Neuf courts-métrages réunis en un seul film dénoncent le totalitarisme du régime iranien dans les aspects les plus anodins de la vie quotidienne des citoyens. La forme même du long-métrage épouse les contraintes d'un tournage clandestin où comme chez Jafar PANAHI, il a fallu ruser avec le pouvoir. Il était plus facile d'éclater le projet d'ensemble en petits fragments indépendants avant de réunir les pièces du puzzle au montage. D'ailleurs, comme dans toutes les formes de résistance à l'oppression, ceux qui tournaient dans un segment ignoraient tout des autres et du projet final. Le résultat est édifiant. Suivant un dispositif toujours identique propre aux scènes d'interrogatoires, on voit se succéder des plans-séquence où la caméra fixe est placée du point de vue de l'autorité, la dérobant à notre regard au profit de la personne interrogée. Ce qui au départ relève d'un entretien d'embauche, d'un achat de vêtements ou d'une déclaration d'état civil se transforme en inquisition, la personne investie d'une autorité en abusant de façon systématique et remettant en cause les libertés les plus élémentaires de chaque individu comme celles touchant à l'apparence, à la tenue vestimentaire, aux fréquentations, au prénom ou à la possession d'un animal. Si le dispositif peut paraître répétitif, la tension qui résulte de ce qui s'apparente à une volonté d'emprise et d'humiliation sur autrui ne se dénoue pas toujours de la même manière. Les usagers pris au piège en sortent parfois résignés. Parfois ils mentent, fuient, résistent passivement (la fillette qui répète sa chorégraphie se laisser voiler pour un essayage puis enlève tout et continue comme si rien ne s'était passé) voire retournent les armes de leurs bourreaux contre eux. Ainsi cette élève qui tient sa directrice par la barbichette en ayant en sa possession un document compromettant permettant de la réduire au silence. Parfois aussi l'interrogatoire tourne à la farce comme ces flics qui essayent de refourguer un chien qui leur cassent les pieds à une dame à qui d'autres flics ont pris le sien. Un panorama varié d'un monde arbitraire où ne règnent que les rapports de force.
Quand le mouvement "Femme, vie, liberté" vient percuter de plein fouet une famille iranienne aisée dont le patriarche sert un système que rejettent ses filles, cela donne "Les Graines du figuier sauvage". Un immense film, un uppercut qui ne relâche jamais la tension tout au long de ses près de 3h de projection. On peut se demander comment a fait Mohammad Rasoulof pour tourner un film d'une telle ampleur et d'une telle maîtrise dans les conditions que l'on sait. Un film haletant qui m'en a rappelé deux autres: "Mustang" et "Shining" dans lesquels des enfants doivent lutter pour leur survie face à un père potentiellement meurtrier. Comme eux, il s'agit d'un huis-clos familial qui commence normalement avant de basculer dans une dimension de thriller paranoïaque puis dans l'épouvante avec des scènes finales cauchemardesques de course-poursuite labyrinthique. Le film commence par la promotion de Iman comme enquêteur au tribunal de Téhéran qui dans un premier temps met des étoiles dans les yeux de son épouse, Najmeh, laquelle semble complètement endoctrinée par le régime et le patriarcat. Comme un symbole, lorsque les événements révolutionnaires éclatent, elle les regarde par le prisme déformant de la télévision plutôt que de sa fenêtre ou comme ses filles, sur les réseaux sociaux. Les filles justement sont le grand souci de Najmeh. Elle tente de contrôler leurs fréquentations, leurs paroles, leurs accoutrements de façon à ne pas nuire à son mari mais se retrouve vite prise de court par la violence qui se déchaîne dans la rue et frappe de plein fouet une amie de sa fille aînée qu'elle accepte d'accueillir brièvement et de soigner. A partir de ce moment, Najmeh est de plus en plus tiraillée entre son mari qu'elle supplie sans succès d'être plus présent pour leurs filles et celles-ci, de plus en plus révoltées en dépit de leur confinement à la maison. C'est alors que se produit le basculement du film: l'arme de service de Iman qu'il avait déposée dans un tiroir se volatilise. Le soupçon s'introduit aussitôt au coeur de la famille, le régime s'immisçant pour procéder à des interrogatoires glaçants sur les trois femmes. Mais la pression s'intensifie aussi dans l'autre camp lorsque les coordonnées et le visage d'Iman, auteur de nombreuses exécutions sont balancées sur les réseaux (dont le rôle fondamental dans la révolte est bien souligné à l'aide d'images d'archives). Celui-ci devient un homme traqué qui sous prétexte d'aller se cacher loin de Téhéran, devient le geôlier et bourreau de sa propre famille. Mais plus l'étau se resserre, plus la résilience des femmes éclate au grand jour. Des femmes qui ne veulent plus subir et se taire en dérobant les outils de la domination masculine pour mieux s'en libérer. Des femmes qui à l'image des actrices et de nombreuses iraniennes ont envoyé au passage leur voile brûler en enfer. Le changement de ton est palpable. Fini les compromis.
xcellent film en forme de conte moral et à résonance universelle, bien que profondément ancré dans la société iranienne. Le scénario est une véritable mécanique d'horlogerie qui nous entraîne avec le "héros" du titre, Rahim dont les deux jours de permission ne vont pas être de tout repos. Les premières scènes du film nuancent d'emblée le personnage par rapport à la version manichéenne que vont en donner les médias (saint homme puis affabulateur). Celui-ci est en prison pour une dette vis à vis de son oncle. Lors d'une permission, il entre en possession d'un sac rempli de pièces d'or trouvé par sa petite amie. Il tente de négocier avec son oncle le retrait de sa plainte en échange de l'or et d'une promesse de remboursement échelonné du reste de sa dette une fois qu'il aura trouvé un travail. Mais celui-ci refuse car il ne lui fait plus confiance. C'est d'ailleurs réciproque et la défiance entre les deux hommes joue un rôle clé dans le film. D'autant que les proches de Rahim ne se précipitent pas pour se porter caution. Enfin, lorsqu'il tente de vendre les pièces, il découvre que leur cours a baissé. C'est seulement à ce moment-là que Rahim décide de poser une annonce pour rechercher le ou la propriétaire du sac en omettant les détails du cheminement par lequel il y est arrivé. Deuxième arrangement avec la vérité, bien spécifiquement iranien, il fait croire qu'il a trouvé lui-même le sac pour ne pas compromettre son amie avec laquelle il n'est pas encore marié. Enfin, lorsque la propriétaire se manifeste, il est retourné en prison et c'est sa soeur qui lui remet le bien, sans prendre de précautions ni faire de vérifications. Mais comme Rahim a mis le numéro de la prison dans l'annonce (lui-même n'ayant pas droit au téléphone portable) la machine s'emballe très vite et celui-ci est réduit à l'état de pion dans un engrenage qui le dépasse. Dans un premier temps, tout le monde a intérêt à le présenter comme un héros: les dirigeants de la prison qui ont médiatisé l'affaire afin de redorer leur image ternie par des affaires de suicide. Mais aussi l'organisation caritative qui espère augmenter son audience pour récolter davantage de fonds ou les autorités qui le présentent comme un modèle pour la société. Rahim qui espère regagner l'estime et la confiance de son entourage pense alors naïvement la partie gagnée. Mais évidemment cela ne dure pas et comme en occident le poison du soupçon et de la jalousie alimenté par le complotisme des réseaux sociaux va rapidement ruiner l'édifice. Tous les manquements de Rahim vont alors se retourner contre lui lorsque la promesse d'embauche se transforme en inquisition et l'amener à "péter les plombs" et à tout perdre. Au moins aura-t-il appris à protéger son fils de la convoitise voyeuriste des médias à défaut d'avoir pu restaurer son honneur.
"Tatami" qui a été présenté au festival de Venise dans une section parallèle est le reflet de la coopération inédite d'un cinéaste israélien, Guy NATTIV et de l'actrice franco-iranienne Zar AMIR EBRAHIMI, récompensée à Cannes pour "Les Nuits de Mashhad" (2021). C'est un huis-clos en noir et blanc très prenant, immersif, donnant l'impression de tournage en temps réel, moins pour ce qu'il se passe sur la scène que pour ce qui se déroule en coulisses. Pendant que l'arène sportive voit s'affronter en duel les meilleures judokas pour le titre de championne du monde, les autorités iraniennes poursuivent leurs manoeuvres géopolitiques jusque dans l'enceinte du Dojo afin d'empêcher leur judokate de rencontrer la championne israélienne. Pour cela, ils veulent l'obliger à déclarer forfait, usant de moyens de pression de plus en plus brutaux, sous les yeux de la wjf (world federation judo), longtemps passive. Le spectateur voit Leila (Arienne MANDI) se battre comme une lionne sur le tatami et en même temps contre le rouleau compresseur du régime. Sa coach (jouée par Zar AMIR EBRAHIMI elle-même), elle aussi soumise à une intense pression essaye de gagner du temps, louvoyant entre une certaine résistance passive et la tentation de la reddition au grand dam de Leila ce qui rajoute un élément de tension supplémentaire.
L'histoire est fictive mais inspirée par des faits réels survenus aux mondiaux de Tokyo qui entrainèrent la suspension de la fédération iranienne des compétitions organisées par la wjf. Le sportif iranien concerné, Saeid Mollaei avait dû s'incliner en demi-finale et en petite finale sous les menaces du régime le visant lui et sa famille afin qu'il ne rencontre pas le champion israélien. La posture officielle de Téhéran consiste en effet à nier l'existence de cet Etat. Saeid Mollaei avait fini par fuir le pays.
La première fois que j'ai vu "Le goût de la cerise" de Abbas Kiarostami, palme d'or ex-aequo avec "L'Anguille" au festival de Cannes, j'ai eu l'impression de passer à côté. J'ai d'ailleurs oublié l'intrigue. Mais je me suis aperçue avec le recul du temps qu'un image revenait à ma mémoire à chaque visionnage d'un film aux caractéristiques similaires: celle du véhicule qui serpente dans un paysage de collines arides comme une métaphore du chemin qu'emprunte l'existence jusqu'au moment où elle s'arrête. Ce que j'avais en revanche oublié, c'est l'ambiguïté de la scène inaugurale où l'on voit un homme aborder des inconnus depuis sa voiture pour les convaincre de monter à bord. Puis, pour ceux qui acceptent, la proposition "d'un travail bien payé" dont il refuse de dévoiler la nature. C'est franchement trouble et je pense que c'est l'effet recherché. Car on ressent particulièrement bien le malaise du premier des trois passagers, le jeune soldat qui croit d'abord que l'homme va juste le déposer à sa caserne et se sent au fil des minutes pris au piège au fur et à mesure que le véhicule s'en éloigne et que l'homme dévoile ses intentions après un interrogatoire de plus en plus intrusif. Même si ce que souhaite M. Badii n'est pas ce à quoi l'on pense, il s'agit bien d'un tabou dans la théocratie iranienne, quoique la condamnation du suicide soit commune à la plupart des doctrines religieuses qui font l'apologie de la vie et de la soumission à Dieu. Par conséquent l'idée de demander de l'aide à un séminariste ne peut mener qu'à une impasse, les divergences de point de vue étant irréconciliables. Cependant l'atmosphère du film change avec le troisième passager qui travaille au Museum d'histoire naturelle. Déjà parce qu'il a accepté la proposition de M. Badii lorsqu'on le découvre à la suite d'une ellipse mais aussi parce qu'il lui demande de bien réfléchir avant et de mesurer tout ce qu'il va perdre. La quête change alors de direction. Il ne s'agit plus de trouver quelqu'un pour mourir mais d'accomplir ou pas le geste fatal. Et en parfaite symbiose avec l'ode à la vie prononcée par le vieil homme, le paysage traversé se fait verdoyant, coloré et de l'eau apparaît. Le fait également que les trois hommes pris par M. Badii soient étrangers (un kurde, un afghan, un turc) n'est certainement pas innocent. Son choix final n'est pas montré, le film laissant la fin ouverte en bifurquant au dernier moment dans une tout autre direction, celle de son tournage, filmé en vidéo comme un album de famille. Une ultime dérobade qui laisse le spectateur seul avec ses questionnements.
"La Loi de Téhéran", grosse claque cinématographique de 2021 méritait bien un making-of retraçant sa genèse. Et de fait, le documentaire de Pierre-Olivier FRANCOIS qui s'inscrit dans la collection "Un film et son époque" est particulièrement fouillé. Il faut dire que la conseillère artistique du film est Asal Bagheri, enseignante-chercheuse et spécialiste du cinéma iranien dont j'ai pu apprécier la qualité des interventions lors d'une conférence consacrée à la censure dans le cinéma iranien. Elle intervient à plusieurs reprises dans le documentaire, tout comme Saeed ROUSTAEE, Payman MAADI et d'autres membres de l'équipe du film. Le documentaire, qui rappelle l'importance du cinéma en Iran, y compris depuis la révolution islamique de 1979 souligne la singularité de "La Loi de Téhéran" au sein de la production cinématographique nationale. En effet, à l'inverse du film d'auteur intimiste d'un Abbas KIAROSTAMI ou Asghar FARHADI fait pour concourir à Cannes, "La Loi de Téhéran" s'apparente à un blockbuster et reprend nombre de codes du cinéma américain grand public. Il a d'ailleurs été adoubé par William FRIEDKIN comme une sorte de "French Connection" (1971) iranien. C'est sans doute l'une des clés de son succès international. Mais il fait également un triomphe en Iran, de par son traitement réaliste et humain du fléau de la drogue gangrenant la société des Mollahs. Le documentaire fait d'ailleurs le point sur l'importance du trafic et de la consommation dans le pays qui partage une frontière avec l'Afghanistan, principal producteur mondial d'opium et d'héroïne. Le film dans lequel ont tourné de véritables drogués fait la lumière sur un phénomène ne cessant de prendre de l'ampleur en dépit de la répression du régime qui condamne à mort trafiquants et consommateurs en possession de plus de 30 grammes de drogue. C'est pourquoi le flic intègre joué par Payman MAADI ne peut tirer aucune gloire de ses succès. Quant au trafiquant, joué par Navid MOHAMMADZADEH qui a connu avec ce film une notoriété internationale méritée, il accède à une profondeur qui en fait un authentique personnage tragique.
Avant son arrestation, je ne savais pas qui était Mohammad RASOULOF. Grâce à Arte, on peut voir "Le Diable n'existe pas" qui lui a valu de remporter l'Ours d'or à Berlin en 2020. Le film a été tourné clandestinement, le cinéaste ayant dû ruser avec la censure. C'est en partie ce qui explique la forme segmentée du film, le réalisateur ayant dû faire croire aux autorités qu'il s'agissait de quatre films réalisés par des assistants différents, lui-même devant se cacher pour ne pas être reconnu sur le plateau. La forme divisée en chapitres ne résulte donc pas d'un choix mais d'une nécessité et les quatre histoires ont beaucoup en commun. Il s'agit de quatre hommes, deux jeunes effectuant le service militaire et deux ayant l'âge d'être père de famille. Chacun d'eux se retrouve ou s'est retrouvé confronté à l'exécution capitale, celle-ci découvre-t-on pouvant être effectuée par de jeunes conscrits dans des conditions artisanales qui les mettent face à leur acte ou par un bourreau professionnel qui n'a qu'à appuyer sur un simple tableau de bord. Ainsi pour ce dernier, tout est simple et sa vie ordinaire illustre le concept de "banalité du mal" de Hannah Arendt que l'on attribue d'ordinaire au nazisme. Mais afin justement que le spectateur ne puisse pas banaliser l'acte, Rasoulof filme la séquence-choc de l'agonie des condamnés, ne nous épargnant aucun détail même si l'on ne voit que leurs pieds. Les trois autres hommes qui ne sont pas des professionnels de la mort sont confrontés à un choix. Car -et en cela le film lui-même en témoigne- même au sein d'un système totalitaire, les hommes ont le choix. Celui d'accepter d'être un rouage du système et de vivre dans la culpabilité le restant de ses jours ou celui de désobéir et d'être en paix avec soi-même, mais en étant exclu de la société, l'Etat faisant payer très cher ceux qui lui résistent. Par ailleurs, plus le film avance, plus la mise en scène, confinée dans les deux premiers volets (parking, voiture, dortoir, couloirs) devient ample avec les deux derniers volets tournés dans des paysages magnifiques (une forêt puis un paysage de montagne aride). Et si donner la mort incombe aux hommes, les femmes ont également un rôle à jouer quand elles sont conscientes des enjeux, soutenant sans réserve ceux qui choisissent de désobéir ou condamnant ceux qui acceptent les compromissions.
"Beach Flags" est un court-métrage d'animation de la réalisatrice iranienne Sarah SAIDAN qui s'est installée en France en 2009. "Beach Flags" qui évoque la condition difficile des femmes athlètes en Iran a remporté de nombreux prix et s'avère d'une brûlante actualité. Le film est un récit initiatique dans lequel le sport associé à la compétition et à l'individualisme se transforme en moyen d'émancipation grâce à la solidarité entre les jeunes athlètes. La façon dont les jeunes filles retournent contre la société patriarcale leurs propres moyens d'oppression concerne également le hijab qui devient un procédé de camouflage permettant de mystifier la famille qui veut empêcher leur fille de concourir. Sur la forme, le film fait penser à "Persepolis" (2007) même s'il s'agit d'un court-métrage en couleurs. Le trait est en effet proche de celui de Marjane SATRAPI, autre réalisatrice iranienne ayant utilisé l'animation pour évoquer sa jeunesse rebelle en Iran.
Le "Beach flag" est une course sur la plage qui est la seule épreuve sportive à laquelle les nageuses-sauveteuses iraniennes peuvent participer car elles peuvent concourir habillées et voilées. Toutes les épreuves en maillot de bain leur sont, quant à elles, interdites. Un maigre espace de liberté dans un océan d'oppression que l'on ressent à travers les cauchemars de l'héroïne, Vida.
Le cinéma iranien ne cesse de me surprendre par sa richesse, sa diversité, alors même qu'il est entravé par le pouvoir en place. Après les drames sentimentaux, les docu-fictions, les polars et les thrillers, "Les ombres persanes" est le premier film fantastique issu de ce pays que j'ai pu voir. Bien que l'histoire soit traitée avec réalisme, deux éléments viennent jeter le trouble. Le premier est la pluie, incessante et battante qui s'abat sur l'ensemble du film, doublée d'une atmosphère sombre et confuse qui ne cède la place à une éclaircie que lors d'un très bref moment destiné à s'avanouir aussi vite qu'il est apparu. Car pour le reste, c'est le déluge, une atmosphère de fin du monde et d'horizon bouché (à la manière parfois de "Matrix Revolutions" et cet écho fait sens) qui s'infiltre jusque dans la demeure de Tarzaneh et Jalal. Justement, Tarzaneh qui est monitrice d'auto-école croit apercevoir son mari entrer chez une autre femme. Ce qui nous amène au deuxième élément fantastique du film, à savoir qu'il existe un couple à l'apparence jumelle de celle de Tarzaneh et Jalal, formé par Bita et Mohsen, plus aisés et parents d'un petit garçon. Aucune explication rationnelle ne nous est donnée sur cette troublante ressemblance et la piste génétique est vite abandonnée. Ce que l'on remarque en revanche c'est qu'il s'agit de couples mal assortis aux polarités inversées. Tarzaneh qui est enceinte semble dépressive et angoissée alors que Mohsen est jaloux et violent. A l'inverse, Jalal est gentil et dévoué et Bita, souriante et équilibrée. Logiquement, Bita et Jalal, trop beaux pour être vrais ne peuvent que céder la place à Farzaneh et Mohsen qui incarnent les différentes formes de mal-être générées par les dysfonctionnements de la société iranienne, plus fortes que leurs différences. Taraneh ALIDOOSTI et Navid MOHAMMADZADEH peuvent ainsi comme dans de nombreux films sur ce thème éminemment cinématographique montrer différentes facettes de leur jeu. L'excellence de leur interprétation compense en partie les maladresses du scénario.
"Aucun ours" s'appelle ainsi en référence à une phrase prononcée par un habitant du village où réside Jafar PANAHI dans le film. Mais c'est aussi symboliquement une allusion au danger et au mensonge, plus exactement au fait qu'un faux danger peut en cacher un autre qui lui est vrai. On ne va pas tourner autour du pot, le dernier film de Jafar PANAHI est indissociable de ses conditions de production clandestines, comme ses quatre réalisations précédentes et indissociable également de son contexte, celui de l'insurrection impitoyablement réprimée par les autorités iraniennes dans lequel les femmes et les artistes ont payé le prix fort. Jafar PANAHI a fait sept mois de prison peu de temps après avoir achevé son film et une fois libéré, a pu se rendre en France alors qu'il n'avait plus le droit de sortir d'Iran depuis 14 ans. Cet aspect carcéral et sans perspectives pèse de tout son poids dans "Aucun ours". Jafar PANAHI s'y met en scène dans son propre rôle, celui d'un cinéaste obligé de se cacher dans un village reculé proche de la frontière turque pour pouvoir tourner à distance. Mais les aléas de la connexion internet entravent son projet. Surtout, il se retrouve au coeur d'un imbroglio avec les villageois persuadés qu'il a pris une photo prouvant qu'une jeune fille promise depuis sa naissance à un des hommes du village est amoureuse d'un autre. Evidemment Jafar PANAHI refuse de laisser son art se faire instrumentaliser par ces mentalités patriarcales d'un autre âge. Le parallèle entre sa situation et celle du couple clandestin est donc souligné à travers les mises en abyme que Jafar PANAHI aime mettre en scène et ce jusqu'à l'exil impossible qui trace une voie sans issue ce qui n'empêche pas les traits d'humour comme "politesse du désespoir".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.