prince déchu, dernier membre de sa lignée (d'où le titre du film), il s'ennuie à mourir dans une vie d'exilé qui n'a pas de sens. Neurasthénique, il passe son temps à observer avec une longue-vue la vie des oiseaux dont il envie la liberté. Jusqu'au jour où il découvre qu'en face de chez lui, vivent des afro-caribéens très pauvres dont il se met à suivre le quotidien. On est alors quelque part entre "Fenêtre sur cour" (1954) pour l'assouvissement de la pulsion scopique du voyeur et "La Vie des autres" (2004) par le fait qu'il s'attache à eux, se sent concerné par leurs problèmes et leur détresse et veut intervenir pour les aider. Longtemps passif et impuissant car pris au piège de ses contradictions (il brandit un sabre en se proclamant pacifiste, il provoque la mort d'une des personnes qu'il veut sauver en le gavant de nourriture), il finit par briser la glace (à tous les sens du terme) et par franchir la barrière pour sortir la jeune Salambo Mardi (Glenna FORSTER-JONES) du piège de la prostitution dans laquelle elle est tombée suite à l'arrestation de son compagnon Roscoe (Calvin LOCKHART).
Léo, c'est ce doux rêveur milliardaire à la Frank CAPRA qui veut donner sa fortune aux pauvres et ainsi renverser les barrières sociales et raciales. Il conserve intacte son innocence en dépit des vautours de tous poils qui l'entourent et pompent son énergie vitale. Une scène très révélatrice du fossé qui le sépare du milieu qui lui a été assigné à la naissance (l'aristocratie dégénérée) est celle de la cérémonie new-âge de bain collectif naturiste dans la piscine censé lui redonner sa vitalité. Pendant que les autres s'extasient, lui se sent juste mouillé et gêné. Il en va de même lors des scènes d'orgie dont il s'exclue toujours. Logique qu'après avoir intrigué pour s'emparer de son héritage ou pour le manipuler afin de prendre le pouvoir ils tentent de le faire interner lorsqu'il décide de changer sa rue à défaut de pouvoir changer le monde. La principale retouche consistant à abattre sa maison qui barrait la rue et à redistribuer les biens restant entre les habitants. Tout un symbole.
Entre ironie et tendresse, John BOORMAN réalise une fable humaniste très personnelle sur le métissage et la justice sociale. Son film (prix de la mise en scène à Cannes) est lui-même un étonnant melting-pot de cultures et de tons, entre flegme british, bouffonnerie italienne et musiques afro-américaines (c'est l'un des rares films d'auteur de l'époque à avoir ainsi mis au premier plan des acteurs noirs). Léo et sa communauté d'adoption partagent un même destin d'immigrés et finissent par s'unir pour sortir de leurs exclusions respectives. Marcello MASTROIANNI est exceptionnel dans le rôle de ce Léo lunaire d'une douceur infinie. Injustement oublié, indisponible en DVD, ce film doit absolument être redécouvert.
"Emma l'entremetteuse" est une adaptation américaine du roman de Jane Austen "Emma" surfant sur la austenmania de la seconde moitié des années 1990. Il y a d'ailleurs un clin d'œil appuyé à "Orgueil et Préjugés" (1995), la mini-série de la BBC avec la reprise à l'identique d'une musique et d'une danse de bal mettant en relation Emma et l'homme qu'elle aime sans le savoir. Il est par ailleurs assez évident que le film lorgne du côté de celui de Ang LEE qui avait réussi une superbe adaptation de "Raison et sentiments" (1995) en collaboration avec Emma Thompson.
Néanmoins le film de Douglas McGRATH fait pâle figure aux côtés de ces références. Le roman de Jane Austen n'offre certes guère de faits saillants et se concentre sur une étude de mœurs et sur l'évolution intérieure des protagonistes principaux. Il faut donc de la subtilité pour accrocher l'intérêt du spectateur. Or je me suis ennuyée pendant les 3/4 du film qui se contente d'une restitution plate et littérale donc superficielle du roman. Et le casting n'aide pas. Gwyneth PALTROW était alors à la mode mais son jeu limité transforme Emma en caricature. Elle ne donne jamais corps à ce personnage peu sympathique au départ (snob, hypocrite, immature, intrusif voire manipulateur) mais qui est censé évoluer. Il lui sert de prétexte à exhiber ses éternels tics de jeu (sourire charmeur, moue et froncement de sourcil). Face à elle, Jeremy NORTHAM est bien meilleur, il est même le seul à m'avoir sortie de ma torpeur mais il n'a pas l'âge du rôle ce qui ne permet pas de saisir en quoi il pallie les déficiences éducatives de Emma en jouant un rôle de père de substitution auprès d'elle. Dans les deux cas les considérations économiques ont clairement prévalu (offrir des acteurs bankables à tout prix même s'ils étaient trop jeunes, non british etc.) Il en va de même
pour les autres personnages. Ils sont tout simplement inexistants car peu mis en valeur, mal caractérisés et donc eux aussi caricaturaux. Harriet Smith, l'indécise influençable jouée par Toni COLLETTE (aussi peu british que sa partenaire de jeu) devient juste une grosse gourde, le séducteur Frank Churchill est ridiculisé par la perruque que semble porter Ewan McGREGOR sur la tête et il faut attendre les 2/3 du film pour comprendre qu'Elton le chasseur de dot est vicaire.
"Big Fish" bien qu'un peu inégal est une belle réflexion sur la création et la transmission. Edward Bloom (Ewan McGREGOR jeune et Albert FINNEY âgé) est en quelque sorte un double du cinéaste. Il n'a jamais oublié l'enfant qui était en lui et les pouvoirs de l'imaginaire qui vont avec. Ses talents de conteur hors-pair lui ont permis de transformer les événements triviaux de sa vie en une formidable Odyssée fantastique. Il y a du Terry GILLIAM dans ce récit picaresque rempli de créatures légendaires du folklore universel (sorcière, sirène, loup-garou, géant etc.) avec une touche spécifiquement américaine (le southern gothic que je trouve particulièrement présent dans la ville de Spectre, joyeuse en apparence mais mortifère et claustrophobique en réalité avec sa guirlande de chaussures à l'entrée et son horizon bouché).
La problématique de l'histoire tourne autour de la transmission de ce passé réinventé au fils d'Edward, Will (Billy CRUDUP) qui n'a pas les mêmes besoins que son père. Lui a besoin de racines et de faits sur lesquels s'appuyer pour se construire et transmettre à son tour. La créativité de son père devient une pathologie familiale en ce sens que sa mythomanie empêche son fils de démêler le vrai du faux et de s'y retrouver. Son talent de conteur place par ailleurs son père au centre de l'attention, l'empêchant d'exister. C'est en suivant l'exemple de sa mère Sandra (Jessica LANGE, discrète mais présente et attentive) qu'il trouve le chemin aquatique lui permettant de renouer avec son père, découvrant l'origine bien réelle de ses sources d'inspiration et finissant par entrer dans son imaginaire sans s'y perdre pour l'aider à terminer son histoire en beauté. Car avec ou sans talent, personne ne raconte sa vie avec une absolue fidélité à la réalité, elle est recréée au fur et à mesure par le prisme de la perception puis celui de la mémoire. Le plan permettant de comprendre comment des jumelles sont devenues des siamoises par un simple changement de regard caméra est particulièrement génial. La limite entre réel et imaginaire est donc bien plus ténue que ce que l'on croit, et ce d'autant plus que cet imaginaire fait partie de la réalité de l'individu qui le produit. Là se trouve la source de l'art "bigger than life".
"Hollywood Ending" réalisé en 2002 se situe dans une période de creux de la vague dans la filmographie de Woody ALLEN. Il peut d'ailleurs être considéré comme une mise en abyme de cette mauvaise passe dans sa carrière, Woody ALLEN jouant le rôle de Val, un réalisateur névrosé sur la touche à qui est offerte la possibilité de faire un come-back. Néanmoins son film n'échappe pas aux faiblesses de ses autres longs-métrages de l'époque avec notamment un casting particulièrement terne et une impression générale de trop grande légèreté comme si Woody ALLEN survolait ses sujets et manifestait de la paresse à les écrire et à les mettre en scène. Ce manque de profondeur est particulièrement préjudiciable à l'aspect satirique du film, la charge contre les "commerçants d'Hollywood" se réduisant à quelques bons mots (le public-cible, le pourcentage du réalisateur ou bien la pique contre les Oscars obtenus par la campagne du producteur Harvey WEINSTEIN pour "Shakespeare in love" (1998), Woody ALLEN n'étant pas le mieux placé pour critiquer ce dernier). De même, l'idée fantastique de faire tourner le film à l'insu de presque tout le monde par un réalisateur atteint de cécité psychosomatique était excellente sur le papier mais s'avère décevante au final tant les gags sont répétitifs et le rythme poussif. Reste tout de même la bonne maîtrise des codes de la screwball comédie du remariage du type Howard HAWKS ou Leo McCAREY qui permet d'éprouver un certain plaisir à voir Val se rabibocher avec son ex-femme Ellie(Téa LEONI) et une excellente chute en forme d'hommage teinté de raillerie au cinéma français, seul pays où le film de Val "La ville qui ne dors jamais" cartonne au point d'être considéré comme le meilleur film américain des cinquante dernières années! (Woody ALLEN a toujours eu plus de succès chez nous que dans son propre pays).
Il y a des films qui au moins ne cherchent pas à masquer leur caractère de pure opération commerciale. D'autres comme celui-ci sont plus hypocrites car ils sont calibrés à la fois pour plaire au plus large public possible et pour rafler des prix prestigieux. Le tristement célèbre producteur Harvey Weinstein a ainsi fait une OPA sur la "marque" Shakespeare (auteur dont la vie reste largement mystérieuse), trouvé sa caution culturelle (le scénariste Tom Stoppard) pour reconstituer avec un sérieux de façade le théâtre élisabéthain, engagé des comédiens américains bankable bien cul-cul la praline pour les rôles principaux (un bellâtre aussi fadasse que Joseph Fiennes pour jouer un génie franchement c'est Shakespeare qu'on assassine) tout en reléguant les remarquables acteurs britanniques qui auraient été tellement plus appropriés au second voire dernier plan, fait pondre un scénario qui se veut intelligent mais qui est juste insignifiant en plus d'être truffé d'anachronismes et d'invraisemblances. Mais le tour de passe-passe a si bien fonctionné tant auprès du public que du jury des Oscars (au minimum influencés, au pire corrompus) qu'on a osé nous vendre ce film d'un financier véreux, phallocrate et criminel sexuel comme féministe! Mais il en va de ce dernier comme de Shakespeare, c'est un simple affichage derrière lequel se cache le sexisme le plus rétrograde. Le rôle de Viola (Gwyneth Paltrow), cette aristocrate (fictive) qui se travestit pour pouvoir jouer et prend un amant pour se rebeller contre son mariage arrangé est mince comme du papier à cigarette et ne tient pas la route. Les filles sont en réalité montrées comme les supports de purs fantasmes masculins: faciles, à la disposition des hommes qui n'ont qu'à claquer des doigts (ou à débiter un ou deux sonnets, c'est censé être du Shakespeare quand même!) pour les mettre à poil et les trousser avec une affligeante vulgarité. Évidemment elles adorent. Ah oui et Shakespeare est censé être un infatigable Don Juan qui puise son inspiration dans ses histoires de coeur (ou plutôt de fesses): à quand "Juliette Harlequin" et "Hamlet porno chic"? La recette est inépuisable!
Il y a selon moi deux périodes dans la filmographie de Wes ANDERSON: une première période très détachée et une seconde période beaucoup plus impliquée (tant émotionnellement que politiquement). "A bord du Darjeeling Limited" appartient à sa première période. C'est une sorte de "roman familial" à huis-clos comme dans "La Famille Tenenbaum" (2002). Un album Panini plutôt qu'un roman d'ailleurs sauf qu'au lieu de lire les vignettes dans le sens vertical, on les lit ici dans le sens horizontal étant donné que la majeure partie du film se déroule à bord d'un train. Celui-ci comme dans "La Vie aquatique" (2003) joue le rôle d'une bulle qui isole les protagonistes de l'extérieur, une Inde vue surtout à travers un prisme exotique. Il y a cependant un moment dans ce film qui laisse pressentir l'évolution du cinéma de Wes ANDERSON. C'est celui où, après s'être fait éjecter du train, les trois frères Whitman, Francis (Owen WILSON), Peter (Adrien BRODY) et Jack (Jason SCHWARTZMAN) rencontrent leurs "miroirs" indiens en fâcheuse posture et tentent de venir à leur secours. Alors seulement ils semblent sortir de leur neurasthénie, se jettent à l'eau, risquent leur peau et en ressortent passablement secoués, surtout Peter, le futur père qui n'a pas réussi à sauver l'un des garçons et est couvert de sang. Pour une fois on a l'impression que Wes ANDERSON accepte de se confronter à un sentiment (la douleur) même si ça ne dure pas. Il faut dire que le court-métrage qui sert de prélude, "Hôtel Chevalier" laisse lui aussi affleurer des sentiments et des émotions, mélancolie, douleur, impasse existentielle (la vue bouchée, les bleus sur le corps). L'aspect distancié du film, son humour pince-sans-rire sert à éviter de trop faire ressentir à quel point les frères sont dépressifs. Mais à force de détachement et de pseudo indifférence, le tout sur un rythme nonchalant (le film se traîne parfois), on finit par se lasser quelque peu même si on a compris que l'enjeu du voyage consiste à laisser la figure mortifère du père derrière soi (Bill MURRAY, sa voiture en panne et sa ligne de lourds bagages lestés encore par le présent de l'ex petite amie de Jack, jouée par Natalie PORTMAN) pour pouvoir enfin avancer dans la vie.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.