S'il ne s'agit pas de la première adaptation cinématographique du mythe du justicier hors la loi qui vole aux riches pour donner aux pauvres, il s'agit de l'une des premières superproductions de l'histoire: 2h20, un budget de 1,4 millions de dollars, des milliers de figurants, le plus grand décor alors jamais construit pour un film muet et le plus grand succès de l'année 1922. A cela il faut ajouter la première superstar de la cascade, Douglas Fairbanks dans l'un de ses rôles les plus célèbres. Et pour cause, il livre une prestation en apesanteur, multipliant les prouesses acrobatiques et interprète un Robin des bois joyeux, léger et perpétuellement en mouvement d'un charme irrésistible: 100 ans après, il crève toujours l'écran. Eternel adolescent, on le voit s'amuser avec ses ennemis de façon très cartoonesque (on pense aussi à la façon dont Astérix sous potion et Obélix envoient valser les romains dans les airs). Cependant, il faut attendre plus d'une heure avant de voir surgir le diablotin bousculant une mise en scène bien trop sage. La faute à un prologue fastueux pour ne pas dire fastidieux (que l'on appellerait aujourd'hui une préquelle) essayant de donner une explication réaliste à l'origine du personnage avant que la légende telle qu'on la connaît se déploie dans toute sa splendeur, entraînant une nette accélération du rythme du film.
Jean DURAND, ex-journaliste et dessinateur satirique a débuté chez Pathé en 1908 puis la Lux avant de passer à la Gaumont en 1910 où il réalise notamment des séries de courts-métrages burlesques autour des personnages de Calino (interprété par Clément Mégé), Zigoto (interprété par Lucien Bataille) et Onésime (interprété par Ernest Bourbon). Dans sa troupe d'acteurs-acrobates (les "Pouittes"), on trouve une future vedette, Gaston MODOT (le garde-chasse jaloux poursuivant Carette dans "La Règle du jeu" (1939) de Jean RENOIR, c'est lui!). Le style de ses courts-métrages préfigure celui des comédies de Mack SENNETT et de ses Keystone cops et il est bien dommage que son nom soit aujourd'hui oublié.
"Onésime horloger" qui fait partie d'une série de 56 films réalisés entre 1910 et 1914 est parfaitement représentatif de ce style et de cette époque dans laquelle les deux pays s'influencent mutuellement pour construire un genre qui sera l'un des piliers de l'âge d'or du cinéma muet. Avec en plus ici un caractère expérimental autour de la manipulation du temps, l'horloge qui s'affole devenant le cinéma lui-même, formidable machine à voyager dans le temps par le procédé des images accélérées (effet spécial que l'on retrouve dans d'autres Onésime mais pas sur les trois-quarts du film comme ici). Comme quoi Luc BESSON avec sa "Lucy" (2006) n'a rien inventé (sauf qu'elle remontait le temps alors qu'Onésime lui le descend à toute vitesse). Le résultat est un enchaînement frénétique de gags entraînant un vertige métaphysique, soit par la répétition mécanique des mêmes mouvements dans le monde urbain moderne confinant à l'absurde (certains passages préfigurent la célèbre séquence du travail à la chaîne de "Les Temps modernes" (1934) elle-même inspirée par "À nous la liberté" (1931) qui démontre une fois de plus comment la France et les USA se sont mutuellement influencés), soit par la métamorphose avec la séquence du mariage express, suivi de la croissance non moins rapide d'un enfant qui se révèle être Gaston MODOT!
Jean Durand, ex-journaliste et dessinateur satirique a débuté chez Pathé en 1908 puis la Lux avant de passer à la Gaumont en 1910 où il réalise notamment des séries de courts-métrages burlesques autour des personnages de Calino (interprété par Clément Mégé), Zigoto (interprété par Lucien Bataille) et Onésime (interprété par Ernest Bourbon). Dans sa troupe d'acteurs-acrobates (les "Pouittes"), on trouve une future vedette, Gaston Modot (le garde-chasse jaloux poursuivant Carette dans "La Règle du jeu" de Jean Renoir, c'est lui!). Le style de ses courts-métrages préfigure celui des comédies de Mack Sennett et de ses Keystone cops et il est bien dommage que son nom soit aujourd'hui oublié.
"Onésime et le duel à l'américaine" qui fait partie d'une série de 56 films réalisés entre 1910 et 1914 est parfaitement représentatif de ce style et de cette époque dans laquelle les deux pays s'influencent mutuellement pour construire un genre qui sera l'un des piliers de l'âge d'or du cinéma muet. Il est bâti autour d'une querelle futile entre Onésime, un gentleman élégant mais maladroit et un américain dans un club qui dégénère en un règlement de comptes au pistolet dont les décors font les frais: rien ne résiste à leur passage. Leur destruction systématique est une des caractéristiques les plus marquantes de ce burlesque primitif à tendance anarchisante. Jean Durand utilise également quelques trucages (inversions, accélérations) qui accentuent les effets comiques, effets également portés par les cartons (le dernier qui dénoue l'intrigue est porteur de rires garantis).
Un court-métrage burlesque de la Gaumont réalisé par Alice Guy qui n'a rien à envier à leurs homologues américains de la même époque. Il fallait en effet distancer la concurrence française (Pathé et Lux). Quelques années plus tard, celle-ci fera la seconde partie de sa carrière aux USA dans son propre studio et si la constitution dans l'après-guerre des grandes majors hollywoodiennes aura sa peau, ce sont les américains qui travailleront par la suite à la faire redécouvrir, bien plus que sa France natale que le révisionnisme historique auquel elle est contrainte pour lui faire une place dérange.
Le film de Alice Guy a pour personnage principal un vagabond (dont l'accoutrement préfigure cependant davantage celui de Harpo Marx que de Charles Chaplin) qui se retrouve malgré lui prisonnier d'un tonneau lancé à vive allure sur une pente descendante. Autrement dit, gare à ceux et celles qui se trouvent sur son chemin. Ce jeu de chamboule-tout grandeur nature est orchestré en neuf plans bien rythmés avec à peu près en son milieu une ellipse lorsque le tonneau se retrouve dangereusement catapulté sur les rails du chemin de fer. Il passe alors brusquement de la position couchée à la position redressée ce qui lui évite d'être écrasé par le passage du train qui se contente de le pousser pour qu'il continue sa roulade jusqu'à l'atterrissage final dans le fleuve. Encore que le pauvre vagabond, même libéré de son engin infernal conserve dans le dernier plan des traces visibles de sa mésaventure.
L'histoire de ce film me fait penser à celle de "Apparences" (2000) de Robert Zemeckis. En effet dans les deux cas, il s'agit d'un "interlude" entre deux films plus importants. Dans le cas de Zemeckis, il fallait laisser le temps à Tom Hanks de perdre du poids pour "Seul au monde" dont le tournage a été interrompu 8 mois ce qui lui a laissé de temps de réaliser un autre film. "Nocturne" a quant à lui été réalisé dans le cadre du tournage de "Carmen" (d'après la nouvelle de Prosper Mérimée) de Jacques Feyder à Ronda, en Andalousie qui a été prolongé en raison d'une météo défavorable. Alexandre Kamenka, le directeur des studios Albatros qui produisait le film a donc maximisé la rentabilité des pauses forcées de "Carmen" pour réemployer les acteurs principaux, Raquel Meller et Louis Lerch dans un film plus court, tourné dans l'hôtel où logeait l'équipe de "Carmen" à Ronda: on ne peut pas faire plus économe! Et pour réaliser ce "Nocturne", il fait appel à l'assistant de Jacques Feyder, Marcel Silver.
Le résultat est un film d'atmosphère à l'intrigue minimaliste: une femme se consume à attendre l'homme qu'elle aime alors que seule une cloison de chambre d'hôtel la sépare de lui. On peut voir cela comme une métaphore du drame de l'incommunicabilité dans le couple. Ou bien comme un moyen inconscient pour un homme qui hésite entre deux engagements de choisir. La puissance expressive du visage de Raquel Meller est très bien mise en valeur ainsi que le parallèle entre sa solitude et sa souffrance et l'aridité des paysages. Néanmoins cette intrigue est trop mince pour tenir la route sur trois bobines. On a donc rapidement l'impression que cela traîne en langueur, pardon, en longueur...
Ce film est une curiosité puisque d'une part on y trouve Oliver Hardy dans un rôle secondaire mais sans son comparse à l'écran, Stan Laurel qui est présent derrière la caméra mais pas devant. De l'autre, le comique burlesque se concentre sur Clyde Cook qui joue un cuisinier très chaplinesque. Certains gags comme celui de l'aliment explosif rappellent "Charlot mitron" ("Dough and Dynamite") réalisé en 1914 pour la Keystone et d'autres "La Ruée vers l'or" (la maison qui penche dans le vide qui devient ici le train qui penche dans le vide). Il faut dire qu'avant de former son duo légendaire avec Oliver Hardy au cinéma, Stan Laurel comme la plupart des grands burlesques de cette époque avait débuté sur les planches en 1908, dans la même troupe que Charles Chaplin (celle de Fred Karno) et s'était retrouvé à jouer entre autres sa doublure.
Comme "Detained" que j'ai récemment chroniqué et plus d'une trentaine d'autres courts-métrages antérieurs à la formation du duo qui ont été miraculeusement retrouvés (sur des centaines perdus), on peut visionner "Wandering Papas" sur un double DVD édité par les éditions Lobster judicieusement intitulé "Laurel OU Hardy, avant le duo".
Detained est l'un des 12 films de deux bobines (environ 20 minutes) que Stan LAUREL a tourné pour le producteur Joe ROCK en 1924 et 1925. A cette époque, Stan Laurel ne forme pas encore officiellement de duo comique avec Oliver HARDY bien qu'il ait déjà tourné une fois avec lui. Les courts-métrages tournés pour Joe Rock font donc partie de la partie solo de sa carrière, de loin la moins connue.
Detained est un court-métrage burlesque qui comme son titre l'indique se déroule pour l'essentiel en prison. Laurel y joue un innocent qui subvertit le monde carcéral par son comportement totalement hors-sol. Il tourne particulièrement en dérision les armes et la peine de mort soit deux piliers de l'arsenal répressif des USA. Les gags autour de la chaise électrique et de la corde se rapprochent du cartoon avec notamment des trucages transformant son corps qui devient élastique (et ce près d'un siècle avant "One Piece" ^^). Le début et la fin ont un petit côté absurde et anarchisant avec un honnête citoyen transformé en bagnard par la grâce d'un changement de costume ("L"habit fait le moine") qui devient à la fin délinquant malgré lui mais grâce à la bonne fortune (une trappe bienvenue) il échappe miraculeusement aux poursuites.
Comme de très nombreux courts-métrages de Georges MÉLIÈS, "La Lanterne magique" recèle sa quantité de trésors. C'est un hommage à l'histoire du spectacle, présent sous plusieurs formes d'époques différentes:
- La Comedia dell'Arte, genre théâtral apparu au XVI° siècle en Italie avec comme protagonistes principaux du film Polichinelle et Pierrot.
- L'illusionnisme d'où est issu Georges MÉLIÈS, la lanterne magique servant une bonne partie du film de boîte à faire apparaître Colombine et diverses danseuses qui effectuent quelques figures dans les coulisses du théâtre.
- Le cinéma enfin, cette même boîte se transformant en caméra dotée d'un objectif projetant des images dans l'image principale.
La lanterne magique qui date du XVII° siècle sert de trait d'union: elle constitue l'ancêtre du cinéma, elle renvoie à la magie de par son titre (on l'appelait aussi la lanterne à illusions) et elle projette sur un écran en gros plan les images des personnages qui s'activent dedans et autour en chair et en os. Le film est également connu pour l'innovation technique ayant consisté à pratiquer le fondu enchaîné sur fond blanc et non plus sur fond noir comme c'était l'usage.
"Regeneration" est le plus ancien film de Raoul WALSH à avoir été conservé (à ce jour). C'est aussi son premier film pour la Fox. C'est enfin l'un des précurseurs du film de gangsters, genre qui s'épanouira à Hollywood avec le début du cinéma parlant.
L'histoire s'articule autour d'un drame social, celui d'un jeune orphelin qui est recueilli par des voisins misérables dont le mari est une brute et qui préfère donc fuir et se débrouiller par lui-même. A 25 ans, il dirige un gang sur les docks de New-York. Cela préfigure de ce fait "Sur les quais" (1954) de Elia KAZAN d'autant que l'acteur ressemble pas mal à Marlon BRANDO et que la morale chrétienne y est très présente (c'est lié aux origines des réalisateurs, la Grèce pour Elia KAZAN, l'Irlande pour Raoul WALSH). Le titre annonce la couleur si je puis dire mais surtout le personnage féminin principal est une jeune bourgeoise qui fonde un institut de charité pour venir au secours des miséreux et qui est prête à aller jusqu'au sacrifice pour accomplir sa mission. En cela, elle est bien plus active que son homologue dans le film de Kazan car elle endosse aussi les rôles masculins (celui du directeur de conscience et celui du christ rédempteur): dans une scène spectaculaire, elle échappe avec ses protégés à l'incendie du bateau où elle avait organisé une fête (dans le style du secours populaire) tandis que Owen sauve deux fillettes qui avaient été prises au piège. Plus tard, elle se retrouve aux prises avec Skinny, le nouveau chef du gang d'Owen, ce dernier ayant préféré le quitter pour se rapprocher d'elle.
Bien que le film soit par moments assez abîmé, il donne déjà une idée du talent du réalisateur. La vie dans les bas-fonds est restituée avec beaucoup de réalisme grâce notamment à l'utilisation de la profondeur de champ dans laquelle on voit se démener de nombreux enfants déguenillés qui semblent sortir de tous les coins de l'image. Raoul WALSH utilise aussi comme D.W. GRIFFITH (dont il a été l'assistant) le montage parallèle pour dynamiser les scènes et leur donner du suspens. Celle du bateau dans laquelle il dirige de main de maître l'évacuation d'une foule est un morceau d'anthologie. Il recourt également au flashback pour illustrer le dilemme du héros. Enfin, en ce qui concerne l'émotion, il utilise beaucoup le gros plan, notamment sur les visages charismatiques de Rockliffe FELLOWES et de Anna Q. NILSSON ce qui fait passer la pilule de la morale édifiante.
"Ménilmontant" est le deuxième film de Dimitri KIRSANOFF, cinéaste français d'origine estonienne (comme les fondateurs du studio Albatros, il a été chassé de Russie par la révolution bolchévique) dont l'activité couvre une période allant des années vingt jusqu'à la fin des années cinquante et l'avènement de la nouvelle vague. "Ménilmontant" est l'un des plus importants (a défaut d'être le plus célèbre) films de l'avant-garde des années vingt, une oeuvre singulière sans intertitres qui frappe par sa puissance expressive. L'histoire très marquée par la fatalité annonce le réalisme poétique tout en rappelant par son intrigue "Les Deux orphelines" (1921) de D.W. GRIFFITH: deux soeurs dont les parents sont sauvagement assassinés sombrent dans la déchéance après avoir été séduites et abandonnées par le même homme. Les deux actrices sont fascinantes dans leur capacité à incarner leur personnage à divers âges de leur vie, particulièrement Nadia SIBIRSKAÏA dont Dimitri KIRSANOFF (qui fut son époux) ne se lasse pas de filmer le beau visage. La mise en scène, fluide, dynamique et riche (surimpressions, caméra mobile, montage rapide, notamment de gros plans de visages expressifs saisis sur le vif à la manière de Sergei EISENSTEIN) est très moderne. Enfin comme beaucoup de films de cette époque, on a un bel aperçu du Paris d'autrefois, Ménilmontant étant alors un quartier populaire et industrialisé proche de Belleville dans laquelle l'héroïne, véritable "fleur de macadam" semble emprisonnée (au point de marquer les jours qui passent sur les murs), ses seuls échappatoires étant des flashbacks nostalgiques sur son enfance ou des pensées suicidaires liées à sa situation misérable de mère célibataire SDF qui découvre en prime que sa soeur se prostitue.
"Etre critique, ce n'est pas donner son avis, c'est se construire comme sujet travers les films que l'on voit" (Emmanuel Burdeau)
"La cinéphilie est moins un rapport au cinéma qu'un rapport au monde à travers le cinéma" (Serge Daney)