Le premier "Terminator" était déjà une réussite qui allait bien-au delà de son genre initial de blockbuster d'action et de science-fiction pour proposer un récit à la résonance universelle plongeant dans les grandes angoisses collectives de l'humanité. James CAMERON a élaboré une suite qui reprend le même canevas mais en change les paramètres. Le canevas, rappelons-le, c'est le syndrome de Frankenstein de la créature qui se retourne contre son créateur, le paradoxe du grand-père consistant à remonter le temps pour éliminer à la racine une engeance ennemie et le paradoxe de l'écrivain consistant également à remonter le temps pour expliquer à une personne des actes ou des événements qu'elle n'a pas encore commis ou connus. James CAMERON élargit ce concept dans son deuxième film qui forme une boucle temporelle avec le premier. En effet on y découvre que ce sont les restes du robot T-800 détruits par Sarah Connor (Linda HAMILTON) à la fin du premier Terminator qui ont servi de base à la mise au point de l'IA ayant déclenché l'apocalypse nucléaire, puis la guerre des machines contre la résistance humaine. Par conséquent cet effet de boucle temporelle ne peut qu'entraîner la répétition du même schéma de transposition d'une guerre du futur dans le passé: l'envoi d'un second Terminator plus élaboré que le premier (un T-1000) pour détruire John Connor avant qu'il ne devienne adulte et par effet miroir, d'un protecteur chargé de contrecarrer ses desseins par John Connor lui-même. La différence avec le premier film, c'est qu'au lieu d'envoyer son propre père, John Connor envoie un robot, plus précisément le T-800 reprogrammé. Ce qui s'avère être un coup de maître, tant sur le plan scénaristique que sur le plan humain. Sur le plan scénaristique car le T-800 n'est pas seulement chargé d'éliminer le T-1000, il a également pour mission de détruire toute trace de son passage, tant dans le premier film que dans le second, bref de s'anéantir lui-même. Une problématique que traitait également la saga "Retour vers le futur" aboutissant logiquement à la destruction de la DeLorean. Mais James CAMERON nimbe ce scénario d'humanité. Le T-800 reprogrammé dans une mission d'autodestruction mais aussi de protection peut de son propre aveu évoluer au contact des humains -ce que permet sa nature de cyborg- et plus le film avance, plus il gagne en humanité au contact de John enfant (Edward FURLONG). Leurs dialogues se rapprochent de nombre d'oeuvres où les robots se posent des questions sur leur propre nature. Et à l'inverse Sarah Connor remarque qu'il représente un père de substitution plus efficace que tous les humains à qui elle a tenté de donner ce rôle: troublant. Pour Arnold SCHWARZENEGGER, c'est l'occasion d'endosser un rôle de personnage positif (même si habilement le doute plane un certain temps sur son rôle exact), émouvant et drôle avec des répliques devenues cultes comme le "hasta la vista baby". Enfin on ne peut pas évoquer cet opus sans parler de la performance technologique incroyable attachée au T-1000 (Robert PATRICK). Incroyable parce qu'au service encore une fois du récit et complètement en harmonie avec l'univers cameronien. Le T-1000 fait de métal liquide et qui ressemble à l'état brut à une boule de mercure est un incroyable métamorphe qui peut changer de forme comme d'état (solide ou liquide) à sa guise. Seules les températures extrêmes peuvent avoir raison de lui et encore, à condition de l'y maintenir. L'obsession cameronienne pour l'eau trouve dans ce film l'une de ses expressions les plus achevées et les plus marquantes.
Contrairement au deuxième film dont j'ai un souvenir très précis, je n'étais pas sûre d'avoir déjà vu le premier "Terminator". Il faut dire que celui-ci a été si souvent cité, parodié, recopié qu'il est impossible de ne pas avoir été imprégné de sa mythologie. Laquelle remonte aux origines de l'humanité si l'on considère que les robots sont des avatars de la créature du docteur Frankenstein, lui-même qualifié de Prométhée moderne. On remarque également que comme son contemporain "Blade Runner" (1982), le film se situe dans un contexte post-apocalyptique et comme un autre de ses contemporains, "Retour vers le futur" (1985), il traite du voyage dans le temps. Autant de thèmes classiques de la science-fiction que James CAMERON s'approprie pour en donner une vision personnelle. L'exposition qui lui est consacrée à la Cinémathèque montre la reproduction d'un dessin de sa composition issu d'une de ses visions cauchemardesques dans lequel on voit le robot réduit à son ossature mécanique surgir au milieu des flammes. En effet la progression de l'intrigue s'accompagne de la révélation progressive de la véritable nature du Terminator, d'abord androïde d'apparence humaine mais sans émotions, puis cyborg révélant par endroits sa structure métallique sous une fine couche de tissus organiques, puis robot réduit à cette structure et enfin, amas de ferraille encore capable de poursuivre sa proie. C'est que la métamorphose est au coeur du travail de James CAMERON ce qui se poursuivra avec le métamorphe tout de métal liquide de "Terminator 2 : Le Jugement dernier" (1991). De plus le scénario de "Terminator" a d'importants points communs avec celui de "Titanic" (1997). Les deux films ont pour personnage principal une héroïne en proie à un monstre d'acier qui veut la broyer. Monstre dont la dimension métaphorique ne doit pas échapper à un oeil averti (l'Apocalypse dans "Terminator", le système de castes et la première guerre mondiale dans "Titanic"). Elle reçoit alors l'aide d'un chevalier servant sorti du néant qui se sacrifie pour qu'elle puisse accomplir son destin et changer le futur. Les gros muscles et la mâchoire carrée de Arnold SCHWARZENEGGER ne doivent pas faire oublier qu'il n'est dans le film qu'une machine à tuer et que c'est Sarah Connor (Linda HAMILTON) qui connaît l'évolution la plus saisissante. De jeune femme ordinaire qui galère dans son boulot de serveuse, on la voit sous l'effet de la situation extraordinaire dans laquelle elle se retrouve plongée révéler son vrai caractère, celui d'une guerrière qui peu à peu s'émancipe de l'homme venu à son secours et trouve l'issue par elle-même. Les films de James CAMERON bouleversent la hiérarchie de genre à laquelle nous sommes habitués en mettant la femme au premier plan et en faisant de l'homme son adjuvant, l'ennemi à abattre n'étant lui pas de nature humaine.
"Aliens, le retour" est une suite réussie de "Alien, le huitième passager" (1979). James CAMERON qui était alors au début de sa carrière établit des éléments de continuité avec le chef d'oeuvre de Ridley SCOTT tout en développant son style propre. Si l'on retrouve donc une grande quantité d'éléments faisant écho au premier film (personnages, objets, plans, éléments de mise en scène dont une dernière demi-heure de climax particulièrement prenante se terminant par l'explosion non d'un vaisseau mais d'une planète et l'expulsion de l'alien caché du vaisseau de secours), on a affaire ici à une version XXL spectaculaire remplie d'action et d'effets spéciaux qui fait plus penser à un film de guerre SF du type "Starship Troopers" (1997) qu'au huis-clos anxiogène intimiste du premier volet. Mais James CAMERON a un véritable talent pour jouer sur les échelles. Il ne perd jamais de vue son personnage principal et lui donne même une ampleur qu'il n'avait pas chez Ridley SCOTT. Avec James CAMERON, Ripley (Sigourney WEAVER) devient l'un de ces personnages féminins particulièrement forts qu'il affectionne. Et si le titre du film de Cameron est au pluriel (car de même que les protagonistes humains, le nombre d'aliens à combattre est démultiplié), Ripley se retrouve à livrer un duel avec la reine-mère des aliens et l'un des enjeux du film se focalise sur la maternité (il y a quelque chose de "L'origine du monde" jusque dans le titre). L'exploration de l'espace dans le premier film cède ici la place à sa colonisation avec le même cynisme des dirigeants consistant à envoyer au casse-pipe les citoyens ordinaires pour s'emparer de terres et de spécimens extra-terrestres afin on l'imagine de les transformer en machines de guerre à leur service. C'est contre cette monstruosité que s'insurge Ripley qui défend toujours l'humain contre les intérêts géopolitiques ou militaires. Dans le premier film, elle affrontait Ash, le robot androïde scientifique programmé par la compagnie pour ramener l'alien. Dans le deuxième, elle affronte son avatar, Burke (qui bien que fait de chair et de sang est bien moins humain que le robot androïde les accompagnant, Bishop. Cameron souligne à plusieurs reprises que les robots sont à l'image des humains qui les créent). C'est pourquoi le combat de Ripley contre la reine-mère alien peut se lire à plusieurs niveaux. Au premier degré, il s'agit de sauver Newt, la seule survivante de la colonie que Ripley adopte comme une fille de substitution (sa fille biologique étant décédée sans descendance au cours des 57 ans que Ripley a passé à dériver dans l'espace en hyper-sommeil entre le premier et le deuxième film). Au second, ce combat a pour enjeu l'avenir de l'humanité car si en tant que femme et mère, Ripley n'agit pas, sa destruction est programmée. Une vision des années 80 toujours aussi pertinente de nos jours.
Bientôt 20 ans que ce film-événement, ce monument cinématographique est sorti et depuis il n'a pas vraiment été détrôné. Quel film aussi récent en effet peut se targuer d'avoir produit à sa sortie de telles files d'attente (du moins en France), et eu à plus long terme un tel impact sur l'imaginaire collectif? "I'm the king of the world" a ainsi succédé à "Je suis ton père" dans les phrases les plus pastichées de l'histoire du cinéma et Rose et Jack sont devenus un couple aussi mythique que Romeo et Juliette.
Ce film ressemble à un conte: une histoire en apparence très simple derrière laquelle se cachent à l'image des différents étages du bateau de multiples niveaux de lecture. Les contes de fée ont été psychanalysés par Bruno Bettelheim. On peut faire la même chose avec "Titanic". D'autant que le film qui commence de nos jours et offre un point de vue scientifique et détaché s'incarne à partir du moment où il entre dans la mémoire vivante de Rose. C'est donc une expérience humaine et charnelle que va retranscrire le film derrière l'événement historique à grand spectacle. Celle de Rose et derrière elle, celle de Cameron tant les thèmes de "Titanic" s'inscrivent dans la continuité de son œuvre.
Le film évoque le basculement d'un monde à un autre. L'Europe du XIXeme marquée par les castes imperméables cède sa place au triomphe de l'Amérique du XXeme, sa société de classes plus mobile et son melting pot. Parallèlement, c'est aussi un film sur le basculement d'un état à un autre. Celui d'une mort programmée à celui d'une renaissance via un accouchement dans le ventre du bateau. Rose DeWitt Bukater est une sorte d'Iphigénie moderne. Elle doit être sacrifiée sur l'autel d'un mariage arrangé pour que sa caste moribonde trouve un nouveau souffle (financièrement parlant). En attendant, elle est ligotée et enchaînée à sa mère qui veille au grain (et pas seulement lors de la scène symbolique du serrage de corset en forme de redressage de bretelles). Mais Rose tient davantage de l'animal indomptable que du frêle agneau. Pressentant d'instinct que ce bateau pourrait devenir son tombeau, elle cherche à le quitter en sautant à l'eau. Un acte désespéré qui lui permet de rencontrer Jack dont on peut dire qu'il symbolise l'Eros c'est à dire sa pulsion de vie face à Thanatos, sa pulsion de mort symbolisée par l'eau sombre de l'océan. Jack le vagabond, libre comme l'air avec qui elle retrouve le goût de vivre et la force de se rebeller. Il l'entraîne toujours plus loin dans les entrailles du navire (d'elle-même) jusqu'à la scène de la voiture qui ressemble à un accouchement dans le sens ou elle symbolise la séparation d'avec sa mère: Rose DeWitt Bukater devient Rose Dawson. C'est juste après cette scène que le navire heurte l'iceberg, commence à prendre l'eau et au terme d'un lent engloutissement, finit par se casser en deux parties avant de sombrer au fond de l'océan.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.