"Le Septième Sceau", l'un des grands classiques d'Ingmar Bergman est traversé par la même dichotomie que son chef d'œuvre testamentaire "Fanny et Alexandre". D'un côté la joie de vivre et la fantaisie portée par le monde du spectacle forain (la bonne chère et les belles filles peu farouches en prime)*, de l'autre une religion mortifère avec ses représentants dévoyés (ici un prêtre pesteux voleur et violeur), son iconographie terrifiante captée dans une série de plans picturaux saisissants (allégorie de la mort en grande Faucheuse jouant aux échecs avec un chevalier revenu des croisades, danse macabre, vanités, processions de flagellants), ses références bibliques (l'Apocalypse d'où provient le titre) et sa chasse aux sorcières (qui est postérieure au Moyen-Age mais que l'on assimile à ces "temps obscurs"). Cette dichotomie est celle de Bergman lui-même, fils d'un pasteur luthérien rigoriste du même type que celui du film "Le Ruban Blanc" de Michael Haneke** et en même temps passionné de théâtre et de cinéma. "Le Septième Sceau" est l'un de ces grands films de contraires qui se touchent illustrant la phrase d'Agnès Varda à propos de "La Jeune fille et la mort" de Hans Baldung Grien, " La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort". Ainsi le chevalier (Max Von Sydow) est à l'intersection de ces deux forces contraires puisqu'il est hanté par la mort mais qu'il cherche aussi un sens à la vie, des réponses à ses questions existentielles et métaphysiques avant que cette dernière ne l'emporte.
* On retrouve la foi dans l'art des comédiens forains comme antidote à la mort dans le film de Jacques Demy "Le Joueur de flûte" qui se déroule également au Moyen-Age pendant une épidémie de peste.
** L'enfance de Bergman et "Le Ruban Blanc" (film d'ailleurs très influencé par Bergman) sont deux parfaits exemples de ce que Alice Miller appelait la pédagogie noire c'est à dire les sévices physiques et psychologiques infligés aux enfants "pour leur bien" (extirper le péché de leur être pour en faire des incarnations vivantes des idéaux puritains) avec les conséquences terribles qui en découlent, certains considérant "Le Ruban Blanc" comme une allégorie du nazisme. Bergman a réalisé un des films que je considère parmi les plus terrifiants sur ce thème, "L'Œuf du Serpent".
On associe aujourd'hui l'œuvre d'Ingmar Bergman ainsi que l'opéra en général à un certain élitisme. Historiquement, rien n'est plus faux. Le singspiel, genre d'où est issu "La flûte enchantée" se rapproche de l'opéra-comique français de par son mélange des genres (de la farce au drame) tout en puisant son inspiration dans le folklore allemand. C'est justement pour reconnecter l'œuvre de Mozart à ses racines populaires que Bergman a eu l'idée de ce film prévu au départ pour être diffusé à la télévision suédoise. Cette volonté de vulgarisation explique aussi la traduction du livret en suédois, les nombreux plans sur les spectateurs au profil varié (à l'inverse de ce que l'on observe dans une salle d'opéra habituellement) ou les coupes effectuées dans l'histoire. En effet si la musique est célébrissime, l'histoire est des plus absconse, sans doute peuplée de références maçonniques auquel le non-initié ne comprend rien. L'implication politique est d'ailleurs ce qui différencie le singspiel de l'opéra-bouffe ou de l'opérette. Bergman rend les enjeux de l'histoire limpides avec un combat du bien contre le mal et met aussi en valeur l'aspect ludique et enfantin de l'opéra à travers l'oiseleur Papageno notamment qui est assez irrésistible. Il rend également hommage au monde du théâtre en filmant régulièrement ses coulisses ce qui donne lieu à des scènes assez cocasses notamment pendant l'entracte. Son film fusionne ainsi harmonieusement trois arts: le théâtre, l'opéra et le cinéma. En effet de nombreux plans cinématographiques (zooms avant et arrière, champs et contrechamps, plongées et contre-plongées etc.) contredisent l'impression de théâtre filmé qui s'en dégage au premier abord.
Ainsi aux antipodes de l'image que l'on peut s'en faire, Bergman est un formidable passeur de culture et un magnifique peintre du monde de l'enfance. Je peux en témoigner, l'ayant découvert vers l'âge de 10 ans avec une autre œuvre diffusée pour la télévision à l'époque où je n'avais pas accès au cinéma: "Fanny et Alexandre". Un film-testament où il recrée son enfance entre lanterne magique et ténèbres.
Présenté à sa sortie comme l'anti-Twilight, Morse est en effet une relecture très originale du film de vampires et une peinture toute en délicatesse des premiers émois adolescents. Le principal point faible du film est son manque général de rythme sans doute dû à un étirement excessif des plans et à une atmosphère de déprime généralisée. La banlieue de Stockhlom où se déroule le film offre un cadre particulièrement sinistre. Immeubles casernes, nuit perpétuelle, linceul de neige blanche à perte de vue, tout suinte, le froid, la tristesse, l'accablement. Les personnages et relations humaines sont plombés par cette désespérance climato-géographique, sociale et affective. Le héros, Oskar est un jeune garçon totalement livré à lui-même dont le quotidien est une alternance de solitude et de violence. Sa famille a éclaté, il ne parvient pas à entrer en communication avec sa mère (qui passe son temps à l'accabler de reproches) ni avec son père (alcoolique et incapable d'intimité). Quant à sa vie sociale, elle se réduit à être le souffre-douleur de camarades particulièrement sadiques. On pense d'ailleurs plus d'une fois à Elephant de Gus Van Sant qui alternait ainsi les phases contemplatives et les brusques explosions de violence.
Quoi de plus logique alors que la seule rencontre qu'Oskar réussit à faire à la fois fusionnelle et mortifère soit marquée par le sang qui nourrit autant que celui que l'on verse. D'un côté, un sang régénérateur qui à l'image du bain final agit comme une renaissance. Il sort le héros de sa pétrification, lui permet de s'affirmer et finalement de s'échapper. A la séquence initiale où le héros tourne en rond dans sa chambre et a peur de se désintégrer répond une fin ouverte où il quitte la ville en train. Mais en même temps, ce sang est celui d'un mort-vivant qui condamne aussi ce même héros à s'enfermer dans une ultra-violence sans issue et à porter un fardeau qui annule toute véritable possibilité d'évasion. Ajoutons également que la nature vampirique de l'être aimé sans âge, mutilé sexuellement et en perpétuelle quête d'hémoglobine ne laisse pas beaucoup d'espoir quant à l'avenir de leur couple. D'autant qu'avant de jeter son dévolu sur la proie facile qu'est Oskar, Eli a pompé jusqu'à la moëlle les dernières forces de son précédent "serviteur" (qui était peut-être lui aussi ado lorsqu'elle l'a rencontré et séduit?) Aussi quelle que soit la grâce, la délicatesse et la sensibilité avec laquelle leur amour est filmé, il s'agit incontestablement d'une histoire d'amour avec les forces les plus obscures de l'être, celles qui l'asservissent et l'engloutissent. L'autodestruction a des charmes insoupçonnés et c'est tout l'habileté du film de parvenir à nous les faire entrevoir.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.