Tempo allegro, c'est le rythme Jean-Paul RAPPENEAU. Cette mise en scène du mouvement atteint déjà dans son deuxième film "Les mariés de l'an II" une sorte de perfection. Il n'y a en effet pas un seul temps mort dans ce film bondissant, virevoltant, rempli de vivacité mais où l'on sent que chaque scène est réglée au millimètre près. La rareté de ses films en témoigne: Jean-Paul RAPPENEAU est un perfectionniste. Son film est très influencé par le cinéma américain, en particulier le western de Anthony MANN et la comédie du remariage de Howard HAWKS et Ernst LUBITSCH. C'est sans doute ce qui explique que le début du film se situe aux Etats-Unis qui était alors un Etat tout neuf. Mais l'essentiel de l'intrigue se déroule en France sous la Révolution dont les multiples rebondissements fournissent un matériau de choix pour réaliser une comédie d'aventures. Il est particulièrement amusant de voir comment sans se prendre au sérieux, le scénario joue avec les différents camps qui s'affrontent avec au beau milieu de la mêlée, les incessantes chamailleries d'un couple d'éternels gamins dont l'énergie à se brouiller et se rabibocher semble inépuisable. Comme chez Philippe de BROCA (pour qui Jean-Paul RAPPENEAU a d'ailleurs travaillé), Jean-Paul BELMONDO est au meilleur de sa forme, plein d'élégance et de panache. Marlène JOBERT est délicieuse en femme-enfant espiègle. Et autour d'eux, gravitent toute une série de seconds, troisièmes et quatrièmes rôles qui nous régalent, du Chouan joué par Sami FREY jusqu'au au père Gosselin, un des derniers rôles de Pierre BRASSEUR sans parler du soldat anonyme derrière lequel on reconnaît Patrick DEWAERE alors parfaitement inconnu ^^. Même la voix off est célèbre (c'est celle de Jean-Pierre MARIELLE). Et puis Jean-Paul RAPPENEAU est assisté par une brochettes de talents tels que Michel LEGRAND à la musique (l'alchimie avec Jean-Paul RAPPENEAU est parfaite) et Claude SAUTET au scénario (que l'on attendait pas forcément dans ce registre).
"La Boulangère de Monceau" est le premier des six contes moraux que Éric ROHMER a tourné entre 1962 et 1972. C'est un court-métrage qui pose le canevas sur lequel le cinéaste brodera des variations de plus en plus complexes au fil des cinq films suivants. Comme ceux qui le suivront, le personnage principal est un jeune homme plutôt imbu de sa personne et qui adore s'écouter parler (et penser) tant il est bourré de certitudes. C'est pourquoi il a souvent un plan de carrière et une stratégie matrimoniale prête à l'emploi. Bref, c'est la tête à claques parfaite. Mais un petit grain de sel vient faire (momentanément) dérailler la machine bien huilée sous la forme d'une ou plusieurs "tentatrices" qui n'appartiennent pas au même milieu social ou bien n'ont pas le même âge ou bien les mêmes moeurs que lui. Elles dévoilent sa profonde lâcheté devant le "tourbillon de la vie" avec lequel il préfère jouer plutôt que de s'y abandonner avant de reprendre le contrôle de sa vie, confirmant qu'il est bien une nature morte.
Bien entendu "La Boulangère de Monceau" n'est qu'une esquisse de cette intrigue, tant le manque de moyens se fait ressentir à l'image (qui présente un cadre particulièrement étriqué) mais sa simplicité et sa concision rendent les enjeux limpides. La boulangère est clairement présentée comme le "bouche-trou" du séducteur entre deux laps de temps durant lesquels il drague le véritable objet de son désir, Sylvie, une jeune fille "digne de lui" (entendez par là issue de la bourgeoisie) mais qu'il est trop mou pour rechercher lorsqu'il ne la rencontre plus dans la rue. Seul le hasard pallie le manque de volonté du héros qui considère la boulangère comme une facilité étant donné qu'elle ne bouge pas de sa place et qu'il n'a pas besoin de se casser la tête pour aller la trouver. C'est donc une stratégie assez minable qui nous est présentée et on s'amuse de voir l'ami de Éric ROHMER, Barbet SCHROEDER tiré à quatre épingles très loin des films hippies qu'il réalisera pourtant seulement quelques années plus tard.
"Gribiche" est un conte moral très touchant, merveilleusement interprété, mis en scène, éclairé et photographié (tous aspects particulièrement bien mis en valeur par la restauration de la cinémathèque). C'est le premier film que Jacques FEYDER a tourné pour les studios Albatros qui a employé tout ce que le cinéma français pouvait compter de jeunes talents dans les années vingt. C'est aussi le premier rôle important de Françoise ROSAY, l'épouse de Jacques FEYDER dans un rôle qui lui va comme un gant: celui de la dame patronnesse, bourgeoise américaine richissime qui se consacre à des oeuvres de charité mais découvre à ses dépends qu'elle ne peut acheter le bonheur d'autrui. En l'occurence celui de Gribiche, jeune garçon qu'elle a décidé d'adopter après qu'il lui ait rendu son sac à main qu'elle avait perdu dans un grand magasin. Celui-ci accepte pour soulager sa mère et se retrouve dans une luxueuse cage dorée meublée et décorée avec le plus grand soin (c'est un festival art déco) dans lequel chaque moment de sa vie est réglé comme du papier à musique. Jacques FEYDER utilise le comique de répétition pour montrer les excès hygiénistes de Mme Maranet et aussi comment celle-ci déforme de plus en plus le récit de sa rencontre avec Gribiche auprès de ses amis, celui-ci devenant larmoyant et misérabiliste. Or si Gribiche est issu d'un milieu populaire, sa mère ne vit pas dans la misère. Loin de la veuve de guerre éplorée de l'image d'Epinal, c'est une une bonne vivante qui aime rire, paresser au lit, aller au restaurant, à la fête foraine et au bal sans parler du fait qu'elle est amoureuse du contremaître. Des lieux bondés, grouillant de vie que les chefs opérateurs de Jacques FEYDER ont réussi à capturer sur le vif, y compris en extérieur nuit sans aucun éclairage artificiel ce qui pour l'époque était un tour de force. Par contraste, la grande maison de Mme Maranet avec ses immenses pièces et sa grande hauteur sous plafond apparaît terriblement vide et on y voit le pauvre gamin y dépérir d'ennui et par manque de chaleur humaine. Dans le rôle de Gribiche, Jean FOREST qui était alors âgé de 13 ans en était déjà à sa troisième collaboration avec Jacques FEYDER qui l'avait casté dans la rue trois ans auparavant. Malheureusement, cet enfant-acteur surdoué n'a pas réussi à percer véritablement une fois devenu adulte au temps du cinéma parlant.
J'ai fait une très belle découverte avec ce "Madame Hyde" alors que je ne connaissais pas les films de Serge BOZON, que le monde de l'enseignement est souvent caricaturé dans le cinéma français donc les films sur ce sujet ne m'attirent pas et que les acteurs du film ne sont habituellement pas ma tasse de thé. Mais le fait qu'ils jouent tous à contre-emploi les sort de leur zone de confort et donne soudain du relief à leur personnalité et à leur jeu. Et ce dès le début. On voit d'abord la chevelure en gros plan de Isabelle HUPPERT qui nous tourne le dos et se tient devant son lycée technique. Face à elle et semblant la dominer de loin depuis son bureau, Romain DURIS dans le rôle du proviseur la fixe avec un sourire sardonique avant de fermer brusquement le store. Sans aucun dialogue, juste avec cette "mise en espace" et ces gros plans sur des détails saillants, Serge BOZON esquisse des personnalités et aussi des rapports de force au sein d'un établissement scolaire qui vont à l'encontre de l'image que l'on a de ces deux acteurs (la dominatrice tout en contrôle et le jeune rebelle). On a donc d'un côté Marie, une professeure de physique-chimie (dès que Isabelle HUPPERT joue Maris Curie, j'adore!) effacée qui ne cesse de se faire humilier. De l'autre ses "bourreaux" qui incarnent dans leur grande majorité divers types de mâles dominants (ou plutôt jouant à l'être) depuis le proviseur qui se prend pour un manager gérant une entreprise jusqu'aux élèves, des ados de cité issus de l'immigration qui rivalisent de vulgarité et la chahutent dans sa classe. Sauf que les apparences sont trompeuses et que la fixation sur la chevelure de feu de Isabelle HUPPERT (le même plan de dos est réitéré lorsqu'on la découvre en situation de cours) n'est absolument pas fortuite. Car le film qui se situe à la frontière de plusieurs genres offre une traversée des miroirs à travers une relecture très personnelle du roman de Stevenson, "L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde". Comme dans "Melancholia" (2011) sur lequel j'ai écrit un avis récemment, Marie "Géquil" (oui, c'est son nom-référence dans le film!) possède une puissance cachée qui réside dans sa connexion aux astres (en l'occurence, celle de la lune rousse of course!) et se révèle après qu'elle ait été frappée par la foudre. Ce feu qui court désormais sous sa peau et s'embrase la nuit, la transformant en torche vivante (et très dangereuse) lui permet peu à peu d'imposer sa vision du monde, en opposition frontale avec celle de ceux qui la dominaient jusque là et qui consiste à faire exploser les hiérarchies, les cases et les filières. Un élève en particulier qu'elle présentait d'emblée comme un double d'elle-même mais qui la rejetait devient son miroir, Malik qui cumule handicap social et handicap physique (son déambulateur symbolise à lui tout seul une petite cage). De cette rencontre, il sortira transformé (et marqué) à jamais! Le film est tout entier construit sur des dédoublements et des renversements de situation et de perspectives (y compris à travers des métaphores de géométrie) qui le rendent très intéressant. Ainsi pour sortir de leur cage, les élèves de la classe technologique sont invités à en construire une (de Faraday) afin de montrer qu'un "travail personnel encadré" n'est pas réservé qu'à une élite. Le proviseur est un personnage burlesque dont le discours est systématiquement ridiculisé et qui finit par avouer que son rêve secret est d'être homme au foyer, comme le mari de Marie Géquil. Car le dernier acteur à contre-emploi du film est José GARCIA qui joue un époux confiné dans l'espace domestique doux et tendre, tout entier dévoué à la réussite de sa femme (comme quoi, Isabelle HUPPERT n'est pas si à contre-emploi que cela finalement, en tout cas c'est plus subtil qu'une simple opposition binaire). Evidemment il s'appelle Pierre, en référence à Pierre Curie qui considérait sa femme comme son égale et avait oeuvré pour qu'elle reçoive le Nobel à ses côtés. Enfin, autre dédoublement et pas des moindres, Marie Géquil la scientifique se transforme la nuit en Madame Hyde la sorcière mais l'une n'est rien sans l'autre et il est intéressant de voir que ce qui habituellement se repousse (comme le positif et le négatif dont le film accro aux métaphores électriques est friand) peut se combiner. Même si l'expérience d'enseignement novatrice de Géquil/Hyde ne peut que déraper avec une fin en forme d'allusion à "Au revoir les enfants" (1987) qui peut aussi faire penser au "Le Cercle des poètes disparus" (1989).
"L'Homme qui tua Don Quichotte" c'est l'oeuvre d'une vie en tout cas d'un quart de siècle de vie. On ne peut mettre en effet de côté ce contexte, de toutes façons celui-ci est rappelé au début et à la fin avec l'hommage au premier Don Quichotte choisi par Terry GILLIAM, Jean ROCHEFORT ainsi qu'à un autre acteur ayant participé au projet et décédé entre temps, John HURT. C'est le film maudit d'un cinéaste qui lors de sa première tentative de le réaliser au début des années 2000 subit toutes les catastrophes possibles et imaginables jusqu'à l'abandon pur et simple du film dont ne subsista que le passionnant documentaire "Lost in la Mancha" (Doc.) (2003). Quinze ans plus tard, Terry GILLIAM parvint à ses fins avec un nouveau casting bien que là encore, des embrouilles juridiques avec le producteur Paulo BRANCO ne mette son tournage et sa sortie en péril.
Malgré ses mises en abyme permanentes et sa mise en scène baroque caractéristique, j'ai trouvé le film de Terry GILLIAM bien moins confus que beaucoup d'autres réalisés ces vingt dernières années. Terry GILLIAM est un cinéaste visionnaire, à l'imaginaire puissant et dont l'esthétique foisonnante se nourrit de multiples références picturales et architecturales notamment mais qui a besoin d'une aide extérieure pour canaliser ce débordement d'images délirantes. C'est pourquoi ses meilleurs films sont des adaptations très personnelles d'oeuvres préexistantes dans lesquelles il se retrouve: "1984" de George Orwell, "Les aventures du baron de Munchausen" de Rudolph Erich Raspe, le scénario de Richard LaGRAVENESE à l'origine de "Fisher King" (1991), "La Jetée" (1963) de Chris MARKER ou encore le livre de Hunter S. Thompson. Dans les deux premiers exemples cités ("Brazil" (1985) et "Fisher King") (1991), l'ombre de Don Quichotte planait déjà. Jonathan PRYCE reprend d'ailleurs le rôle du nobody qui s'échappe dans un monde fantasmatique où il devient un chevalier sans peur et sans reproches qu'il jouait déjà en 1985. Simplement dans "Brazil" (1985) le combat de Terry GILLIAM contre l'industrie cinématographique était maquillé en lutte contre le totalitarisme. Dans "Fisher King" (1991) on en avait une belle variante avec l'amitié entre le clochard-chevalier Parry (Robin WILLIAMS) et le producteur de radio cynique en quête de rédemption Jack Lucas (Jeff BRIDGES). Le personnage de Toby joué par Adam DRIVER est une sorte de cousin de Jack Lucas, réalisateur de publicités cynique qui en découvrant les ravages qu'il a fait autour de lui en renonçant à ses rêves de jeunesse va tenter de se racheter (auprès de lui-même et de ceux à qui il a fait du mal). En ce sens, la trame du film est limpide et rend le film particulièrement émouvant.
"Raining Stones" est l'un des premiers films de Ken LOACH que j'ai vus et aussi un de ceux que je préfère. Ce qui à mon avis explique la réussite du film, c'est son mélange parfait de comédie burlesque et de drame social. L'humour est en effet omniprésent et désamorce le pathos et le sordide de nombreuses situations qui plombent tant d'autres films de Ken LOACH sans affadir pour autant la dénonciation des injustices sociales qu'il contient, bien au contraire. Bob (Bruce Jones) et Tommy (Ricky TOMLINSON) sont des chômeurs, laissés-pour-compte de la société britannique post-thatchérienne qui enchaînent des combines plus minables les unes que les autres pour survivre dans la banlieue ouvrière sinistrée de Manchester où ils habitent. L'humour provient de leur incroyable maladresse qui les fait rater à peu près tout ce qu'ils entreprennent (des pis-aller de toute manière). Mais également de dialogues bien écrits aux phrases percutantes. Ce qui n'empêche pas la violence sociale de jaillir de la manière la plus crue, menaçant ce qui tient encore ces hommes debout: l'intégrité de leurs familles. On pense à d'autres films réalistes ou néoréalistes montrant les ravages du capitalisme sauvage dans un contexte de crise généralisée: "Les Raisins de la colère" (1940) par exemple ou "Le Voleur de bicyclette" (1948). Dans ce contexte difficile, le combat de Bob pour conserver sa dignité n'en est que plus émouvant au travers de son combat pour offrir à sa fille la plus belle tenue de première communiante. La religion est montrée de façon ambivalente: elle enfonce Bob dans les ennuis financiers, elle sert de dérivatif à la misère et à la colère (donc au risque révolutionnaire) mais en même temps elle est à peu près le seul refuge matériel et moral des ouvriers en dehors du centre d'aides sociales. Et l'engagement personnel du prêtre a une action déterminante sur le sauvetage de Bob.
Comme le premier film de la série des six contes moraux de Éric ROHMER, "La Boulangère de Monceau" (1962), "La Carrière de Suzanne" (1963) le deuxième opus est un métrage fauché (comme d'autres films débutants des cinéastes de la nouvelle vague) se caractérisant par sa durée écourtée, ses acteurs amateurs, un son post synchronisé etc. Néanmoins on reconnaît parfaitement la thématique à venir de ce cinéaste sur les apparences trompeuses, les mensonges que l'on se raconte à soi-même et aux autres, sur soi-même et sur les autres. Le contexte historique et sociologique, très important chez Rohmer est minutieusement décrit. C'est celui de la jeunesse étudiante du quartier latin quelques années avant la révolution de 1968. Le film tourne principalement autour de trois jeunes dont il interroge les rapports amicaux et amoureux. Des rapports qui n'ont d'ailleurs d'amicaux et d'amoureux que la façade puisque ce qui est en réalité étudié, ce sont les relations de domination et de soumission. Guillaume le bourgeois séducteur et manipulateur a besoin d'un confident, d'un spectateur (de ses exploits), d'un admirateur, d'un miroir etc. Il trouve tout cela auprès de l'influençable et mollasson Bertrand qui bien que non dupe de la "crapulerie" de son "ami" (dont on devine qu'il est son modèle) le suit partout sans résister et semble épouser son point de vue (puisque c'est lui que l'on entend en voix-off). Ces deux parfaits spécimens de petits goujats misogynes, vieux avant l'âge jettent leur dévolu sur ce qu'ils pensent être une "pauvre fille" qu'ils passent leur temps à humilier et exploiter de toutes les façons possibles. Sauf que la fille en question n'est pas la gourde qu'elle a l'air d'être ce qui laisse au spectateur tout le loisir d'apprécier le savoureux retournement final.
Dans les courts-métrages de Jean-Luc GODARD, "Tous les garçons s appellent Patrick" (1957) et toutes les filles s'appellent "Charlotte et Véronique" (1957). Mais si le trio devait autant sa paternité à Jean-Luc GODARD qu'à Éric ROHMER, "Charlotte et son jules" est une esquisse de "À bout de souffle" (1959). En effet, bien que sorti sur les écrans en 1961 dans la foulée du premier long-métrage de Godard, il a été tourné juste avant, en 1958 avec une actrice inconnue (et qui allait le rester) et un acteur inconnu de 25 ans (mais qui n'allait pas le rester longtemps, lui). "Charlotte et son jules" scelle en effet la rencontre de deux iconoclastes du cinéma tel qu'il se pratiquait alors, Jean-Luc GODARD, qui allait devenir un des réalisateurs phare de la nouvelle vague et l'acteur Jean-Paul BELMONDO dont le physique hors-norme (par rapport au style du jeune premier canonique de l'époque) lui faisait manger de la vache enragée. Encore que dans ce film, Belmondo ne prête que son corps à la caméra étant donné que sa voix est celle de Godard lui-même, l'acteur étant indisponible au moment de la post synchronisation (film fauché oblige!). On ne peut pas mieux figurer la fusion entre un acteur et un cinéaste (Vanityfair évoque un monstre à deux têtes qui s'appellerait Belmondard ou Golmondo!) Quant au film lui-même, il fonctionne tout entier sur une méprise, celle de "Jules" qui croit que Charlotte qui l'a quitté veut revenir avec lui. S'ensuit 12 minutes de quasi-monologue de misogyne aigri durant lequel la belle dont les interventions sont réduites pour l'essentiel à des onomatopées semble ouvertement se moquer des propos de son ex ce que confirme une chute très ironique qui renverse complètement la perspective du film: l'identité de l'idiot n'est pas celle que l'on croit.
J'avoue ne goûter que très modérément à ce type de films "fort en gueule" et en "bons mots" dans lesquels un, deux, trois... dix "poteaux" du cinéma français se retrouvent dans un bel entre-soi pour jouer à celui qui gueulera le plus fort et pissera le plus loin. Des films célébrant l'amitié virile et faisant la part belle aux numéros d'acteurs en roue libre pullulent dans le cinéma français car c'est une recette qui marche. Alors je n'avais pas plus envie que ça de découvrir "Un singe en hiver" qui a été pour moi pendant longtemps associé à un titre du groupe Indochine (sans doute le lien, ténu avec le Yang-Tsé-Kiang ^^). Et puis je suis assez imperméable aux dialogues de Michel AUDIARD (je me souviens d'une soirée où tout le monde se marrait en se remémorant les meilleures répliques de "Les Tontons flingueurs" (1963) alors qu'à l'époque, ça ne me faisait pas rire du tout. Depuis, quelques phrases associées aux mimiques de Bernard BLIER arrivent quand même à m'amuser ^^). La mort de Jean Paul BELMONDO m'a donné l'occasion de le voir. Il y est absolument excellent (et plus je vois ses films, plus je me rends compte du charme fou qu'il dégageait dans sa jeunesse et de la richesse de son jeu à ses débuts) et forme un duo savoureux et truculent avec Jean GABIN bien que celui-ci cabotine à qui mieux mieux comme dans la plupart des films de la fin de sa carrière. Ca casse un peu la force des scènes mélancoliques qui succèdent aux beuveries hystériques de ces deux hommes inaccomplis dont il est clair que pour le plus âgé, l'heure est passée. Pour le reste on a quand même une histoire convenue cochant à peu près toutes les cases du film de mecs cité au début de cet avis. Les femmes y sont dépeintes soit comme des briseuses de rêves (et de coeur), soit comme des empêcheuses de se saouler en rond (ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier de revoir Suzanne FLON dans le rôle ingrat de l'épouse rabat-joie) soit comme des tenancières de bar ou de bordel. Sans parler du mauvais goût absolu d'avoir convoqué un sosie de Landru (Noël ROQUEVERT) dont les deux épouses sont mortes pour jouer le complice en "400 coups" de l'infernal duo...
Les (désopilantes) mésaventures d'un riche compositeur hollywoodien en pleine crise de la quarantaine qui tombe raide dingue de la vision dans une rue de L.A. d'une créature de rêve, sorte de James Bond girl dissimulée sous des atours virginaux jouée par Bo Derek. A partir de ce postulat, c'est un festival de gags burlesques agencés avec le savoir-faire du génial Blake Edwards, maître de la mécanique de précision nécessaire au jaillissement de l'étincelle comique. Le corps du pauvre George (Dudley Moore, aux faux airs de Michel Sardou des seventies) en voit de toutes les couleurs à chaque fois qu'il tente de se rapprocher de l'objet de sa convoitise: ce sont ses pieds qui le brûlent, ses plombages qui déforment son visage et sa voix, son nez qui enfle après avoir été piqué par un insecte, sa tenue de plage inadaptée qui le fait transpirer abondamment. Mais le plus drôle reste le télescope qui lui sert à mater chez un voisin à la sexualité débridée qui prend plaisir à exhiber ses orgies festives. Cependant lorsqu'il passe de l'autre côté de la barrière, cela tourne au fiasco. Rien de graveleux ne ressort du film en effet à cause de l'élégance du réalisateur et de la candeur définitive de son personnage principal qui se donne des airs d'obsédé mais qui est incapable "d'assurer" quand il faut passer à l'action tant il s'avère avoir une âme d'adolescent fleur-bleue dans un corps mature. La mélancolie perce sous le jour du burlesque, les femmes que rencontre George s'avérant aussi seules, perdues et insatisfaites que lui. De quoi lui mettre un peu de plomb dans la cervelle en comprenant que plutôt que de courir après une chimère, il vaudrait mieux se contenter de ce qu'il a: mieux communiquer par exemple avec sa compagne chanteuse, jouée par la sublime Julie Andrews qui durant tout le film contemple, mi-indulgente, mi-consternée l'ampleur de ses égarements. Il faut bien que jeunesse "tardive" se passe semble-t-elle dire! Et on la comprend: Blake Edwards rend George tellement touchant, hilarant et craquant qu'on lui pardonne facilement ses frasques (il nous a fait tellement rire aussi) et on n'a plus qu'une envie, c'est lui faire un "big hug"!
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)