La Cité des enfants perdus
Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet (1995)
Jean-Pierre JEUNET et Marc CARO avaient commencé à travailler sur "La Cité des enfants perdus" dès le début des années 80 mais par manque de budget, ils avaient été contraints de le remiser au placard au profit d'un film plus modeste mais génial, "Delicatessen (1990)". Son succès permis aux deux réalisateurs de concrétiser leur projet pharaonique qui pourtant s'avéra être pour moi une déception à sa sortie. Et depuis, je n'ai pas changé d'avis:
"La Cité des enfants perdus" souffre en effet de plusieurs défauts rédhibitoires qui en font une belle coquille vide:
- Un défaut de construction d'ensemble. Le scénario manque de substance et de lisibilité.Jean-Pierre JEUNET et Marc CARO semblent d'ailleurs s'en désintéresser et l'utiliser comme prétexte pour étaler leur savoir-faire technique. Cette absence de vraie histoire pèse aussi bien sur le rythme que sur la direction des acteurs. Dans les détails en revanche, le film fait mouche avec une accumulation d'idées visuelles géniales dont les deux compères ont le secret. Par exemple l'hommage à "Freaks/La Monstrueuse parade (1932)" de Tod BROWNING avec l'accumulation de phénomènes de foire, notamment la fumée absorbée par la bouche de l'une des soeurs siamoises et qui sort de la narine de l'autre, les sept Dominique PINON ou encore les cauchemars à base de mutations humaines effrayantes (vieillissement/rajeunissement accéléré, clonage...)
- Un défaut dans la conception des personnages. Il y a beaucoup de personnages dans "La Cité des enfants perdus" mais on a du mal à les cerner, peut-être tout simplement parce qu'ils sont mal définis. Certains ne font que de traverser l'écran et on se demande à quoi ils servent (à caser la bande de fidèles acteurs du duo peut-être? Mais si c'est pour voir Ticky HOLGADO, RUFUS ou Jean-Claude DREYFUS quelques minutes dans des rôles inexistants, ce n'est pas la peine). D'autres disparaissent sans raison au milieu du film (la secte fascisante des cyclopes). Quant aux personnages principaux de One et Miette, ils sont non seulement mal définis mais mal interprétés. Ron PERLMAN n'étant pas francophone, il a du mal à prononcer son texte appris phonétiquement et encore plus, à l'incarner. Quant à la petite Judith Vittet, elle n'articule pas non plus et sort son texte d'un ton monocorde en tirant la tronche ce qui la rend antipathique. De plus, comment peut-on croire un seul instant qu'elle joue le rôle d'une orpheline miséreuse et exploitée alors qu'elle est vêtue d'un costume signé Jean-Paul Gaultier (bon certes, il y a un rapport avec l'univers marin mais pour le reste, c'est hors-sujet).
- Le cruel manque d'humanité de l'ensemble. On voit bien que ce qui a compté au détriment de tout le reste, c'est l'image qui claque. Les "gueules", le joli minois de la petite Miette, sa robe rouge jurant avec la couleur verdâtre prédominante, l'esthétique steampunk à base de plomberies géantes et suintantes, les objets de brocanteur répandus dans tous les coins, les effets spéciaux et images de synthèse habilement intégrés dans un décor réel. Jean-Pierre JEUNETet Marc CARO ont juste oublié qu'ils ne faisaient pas un clip ou une pub mais un film où l'empreinte humaine est indispensable. A trop multiplier les effets, ils ont oublier de donner chair à leur film, trop froid, trop désincarné. C'est d'ailleurs peut-être ce dernier reproche qui a poussé Jean-Pierre JEUNET à réaliser par la suite "Le Fabuleux destin d Amélie Poulain (2001)", film tout aussi autistique que "La Cité des enfants perdus" mais où l'humanisation des personnages et leur désir d'ouverture sur l'extérieur constitue une énorme bouffée d'air frais.