Troisième et dernier épisode de la trilogie de Francis Veber consacrée à François Pignon avec le duo Gérard DEPARDIEU/Pierre RICHARD, les Fugitifs mélange avec bonheur le rire, les larmes et la tendresse. D'un côté on retrouve des situations burlesques irrésistibles (comme la grossesse "nerveuse" de Pignon ou la scène culte de l'extraction de la "ba-balle" chez un Jean Carmet vétérinaire maniant l'absurde avec brio). De l'autre, le film repose sur un lourd contexte social avec des héros marginalisés. Pignon est un chômeur et un SDF au bout du rouleau alors que Lucas est un ex-taulard dont la réinsertion est compromise par le harcèlement du commissaire Duroc qui rêve de le remettre en prison pour obtenir une promotion. Là-dessus se greffe un troisième personnage, la petite fille de Pignon, mutique et fragile que son père ne parvient plus à protéger et qui est placée à l'assistance publique où elle dépérit. Plusieurs décennies avant leur reconnaissance officielle, Veber met en scène la naissance d'une nouvelle famille de type homoparental, chacun de ses membres étant sauvé par les autres. On pense au moment où Pignon fait soigner Lucas, à la très belle scène où Lucas porte dans ses bras le père et la fille mais aussi aux échanges de regards entre Lucas et la petite. En l'adoptant comme second père, Jeanne lui donne une responsabilité qui le met à l'abri de la récidive.
Mélange de romantisme, de burlesque et de satire sociale, Diamants sur canapé est un concentré du talent de Blake Edwards. Le célèbre générique annonce le programme du film. Holly (Audrey Hepburn) sort au petit matin d'un taxi en robe givenchy et contemple la vitrine de la bijouterie Tiffany en avalant un petit déjeuner à la hâte. Puis elle rentre chez elle à pied. Le tout sur la célèbre composition d'Henry Mancini "Moon River". Le générique nous apprend ainsi que Holly est une fille de milieu modeste qui a des goûts de luxe et des moments de blues (ou plutôt de "reds"). On apprend par la suite qu'elle a fui sa vie de "bouseuse" au Texas pour celle d'une femme entretenue à New-York, son objectif étant de mettre le grappin sur un millionnaire. Mais en chemin elle rencontre son alter ego (qu'elle surnomme Fred du nom de son frère qu'elle idolâtre), Paul qui lui aussi vit de ses charmes, n'ayant pas réussi à percer en tant qu'écrivain. Ce dernier tombe amoureux d'elle mais il est désargenté... Cela pourrait être sordide, cela reste frais et pétillant grâce à l'élégance d'Audrey Hepburn et à la légèreté de la mise en scène. Les moments burlesques sont savoureux comme la Party ou le chapardage dans les grands magasins. Les deux héros en sortent masqués comme ils le sont dans la vie réelle. Or l'amour est incompatible avec le mensonge ce qui donne à ce moment un air de cruelle vérité d'autant qu'Holly s'identifie à son chat, animal dont elle porte le masque.
Le sens de la vie est un titre particulièrement ironique pour les maîtres du nonsense que sont les Monty Python. Troisième et dernier long-métrage du groupe d'humoristes anglais, il n'est peut-être qu'une suite de sketches mais quels sketches! Quasiment que du culte: éducation sexuelle en live dans un pourtant très strict college britannique (Cleese adore se désaper); catholiques pondeurs d'enfants entonants "Every sperm is sacred" sous le regard d'un protestant ultra coincé qui proclame sa fierté de pouvoir porter des capotes à plumes; parturiente oubliée au profit de la machine qui fait "ping"; client obèse d'un restaurant chic dévorant et vomissant à s'en faire péter la panse (au sens propre); donneurs d'organes prélevés de leurs vivant; colonisateur se faisant arracher la jambe sans sourciller; grande faucheuse venant embarquer les invités d'une soirée à la façon du 7eme Sceau; poissons sous LSD; employés de banque transformés en pirates et trucidants leurs patrons etc. Aucune forme d'autorité ne résiste aux Pythons. Comme toujours leur humour oscille du mauvais goût le plus assumé aux références culturelles les plus subtiles. Le court-métrage qui ouvre le film signé Gilliam tranche avec le reste par son ambition visuelle (un immeuble devient un bateau de pierre qui parcourt une terre plate jusqu'à atteindre sa bordure et tomber) et annonce Brazil.
Monte là-dessus est surtout connu du grand public pour la séquence où Harold Lloyd escalade un immeuble de 12 étages et se retrouve suspendu aux aiguilles de l'horloge. Il est vrai que la scène peut se suffire à elle-même. Elle procure au spectateur son lot de gags et de frissons (même aujourd'hui). Lloyd joue avec le vertige des hauteurs et avec les étages où la variété des gags garantit l'effet de surprise.
Néanmoins il serait dommage de réduire Monte là dessus à cette seule séquence tant le fait de la replacer dans le reste du film en enrichit le sens. Le film.est une fable typique des roaring twenties sur une ascension sociale...vertigineuse. Le capitalisme est en plein essor et le cadre du grand magasin où travaille le héros fait penser au Bonheur des dames (qui se situait sous le second Empire, une autre période de croissance et de modernisation économique). L'escalade est ainsi un coup de pub pour booster les ventes du magasin. D'autre part le héros qui est ambitieux est prêt à s'arranger avec la vérité pour gravir les échelons. Il fait croire à sa fiancée qu'il est directeur, n'hésitant pas à se mettre dans une situation périlleuse. A chaque instant on pense qu'il va être démasqué mais son audace paye, métaphore de l'exploit physique à venir mais aussi d'une certaine idée du rêve américain où la fin justifie les moyens. Le film joue beaucoup sur le trompe-l'oeil. La scène d'ouverture semble montrer un homme en prison. Faux, c'est une gare. Le héros semble être agressé. Faux, ce sont les soldes et les clientes s'arrachent les tissus. Et ainsi de suite jusqu'à la scène d'escalade elle-même truquée et doublée sur les plans d'ensemble par Bill Strothers, acteur-cascadeur qui joue l'acrobate poursuivi par le policeman et que Lloyd doit remplacer "au pied levé". Néanmoins Lloyd a pris de vrais risques et payé de sa personne. Dans les films burlesques muets, le corps des acteurs parlait à leur place il devait être agile, souple et dynamique. C'est pourquoi le parlant et le vieillissement ont souvent été fatals à ces acteurs.
Avant-dernier film des Marx sorti 5 ans après The big store sous le label United Artist, Une nuit à Casablanca aurait dû être au départ une parodie du film de Curtiz mais il a au final peu de rapport avec lui. Le film est une sorte de pot-pourri des meilleurs gags des Marx (rébus mimés, gags visuels comme Harpo qui "tient le mur", scène de vaudeville, bons mots de Groucho "Notre mariage est impossible"; " C'est après qu'il le devient") le tout teinté de nostalgie. Ainsi lorsque Groucho se retrouve enfermé dans un placard il dit " les placards ça me connait" allusion évidente à Monkey Business. Il y a également des allusions à d'autres films comme Le port de l'angoisse ("vous n'avez qu'à siffler"). Enfin les nazis d'opérette du film permettent aux Marx de prendre une revanche symbolique sur la prétendue "race des seigneurs." Néanmoins on est loin des meilleurs films des Marx. Même si on s'amuse, l'impression de déjà-vu domine et la lassitude du trio se fait sentir. Un trio dont l'équilibre s'ébranle déjà au profit de Harpo, le moins fatigué des 3 frères, annonçant Love Happy, leur dernier film.
Go West est le meilleur des 3 films tournés par les Marx dans leur seconde période MGM. En effet le scénario fut écrit juste après Une nuit à l'opéra du vivant de Thalberg et les Marx purent roder leurs gags sur scène. Mais après la mort prématurée de leur mentor les Marx n'étaient plus la priorité du studio et le tournage fut repoussé jusqu'en 1940 date à laquelle il eut enfin lieu. La différence avec At the Circus et The Big store saute aux yeux. Go west est beaucoup plus rythmé. On entre immédiatement dans le vif du sujet avec Groucho qui tente d'escroquer le guichetier de la gare avant de se faire escroquer par Chico et Harpo (une scène dans la lignée du célèbre scketch tutsi-frutsi d'Un jour aux courses.) Les scènes s'enchaînent ensuite quasiment sans temps mort. Celle de la diligence (qui évoque une parodie de la chevauchée fantastique) utilise les cahots de la route pour mélanger la cabine surpeuplée dUne nuit à l'opéra, les échanges de chapeaux de Soupe au canard et le corps envahissant de Harpo des premiers films. Même les numéros musicaux sont bien intégrés à l'intrigue, interagissent avec les Marx et ne cassent pas le rythme du film. Groucho y expose par exemple sa conception de la séduction. Le film se termine en apothéose avec le démontage du train lancé à toute vapeur, un gag keatonien réapproprié par les Marx.
La MGM a assagi, domestiqué les Marx. Ceux-ci n'ont plus rien de dangereux. Mais leur énergie subversive colore tout ce qu'elle touche. Ainsi à partir d'Un jour aux courses, les films MGM se parent d'une scène "ethnique" digne des pires clichés coloniaux et racistes. Les noirs comme les indiens sont caricaturés et ghettoisés. Un seul homme blanc est autorisé à franchir la barrière: Harpo, l'homme-enfant innocent. Le but est d'amadouer (et manipuler) ces peuples dominés. Mais Harpo (ou plutôt Adolph/Arthur) comme ses frères a subi toute sa vie l'antisémitisme des dominants WASP (white anglo-saxons protestants) et lorsqu'il joue pour les afro-américains ou les native americans il se retrouve en communion avec ces peuples "muets" dont le seul langage autorisé est la musique. Pas étonnant que le chef indien finisse par poser sa main sur son épaule. Tel est pris qui croyait prendre.
Après leur incursion (ratée) à la RKO, les Marx retournèrent à la MGM pour tourner trois nouveaux films. Mais ils ne bénéficiaient plus des attentions d'Irving Thalberg. Par conséquent les moyens alloués à ces films furent réduits. Ainsi Un jour au cirque se contente de décliner la formule scénaristique d'Un jour aux courses. Mais les personnages et l'intrigue sont négligés (ce n'était pas le cas avec Thalberg) si bien que leur interaction avec les Marx est quasi-nulle. Cette faiblesse scénaristique pèse sur le film qui connaît plusieurs passages à vide. Restent les numéros des Marx. Certes, ils ont perdu leur esprit corrosif et ils ne nous surprennent plus (un critique évoque At the circus comme le premier de la trilogie du "trio fatigué") mais ils restent si bons que l'on prend beaucoup de plaisir devant certains passages: le numéro de flatteries-goujateries Groucho-Dumont, la fouille de la cabine de Goliath par Chico et Harpo (où affleure même un peu du surréalisme d'autrefois), le dialogue absurde Chico-Groucho, le premier empêchant le second de monter à bord du train car il n'a pas de badge. Enfin la scène de trapèze finale est très réussie avec Margaret Dumont qui donne de sa personne au point de se retrouver en sous-vêtements avec les frères accrochés à ses basques. La chanson interprétée par Groucho " Lydia the tatoo lady" est reprise par Robin WILLIAMS dans Fisher King de Terry Gilliam, fervent admirateur des Marx.
Les Marx au grand magasin est le 11° film des frères Marx et le 5° tourné à la MGM. Comme ses deux prédécesseurs (At the Circus et Go West) The Big Store enregistre le lent mais inexorable déclin du trio. Certes ceux-ci restent excellents (et c'est pourquoi le film est passé à la postérité) mais ils ne se renouvellent plus et surtout l'âge entame sérieusement leur condition physique ce qui affaiblit leur puissance comique. Par exemple la scène de course-poursuite finale en patins à roulette aurait été meilleure 10 ans plus tôt car elle n'aurait pas été assurée par des doublures et donc filmée de loin (néanmoins ce style de scène n'a plus rien à voir avec les gags visuels personnels des Marx). Il faut dire que les scénarios sentimentaux et répétitifs de la MGM n'aident pas à emballer le rythme. Sans parler de numéros musicaux encore plus ennuyeux que d'habitude hormis ceux des Marx. La scène où Chico et Harpo jouent du piano à 4 mains est drôle et émouvante et ce d'autant plus qu'elle comporte une part d'autobiographie. La mère des Marx qui voulait rentabiliser au maximum le professeur qu'elle payait voulait en effet que son fils aîné Léonard (Chico) donne des leçons de seconde main à son cadet Adolph (Harpo) qui en réalité a appris plus ou moins à en jouer tout seul. Ce dernier donne justement dans le film un solo de harpe particulièrement ravissant, costumé comme un marquis du XVIII et entouré de miroirs qui dupliquent son image ou la dédoublent, l'une faisant du violon, l'autre du violoncelle etc.
The Big store marque également la dernière collaboration des Marx avec Margaret Dumont ce qui donne lieu comme toujours à de superbes scènes de marivaudage avec Groucho. Le maintien aristocratique de Margaret Dumont, son excellent sens du rythme et de la mise en place, son infinie patience et sa bonne humeur sans limites (les frères lui en faisaient voir de toutes les couleurs mais elle était sous leur charme) ont fait d'elle plus qu'une bonne partenaire. Elle a incarné à elle seule toute la pompe et la prétention de l'aristocratie ce qui en a fait une cible portative de choix pour les Marx tout au long de leur carrière.
Some like it classic and some like it hot. Un des maîtres-mot du chef-d'oeuvre de Billy Wilder est la diversité et pas seulement celle des musiques. Celle des genres: poursuite du film noir/gags burlesque/comédie romantique d'un côté, filles/garçons/transgenres de l'autre. Celle des sexualités: hétérosexuelles et homosexuelles (féminine et masculine). Celle des climats: neige et mort à Chicago/soleil, palmiers et désirs torrides en Floride.
Car les autres thèmes majeurs du film sont le travestissement et la transgression. La Prohibition (le film se situe dans les années 20) cache le vrai sujet du film qui est le code de censure Hays encore en vigueur au moment du tournage à la fin des années 50. Seul le travestissement permet la transgression. Le cercueil contient des bouteilles de whisky, le corbillard contient des armes, les pompes funèbres abritent un tripot, le gâteau d'anniversaire cache un tueur, Joséphine et Daphné sont deux hommes, le millionnaire aux faux airs de Gary Grant (star glamour connu pour ses tendances bisexuelles et son goût pour le travestissement) est un saxophoniste fauché etc.
Certains l'aiment chaud s'avère donc être outre une comédie irrésistible un film très moderne dans son approche du désir, de la sexualité et de la féminité. Le film raconte l'initiation de deux hommes plutôt machistes au féminisme en les faisant passer de l'autre côté de la barrière. Ils découvrent la complicité et l'intimité avec des femmes et ils découvrent aussi les désagréments d'être considérés comme des objets sexuels par la gent masculine. En définitive ils découvrent surtout leur propre part de féminité. Joe acquiert une sensibilité qui lui faisait défaut dans son rapport à l'autre sexe alors que Jerry se retrouve coincé dans une hybridité comique dans laquelle son identité (de genre et sexuelle) vacille lorsqu'il se prend au jeu de la séduction avec le désopilant et néanmoins adorable millionnaire Osgood Fielding III. La scène finale ouvre tous les possibles comme le souligne la dernière réplique devenue culte, véritable provocation lancée à la face du puritanisme. Il est significatif que cette fin ouverte donne lieu aujourd'hui à deux interprétations diamétralement opposées. Pour la critique traditionnelle plutôt machiste, Jerry est pris au piège. Son "je suis un homme" est interprété comme une volonté d'être reconnu comme tel et le nobody's perfect d'Osgood est perçu comme une castration. Pour les gender studies, les féministes et les critiques LGTB il est au contraire libéré du poids de l'hétéro-machisme symbolisé par Joe et la mafia et l'on assiste à la naissance du premier couple homosexuel de l'histoire du cinéma, le nobody's perfect d'Osgood résonnant comme une déclaration d'amour inconditionnelle. Quant à Marilyn, elle est absolument parfaite dans le rôle de Sugar car elle est aussi hybride, ingénue d'un côté, bombe sexuelle de l'autre (et le film ne se prive pas de le souligner par tous les moyens!)
La pêche au trésor est le dernier film tourné par les Marx Brothers en tant que trio. Mais le coeur n'y est plus aussi le film souffre-t-il de gros défauts. L'histoire est téléphonée, le rythme est poussif, les numéros de music-hall ennuyeux. Et surtout la dynamique du trio est brisée ne permettant pas à la mayonnaise comique marxienne de prendre. En effet on ne voit jamais les 3 frères ensemble. Et pour cause. A l'origine le film avait été conçu seulement pour Harpo. Mais les producteurs refusèrent de le financer si ses frères ne jouaient pas avec lui. Chico qui était pris à la gorge par ses dettes de jeu ne fut pas difficile à convaincre. Mais Groucho tourna le film tellement à contrecœur qu'il ne le cita même pas dans son autobiographie. De fait on ne le voit que très peu, dans un rôle de narrateur "homme-tronc" quasi statique hormis l'impayable scène finale. Son abandon se mesure au fait que pour la première fois il porte une vraie moustache. Bref il n'a plus envie de jouer. Et par conséquent le rôle de Chico qui dans le trio a toujours fait la pendule d'un frère à l'autre est réduit de moitié. Ce déséquilibre pèse terriblement sur le film.
Si celui-ci échappe quand même au naufrage absolu, c'est pour deux raisons: - La première apparition (éclair) de Marilyn Monroe qui a fait plus pour la postérité du film que la prestation des Marx. - Le numéro quasiment en solo de Harpo (Chico continue tout de même à "lire dans son esprit" et à traduire ses rébus mimés) qui contrairement à Groucho a conservé son enthousiasme et son énergie intacte. En dépit du fait qu'il a vieilli et qu'il s'est adouci, sa nature profonde reste inchangée. Son abattage impressionne tout autant que sa poésie subjugue. Comme il est l'auteur du scénario il a pu également donner plus d'amplitude à son personnage de clown muet. Les admirateurs de Harpo ont d'ailleurs renommé le film (dont le titre en VO est Love Happy) " Love Harpo".
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)