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Articles avec #bunuel (luis) tag

Viridiana

Publié le par Rosalie210

 Luis BUÑUEL (1961)

Viridiana

"Viridiana" raconte l'histoire d'une jeune nonne puritaine et idéaliste qui doit avant de prononcer ses voeux sortir de son couvent et se confronter à la réalité du monde. Elle en verra de toutes les couleurs mais surtout de la plus noire tant et si bien qu'elle en sortira transformée à jamais par son expérience. Luis BUÑUEL utilise ce parcours initiatique pour dynamiter au passage les valeurs et les institutions traditionnelles et tout particulièrement la famille et la religion. Et il le fait avec un art de la composition visuelle qui amortit quelque peu la galerie des horreurs et autres perversions qu'il met en scène. Ainsi dans la première partie du film, celle dans laquelle Viridiana tombe dans les griffes de son oncle concupiscent mais surtout nécrophile, fétichiste et incestueux, on est dans une atmosphère de conte qui rappelle fortement "La Belle et la Bête" (1945) pour l'esthétique et "Peau d'âne" (1970) pour la thématique avec un arrière-plan morbide proche de "Vertigo" (1958). La deuxième partie où la charité chrétienne que dispense Viridiana aux mendiants du coin fait paradoxalement exploser leur bestialité s'articule quant à elle autour d'une orgie dont le "clou" est la parodie du tableau de Léonard de Vinci "La Cène". Cela a beau être parfois outrancier et démonstratif, l'aspect blasphématoire et iconoclaste a beau s'être émoussé avec la sécularisation des sociétés (européennes du moins), il n'en reste pas moins que le film charrie des images fortes et que sa satire sociale au vitriol qui n'épargne rien ni personne impressionne. On imagine ce que cela a dû être à sa sortie, le film ayant reçu la Palme d'Or à Cannes mais ayant été condamné par le Vatican et censuré en Espagne jusqu'en 1977. Le film, tourné en pleine Espagne franquiste (on se demande encore comment cela a pu être possible) a d'ailleurs été dénationalisé jusqu'en 1983.

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Él (Tourments)

Publié le par Rosalie210

Luis BUÑUEL (1953)

Él (Tourments)

"El", le seul film de Luis BUÑUEL que j'ai vu dans ma jeunesse relie la maladie mentale d'un individu à la pathologie de la société qui l'a forgé. Une société patriarcale et misogyne dont l'héritage se fait toujours sentir dans notre société moderne et sécularisée. "El" qui appartient à la période mexicaine de son auteur étudie de façon clinique la progression inexorable de la folie de son personnage principal, Francisco Galvan de Montemayor (Arturo de CÓRDOVA), un bourgeois catholique fervent qui s'éprend des pieds d'une femme belle et pieuse, Gloria (Delia GARCÉS), un fétichisme qui souligne d'entrée qu'elle ne sera pour lui qu'un obscur objet de désir. Obscur objet car morcelé comme le célèbre tableau de Georgette Magritte et donc réduit à un désir de possession impossible à assouvir, le corps formant un tout vivant et insaisissable. C'est à ce moment-là que l'obsession de Francisco à conquérir et posséder sa future femme rejoint son obsession tout aussi vaine à reprendre possession du domaine de ses ancêtres, patrimoine et patriarcat ne faisant ainsi plus qu'un dans la pathologie que développe le personnage vis à vis du réel. Pathologie qui se manifeste d'abord dans le refus de toute intrusion allant dans le sens contraire à ses désirs: les avocats qui tentent de lui faire comprendre qu'il n'a aucune chance de gagner son procès contre les propriétaires des biens ayant appartenu à sa famille sont aussitôt congédiés, les "fâcheux" qui s'interposent entre sa femme et lui sont esquivés puis repoussés de façon musclée. Mais cet aspect plutôt comique du comportement délirant du personnage se transforme rapidement en enfer pour son épouse, soumise à une emprise tyrannique dont les manifestations s'avèrent hélas toujours d'actualité: jalousie, paranoïa, séquestration, maltraitances physiques et psychologiques ayant pour but de briser la personnalité et de placer l'individu sous le contrôle total du tyran qui peut ainsi y déverser ses fantasmes pervers les plus refoulés. Un comportement de "meurtrier impuissant" qui rejoint de manière frappante les pulsions morbides de Scottie dans "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK, lui qui ne peut aimer qu'une morte. La scène du clocher établit une parenté frappante entre les deux films alors que la relation entre Francisco et Gloria évoque outre Alfred Hitchcock, "Gaslight" (1943) de George CUKOR. Enfin la folie de Francisco ne peut être séparée de son contexte, celui d'un puritanisme religieux misogyne (comme l'ensemble de la société) mais contre lequel il finit par se retourner lors d'une scène d'hallucination paranoïaque saisissante.

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L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1962)

L'Ange exterminateur (El Angel exterminador)

"Qui veut faire l'ange fait la bête", l'expression de Blaise Pascal est parfaitement appropriée pour parler de l'un des plus célèbres films de Luis BUÑUEL. Dix ans avant "Le Charme discret de la bourgeoisie" (1972), il cible déjà cette classe située au sommet de l'échelle sociale pour mieux la faire chuter de son piédestal. Le tout avec force métaphores religieuses (le titre, tiré de l'Apocalypse mais aussi les premières et dernières images ainsi que les agneaux qui traversent l'écran et font penser à l'agnus dei) mais aussi politiques et sociales. La séquence d'introduction sépare en effet les personnages en deux camps très nets. D'un côté les domestiques qui n'ont qu'une idée, se tirer à temps de ce qu'ils sentent instinctivement être un guêpier et sur lesquels les ordres des bourgeois n'ont aucun effet. Idée jouissive (et juste): la nécessité de sauver sa peau l'emporte sur l'ordre social. De l'autre les bourgeois qui tournent tellement en rond (comme le montre la répétition de certaines scènes) dans leur tout petit monde qu'ils finissent coincés à l'intérieur d'un salon avec le majordome (qui bien que chef des larbins paye ainsi le fait d'être toujours l'imitateur le plus zélé des maîtres). Il n'y a pourtant aucun obstacle visible qui les empêche de sortir de l'espace réduit dans lequel ils (se?) sont confinés. Mais le fait est qu'ils sont incapables de franchir la limite qui sépare le salon de la salle à manger qui communique vers le monde extérieur alors que celui-ci est au contraire incapable d'y entrer. C'est comme si les deux mondes (celui de la bourgeoisie et celui du peuple) s'étaient déconnectés physiquement l'un de l'autre. S'ensuit une étude satirique de ces hommes et de ces femmes dont on suit l'inexorable et humiliante déchéance, d'autant plus saisissante qu'ils sont parés pour aller à l'opéra. Mais la faim, la soif, la promiscuité, l'inconfort, la saleté ont rapidement raison de leur vernis de civilisation. Plus les jours passent, plus l'animalité de ces gens qui se croyaient au-dessus du commun des mortels ressort. C'est la bousculade pour un verre d'eau; les agissements lubriques de certains hommes sur les femmes pendant leur sommeil; les hallucinations qui s'emparent des esprits; les propos d'un des confinés sur sa congénère qui rompt le silence tacite en proclamant "qu'elle sent la hyène"; les animaux égorgés, cuits et mangés à même le sol du salon avec le bois des meubles et des instruments de musique; l'apparence de plus en plus négligée; les besoins naturels assouvis dans les placards quand ils ne servent pas à enfermer les cadavres; les pulsions de lynchage sur le maître de maison, accusé d'être la cause de l'impasse dans laquelle s'est enfermée la communauté. Et si l'une de ses membres parvient à briser le maléfice en utilisant un énième mécanisme de répétition, le piège se referme à nouveau un peu plus tard, cette fois dans une église. Quand on voit la date du film (1962), le comportement d'insubordination des domestiques et la séquence dans laquelle les bourgeois observent un ours se promener dans la salle à manger où ils ne peuvent pénétrer eux-mêmes, il n'est pas absurde d'accréditer la thèse selon laquelle cet ours pourrait représenter l'URSS étant donné que le communisme est sans doute le pire cauchemar que pouvaient éprouver les bourgeois à l'époque. Mais le film montre surtout leur déconnexion du réel et leur dépendance vis à vis du peuple qui lui à l'inverse peut parfaitement se passer d'eux. A méditer donc.

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Mauprat

Publié le par Rosalie210

Jean Epstein (1926)

Mauprat

Premier film indépendant de Jean EPSTEIN, "Mauprat" est-il vraiment dans la "continuité" de ceux qu'il a tourné pour les studios Albatros? A mon avis ce n'est pas le terme exact. "Mauprat" est davantage un film de transition entre ses films "commerciaux" et ses films "expérimentaux". Une catégorisation qui a d'ailleurs ses limites. Deux de ses plus beaux films, "Coeur fidèle" (1923) et "La Chute de la maison Usher" (1928) se basent sur une trame fantastique ou mélodramatique issue d'un matériau populaire (le roman de Poe étant lui-même issu d'un fait divers) tout en étant de magnifiques poèmes visuels. Sans atteindre ce niveau, "Mauprat" ne mérite pas d'être cataloguée comme une oeuvre mineure (d'autant qu'on retrouve un certain Luis BUÑUEL en tant qu'assistant-réalisateur). S'il y a parfois quelques baisses d'inspiration dans la mise en scène, si quelques passages paraissent répétitifs et l'interprétation, inégale cela n'a au final qu'un effet marginal sur l'ensemble. Le montage dynamique tient en haleine, la mise en scène expressionniste fait des merveilles que ce soient les gros plans sur les visages voire les yeux ou bien ceux, animistes, sur des arbres dont les frémissements font écho à la peur croissante de la jeune Edmée ou encore des inserts comme celui d'un chien qui regarde partir son maître avec la gravité d'un visage humain. Le soin apporté à la reconstitution historique et surtout le choix de décors naturels splendides (pour l'anecdote le village de Sainte-Sévère est celui dans lequel Jacques TATI tournera "Jour de fête") (1947) et pertinents par rapport au roman d'origine donnent un véritable cachet au film. Enfin, celui-ci donne envie de lire (ou de relire) le roman de George Sand dont il donne une version simplifiée mais fidèle. Car l'oeuvre d'origine s'avère très intéressante sur plus d'un point. On y trouve d'abord une certaine inversion des genres. L'héroïne, Edmée (Sandra MILOWANOFF), active et décidée joue le rôle du héros, protégeant et sauvant au moins à deux reprises la vie de son cousin Bernard (Nino CONSTANTINI qui avait déjà joué pour Jean Epstein au sein des studios Albatros), la "demoiselle en détresse" pâle, triste et assez passif. Ensuite ce même Bernard qui est orphelin se retrouve tiraillé entre deux modes de vie qui sont présentés de façon non manichéenne et dont Jean Epstein tire un remarquable parti. En effet ses deux oncles (que Jean Epstein a confié au même acteur, Maurice SCHUTZ, soulignant ainsi assez génialement leur gémellité) se disputent son éducation. L'aîné, Tristan qui est à la tête d'une tribu de brigands l'a élevé comme un sauvage alors que le cadet, Hubert veut le civiliser, condition sine qua non pour qu'il soit digne d'obtenir la main de sa fille Edmée. Pourtant la civilisation telle que l'expérimente Bernard s'avère être une sinistre prison de conventions aussi étouffante que son nouveau costume de petit marquis (qui d'ailleurs fait disparaître sa singulière beauté) au point que dans l'une des plus belles séquences du film, tournée en caméra subjective, il prend le large dans son ancienne défroque afin d'éprouver à nouveau la liberté de l'état de nature rousseauiste dont il est privé.

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Tristana

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1970)

Tristana

Voilà un film  décrivant la relation tordue (au sens figuré et au sens propre) unissant un patriarche et sa pupille qui m'a fait penser à la fois à du Cronenberg et à du Fassbinder. Pour ce qui est du premier, j'ai pensé à son obsession fétichiste pour les blessures et les mutilations. Et le second dans son glaçant "Martha" dépeint parfaitement comment un homme réussit à placer sa femme sous son emprise totale lorsqu'après un accident, elle se retrouve en fauteuil roulant.

La jeune et pure Tristana (jouée par la virginale Catherine Deneuve qui la même année incarnait la princesse dans "Peau d'Ane") est donc la prisonnière d'un ordre patriarcal dont on vient juste de redécouvrir que sa manifestation la plus évidente est l'inceste. Pourtant les vieux barbons intriguant pour épouser leur pupille peuplent les pièces de Molière et il il y treize ans, l'affaire Fritzl défrayait la chronique, inspirant un roman justement intitulé "Claustria". Le même sort est réservé à Tristana, enfermée dès le premier plan à l'intérieur des murailles de Tolède sous surveillance d'une "duègne" puis confinée chez son tuteur-amant-mari (Fernando Rey, habitué chez Buñuel aux rôles de vieux beaux appâté par les plus jeunes et belles actrices françaises de l'époque) lequel a mis des barreaux à sa fenêtre (comme dans "Mustang", autre film sur l'enfermement pré-nuptial des jeunes filles) puis clouée à un fauteuil roulant ou obligée de marcher en claudiquant avec des béquilles. Pas étonnant que devant une telle destinée, la belle et innocente jeune fille se mue en femme aigrie et haineuse d'autant que son tuteur lui a enseigné de beaux principes progressistes (voire libertaires) en contradiction flagrante avec son comportement.

Mais en bon surréaliste qu'est Luis Buñuel, il se pourrait bien que le film ne soit qu'un rêve ou plutôt un cauchemar éprouvé par la jeune femme. La tête tranchée de son tuteur apparaissant à intervalles réguliers et surtout le rembobinage final s'achevant sur un plan presque identique à celui qui débute le film -presque mais pas tout à fait car une ouverture s'y fait jour ainsi qu'une prise de distance salvatrice- plaide en ce sens. Le fait que le film soit tourné dans une Espagne franquiste à bout de souffle laisse à penser qu'il existe une autre voie que l'assassinat ou l'autodestruction pour parvenir à se libérer du joug oppresseur. 

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Cet obscur objet du désir

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1977)

Cet obscur objet du désir

Bien que le dernier film de Luis BUÑUEL soit adapté de l'oeuvre de Pierre Louÿs, "La Femme et le pantin", il échappe fort heureusement au manichéisme du pauvre type manipulé par une garce aux deux visages (la cérébrale Carole BOUQUET partageant le rôle avec la sensuelle Ángela MOLINA). Toute sa modernité réside dans ce qui fait l'identité si particulière du cinéma de Luis BUÑUEL: les fulgurances surréalistes qui donnent à son cinéma un caractère résolument subversif. En effet ce titre magnifique a été souvent repris pour qualifier les désirs indésirables dans la société traditionnelle que dépeint Luis BUÑUEL. Par exemple dans "Middlesex", Jeffrey Eugenides rend hommage au cinéaste espagnol en donnant un titre approchant ("l'obscur objet") au chapitre dans lequel Calliope qui est hermaphrodite mais élevé comme une fille découvre son désir pour les filles. Le film de Luis BUÑUEL a toutes les apparences de la comédie bourgeoise bon teint sauf que le temps où le patron troussait les petites bonnes dans les coins avec la bénédiction des institutions (symbolisées par une mère de famille, un magistrat et un psy) se heurte ici à un os. Il ne peut même plus l'acheter alors que c'est un comportement extrêmement répandu encore de nos jours (le viol aussi hélas qui reste la traduction des rapports de domination d'âge, de sexe et de classe, les trois étant réunis dans le film). En une scène lapidaire, Conchita démontre à Mathieu (Fernando REY) que sa servitude n'est qu'un rôle dont elle peut se débarrasser quand elle le souhaite. Non qu'elle refuse son argent (sa mère qui fait très maquerelle n'attend visiblement que ça d'être entretenue par un vieux beau par procuration) mais en revanche elle refuse la soumission qui va avec. Bref: le rôle social que l'on attend d'une femme soit adoubé sous la forme du mariage ("la maman") soit vilipendé quand il s'agit de satisfaire ses bas instincts ("la putain"). D'un bout à l'autre du film, à chaque fois que Mathieu croit enfin "posséder" Conchita (terme révélateur), elle lui échappe, l'obsédant ainsi toujours un peu plus. Car ce que Conchita attend réellement de lui, il ne peut le lui donner, prisonnier de son rôle de macho qui comme je l'ai lu dans "L'intelligence du coeur" de Isabelle Filiozat prétend adorer les femmes mais s'avère incapable d'en aimer une seule, à commencer par être capable d'écouter son désir à elle (le désir féminin, ce continent encore largement obscur tant il fait peur aux mâles dominants). La preuve, il ne fait même pas attention au fait que sa Conchita est interprétée par deux actrices très différentes comme si au final, elles étaient parfaitement interchangeables.

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Le charme discret de la bourgeoisie

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1972)

Le charme discret de la bourgeoisie

"Le Charme discret de la bourgeoisie" est fondé sur un acte manqué. Ou plus précisément sur des variations autour d'un même acte manqué. Un acte manqué extrêmement révélateur puisqu'il s'agit pour les six personnages de l'histoire de parvenir à dîner ensemble. Or soit ils se ratent, soit le repas est interrompu, soit les nourritures et boissons sont factices ou manquantes. Que signifie cet enchaînement de contretemps et de mésaventures? Le repas fait référence au besoin animal de l'homme de manger tout en étant enrobé dans une série de codifications qui le transforment en rituel social. Pourtant à chaque fois, celui-ci déraille alors que pourtant jamais les personnages ne perdent la face et je dirais même la façade. Car ils sont si bien dressés à tenir leur rôle social qu'à un moment donné, ils se retrouvent littéralement en situation de représentation théâtrale. Cependant derrière le vernis mécanique des politesses, de la bienséance et des phrases toutes faites pleines... de vacuité autour de la peur du gigot trop cuit ou de la forme la plus appropriée du verre pour le dry-martini, la réitération de l'impossibilité d'accomplir l'acte le plus élémentaire de l'existence qui est de manger (de "croquer la vie" en somme) suscite un malaise croissant. Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la bourgeoisie, tellement pourri que ces gens-là pourraient finalement bien n'être que des spectres condamnés à errer sans fin sur une route de campagne. Ce qui est sûr, c'est qu'ils n'ont pas la conscience tranquille au vu du nombre de cauchemars qui viennent régulièrement s'insinuer dans la narration. Cauchemars dans lesquels les masques tombent: on se dit ce que l'on pense, on s'entretue ou on est tué par ceux-là même que l'on méprise (et craint) le plus, les "gens du peuple" qui "ne sont pas éduqués" mais qui savent saisir une mitraillette et s'en servir quand il le faut (comme dans le final de "La Cérémonie (1995) de Claude CHABROL auquel on pense, ne serait-ce que par la présence de Stéphane AUDRAN au casting). On est également puni par une Justice qui délivrée de la "realpolitik" (incarnée par Michel PICCOLI en ministre de l'intérieur) peut faire correctement son travail et arrêter un par un cette bande de "gens distingués" qui ne sont en réalité que des fripouilles ayant fait fortune sur le trafic de drogue grâce à leur collusion avec l'ambassadeur d'une fictive république latino-américaine corrompue aussi impitoyable avec les opposants de gauche qu'elle est accueillante vis à vis des anciens nazis. Une scène extrêmement jouissive dans un film satirique et onirique lui-même corrosif et réjouissant en plus de sa liberté de ton et de sa perpétuelle inventivité.

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Le Fantôme de la liberté

Publié le par Rosalie210

Luis Buñuel (1974)

Le Fantôme de la liberté

Film très riche, "Le Fantôme de la liberté", l'avant-dernier film de Luis Buñuel est un manifeste testamentaire surréaliste extrêmement cohérent en dépit de sa structure en apparence éclatée (des séquences reliées les unes aux autres par des personnages qui se relaient). Il suffit pour cela de gratter un peu sous la surface et ce qui paraît relever de l'absurde devient tout à coup logique. Par exemple dans un parc un horrible satyre confie des photos que l'on pense cochonnes à une petite fille de la bourgeoisie qui s'empresse de les montrer à ses parents, lesquels sont horrifiés (tellement d'ailleurs qu'ils s'empressent de renvoyer la bonne qui a laissé faire l'homme) devant ce qui s'avère être...des monuments parisiens.  Pas n'importe lesquels cependant. Deux photos retiennent particulièrement leur attention: celle de l'Arc de Triomphe et celle du Sacré Coeur. Un autre genre de relai s'effectue alors, que je qualifierais de socio-politique. L'Arc de Triomphe renvoie à Napoléon et aux contradictions soulignées dans la première séquence du film, reconstitution du célèbre tableau de Goya "Tres de Mayo" quand son armée massacrait les opposants espagnols au nom des valeurs héritées de la Révolution Française et notamment cette fameuse liberté qui donne son titre au film. Lorsque l'opposant sur le point de se faire exécuter crier "A bas la liberté, vives les chaînes", il veut dire "A bas la liberté que Napoléon veut nous imposer par la force". Comme le dit Buñuel qui s'est inspiré pour le titre d'une phrase de Karl Marx évoquant le fantôme du communisme en Europe, " je vois la liberté comme un fantôme que nous essayons d'attraper et… nous étreignons une forme brumeuse qui ne nous laisse qu'un peu d'humidité dans les mains". Contradiction toujours aussi vivante d'ailleurs comme le montre la mutilation de la reproduction de la Marseillaise de Rude à l'intérieur de l'édifice durant les manifestations des gilets jaunes dont le bonnet phrygien est pourtant symbole de liberté (mais qui fut réalisée sous la monarchie de Juillet). Le Sacré-Coeur, considéré comme l'obscénité suprême renvoie à la répression de la Commune de Paris et à la réaction monarchiste et cléricale. Dans son roman "Paris", Emile Zola en parle en ces termes " Je ne connais pas de non-sens plus imbécile, Paris couronné, dominé par ce temple idolâtre, bâti à la glorification de l’absurde. Une telle impudence, un tel soufflet donné à la raison, après tant de travail, tant de siècles de science et de lutte !" L'édifice fait d'ailleurs l'objet d'un projet d'attentat anarchiste, courant révolutionnaire qui joue un rôle politique important en France dans les années 1890 et en Espagne dans les années 30 (aux côtés du communisme) et dont la philosophie imprègne les films de Buñuel. Dans "Le Fantôme de la liberté", la dernière séquence fait écho à la première lorsque deux préfets de police, symboles de l'autorité de l'Etat se rendent au zoo de Vincennes pour assister à ce qui semble être une répression de manifestants, le tout sous le regard d'animaux auxquels l'homme est systématiquement renvoyé tout au long du film.

Mais au delà de ses aspects politiques et satiriques envers les institutions et la bourgeoisie, le film est avant tout onirique, ludique et inventif, souvent très drôle, jouant sur de brillantes associations de contraires et des décalages qui en font toute la saveur, le tout fonctionnant sur l'inversion, notamment entre la vie, la mort et les conventions, particulièrement en ce qui concerne le sacré. Il y a ce tabernacle que l'on profane et plus tard, celui devant lequel on se prosterne. Il y a ce chapelier masochiste (inénarrable Michael Lonsdale) qui se fait fouetter par une dominatrice SM en présence des moines outragés. Il y a ce tombeau que l'on ouvre sur un cadavre de femme qui ne semble pas avoir subi le moindre outrage du temps et plus tard, le plan sur le corps dénudé d'une femme d'âge mûr qui étrangement est resté celui d'une adolescente. A la fin, on retourne dans un tombeau pour tenter de percer le mystère d'un cadavre (de jeune femme, toujours) qui semble être revenu à la vie: un fantôme, encore. Il y a ce meurtrier que l'on condamne à mort c'est à dire qu'on libère comme si être condamné à mort, c'était de devoir vivre dans la société française des années 70. Il y a cet homme (joué par Jean Rochefort) qui parvient à déjouer le ton badin de son médecin qui finit par lui avouer qu'il a un cancer du foie à un stade avancé. La folie collective semble gagner cet homme, sa famille, l'école et le commissariat lorsqu'ils se mettent à chercher leur fille qui se trouve juste sous leurs yeux (l'enfance n'existerait donc plus?). Et que penser de ces bourgeois qui ont inversé les codes de sociabilité entre le repas et les toilettes? Ou de ce préfet de police qui découvre que sa fonction est occupée par un autre (Michel Piccoli, sacré distribution!) et qui pour un temps se retrouve dans la position du délinquant? Brillant et désopilant.

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La Chute de la maison Usher

Publié le par Rosalie210

Jean Epstein (1928)

La Chute de la maison Usher

Poème cinématographique inspiré de deux nouvelles de Edgard Allan Poe ("La chute de la maison Usher" et "Le Portrait ovale") regroupées dans ses "Nouvelles histoires extraordinaires" traduites par Charles Baudelaire, "La chute de la maison Usher" distille une atmosphère étrange et envoûtante qui m'a un peu fait penser à "La Belle et la Bête" (1945) de Jean COCTEAU. Le décor gothique du manoir et les nombreux ralentis y sont pour quelque chose. Le début quant à lui ressemble beaucoup à celui de "Nosferatu le vampire" (1922) avec son étranger qui cherche un moyen de transport pour se rendre dans un endroit visiblement maudit/hanté puisqu'il suscite l'effroi autour de lui. Mais le parallèle avec le film de Friedrich Wilhelm MURNAU ne s'arrête pas là car "La chute de la maison Usher" est une grande histoire de vampirisme qui peut faire penser aussi à "Le Portrait de Dorian Gray" (1944). Le couple Usher qui vit reclus dans un manoir incarne l'aristocratie moribonde. Le mari, Roderick qui est une sorte de mort-vivant halluciné s'acharne à perpétrer la tradition familiale qui consiste à peindre sa femme, laquelle épuise ses forces dans ces interminables séances de pose ou plutôt de transfusion de la vie vers la mort. Pourtant dans une sorte de renversement de situation celle-ci ne semble pas avoir le dernier mot puisque l'épouse prétendument défunte revient à la vie au milieu d'un déchaînement des forces de la nature pour sauver son mari et l'emporter loin de la maudite demeure qui s'écroule alors d'elle-même*.

Jean EPSTEIN créé une oeuvre éminemment atmosphérique et onirique grâce notamment à de nombreux effets visuels poétiques expérimentaux avant-gardiste (les ralentis donc qui sont incroyablement beaux mais aussi des surimpressions, des travellings et un montage qui fonctionne sur un système de rimes) et il s'écarte sensiblement de Poe quant au sens de l'histoire qu'il raconte. Bien que morbide dans sa tonalité, le film narre le miracle d'une résurrection en lien étroit avec les forces de la nature, lesquelles renversent les "châteaux de cartes" emprisonnant les hommes dans leurs griffes mortifères là où Poe au contraire narre la fin d'un monde rongé par l'endogamie voire l'inceste.

* Je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Rebecca (1939), son château gothique et son portrait maudit qui doivent périr pour que leurs occupants aient un avenir.

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