"Alice n'est plus ici" est le quatrième long-métrage de Martin SCORSESE, atypique dans sa filmographie puisqu'il s'inscrit dans le genre du road-movie au féminin, popularisé par "Thelma et Louise" (1991) mais qui avait déjà fleuri dans les marges du nouvel Hollywood contestataire des années 70. On pense à "Wanda" (1970) de Barbara LODEN mais aussi aux films de John CASSAVETES avec Gena ROWLANDS tels que "Une femme sous influence" (1974). Ce dernier n'est pas un road-movie mais décrit très bien le profond malaise de la femme au foyer qui est aussi le lot d'Alice (Ellen BURSTYN). Martin SCORSESE utilise ce prénom à dessein avec une séquence d'introduction flamboyante en studio reconstituant l'âge d'or hollywoodien. On pense plus précisément à un improbable croisement entre "Autant en emporte le vent" (1938) et "Le Magicien d'Oz" (1938). L'artificialité du dispositif de comédie musicale ressort à la manière d'un David LYNCH non pour tracer une frontière entre le conscient et l'inconscient mais entre le "wonderland disneylandisé" où évolue Alice enfant et la réalité nettement moins glamour qui est son quotidien adulte de femme au foyer de l'Amérique profonde aliénée par un mari indifférent et désagréable et un gamin insupportable. La mort subite du mari est vécue une fois le choc passé comme un nouveau départ autant que comme une nécessité de survie. Le film bascule alors dans le road-movie mais ne revient pas pour autant dans le monde de l'enfance. Il cherche sa voie comme Alice cherche la sienne, brièvement retrouvée dans la séquence où elle chante pour un public mais qui tourne court à la faveur d'une mauvaise rencontre (Harvey KEITEL, glaçant). Finalement c'est comme serveuse qu'elle découvre les joies de la sororité avec une sorte d'Arletty de comptoir et un homme relativement plus ouvert et positif que ce qu'elle a connu jusque là. Son fils pré-adolescent fragile et hyperactif a droit également à une véritable attention de la part du cinéaste, que ce soit dans la relation à sa mère ou à son pendant féminin rebelle, jouée déjà par la toute jeune et déjà dotée d'un caractère bien trempé Jodie FOSTER. Le résultat n'est pas tout à fait abouti, en tout cas pas toujours pleinement convaincant mais il ne manque pas d'intérêt.
e premier film de Nicole GARCIA est le portrait d'une femme qui a raté sa vie tant professionnelle que personnelle. Actrice au chômage qui fait des animations pour survivre, divorcée, séparée de ses enfants qu'elle a abandonné à son mari, elle ne parvient pas à redresser la barre. Il faut dire que le début du film montre que ses échecs professionnels et son incapacité à gérer ses enfants sont liés au patriarcat avec un ex-mari, véritable oeil de Moscou qui ne lui confie les enfants que contraint et menace de les reprendre au moindre écart et un impresario qui l'a mise sous sa tutelle. On comprend donc son pétage de plombs et sa fuite vers une autre vie qu'elle maîtriserait, qu'elle déciderait. Néanmoins elle ne cesse d'être rattrapée par la loi et par la norme: contrôles d'identité incessants, arrestation, dénonciation. De plus elle a peu de prise sur ses enfants qui lui reprochent son abandon, surtout son fils de dix ans qui semble écartelé entre les nouveaux horizons proposés par sa mère (un besoin d'évasion qu'il exprime dans son intérêt pour l'astronomie) et les préventions du père à son égard. Nathalie BAYE porte le film sur ses épaules, au point qu'on ne voit qu'elle et ce au détriment d'un environnement survolé et de rebondissements parfois peu crédibles. D'autant plus que son personnage est un peu trop opaque pour que le spectateur s'y attache vraiment. Cette absence d'intimité se ressent particulièrement avec les enfants durant la plus grande partie du film. Enfin la "déchéance sociale" de l'actrice est toute relative, animer des soirées au Rotary Club de Vichy avec le regretté Jacques BOUDET, ce n'est pas la même chose que de devoir chanter dans un supermarché au fin fond de la cambrousse.
Brillant! On s'attend à un film de jeunesse de Ernst LUBITSCH compte tenu de la date de sa réalisation (1919 soit dans l'après première guerre mondiale bien que sa tonalité annonce déjà les années folles) et on se retrouve face à un petit bijou satirique et burlesque qui témoigne d'une maîtrise parfaite de l'outil cinéma. "La princesse aux huîtres" aurait pu s'appeler "la folle journée" bien que le film évoque davantage Marivaux que Beaumarchais. Encore que l'épidémie de Fox-Trot qui met sans dessus-dessous la hiérarchie sociale évoque aussi le deuxième. Sur le plan chorégraphique et rythmique, le film est une merveille d'horlogerie suisse (bien que Ernst LUBITSCH soit allemand ^^). On voit une armée de domestiques se démener tel un corps de ballet pour servir le roi des huîtres et sa capricieuse fille Ossi qui piquée au vif par le mariage d'une concurrente avec un lord (la fille du roi du cirage, cela sent la parodie des magnats américains de l'acier et du pétrole à plein nez!) veut convoler sur-le-champ en justes noces avec un prince. Sinon, elle casse tout sous le regard indifférent de son père que rien n'impressionne. Mais le promis, non content d'être criblé de dettes, envoie son homme de main jouer son rôle sans savoir qu'il va lui aussi finir par se retrouver embarqué dans la danse. Car le film de Ernst LUBITSCH, concentré d'énergie pousse la science du dérèglement à son paroxysme tout en la maîtrisant parfaitement. Les personnages semblent montés sur ressorts et se déplacent avec une grâce folle, tourbillonnant au son d'un orchestre hystérique (mené par Curt BOIS alors tout jeune, lui que j'ai découvert sous les traits d'un vieillard dans "Les Ailes du desir") (1987). Même sans musique, les personnages semblent se déplacer selon un canevas chorégraphié, que ce soit en cercle ou en ligne, seuls, en duo ou au sein d'un groupe. Sans parler de l'alcool qui coule à flots et n'est pas pour rien dans le vaste délire collectif qui nous est donné à voir (alcool et peut-être plus mais on n'en saura rien). Délire alimenté par des quiproquos menant tout droit à la chambre à coucher. Car on reconnaît la Lubitsch touch, mélange d'élégance et de grivoiserie à ces plans suggérant une caméra qui regarde par le trou de la serrure ce qu'il se passe dans le lit d'Ossi. Car c'est la seule chose qui finalement intéresse son blasé de père. Un film qui donne la pêche et met de bonne humeur!
"Emmenez-moi au bout de la terre, emmenez-moi au pays des merveilles, il me semble que la misère, serait moins pénible au soleil". Cet extrait de la chanson de Charles Aznavour convient parfaitement à "American Honey", road-movie dans le midwest américain. Sa longueur (2h43) permet d'effectuer une radiographie assez poussée de l'envers du rêve américain et ce, des deux côtés de la barrière: la nomade et la sédentaire, l'une se nourrissant de l'autre. Le film colle aux basques de l'héroïne, Star (Sasha LANE), adolescente qui décide de plaquer du jour au lendemain sa famille dysfonctionnelle pour partir sur les routes à bord d'un van regroupant d'autres jeunes paumés ramassés sur le bord du chemin par le séduisant Jake (Shia LaBEOUF, seul acteur professionnel du casting) pour le compte de sa maîtresse et patronne, Chrystal (Riley KEOUGH). Ce faisant, Star troque un système d'exploitation contre un autre. Rien de nouveau sous le soleil: Chrystal est une Fagin ou une Garofoli des temps modernes, une femme d'affaires impitoyable qui recueille de jeunes vagabonds pour les faire travailler et punir ceux qui ne rapportent pas assez. Le travail lui-même ressemble à de la mendicité, il s'agit de soutirer des abonnements à des magazines que personne ne lit plus en suscitant la pitié des acheteurs. Mais comme Star ne mange pas de ce pain-là, ses méthodes la rapprochent dangereusement de la prostitution. Elles permettent aussi de visiter cette Amérique du vide largement acquise à Trump: motels crasseux, maisons abandonnées, banlieues cossues évangélistes, champs pétrolifères peuplés d'hommes en manque, cow-boys texans tape à l'oeil et pas très nets ou encore lotissements pavillonnaires misérables dans lesquels Star rencontre des situations qui reflètent celle qu'elle a quitté. Le portrait n'est guère reluisant. Mais le film lui est flamboyant, brut et sauvage, énergique voire tonitruant avec sa musique omniprésente ce qui lui permet de contourner l'écueil du misérabilisme, comme Andrea ARNOLD parvenait déjà à le faire dans "Fish tank" (2009) auquel on pense beaucoup. La soif de liberté des héroïnes y est identique et s'exprime à travers l'attention au vivant dans ses manifestations les plus humbles. Ainsi Star recueille avec précaution les insectes et les animaux pris au piège pour les relâcher dans la nature. Il est cependant dommage que la réalisatrice ait privilégié la relation toxique entre Star et Jake au détriment du reste du groupe. Le casting (que l'on devine à l'image du film, sauvage) est pourtant réussi mais les personnalités restent seulement esquissées et on reste sur notre faim.
"A L'attaque !" est le dernier volet de la trilogie des "contes de l'Estaque" (après "L'argent fait le bonheur" en 1993 et "Marius et Jeannette" en 1997). Le film utilise le même procédé que celui de "La Fête à Henriette" de Julien Duvivier (qui a ensuite été repris aux USA par Richard Quine dans "Deux têtes folles" et par Woody Allen dans "Mélinda et Mélinda"). A savoir une mise en abyme du travail de création cinématographique. Deux scénaristes (joués par Denis Podalydès et Jacques Pieiller) travaillent sur une comédie sociale marseillaise que l'on voit s'incarner à l'écran avec un certain nombre de retouches, retours en arrière, scènes finalement mises à la poubelle, versions alternatives. L'histoire est cependant très simple à suivre, celle d'une famille de garagistes (la troupe habituelle de Robert Guédiguian) dont le bien est sur le point d'être saisi pour impayés, la société Eurocontainer qui les emploie ayant été mise en liquidation judiciaire sans leur régler ce qu'elle leur doit. Mais banquiers et patrons voyous n'ont qu'à bien se tenir, les scénaristes ne manquent pas d'imagination pour leur faire rendre les armes. En mettant en scène deux mondes parallèles, celui de la culture et celui des ouvriers, Guédiguian parle sans doute de sa propre schizophrénie tout en se moquant de lui-même et des films sociaux pondus par les bourgeois parisiens. En tout cas le résultat, foncièrement ludique est sympathique même s'il ne vole pas très haut, plombé notamment par une grivoiserie lourde et insistante: il paraît que cela fait marcher le commerce!
Film puissant, "Il Bidone" s'inscrit dans le prolongement des deux oeuvres précédentes de Federico FELLINI, "Les Vitelloni" (1953) et "La Strada" (1954). Du premier, il reprend le principe du film de bande, portraiturant à nouveau un groupe de minables vivant aux crochets des autres, sauf qu'au lieu d'êtres des oisifs, ce sont des escrocs. Parmi eux, on reconnaît Franco FABRIZI, séducteur dans "Les Vitelloni", gigolo dans "Il Bidone". Du second, outre la présence de Giulietta MASINA qui apporte l'une des seules sources d'espoir du film, celui-ci révèle le même tournant métaphysique dans sa dernière ligne droite, celui d'un homme qui a refusé la grâce et se retrouve banni du monde des hommes et du royaume de Dieu, pleurant ou agonisant dans un paysage désertique. "Il Bidone" est cependant plus sombre que les deux autres films et se caractérise par d'importantes ruptures de ton et même de genre. La vilénie humaine est d'abord traitée sur le mode de la bouffonnerie avec la description des escroqueries du trio formé par Augusto, Picasso et Roberto qui abusent de la crédulité des plus faibles, se déguisant tantôt en ecclésiastiques pour gruger les paysans et tantôt en fonctionnaires pour arnaquer les demandeurs de logements sociaux vivant dans les bidonvilles. Néanmoins, lorsque surgit Rinaldo, ancien associé d'Augusto qui a réussi dans la vie commence à percer chez ce dernier un abattement, une lassitude qui le détache des deux autres que l'on peut considérer comme des avatars possibles d'Augusto lui-même quand il était jeune (une version candide et l'autre au contraire totalement cynique). Augusto ne cesse en effet de souligner son âge, 48 ans comme si c'était "trop tard", d'autant qu'il en fait en réalité presque vingt ans de plus. Le film va alors peu à peu se resserrer sur lui et lui faire emprunter un véritable chemin de croix, alors même qu'il bascule du néoréalisme vers quelque chose de beaucoup plus existentiel. La rencontre avec sa fille, âgée de 17 ans et qu'il n'a pas élevée lui-même s'avère déterminante. Celle-ci est sur le point de faire un choix quant à son avenir, choix marqué par la gêne financière. Augusto qui vit hors de la réalité est alors paradoxalement ramené sur terre par cette figure de pureté morale qui revient le hanter sous la forme d'une petite paysanne infirme. Mais il refuse de renoncer à l'argent facile et rejette la main tendue de cette incarnation de la grâce. Son châtiment (divin?) sera terrible mais Federico FELLINI le filme jusqu'au bout comme un homme qui souffre, un homme qui doute, un homme ambivalent ayant fait les mauvais choix mais aspirant toujours à rejoindre l'humanité. Sans doute parce Augusto est une part de la personne qu'aurait pu devenir Federico FELLINI, lui qui avait échappé de justesse à ce type de destin, à l'image de Moraldo dans les Vitelloni sous l'influence d'un "Guido" ce qui l'a rendu apte à comprendre aussi bien les "Vitelloni" que les "Bidoni".
"La nouvelle Eve" m'avait laissé le souvenir d'un vaste bordel sentimental charrié par l'héroïne mais j'avais complètement oublié qu'il existait deux camps dans le film. Celui des Camille libérées et paumées et celui des couples petits-bourgeois étriqués qui en prennent pour leur grade, que ce soit celui du frère rabat-joie de Camille (Laurent LUCAS) ou celui d'Alexis (Pierre-Loup RAJOT) flanquée d'une tour de contrôle jouée par Catherine FROT. Ce genre de petit couple conformiste, on en connaît tous (normal puisque le conformisme est fait pour se dupliquer) et le moule social que cherche à dénoncer Catherine CORSINI est si fort qu'il contamine jusqu'aux amies lesbiennes de Camille. De ce point de vue là, le film voit juste, il faut dire qu'il a été réalisé à l'époque de la mise en place du PACS et précède d'une quinzaine d'années le mariage pour tous. Le PS comme réceptacle des notables (la "gauche caviar") est également dénoncée avec justesse étant donnée que l'on sait aujourd'hui que cela a fini par tuer le parti. Ce sont ces normes sociales étouffantes qui étaient déjà dénoncées dans les années 70 dans des films tels que "Cousin cousine" (1975) que rejette Camille (Karin VIARD). Celle-ci apparaît comme la précurseure de personnages tels que celui de Christina dans "Vicky Cristina Barcelona" (2007) qui sait ce qu'elle ne veut pas mais ne sait pas ce qu'elle veut ou encore de Bahia dans "Le Nom des gens" (2010) dont les méthodes de conversion aux idéaux de gauche sont peu orthodoxes. Bref, c'est frais, pétillant, impulsif, parfois franchement loufoque (Camille boit plus que de raison, se trompe de soirée, saute sur le premier inconnu ou branche la première inconnue qui passe, se cogne aux murs, balance cash ses quatre vérités dans les situations les plus incongrues) mais ça ne mène nulle part. Sous son vernis d'éternelle adolescente adepte d'un romantisme rock and roll Camille est même le prototype d'une autre forme de conformisme social, un pur produit du boboïsme parisien individualiste adepte des soirées branchouilles, plus attirée par l'adultère avec quelqu'un de sa classe sociale (un pote à son frère) qu'une relation avec son déménageur-camionneur (en plus joué par le charismatique Sergi LOPEZ que j'ai découvert à l'occasion de ce film). Pas très transgressif tout ça au final. Il y a mieux comme modèle de rébellion et elle n'a pas de ce point de vue là inventé l'eau chaude, de même que Catherine CORSINI ne possède ni l'élégance d'un Ernst LUBITSCH, ni le sens du rythme et l'humanisme d'un Howard HAWKS.
Ils sont 12 comme les apôtres du Christ, 12 candidats au suicide, prêts à mourir en martyrs de la grande Alliance contre le nazisme. Ils vont jusqu'à communier la veille de leur sacrifice en une scène de repas qui rappelle la Cène. Ces références spirituelles contrastent cependant violemment avec les objectifs guerriers, les méthodes employées et la nature des recrues, un ramassis de crapules condamnées à mort ou à de lourdes peines et qui sous la houlette d'un officier lui-même fâché avec les règlements (Lee MARVIN) va se transformer en commando opérationnel. Cet échantillon d'humanité majoritairement composé d'idiots et de psychopathes que le major Reisman doit mater et souder à la fois tourne en dérision l'armée et ses chefs, aussi malmenés que chez Stanley KUBRICK. Et en même temps se fait jour aussi un certain réalisme. La démythification de l'héroïsme patriotique permet d'évoquer l'anomie des périodes de guerre où des prisonniers de droit commun ont pu servir de supplétifs aux armées régulières. Le cas le plus connu étant celui des Kapos chargés par les nazis d'encadrer la main d'oeuvre des camps de concentration. Mais surtout, le film est une charge virulente contre l'Amérique WASP. L'un des salopards est un afro-américain qui a tué pour ne pas être lynché mais le motif de légitime défense lui a été refusé ce qui sous-entend une partialité de la justice américaine. Surtout, les acteurs choisis pour les rôles des salopards étaient eux-mêmes pour la plupart d'origine étrangère et cantonnés à des rôles d'arrière-plan, voire même pour certains, débutants (Jim Brown était footballeur, Trini López chanteur). Tous n'ont pas tirés profit d'être ainsi projetés dans la lumière, mais pour certains, le film a été un tremplin. C'est particulièrement vrai pour Charles BRONSON qui a enchaîné ensuite avec le rôle qui l'a immortalisé, celui d'Harmonica dans "Il etait une fois dans l'Ouest" (1968). Il est assez jouissif d'ailleurs dans le film de voir le major Reisman contraint de s'appuyer sur lui lors de leur opération d'infiltration du château nazi, le personnage de Charles BRONSON étant le seul à parler allemand (je soupçonne Quentin TARANTINO d'avoir repris cette idée comme d'autres dans "Inglourious Basterds") (2009). Autre exemple, John CASSAVETES dont la carrière d'acteur servait à financer ses projets de films indépendants, en l'occurence à cette époque "Faces" (1968). Enfin, on peut citer dans le rôle du pire de tous les salopards Telly SAVALAS qui n'était pas encore devenu l'inspecteur Kojak et dans celui de l'idiot du village, le canadien Donald SUTHERLAND qui allait voir ensuite sa carrière décoller dans les années 70.
Le couple de cinéma formé par James STEWART et Kim NOVAK est entré au panthéon du cinéma en 1958 avec le "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. La même année, ils tournaient "L'Adorable voisine" de Richard QUINE dans un registre beaucoup plus léger, celui d'une comédie fantastique. Le film aurait paraît-il inspiré la série "Ma sorciere bien-aimee" (1964). On y retrouve le James STEWART tendre et naïf des comédies de Frank CAPRA et Ernst LUBITSCH mais avec vingt ans de plus. Comme le film est adapté d'une pièce de théâtre et se déroule en grande partie dans une boutique, il m'a fait notamment penser à "The Shop Around the Corner" (1939). Face à lui, une Kim NOVAK magnifiquement photographiée et aussi envoûtante que dans le film de Alfred HITCHCOCK. A ceci près que c'est elle qui mène la danse en jetant son dévolu sur son voisin. Non par amour mais par désir d'avoir une aventure. Le terme de "féline" la concernant s'impose plus que jamais, elle qui jette des sorts en s'appuyant sur son compagnon à quatre pattes. Le comique provient de l'effet de ses manipulations sur le personnage joué par James STEWART qui ne sait plus ou il en est. Quelques adjuvants efficaces dont un tout jeune et déjà désopilant Jack LEMMON viennent renforcer l'effet produit. Mais chassez le naturel, il revient au galop, elle va bien évidemment tomber amoureuse et devoir choisir entre lui et ses pouvoirs ce qui est un pur reflet du puritanisme américain. Le film a donc une conclusion parfaitement convenue qui anéantit la (très relative) force subversive qu'il pouvait avoir en renversant temporairement les rôles. "L'Adorable voisine" est donc au final une comédie sympathique mais inoffensive.
A noter la présence étonnante de Philippe CLAY, chantant dans la boîte de jazz fréquentée par la confrérie sorcière ainsi que Elsa LANCHESTER, la fiancée de Frankenstein, dans le rôle de la tante Queenie.
Bien que connaissant par coeur la séquence dans laquelle les personnages joués par Jean-Louis TRINTIGNANT et Anouk AIMEE se retrouvent à Deauville et tombent dans les bras l'un de l'autre sous le regard d'une caméra tournoyante sur le célébrissime air de Francis LAI "Chabadabada", je n'avais jamais vu le reste du film. Les rétrospectives des films de Claude LELOUCH sur Arte et MyCanal et le décès de Anouk AIMEE m'ont conduit à le découvrir. J'ai eu l'impression de feuilleter un roman-photo alternant sans raison apparente séquences en noir et blanc, séquences sépia, séquences nocturnes, séquences en couleur. Roman-photo car en dépit de son mouvement perpétuel le film ressemble à une collection d'images sur fond musical. Images pléthoriques, souvent répétitives, dont le défilement donne le tournis mais qui semblent à peine reliées à un scénario et des dialogues qui eux sont anémiques. Reste que Anouk AIMEE est ultra photogénique dans ce film où elle joue une veuve qui ne parvient pas à faire le deuil de son mari. Son rôle a un peu plus de substance que celui de Jean-Louis TRINTIGNANT qui en est réduit à foncer sur les routes avec son bolide! Je me doute que c'est la maîtrise technique et l'originalité de la forme qui ont dû séduire. L'époque semblait aimer les esthétiques tape à l'oeil et les pilotes de formule 1. Non, non, je ne pensais pas du tout en écrivant cela à "L'Affaire Thomas Crown" (1968) ^^.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)