Court-métrage de Georges MÉLIÈS réalisé en 1900, "Le déshabillage impossible" se situe dans la lignée de "Escamotage d une Dame au Théâtre Robert-Houdin" (1896). Il s'agit d'un numéro d'illusionnisme utilisant le même trucage cinématographique consistant à arrêter la caméra puis à reprendre le tournage après avoir effectué un changement hors-champ, tout l'art consistant en la qualité du raccord qui doit donner l'illusion d'une continuité temporelle. Et ainsi de suite, les raccords se multipliant comme deux glaces se renvoyant leur reflet à l'infini.
Dans ce court-métrage, un homme (Georges MÉLIÈS lui-même) tente de se déshabiller pour aller se coucher mais d'autres vêtements repoussent sur lui aussitôt comme par magie, l'arrêt caméra lui permettant de revêtir entretemps de nouveaux habits. Encore lui faut-il reprendre exactement dans la même posture que celle du plan précédent pour que l'illusion fonctionne et c'est une technique de précision. La repousse des habits sur près de 2 minutes se prolonge peut-être un peu trop mais la chute (escamotage du lit) est bien trouvée.
"Bananas", le troisième film de Woody ALLEN et l'un de ses plus oubliables. L'influence du stand-up où le réalisateur a fait ses débuts y est très forte si bien qu'on a davantage une succession de sketches vaguement reliés entre eux qu'un véritable scénario. On s'ennuie donc ferme parce qu'il est complètement décousu et que la plupart des gags, démodés, tombent à plat. Trop léger, pas assez maîtrisé, vieillot, le film n'est pas une comédie cynique de référence sur la politique sud-américaine des USA durant la guerre froide comme peut l'être par exemple "Docteur Folamour" (1963) de Stanley KUBRICK.
"Bananas" fonctionne cependant comme un brouillon des oeuvres à venir avec son héros complexé et sa relation névrosée avec une petite amie qui n'est autre que son épouse de l'époque Louise LASSER (cette façon d'entremêler fiction et réalité est caractéristique du réalisateur). D'autre part il y a un passage amusant où intervient un jeune acteur inconnu à l'époque qui galérait alors dans le milieu du cinéma: Sylvester STALLONE. Sa confrontation avec Woody ALLEN est assez réjouissante. Mais si vous n'êtes pas un inconditionnel de Woody ALLEN désireux de voir tous ses films ou un fan de Sylvester STALLONE (qui n'apparaît cependant que durant quelques minutes) vous pouvez passer votre chemin... et relire "Tintin et l'Oreille cassée" ou "Tintin et les Picaros" pour avoir une satire réussie de la géopolitique en Amérique du sud durant la guerre froide.
C'est parce que Léon Gaumont ne prenait pas le cinéma au sérieux que Alice Guy, sa secrétaire put s'y faire une aussi grande place, devenant ainsi la première réalisatrice de l'histoire du septième art. Fille d'un éditeur-libraire , elle était passionnée par les pouvoirs de la fiction qu'elle décida d'appliquer à l'art cinématographique (à l'origine, pour faire vendre les caméras Gaumont). Jusqu'en 1907, elle dirigea toute la production cinématographique de la maison, embauchant techniciens et scénaristes tout en réalisant elle-même ses propres films (plus de 300!), conçus comme autant de moyens d'expérimentations. Ainsi "La Glu" tourné en 1906 qui est une "saynète humoristique" de quelques minutes préfigure le slapstick américain avec un tournage en extérieur, une trame narrative et des situations burlesques se succédant à partir d'un élément perturbateur unique, un seau de colle qui, détourné par un chenapan introduit le désordre dans la vie de quelques quidams. Ceux-ci se retrouvent avec les chaussures collées au sol ou pire encore, le fondement collé au siège. La fin du court-métrage est assez abîmée.
Trois comédiens vieillissants qui courent le cachet et cabotinent à mort déguisés en sapin de noël ça pourrait être parfaitement pathétique. Sauf que ces trois là sont joués par Philippe Noiret, Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle et qu'ils y vont à 200% dans l'outrance et le ridicule. Car la différence est infime entre le ridicule et le panache et il faut en avoir pour relever le défi de donner de la noblesse à ce qu'il y a de pire dans le milieu. A savoir un vaudeville-pudding que son producteur véreux aux abois (Michel Blanc) cherche par tous les moyens à saboter pour toucher les assurances. Mais nos trois "rôles de complément" se démènent si bien pour faire vivre la pièce, allant jusqu'à intégrer à l'intrigue les péripéties qui se déroulent en coulisses qu'ils finissent par devenir "les trois as" se partageant l'affiche avec la vedette interprétée par une Catherine Jacob perchée mais tout aussi déterminée qu'eux à ne pas lâcher l'affaire, quitte à (beaucoup) payer de sa personne. Bref, à travers ce film qui évoque les arrières cuisines pas toujours ragoûtantes du métier d'acteur, notamment pour les plus modestes d'entre eux, Patrice Leconte rend un hommage appuyé au métier et à ceux qui le font vivre des stars jusqu'au plus petit rôle de figuration. Quant aux trois "as" qui n'avaient plus tourné ensemble dans un film depuis "Que la fête commence" de Bertrand Tavernier 20 ans auparavant, ils affichent une complicité à l'écran qui fait plaisir à voir et nous régalent, chacun dans un registre différent. Philippe Noiret joue le gros bébé gourmand et mort de trac, Jean Rochefort a la moustache qui frise en séducteur obsédé sexuel, enfin Jean-Pierre Marielle, grandiose, fait monter les enchères (et la mayonnaise) autour de sa prestation à coups d'explosions de colère imprévisibles. C'est cette générosité, ce plaisir du jeu, cet amour du public transpirant de chaque scène qui donne au film toute sa saveur et sa valeur en dépit de son apparence tellement grotesque et grand-guignolesque qu'elle en paraît rebutante de premier abord.
Le moment que je préfère dans "Big Trouble", le dernier film réalisé par John Cassavetes c'est le générique de fin. Au lieu de se dérouler sur un écran noir, il défile sur le film qui continue sans nous dans une joyeuse pagaille. On y voit les acteurs se lâcher, se bagarrer, se congratuler le tout sur "Une petite musique de nuit" de Mozart. Une improvisation qui est l'un des seuls moments où on reconnaît la patte du réalisateur. Pour le reste, il faut bien le dire "Big Trouble" ne lui ressemble guère. Il faut dire qu'il s'agit d'un costume qui n'avait pas été taillé par lui à la base. Mais le réalisateur initial, Andrew Bergman, également auteur du scénario se fit la malle en cours de tournage laissant en plan l'équipe technique et les acteurs et Peter Falk fit alors appel à son ami pour le terminer. Le résultat: une œuvre de commande, sorte de parodie burlesque de "Assurance sur la mort" où tout le monde en fait des tonnes. Pour éviter un procès en plagiat, la Columbia offrit deux scénarios à la Universal, propriétaire du film de Billy Wilder, dont l'un n'était autre que celui de "Retour vers le futur". Une bien mauvaise affaire puisque "Big Trouble" fit un bide (mérité) dans les salles. Alan Arkin en agent d'assurances dépassé par les événements et perpétuellement en quête de fonds pour que ses triplés aillent à Yale est très drôle par moments mais le film est quand même assez poussif dans l'ensemble, brassant beaucoup d'air pour un résultat assez creux.
"Mary à tout prix" parle d'affaires de cœur au niveau du corps. Et ce que dit le corps n'est pas en harmonie avec les prétentions du cœur (ou de ce qui en tient lieu). Si bien que le déroulement de la comédie romantique attendue est sans cesse dérangée par des moments burlesques transgressifs hilarants (si on supporte le mauvais goût, bien entendu).
L'entrée en matière a valeur programmatique: un troubadour des temps modernes chante l'amour perché dans un arbre (^^). Mais une fois revenu sur terre, le prétendant, Ted, n'a rien du prince charmant: c'est un ahurissant benêt joué par un hilarant Ben STILLER affublé d'une improbable perruque et d'un non moins improbable appareil dentaire. Ne manque plus que l'éruption d'acné pour incarner à la perfection l'âge ingrat. Il convoite Mary (Cameron DIAZ), la princesse idéale et inaccessible dont rêvent tous les garçons ce que son apparition auréolée de lumière confirme. Mais deuxième petit grain de sable, elle ne se sépare jamais de Warren, son frère handicapé et encombrant dont les réactions sont imprévisibles. Et une fois celui-ci apprivoisé, alors que la partition musicale semble reprendre son air attendu avec une "boum" aux allures de bal des débutants des années 50 (costumes kisch compris), le pauvre Ted se coince le zizi dans sa braguette en allant aux toilettes et finit aux urgences. Les toilettes sont le lieu ultime du test de virilité et l'autre séquence culte qui s'y déroule, celle de la "décharge du pistolet" me fait penser à la fois à la séquence clé du "Le Parrain" (1972) où Michael Corleone en sortant des toilettes avec un pistolet chargé prouve qu'il est bien le fils de son père et celle de "Pulp Fiction" (1993) où pendant que John TRAVOLTA calme ses ardeurs aux toilettes, Uma THURMAN fait une overdose à partir de la drogue qu'elle a trouvé dans ses affaires (le sort de Mary est cependant moins dramatique puisque le gel séminal finit dans ses cheveux ^^).
Le vrai sujet du film peut alors se déployer. Car les quatre neuneus qui courent après Mary et dont les frères Farrelly se payent joyeusement la tête sont autant de caricatures d'un problème dans la relation homme-femme bien réel. Celui qui consiste pour l'homme à utiliser la femme (jeune et jolie) comme un miroir narcissique. Le fait que Mary succombe au charme de Ted le gaffeur congénital, de Healy le beauf à moustache (Matt DILLON), de Dom le fétichiste à prurit (Chris ELLIOTT) ou de Tucker (Lee EVANS) le bigleux en béquilles offre un autre miroir, grotesque celui-là des innombrables situations (fictionnelles ou non) dans lesquelles un vieux beau (ou non d'ailleurs ^^^) se tape une jeunette. D'ailleurs l'une des dernières scènes du films montre bien un vieillard qui lui aussi convoite Mary et dégomme le troubadour chanteur au passage à la façon des The MONTY PYTHON dans "Monty Python sacré Graal" (1975) . Exit la comédie romantique, bonjour la comédie grinçante.
Car dans le fond les filles avides de sitcom et les garçons amateurs de blagues potaches sont renvoyés dos à dos. Mary est une des innombrables victimes du "syndrome Florence Nightingale". Elle épouse avec le sourire l'un des rôles que la société souhaite voir les femmes endosser, celui de l'infirmière réparatrice d'egos masculins en souffrance. Quant aux méthodes que les hommes utilisent pour la séduire dans une compétition virile où la femme n'est vue que comme un trophée, elles relèvent tout simplement de la manipulation et de la prédation. Tous lui mentent, Healy la met sur écoute et ensuite prétend avoir les mêmes goûts qu'elle (tout comme Phil dans "Un jour sans fin" (1993) où joue également Chris ELLIOTT), Dom la harcèle, Ted la fait suivre. Pas la moindre chance qu'un amour authentique puisse éclore dans ces conditions contrairement à ce que le "happy end" semble montrer.
Il y a deux films quasi indépendants dans "Bons pour le service" aussi éloignés l'un de l'autre que peuvent l'être les deux lieux de l'action (l'Ecosse et l'Inde). D'une part une intrigue amoureuse contrariée sans intérêt et mal interprétée, de l'autre les facéties burlesques de l'un des duo comiques le plus célèbre de l'histoire du cinéma, celui formé par Stan LAUREL et Oliver HARDY. Heureusement leur présence à l'écran occupe les deux tiers du film (contrairement à ce qui était prévu dans un premier montage) et entre en contradiction avec la bluette qu'ils sont sensés servir. La MGM n'est que le distributeur du film mais on ne peut s'empêcher de penser à ceux que tournent au même moment pour le studio les Marx Brothers où ils doivent systématiquement secourir un couple de jeunes premiers fadasses en détresse. Dans "Bons pour le service", la juxtaposition des deux univers ne manque pas de sel. Ainsi pendant que le jeune premier (pauvre mais valeureux) court après sa belle dont les méchants tuteurs convoitent le fabuleux héritage, Stan LAUREL et Oliver HARDY jouent deux détenus évadés qui ne reçoivent de ce même héritage qu'une cornemuse et une boîte à tabac (l'héritage est ce qui est censé lier les deux histoires, Laurel étant affilié au défunt). Ils réinventent la vie domestique dans une hilarante parodie où ils occupent la même chambre et le même lit, font un repas en détournant les objets de leur fonction habituelle avant de tout détruire. La suite lorsqu'ils sont incorporés à l'armée malgré eux ne fait que confirmer qu'ils subvertissent tout ce qu'ils touchent. Oliver HARDY qui a perdu son pantalon brûlé par Stan LAUREL et se promène en chemise de nuit espère récupérer sa virilité avec l'uniforme mais se retrouve vêtu d'un kilt alors qu'avec Stan LAUREL, le pas de l'oie se transforme en danse avant qu'un essaim d'abeilles ne produise l'effet d'un chien dans un jeu de quilles. La scène du "mirage" vaut également le détour. Au final, on a le sentiment paradoxal que ce sont les deux comiques au physique hors-norme qui ont la grâce (d'autant que Stan LAUREL fait preuve à plusieurs reprises de son extrême agilité) alors que les acteurs plus conformes aux standards de jeunesse, de minceur et de beauté ressemblent à des planches à pain.
Fra Diavolo, c'est d'abord le surnom d'un personnage qui a réellement existé, le brigand napolitain Michele Pezza, chef d'une troupe de bandits qu'il entraîna dans une guérilla contre les armées napoléoniennes avant qu'il ne soit capturé, jugé et pendu en 1806. Il inspira à Daniel-François-Esprit Auber un opéra-comique (que l'on peut définir comme un métissage entre le théâtre parlé et l'opéra chanté, mélange de burlesque et de romanesque), "Fra Diavolo ou l'hôtellerie de Terracine" qui fut représenté pour la première fois en 1830. Pour coller au style léger et élégant de cet opéra-comique, Michele Pezza fut dépouillé de son aspect sanguinaire et devint un galant bandit de grand chemin.
Le film de Hal ROACH et Charles ROGERS est une adaptation cinématographique fidèle à l'esprit de l'opéra-comique d'Auber. Les films musicaux étaient alors à la mode et il s'agissait également pour Hal ROACH et son studio de se servir du film pour imposer définitivement le duo comique formé par Stan LAUREL et Oliver HARDY dans un long-métrage parlant (avec le succès que l'on sait). Pourtant, s'il se regarde sans déplaisir, ce film fonctionne assez mal comme un tout. Il y a en effet deux parties distinctes et qui sont mal raccordées entre elles. La partie "opératique" plus proche par la légèreté de son argument de l'opérette est dirigée par Hal ROACH et s'avère assez inégale. Thelma TODD est irrésistible comme d'habitude et forme un couple amusant avec la moustache de son potentiel cornard de mari joué par James FINLAYSON. Dennis KING dans le rôle de Fra Diavolo s'il est un bon chanteur est en revanche un piètre acteur dont la prestation est assez risible. La partie burlesque du film officiellement dirigée par Charles ROGERS mais en réalité plus vraisemblablement par Stan LAUREL est celle qui met en scène les gags du duo Stanlio et Ollio, officiellement prisonniers-domestiques-rivaux de Fra Diavolo mais en réalité tellement en roue libre qu'ils forment un ensemble à part même s'ils ne dynamitent pas le récit principal pour autant (on est pas chez les Marx Brothers!) La complicité et la complémentarité des deux comparses fonctionne à plein régime avec quelques trouvailles hilarantes (le chiffon rouge, la fuite dans le tonneau, la cuite, les jeux de mains et de doigt de Stan LAUREL).
Les historiens du cinéma ont tendance à estimer que la carrière de Buster KEATON a périclité à partir du moment où il a signé à la MGM et perdu le contrôle de ses films. C'est inexact. "Le Caméraman/L Opérateur" (1928) est un chef-d'oeuvre et le film suivant "Le Figurant" (1929) est tout aussi excellent. Le réalisateur officiel a beau être Edward SEDGWICK, la patte de Buster KEATON est parfaitement reconnaissable que ce soit par la réflexion sur le cinéma dans "Le Caméraman" ou l'utilisation de l'espace du bateau dans "Le Figurant". En même temps il bénéficie de moyens techniques supérieurs à ses autres films, notamment en ce qui concerne la photographie vraiment superbe de Reggie LANNING qui donne un cachet années trente à ces deux comédies à la fois dramatiques et burlesques. L'utilisation d'effets sonores (superflus) dans "Le Figurant" est aussi un important marqueur temporel car il nous rappelle son avènement imminent, avènement qui sera fatal à Buster KEATON.
La trame du "Figurant" est plus subtile qu'il n'y paraît. D'ailleurs ce n'est pas le qualificatif qui convient le mieux à Elmer, le personnage joué par Buster KEATON. Celui-ci est davantage un remplaçant ou une doublure qu'un figurant. J'irai même plus loin, c'est une ombre (au sens de l'inconscient), il représente l'autre côté du miroir. Je pense en particulier à la manière dont Buster KEATON revisite "Carolina", la pièce de théâtre sur la guerre de Sécession dans laquelle joue l'actrice dont il est fou amoureux, Trilby Drew (Dorothy SEBASTIAN). Avant son intervention, c'est un mélodrame larmoyant et manichéen taillé pour le bellâtre dont Trilby est amoureuse, Lionel Benmore (Edward EARLE). La participation d'Elmer qui multiplie les gaffes dynamite la pièce (au sens figuré et au sens propre) qui devient alors hautement comique. Trilby est elle-même duale selon qu'elle est dans son état normal ou bien en proie à l'ivresse. Elle fait penser au personnage du millionnaire du film de Charles CHAPLIN, "Les Lumières de la ville" (1931) qui est snob lorsqu'il est sobre et généreux quand il a bu. Trilby dans son état normal n'aurait jamais regardé Elmer et ne l'aurait jamais épousé. La jalousie lui fait commettre des actes irrationnels. C'est lorsqu'elle est dans un état second (dans la pièce "Carolina" comme en dehors) que Elmer peut l'approcher de très près comme dans une très belle scène où il la couche inconsciente sous l'effet de l'alcool dans son lit et veut la déshabiller mais ne sait pas comment s'y prendre. Ce sont leurs retrouvailles à bord d'un bateau et les épreuves de vérité qu'ils devront y affronter qui leur permettront de se rejoindre.
Les films dits mineurs de Buster KEATON comme "Ma vache et moi" (1925), "Sportif par amour / Campus (1927)" ou ici "Le dernier round" sont certes beaucoup moins sophistiqués que ses chefs-d'œuvre mais ce sont de véritables petites pépites dans le domaine de l'étude de caractère et son incarnation corporelle. Buster KEATON joue le rôle d'un milliardaire, Alfred Butler, que son père envoie camper en pleine nature pour qu'il "apprenne la vie". Mais en parfait cousin du Rollo de "La Croisière du Navigator" (1923), Alfred est trop habitué à se faire servir par son majordome (Snitz EDWARDS) pour agir sur quoi que ce soit (comme le montre l'hilarante scène de chasse où les animaux folâtrent autour de lui mais il n'a pas l'idée d'en abattre un seul). Du moins jusqu'à ce qu'il ne tombe amoureux d'une fille des montagnes (Sally O NEIL) dont les frères exigent que l'époux soit un homme, un vrai. Par une heureuse (?) coïncidence, Alfred Butler a un homonyme (Francis McDONALD) et c'est un redoutable boxeur. Ne reste plus qu'à usurper son identité et le tour est joué, enfin presque car tôt ou tard survient le moment de vérité. Dans ce film inégal, c'est un moment particulièrement fort. Contrairement à "Charlot boxeur" (1915), Buster KEATON joue la carte du réalisme et de l'âpreté et le résultat est intense. Il encaisse, encaisse, encaisse et puis vient le moment où le trop-plein accumulé se transforme en révolte et en rage et où il rend tous les coups qu'il a reçu. Comme le disent les Inrockuptibles " Le règlement de comptes entre Keaton et le champion est montré dans toute sa laideur : corps qui tressaute, distorsion et froissement de la peau sous les coups, haine qui apparaît sur le visage. Dans Battling Butler, l'aspect burlesque s'efface clairement devant la dimension documentaire. Une constante chez Keaton, dont le point de départ des films (et parfois le déroulement entier) est toujours réaliste (…) Jamais, avant Battling Butler, on n'avait montré de manière aussi crue et réaliste la violence de la boxe et l'impact des coups de poings." Alors même si "Le dernier round" ne comporte pas de séquences spectaculaires, il n'en a pas moins une dimension physique saisissante, cette vérité du corps qui fait que même les films mineurs de Buster KEATON restent imprimés dans notre mémoire.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)