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Articles avec #bertuccelli (julie) tag

Jane Campion, la femme cinéma

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2022)

Jane Campion, la femme cinéma

Le documentaire consacré à Sidney Poitier commençait par "Il a été le premier". Celui consacré à Jane Campion aurait pu en faire de même. Car comme l'acteur américain, premier noir a avoir reçu l'Oscar du meilleur acteur, la réalisatrice néo-zélandaise fait figure de pionnière et d'exception. Son statut de première et seule femme (jusqu'en 2021) à avoir reçu la Palme d'Or à Cannes (et encore, elle conserve toujours l'exclusivité d'être la seule à avoir gagné deux Palmes, ayant décroché en 1986 celle du meilleur court-métrage pour "Peel, exercice de discipline") se double du fait qu'elle a été seulement la troisième femme à recevoir un Oscar pour l'une de ses réalisations: "The Power of the dog" en 2022 (après Kathryn Bigelow en 2010 et Chloe Zhao en 2021). Quelques années auparavant, elle avait lors de cette même cérémonie souligné de manière frappante la disparité entre réalisatrices et réalisateurs dans les nominations (5 contre plus de 300) et les victoires (1 contre 70). Depuis on est passé à 7 et 3, les deux dernières nominées ayant gagné mais le chemin est encore très long avant qu'on puisse parler d'équité.
 

Le film d'ailleurs évoque quelques unes des raisons qui expliquent la rareté des femmes réalisatrices. Un monde dans lequel les hommes se cooptent entre eux et où les équipes de techniciens, elles aussi majoritairement masculines ne tolèrent pas d'être dirigées par une femme. Jane Campion a subi à ses débuts quand elle n'était pas encore reconnue internationalement et manquait d'assurance des humiliations et des tentatives de déstabilisation de la part de certains d'entre eux qui cherchaient à lui imposer leur "mansplaining" c'est à dire lui apprendre à faire son métier alors que la suite a montré qui était la patronne ^^.

Mais le documentaire de Julie Bertuccelli (qui est fascinée par les femmes artistes exceptionnelles) s'intéresse surtout à la filmographie de Jane Campion que l'on voit en tournage ou en entretien à toutes les étapes de sa carrière. Ayant réalisé peu de films en 35 ans (huit longs métrages pour le cinéma, une poignée de courts-métrages, un téléfilm et deux mini-séries dont les deux saisons de son remarquable "Top of the Lake"), il est possible de s'attarder longuement sur eux et de mettre en évidence leurs points communs. Des portraits de femme fortes et marginales, des hommes qui échappent aux canons de la virilité dominante, une connexion particulièrement forte entre les êtres humains et une nature grandiose, une sensualité et un lyrisme puissant, une attention aux détails signifiants et aux plans d'ensemble qui le sont tout autant, une oscillation entre l'épure et le maniérisme sont quelques uns des traits les plus saillants de son oeuvre. La création et la folie sont également des thèmes structurants, notamment dans ses deux plus beaux films, "Un Ange à ma table" et "La leçon de Piano" qualifié de "Hauts de Hurlevents" néo-zélandais.

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La Cour de Babel

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2014)

La Cour de Babel

De Julie BERTUCCELLI, je connaissais son documentaire "Dernières nouvelles du Cosmos" (2016) consacré à Hélène Nicolas dite "Babouillec", autiste sans paroles mais capable en alignant des lettres plastifiées non seulement de communiquer mais d'écrire des textes d'une beauté fulgurante. Deux ans auparavant, la réalisatrice avait planté sa caméra au sein d'une classe d'accueil pour élèves primo-arrivants allophones dans un collège du X° arrondissement de Paris. Une sorte de sas entre leur pays d'origine et l'intégration dans la scolarité classique, le temps pour eux de se mettre à niveau, de comprendre les règles de leur pays d'accueil et surtout, de maîtriser suffisamment la langue, point commun avec le documentaire consacré à Babouillec. On est frappé par la diversité des origines de ces élèves puisque pas moins de 22 nationalités différentes sont représentées dans une même classe. Une manière élégante de rappeler que la France est un vieux pays d'immigration ayant connu des vagues successives d'arrivants depuis deux siècles qui ont contribué à bâtir le pays. En dépit des restrictions posées à l'immigration depuis 1974, ceux-ci ont continué à venir soit comme demandeur d'asile (un jeune serbe raconte qu'il était persécuté à cause de ses origines juives) soit au travers du regroupement familial (pour fuir la guerre, la misère, les maltraitances, les traditions barbares telles que l'excision). Le temps d'une année, Julie BERTUCCELLI filme leurs progrès mais aussi leurs doutes et parfois leurs déceptions. La question de la maîtrise du langage n'est pas le seul aspect abordé. Se pose aussi bien sûr la question de la situation familiale qui est souvent marquée par la précarité (juridique, économique, sociale) ce qui perturbe la scolarité ainsi que les différences de culture notamment vis à vis de tout ce qui touche à la religion. La laïcité n'est qu'un rempart imparfait, on s'en compte face à la tentation du repli sur soi et la communauté. Mais c'est l'espoir qui l'emporte autour d'un projet commun et la plupart de ces jeunes frappent par leur courage et leur volonté de s'en sortir.

Néanmoins, le film manque de recul critique et je dirais même d'une véritable contextualisation politique. Car la cure austéritaire post-crise 2008 n'a pas épargné l'école et les choix gouvernementaux sont allés vers la réduction voire l'extinction de ces dispositifs jugés coûteux surtout pour un public considéré comme indésirable (et dont une partie n'a pas vocation à s'installer forcément durablement). Cet aspect là est totalement occulté ce qui biaise un peu le propos.

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Dernières nouvelles du cosmos

Publié le par Rosalie210

Julie Bertuccelli (2016)

Dernières nouvelles du cosmos

Grandeur et misère de l'humanité se côtoient dans ce documentaire brouillon et pâlot dans sa forme mais "filmo-magnétisé" par son sujet, l'énigme que pose aux humains dits normaux (en langage autiste "neurotypiques") Hélène Nicolas/Babouillec.

Hélène Nicolas est une jeune femme autiste de 30 ans qui en paraît 18 (caractéristique que l'on retrouve fréquemment dans cette population). Elle fait terriblement penser à ceux qui sont atteint du "locked-in syndrome". Elle a été longtemps murée dans son corps lourdement handicapé. Son langage oral est à ce jour presque totalement inarticulé, elle bave, sa motricité est très défaillante. Elle a le plus grand mal à se servir de ses mains dont elle semble avoir saisi récemment l'existence. Il en est de même de ses pieds. Elle ne peut se coiffer seule ni tenir un stylo. Mais en dépit de cette enveloppe déficiente et son caractère indéchiffrable, sa mère finit par réussir à se frayer un chemin jusqu'à Babouillec, l'esprit d'Hélène Nicolas. L'interface résidant dans de petites lettres cartonnées et plastifiées qu'Hélène attrape maladroitement avec ses doigts pour les agencer sur une feuille de papier. On découvre alors non seulement qu'elle sait lire et écrire sans jamais l'avoir appris faute d'avoir été acceptée à l'école mais qu'elle a une maîtrise vertigineuse de la langue au service de textes fulgurants. Des mathématiciens, des philosophes, des metteurs en scène de théâtre se pressent à son chevet, fascinés par la richesse et le caractère visionnaire et poétique de ses textes en prise directe avec l'élément cosmique. Car si le corps d'Hélène est limité et pataud, son esprit lui est infiniment plus libre et ouvert que le nôtre, racorni et borné par les normes sociales. De plus seule la partie agissante du corps est handicapée, la sensibilité est plus aiguisée que la normale (tout comme ses capacités intellectuelles) ce qui lui permet d'avoir une connexion exceptionnelle avec l'intériorité des êtres et du monde qui l'entoure. "Je suis télépathe et iconoclaste." "En libre raconteuse d'histoires, le cosmos nourrit mes voyages."

Hélène pose un véritable défi à la société qui avec ses normes et ses bornes stupides ne l'a jamais intégrée, ne s'est jamais occupé d'elle et n'a jamais cherché à la connaître. " Être ou ne pas être, là est la question. Dire merde à ceux qui croient savoir, là est la réponse." Nous avons en effet encore beaucoup de chemin à parcourir avant de progresser dans la voie de l'accouchement de nous-mêmes. Et cela passe par l'écoute et non l'étouffement des différences: " Les minorités sont comme les étoiles dans le ciel, elles font briller le noir." Sans Hélène, le documentaire n'aurait aucun intérêt mais il est dommage que la réalisatrice et les metteurs en scène soient si peu inspirés. On imagine ce qu'Hélène aurait pu en faire si c'est elle qui avait pu tenir la caméra ou mettre en scène ses propres pièces.

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