Enfin j'ai réussi à mettre la main sur le DVD de "Nous irons tous au paradis", la suite de "Un elephant ca trompe enormement" (1976). Plus collégial que le premier qui privilégiait Etienne (Jean ROCHEFORT) même s'il reste le narrateur, le ton de "Nous irons tous au paradis" est également plus varié. La comédie reste prédominante, jouant aussi bien sur les dialogues que sur les situations (les surprises de la maison de campagne achetée par les quatre amis, la destruction de la voiture d'Etienne suite à un quiproquo par un Jean-Pierre CASTALDI furax, le chassé-croisé de Roissy). L'adultère attaché au personnage d'Etienne est toujours traité sur un mode burlesque irrésistible qui s'inspire de "La Panthere rose" (1963) de Blake EDWARDS. D'ailleurs cette fois la référence est explicite puisque lorsque Etienne espionne sa femme, il emprunte systématiquement la défroque de l'inspecteur Clouseau alors que la musique de Vladimir COSMA marche sur les traces du saxophone de Henry MANCINI. Mais par moments, le ton se fait plus grave lorsqu'il s'agit d'évoquer la vie sentimentale des trois amis d'Etienne. Si celui-ci et Daniele DELORME incarnent le couple bourgeois bon teint (heureusement transcendé par un humour ravageur), les autres tâtonnent en dehors des conventions. Simon forme un vieux couple avec sa mère possessive Mouchy (Marthe VILLALONGA) à qui il cherche à échapper avec des subterfuges de gamin pour vivre des aventures mais la fin montre que c'est bien elle le grand amour de sa vie. Bouly (Victor LANOUX) le beauf séducteur se retrouve à la tête d'une tribu recomposée de sept enfants dont il doit s'occuper alors que les mères brillent par leur absence. Enfin Daniel (Claude BRASSEUR) est tiraillé entre son homosexualité (montrée plus explicitement que dans le premier volet) et la tentation de "se ranger" avec sa patronne plus âgée que lui.
"Les producteurs" est le premier long-métrage de Mel BROOKS. Il s'agit d'une satire du milieu du théâtre new-yorkais, plus précisément des productions de comédies musicales de Broadway. L'histoire n'étant pas exempte d'ironie, le film a été adapté à son tour avec succès en comédie musicale en 2001 à Broadway et récemment à Paris sous la houlette de Alexis MICHALIK.
Le film se divise en trois parties. La première, principalement filmée à l'intérieur du bureau de Max Bialystock (Zero MOSTEL) montre la petite cuisine peu ragoûtante qui préside à la décision de monter le spectacle. En gros une escroquerie pour empocher l'argent d'investisseurs principalement composées des clientes âgées et fortunées de Max, une situation qui n'est pas sans faire penser à celle des vieilles, richissimes et généreuses maîtresses de M. Gustave dans "The Grand Budapest Hotel" (2013). A ceci près que Max et son bureau sont cradingues alors que M. Gustave est le raffinement personnifié. Par ailleurs Max trouve un partenaire privilégié en la personne de Leo Bloom (Gene WILDER dans son premier grand rôle), un petit comptable trouillard, efféminé et infantile (son doudou à lui n'est pas Bourriquet mais un vieux morceau de couverture ^^). La deuxième partie porte sur le choix de l'équipe qui montera la pièce, l'occasion trop belle d'offrir une galerie de personnages plus délirants les uns que les autres et des associations incongrues (un auteur nostalgique du III° Reich avec un metteur en scène gay et un acteur principal inénarrable). La troisième partie relate le spectacle lui-même "Le printemps d'Hitler", monument de mauvais goût mais qui pris au second degré par le public devient un succès retentissant au grand dam des producteurs qui espéraient capitaliser sur son échec annoncé.
Bien que j'ai personnellement trouvé le film inégalement drôle, j'ai eu plaisir à retrouver un humour juif tournant en dérision aussi bien le nazisme que le capitalisme, humour que l'on retrouve chez les Marx Brothers (d'ailleurs Gene WILDER me fait penser à Harpo MARX), chez Woody ALLEN évidemment (Groucho MARX étant l'un de ses maîtres) mais aussi chez les frères Coen. Ainsi je me suis demandé si la chorégraphie "croix gammée" à la Busby BERKELEY filmée en plongée n'avait pas inspirée celle des quilles et des boules de "The Big Lebowski" (1998) qui est aussi une satire carabinée du capitalisme américain avec une légère touche allemande.
Après "La Soupe au canard" (1933) avec les Marx Brothers, Leo McCAREY remet le couvert avec Harold LLOYD (très bon encore dans le cinéma parlant) pour la "Soupe au lait". Pas de canard au menu cette fois-ci mais quelques animaux sont de la partie, notamment un tigre, le surnom donné à Harold LLOYD et surtout une jument facétieuse nommée Agnès et son poulain (Agnès junior) qui vont donner du fil à retordre au champion de boxe Speed (William GARGAN) et son garde du corps Spider (Lionel STANDER), deux types qui en dépit de leurs surnoms cocasses ne sont vraiment pas des flèches. Quand ils ne sont pas bourrés, le second donne au premier un somnifère juste avant le combat en croyant lui prescrire un anti-inflammatoire. De quoi saboter les plans de Gabby Sloan, leur patron auto-proclamé l'homme "le plus honnête" du monde (Adolphe MENJOU) qui monte une magouille autour du laitier loser joué par Harold LLOYD qu'un quiproquo avec Speed transforme en champion de boxe. Ce n'est pas le seul d'ailleurs, le film, très bien rythmé en regorge et offre en prime une satire des médias contemporaine de "L'Extravagant Mr. Deeds" (1935) (outre Lionel STANDER dans le rôle de l'homme de main on retrouve Charles LANE dans celui du journaleux) qui annonce en mode comique la célèbre phrase de "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962), "Entre la légende et la vérité, imprimez la légende".
Pourquoi est-ce que je n'avais jamais eu envie de regarder "Un éléphant, ça trompe énormément?" Sans doute parce que je pensais que c'était "Le Coeur des hommes" (2003) des années 70 (nul doute que Marc ESPOSITO a d'ailleurs trouvé l'inspiration chez Yves ROBERT) et que ça parlait d'adultère qui est le sujet qui m'ennuie le plus au cinéma! C'est en visionnant par la force des choses plusieurs extraits au fil des différents numéros du web-magazine d'Arte Blow Up ("Le tennis au cinéma", "Le parking au cinéma", "C'était quoi, Jean Rochefort?") que l'image que j'avais du film a changé. Un film de copains dans la lignée de "Vincent, François, Paul et les autres..." (1974) qui a été écrit à la même époque par le même scénariste, Jean-Loup DABADIE mais plus léger et sous influence américaine comme l'était aussi un autre grand succès de Yves ROBERT, "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972). Outre l'emprunt à "7 ans de réflexion" (1955), la couleur rouge symbolisant le désir qui ne quittera plus Etienne (Jean ROCHEFORT), c'est à Blake EDWARDS que l'on pense le plus, le film d'Yves Robert ayant eu l'idée (géniale) d'évoquer la crise de la quarantaine sur le mode burlesque au travers du personnage d'Etienne dont les déboires et la maladresse (mais aussi la tenue et l'allure) ne sont pas sans rappeler ceux de Peter SELLERS dans les différents volets de "La Panthère rose". D'ailleurs par un jeu de vases communicants, Blake EDWARDS s'est ensuite inspiré du film d'Yves Robert pour son désopilant "Elle" (1979). Etienne et ses trois amis se comportent davantage comme des gosses que comme des adultes et c'est ce qui les rend infiniment attachants. Simon (Guy BEDOS) dépassé par sa mère juive envahissante (Marthe VILLALONGA), Bouly (Victor LANOUX) dépassé par sa libido, Daniel (Claude BRASSEUR) vivant le plus naturellement du monde ce qui pourtant à l'époque était encore un tabou relevant d'une infraction pénale et enfin Etienne, contemplant ses chaussures avec l'air penaud d'un enfant pris en faute devant Charlotte (Anny DUPEREY) laquelle lui fait part elle aussi le plus naturellement du monde d'un désir que lui même a tant de mal à assumer. Car outre sa drôlerie, l'éternelle jeunesse de ce film se nourrit de la libre circulation du désir, même celui qui anime le jeune Lucien (Christophe BOURSEILLER qui se faisait alors appeler Christophe BRUCE) vis à vis de Marthe (Danièle DELORME), l'épouse d'Etienne, deux fois plus âgée que lui.
Créée à Broadway le 10 janvier 1941, « Arsenic et vieilles dentelles » d'après la pièce de Joseph Kesselring a tenu le haut de l’affiche jusqu’au 17 juin 1944. Elle est entrée dans le livre Guiness des records des pièces les plus jouées à Broadway avec 1 444 représentations, avant de s’installer au Strand Theater à Londres jusqu’en 1946. La pièce a marqué notamment les esprits grâce à l’interprétation magistrale de Boris KARLOFF dans le rôle de Jonathan. Mais c’est Franck Capra qui l'a rendue mondialement célèbre en l’adaptant au cinéma. Sans Boris KARLOFF hélas retenu ailleurs au moment du tournage et remplacé par un "clone" (Raymond MASSEY) mais avec Peter LORRE qui compose un docteur Einstein savoureux. Face à ce duo tout droit sorti du film de James WHALE, Cary GRANT, le roi de la screwball comédie ne fait pas dans la dentelle (^^) et son surjeu permanent (encouragé par Frank CAPRA) finit par émousser le ressort comique de son personnage qui pourtant démarrait très fort. C'est la différence entre le cinéma qui demande de la retenue et le théâtre qui se joue à fond. Pour rappel, Cary Grant joue Mortimer dont le mariage est mis en péril par un encombrant cadavre dans le placard et qui se démène pour que sa famille de cinglés (deux vieilles bigotes qui assassinent par charité chrétienne et leur neveu qui se prend pour Théodore Roosevelt) aille dormir à l'asile psychiatrique dirigé par M. Witherspoon (Edward Everett HORTON, un pilier du second rôle de la comédie américaine de cette époque). On rit encore aujourd'hui beaucoup en regardant cette comédie loufoque et macabre même si l'aspect théâtre filmé et l'ambiance hystérique la rendent parfois un peu lourde à digérer. Certains gags ont mal vieilli (celui du taxi par exemple) de même que certains personnages (la fiancée de Mortimer, le policier théâtreux) mais comme on est dans la surcharge permanente, il y a dans ce trop-plein de quoi largement se contenter. Un exemple parmi d'autres: comme dans les cartoons, Mortimer raconte sur le mode de la fiction ce qui est en train de se dérouler derrière son dos. Pourtant il a découvert très tôt dans le film que la réalité dépassait la fiction!
N'ayant vu que les deux premiers films de la Panthère Rose, cela m'embêtait de passer directement au quatrième qui est proposé en ce moment en replay par Arte (je ne compte pas "Inspector Clouseau" (1967) qui n'est pas réalisé par Blake EDWARDS et dans lequel ne joue pas Peter SELLERS). Mais en fait cela n'a pas beaucoup d'importance. Ce quatrième volet est un moment de pur bonheur cinéphilique. Le générique par exemple ne se contente pas de recycler le célèbre thème jazzy de Henry MANCINI et la créature animée non moins célèbre de Fritz Freleng (qui était censé être un bijou dans le premier volet mais est passé à la postérité sous les traits du félin qu'il a créé pour les génériques). L'inspecteur Clouseau y apparaît lui-même en personnage de cartoon rejoignant derrière l'écran d'une salle de cinéma la panthère en train de se glisser dans la peau de Alfred HITCHCOCK ou de remplacer les personnages principaux dans des films extrêmement célèbres de l'histoire du cinéma comme "King Kong" (1931), "Chantons sous la pluie" (1952) ou "La Mélodie du bonheur" (1965) (avec dans le rôle principal l'épouse de Blake Edwards, Julie ANDREWS). Il cite également et pastiche par la suite toute une tradition du cinéma d'épouvante allant de "Le Fantôme de l'opéra" (1925) à "Dracula" (1931) et y ajoute une dose de science-fiction à la "Fantômas se déchaîne" (1965). Du cartoon au burlesque, il n'y a qu'un pas, d'ailleurs le générique montre une façade qui s'écroule, un gag récurrent de Buster KEATON qui est aussi l'auteur de "Sherlock Junior" (1924) auquel on pense forcément en regardant ce générique dans lequel Clouseau est à la fois spectateur devant l'écran et acteur derrière, représenté en dessin 2D, en mannequin de papier mâché grandeur nature dans le pré-générique avant d'apparaître en chair et en os. Car Clouseau est un pur corps burlesque qui est au centre du film. Qu'il soit seul ou bien qu'il ait un partenaire de jeu (Cato ou bien Dreyfus), on peut être sûr que partout où il passe, les décors trépassent. S'y ajoute l'art à la Keaton de chorégraphier les gags: ainsi en est-il de cette scène dans laquelle Clouseau est poursuivi sans qu'il s'en rende compte par des dizaines de tueurs et par une savante mécanique du mouvement bien huilée qui ressemble à un tout de passe-passe, les tueurs se neutralisent mutuellement au lieu d'atteindre leur cible. Mais le film joue aussi sur un comique verbal lié à l'accent de l'inspecteur ou à des dialogues absurdes.
Enfin le comique de cet opus tourne beaucoup autour la sexualité. Que ce soit l'hilarant quiproquo du pré-générique dans lequel deux femmes aux réactions opposées croient assister à des ébats amoureux homosexuels ou bien la scène du cabaret de travestis qui fait déjà penser à "Victor Victoria" (1982) ou encore tout ce qui tourne autour d'une espionne russe qui a plutôt chaud que froid (jouée par Lesley-Anne DOWN, vue il y a plusieurs décennies dans "Nord et Sud") (1985), on peut dire qu'il n'y a pas que dans ses enquêtes que l'inspecteur s'emmêle les pinceaux.
"By Indian Post" est l'un des plus anciens films de John FORD (sous le nom de Jack FORD) qui nous soit parvenu, bien qu'amputé de quelques minutes. On estime en effet que seuls trois de ses cinquante premiers films ont survécu (à ce jour). Un western de jeunesse de deux bobines plutôt réjouissant mêlant action et humour dans une veine burlesque alors en vogue dans le cinéma muet. Une histoire d'amour contrariée entre un cow-boy et la fille de son patron qui ne voit pas d'un bon oeil cette union, une vie en communauté, un indien qui s'improvise courrier du coeur (d'où le titre) en dévalisant le dortoir des cow-boys au passage, une course-poursuite dynamique, une arrestation musclée et une fin à la mise en scène virtuose et acrobatique jouant sur différentes hauteurs, portes et fenêtres. C'est léger mais la patte du maître est déjà présente sur plusieurs séquences (la course-poursuite très enlevée et le final, brillant) et c'est l'occasion de découvrir un cinéaste à ses tout débuts: une rareté.
Il m'a fallu près de 48 minutes pour entrer dans "Designing Woman". Même si le film est bien structuré (le début et la fin se répondent en alignant la même galerie de personnages qui présentent dans le même ordre leur point de vue sur le début et la fin de l'histoire) il est également assez allusif. Mike et Marilla se rencontrent et se marient sur un coup de tête durant leurs vacances. On ne voit donc pas tout de suite qu'ils n'appartiennent pas au même monde en dépit de la différence entre leurs deux appartements (ce qui n'est pas spécialement drôle). Ok, il y a une scène dans laquelle Gregory PECK est bourré et une autre où il se fait renverser des raviolis sur le pantalon mais ça n'a pas suffi à me convaincre qu'il avait un talent comique. En revanche, lorsque leurs deux univers se télescopent à l'occasion d'une soirée où chacun a invité son entourage en même temps, le film devient franchement désopilant. D'un côté, une table de chroniqueurs sportifs et joueurs de pokers un peu bourrins dominés de la tête et des épaules par l'inénarrable Maxie Stultz (Mickey SHAUGHNESSY), un ancien boxeur au nez enfoncé, aux yeux toujours ouverts et au QI dangereusement bas depuis qu'il s'est pris un peu trop de coups sur la tête. De l'autre, l'équipe de la comédie musicale dont Marilla (Lauren BACALL, parfaite en femme de la haute société) a créé les costumes qui vient répéter avec cette fois en tête de gondole le très exubérant chorégraphe Randy (Jack Cole) qui vient perturber la table de poker et dont Mike doute de la virilité. Mais Randy, comme Gene KELLY dans "Les Trois mousquetaires" (1948) sait transformer la danse en combat à la manière des capoeiristes et finit par mettre tout le monde d'accord.
A ce "choc des cultures" vu sur un mode comique (même Mike et Marilla finissent par rire des particularités de leurs amis hauts en couleur) vient s'ajouter le malentendu lié au fait que Mike ne veut pas parler à Marilla de son ancienne liaison avec Lori Shannon (Dolores GRAY), une danseuse dont Marilla dessine également les costumes. Plus celui-ci cherche à maquiller son passé, plus il s'enfonce et plus la jalousie paranoïaque de Marilla se renforce, bien aidée par les négligences de ce dernier qui laisse traîner une photo compromettante dans son appartement et porte une chaussure trouée dont est particulièrement amateur le caniche de Lori: dans ces moments-là, on se sent transporté dans l'âge d'or de la comédie hollywoodienne sophistiquée des années 30, au temps des meilleurs Howard HAWKS et Ernst LUBITSCH.
A l'image de son indien fou mais terriblement perspicace (Serge REGGIANI dans un rôle de bonze étonnant), le film de Marco FERRERI tourné dans la foulée de "La Grande bouffe" (1973) avec la même équipe n'est pas aussi absurde qu'il en a l'air. Dans les années 70, époque du Nouvel Hollywood contestataire, l'heure est à la déconstruction des mythes et le genre du western ne fait pas exception à la règle. Terminée l'ère de la glorification raciste de la colonisation américaine porteuse de "civilisation" face aux méchants indiens vus comme des "sauvages". Le traumatisme de la guerre du Vietnam est passé par là et a renversé les rôles. Désormais les indiens sont dépeints comme des victimes de la sauvagerie des blancs dans des films dénonciateurs comme "Soldat bleu" (1970) ou "Little Big Man" (1970) ou bien la sauvagerie des uns et des autres est renvoyée dos à dos dans des films comme "Fureur apache" (1972). C'est donc dans ce contexte que Marco FERRERI décide de tourner une parodie de western dans un décor a priori improbable: le trou des Halles, l'ancien "ventre de Paris" dépeint par Zola qui était au début des années 70 un immense chantier de démolition cerné de tous côtés par les immeubles haussmanniens qui le surplombaient. Y tourner un western révisionniste dans lequel les héros d'hier sont tournés en dérision créé un télescopage entre deux réalités qui se répondent: la conquête de l'ouest au détriment des indiens d'un côté, les débuts de la gentrification au détriment des classes populaires parisiennes de l'autre (la notion de frontière y est la même). C'est avec un pincement au coeur que l'on assiste à la destruction d'un des pavillons Baltard dont on sait par quelles horreurs ils ont été remplacés. Marco Ferreri ne s'arrête d'ailleurs pas là avec des allusions à la guerre d'Algérie, au coup d'Etat au Chili etc. au point de paraître brouillon, surtout si on ne connaît pas bien les faits. Mais le ton du film n'est pas à la tristesse mais à la bouffonnerie avec de nombreux anachronismes et un aéropage d'acteurs français et italiens qui cabotinent à qui mieux mieux. La parodie se retrouve jusque dans la musique de Philippe SARDE qui tourne en dérision les trompettes de la cavalerie alors que la star de ce qui s'apparente à un grand cirque est Buffalo Bill joué par un Michel PICCOLI entouré d'une caravane digne du tour de France sponsorisée par Conforama (la capitalisme en prend aussi pour son grade, la bourse du commerce étant surnommée ironiquement "notre chapelle Sixtine"). Son grand rival, Custer devient un général d'opérette joué par un Marcello MASTROIANNI obsédé par son apparence (sa coiffure ridicule notamment) et son effet sur les dames de la bonne société est résumé par le personnage de ravissante idiote jouée par Catherine DENEUVE (les deux acteurs étaient alors en couple à la ville et jouait dans des films improbables comme "L Événement le plus important depuis que l homme a marché sur la Lune") (1973). Un film qui à l'époque connut un échec retentissant et que l'on peut trouver au choix aujourd'hui soit réjouissant, soit complètement raté.
Il y a des cinéastes auxquels je n'adhère pas spontanément. Bruno PODALYDÈS en fait partie. Ses films ont du mal à m'atteindre. "Comme un avion" ne fait pas exception à la règle. Le regarder a eu un effet instructif cependant: la consanguinité avec un autre cinéma auquel je suis également hermétique, celui de Noémie LVOVSKY m'a sauté aux yeux. Même troupe d'acteurs (Samir GUESMI, Michel VUILLERMOZ, Denis PODALYDÈS, Noémie LVOVSKY qui comme Bruno, frère de Denis est actrice et réalisatrice). Même goût pour l'atmosphère champêtre ("Les Sentiments") (2003) et pour la régression ("Camille redouble") (2012). Même appétence pour créer de chatoyants paquets-cadeaux colorés, bucoliques, poétiques et humoristiques enrobant une intrigue ectoplasmique tournant autour de la crise du couple bourgeois quadra ou quinquagénaire. Le parallèle peut être poussé jusque dans le fait de faire jouer Jean-Pierre BACRI (chez Noémie LVOVSKY) et Agnès JAOUI (chez Bruno PODALYDÈS) le rôle du séducteur/de la séductrice dans un contre-emploi où ces derniers perdent au passage une bonne part de leur personnalité propre pour se fondre au sein d'un schéma adultérin classique dans lequel ils ne sont que des rouages.
Si j'ai regardé "Comme un avion", c'est pour une seule et unique raison: sa fin, découverte grâce à une émission de "Blow Up" consacré à Alain BASHUNG au cinéma. En effet, le choix de terminer le film sur la chanson "Vénus" extraite de l'album "Bleu Pétrole" donne au film tout son sens. Toutes les pitreries-facéties-itinéraire riquiqui du pseudo aventurier en herbe qui s'enroule davantage autour de son propre nombril qu'il n'explore le vaste monde s'y révèlent enfin pour ce qu'elles sont, une vaste fumisterie destinée à masquer sa crise de couple avec Rachelle (jouée par Sandrine KIBERLAIN) et son envie d'aller croquer la pomme dans le premier jardin d'Eden venu ^^. Tout le film repose sur cette situation de faux-semblant blindée par les non-dits. Non-dits que Laetitia (Agnès JAOUI) fait exploser avec son corps, ses explications sur la géolocalisation des photos et enfin le cadeau de la radio que Michel fixe à son kayak. Voir dans le même plan celui-ci pagayer en eaux troubles pendant que Rachelle marche sur le chemin bordant le canal dans la même direction que lui en entendant des paroles telles que:
"Là, un dard venimeux
Là, un socle trompeur
Plus loin
Une souche à demi-trempée
Dans un liquide saumâtre
Plein de décoctions d'acide
Qui vous rongerait les os
Et puis
L'inévitable clairière amie
Vaste, accueillante
Les fruits à portée de main
Et les délices divers
Dissimulés dans les entrailles d'une canopée
Plus haut que les nues"
Donne un instantané de la vraie nature, fort amère, du film que le reste du temps, Bruno PODALYDÈS se plaît à dissimuler sous un déluge de douceurs.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)