C'est avec un grand plaisir que j'ai découvert le premier film de Jean-Paul RAPPENEAU qui a bénéficié d'une remarquable conjugaison de talents (Alain CAVALIER et Claude SAUTET au scénario, Michel LEGRAND à la musique, Pierre LHOMME à la photographie sans parler du casting trois étoiles) sans que pour autant il se noie dedans. En effet on retrouve dans cette pétillante comédie le sens du rythme et du mouvement du réalisateur de "Cyrano de Bergerac" (1990). "La vie de château" transpose dans un contexte franco-français la comédie hollywoodienne sophistiquée à la Ernst LUBITSCH (on pense à "To Be or Not to Be" (1942) forcément, vu le thème) et la screwball comédie à la Howard HAWKS. Outre son rythme trépidant, "La vie de château" est une comédie du remariage tout à fait dans la lignée de celles analysées dans le livre de Stanley Cavell. Une comédie dans laquelle un homme plutôt pantouflard joué par Philippe NOIRET va devoir sortir de sa réserve (au propre et au figuré) pour reconquérir sa femme (Catherine DENEUVE) qui s'ennuie et qui est convoitée à la fois par un héros de la résistance et par un officier allemand. Le film est en effet précurseur en osant traiter la seconde guerre mondiale - sujet encore sensible au milieu des années 60 - sur le ton de la comédie, près d'un an avant "La Grande vadrouille" (1966)*. Bien aidé par des seconds rôles truculents (Pierre BRASSEUR dans le rôle du beau-père fermier et Mary MARQUET dans celui de la mère châtelaine sont irrésistibles), le film raconte la métamorphose d'un planqué en héros au moment crucial du débarquement anglo-américain du 6 juin 1944. Un rôle qui en préfigure un autre pour Philippe NOIRET mais sur un mode tragique: celui de Julien Dandieu dans "Le Vieux fusil" (1975). Quant à Catherine DENEUVE, s'il peut paraître étonnant de la voir jouer dans un registre convenant mieux a priori à sa soeur, Francoise DORLEAC (qui avait été d'abord pressentie), elle a pu mettre en avant une élégance naturelle et un débit mitraillette n'ayant rien à envier à une Rosalind RUSSELL. Le générique de début, montage de photos du visage ou de parties du visage de l'actrice par Walerian BOROWCZYK l'élève déjà au rang de mythe alors qu'elle n'en était qu'au début de sa carrière.
* Les deux films sont sortis la même année mais "La vie de château" en janvier et "La grande vadrouille" en décembre.
Personnellement, j'ai trouvé "Le Plein de super", échec commercial à sa sortie qu'aujourd'hui les critiques tentent de réhabiliter bourré de défauts: personnages en roue libre, acteurs peu charismatiques (sauf Etienne Chicot et Patrick Bouchitey mais ce dernier est sous-employé), scénario ectoplasmique et incohérent (conçu par les acteurs et le réalisateur), dialogues pipi-caca-prout-poils-queue, laideur des images, provocations qui tombent à plat de par leur aspect régressif plutôt que transgressif etc. Dire que l'amitié entre les quatre passagers de la Chevrolet se construit peu à peu comme j'ai pu le lire est faux. On passe sans transition d'une situation de cohabitation forcée à une camaraderie de chambrée dont on sent qu'elle ne date pas d'hier (et pour cause, il s'agit de celle des quatre acteurs, tous issus du cours Simon). La vraisemblance est remisée au vestiaire de même que toute forme d'enjeu dramatique.
Cette grosse déconnade entre potes rivalisant de médiocrité et de trivialité dans leur vie comme dans leur propos a au moins permis à Alain Cavalier de se lâcher après des années à se coltiner un cinéma au classicisme formaté. S'il y a un vent de liberté dans le film, c'est dans ses expérimentations formelles, d'autant que le choix du road-movie dans le contexte des seventies fait penser à "Easy Rider" (le choix du modèle de voiture dans lequel voyage les quatre amis -une grosse Chevrolet- n'est pas innocent non plus). Le problème est que si tout le monde semble bien prendre son pied sur le tournage (le cannabis n'a-t-il circulé que dans le film? J'en doute), il oublie de le communiquer au spectateur même si certains y trouveront leur compte. D'autres atteindront vite les limites de ce qu'ils peuvent supporter en matière de beauferie autosatisfaite.
"Le Combat dans l'île", premier film de l'ex-assistant de Louis Malle, Alain Cavalier (que personnellement, j'ai découvert avec "Thérèse" dans les années 80) raconte dans un style qui n'est pas sans rappeler "Ascenseur pour l'échafaud" (c'est à dire très fortement influencé par le film noir américain), la dérive criminelle et autodestructrice d'un jeune fasciste, membre d'un groupuscule d'extrême-droite terroriste que le contexte du tournage permet d'identifier comme étant l'OAS. Néanmoins le film se réfère encore davantage à la seconde guerre mondiale et à sa guerre de civilisation entre les valeurs républicaines universalistes et celles des nationalistes identitaires obsédés par "la décadence de l'occident". On voit avec quelle clairvoyance, Alain Cavalier met le doigt sur une fracture française qui perdure aujourd'hui (d'ailleurs le mentor de Clément, Serge n'est pas sans rappeler un certain Eric Zemmour, aussi bien dans son apparence que dans son discours). Parallèlement à cette trame politique, Alain Cavalier se fait le portraitiste de Clément (joué par un Jean-Louis Trintignant glaçant), ce sinistre fils d'industriel psychorigide adepte d'une culture de mort maquillée en code d'honneur. Le meilleur révélateur de la véritable nature de Clément est sa femme, Anne (jouée par Romy Schneider au début de sa carrière française) qu'il détruit à petit feu à force de possessivité et de jalousie. Cela va même au-delà puisqu'il devient violent dès qu'elle manifeste une quelconque spontanéité (qui contraste avec sa rigidité morbide). L'histoire du film est donc autant celle de la folie de Clément que celle de l'émancipation d'Anne qui finit par échapper à son emprise et à se reconstruire, devenant même un modèle pour Cécile (Diane Lepvrier), jeune provinciale encore sous la férule de son père qui travaille comme cuisinière chez Paul, l'ami de jeunesse de Clément à la sensibilité politique opposée à la sienne. Dommage que celui-ci (joué par Henri Serre) censé incarner la résistance face à Clément soit un peu trop en retrait en dépit de la spectaculaire scène de fin qui donne son titre au film. Quelques lourdeurs dans la narration (par exemple la manière dont Clément apprend qu'il a été trahi) sont compensées par la densité du récit qui tient en haleine, une mise en scène épurée et une très belle photographie signée Pierre Lhomme. De plus le narrateur est Jean Topart dont j'adore la voix.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.