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Articles avec #bellon (yannick) tag

La Triche

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1984)

La Triche

Bien que par certains aspects, "La Triche" soit un film de son époque, c'est à dire la première moitié des années 80, il apparaît comme un film avant-gardiste au point que dans certains passages, on a l'impression de regarder du Christophe HONORE dans le texte: jeu de séduction entre deux hommes, nudité masculine, musique de Purcell. Pas de sida cependant (sans doute trop peu de recul pour en parler) et un des deux partenaires n'ayant pas le visage d'un éphèbe mais celui, inattendu de Victor LANOUX qui est parfait dans ce contre-emploi. Encore qu'après l'avoir vu dans "Cousin cousine" (1975) je me suis rendue compte qu'il aimait bien les rôles subversifs, loin de l'image pépère de "Louis la brocante" que le grand public a retenu le lui. Dans "La Triche", il joue donc le rôle d'un commissaire bordelais bien installé mais se permettant de petits écarts selon le contrat tacite passé avec son épouse oenologue ultra-bourgeoise (jouée par Anny DUPEREY). Cependant, il lui cache que ses préférences vont aux garçons. Son métier est la clé de sa double vie: tout en présentant une façade respectable, elle lui permet de fréquenter les milieux interlopes où se mêlent toute une faune de marginaux symbolisé par un cabaret dont le nom "Le Paradis" résonne avec une certaine ironie. La dualité du commissaire se retrouve dans celle des deux frères jumeaux joué par Michel GALABRU, l'un tout ce qu'il y a d'établi et l'autre, artiste homosexuel se produisant dans ce cabaret qui est assassiné pour une affaire de drogue. C'est le point de départ de l'enquête du commissaire qui déclenche sa rencontre avec Bernard, musicien du "Paradis" au visage d'ange vivant dans un hangar (Xavier DELUC). Bernard fait sortir Michel Verta du placard, celui-ci ne prenant plus la peine de se cacher, ce qui déclenche une crise avec sa femme et sa belle-famille et risque de compromettre sa carrière. Si la fin du film est assez convenue, rétablissant l'ordre en éliminant l'élément perturbateur, le film présente l'homosexualité d'une manière comme je le disais plus haut avant-gardiste avec le couple formé par Bernard et Michel qui déjoue tous les clichés que l'on peut craindre lors des séquences du "Paradis" avec ses folles et ses travestis. Quant à l'assimilation de l'homosexualité à la clandestinité et au monde des délinquants, elle s'explique par le fait que sa dépénalisation était alors très récente et que les mentalités n'avaient pas encore suivi.

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Quelque part quelqu'un

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1972)

Quelque part quelqu'un

Le premier film de Yannick BELLON a pour titre un poème de Henri Michaux "Quelque part quelqu'un". Il est lui-même construit comme un poème avec des refrains et des couplets ou comme une partition musicale avec des choeurs et des solos. Les choeurs, ce sont d'innombrables plans de foule dans les rues de Paris parmi lesquels se détachent les quelques solistes qui vont faire vibrer les cordes de cette oeuvre profondément mélancolique sur la solitude des grandes villes en voie de deshumanisation accélérée. Les refrains, ce sont les tout aussi innombrables travellings faisant défiler les extérieurs et les intérieurs parisiens sur une musique funèbre de George DELERUE inspirée du requiem de Ligeti (que l'on peut entendre aussi sur "2001 : l odyssée de l espace") (1968). Il y a en effet du cauchemar dans cette succession de façades lépreuses parfois murées, parfois écroulées, dans les grands ensembles sans âme qui les remplacent, dans l'anonymat des foules noyées dans la mécanique des transports en commun ou les rangées de table de travail. Car le film de Yannick Bellon est aussi politique. En témoigne ce passage on ne peut plus prémonitoire sur le devenir des quartiers HLM: "voulez-vous que je vous dise comment tout cela va se terminer dans la réalité? Par un quartier sinistre, bien morne et tristement réglementaire. Avec de pauvres bougres parqués dans des surfaces minimales aux prises avec des moyens de transport hasardeux. Le tout pataugeant dans la bouillasse pendant des années de chantier (...) Un délabrement précoce guette l'ensemble, vu les matériaux utilisés (...) De toutes façons le concours est truqué (...) Soyons réalistes, tout ça se résume à un problème de rentabilité." "Quelque part quelqu'un" rejoint ainsi la liste des films de grands cinéastes des Trente Glorieuses pressentant les conséquences délétères de l'urbanisme moderne, de Jean-Luc GODARD à Jacques TATI en passant par Maurice PIALAT. Face à la catastrophe annoncée, certains se résignent comme le couple de petits vieux expropriés et faute de moyens financiers, obligé de s'exiler en banlieue. D'autres noient leur mal-être dans l'alcool à l'image de Vincent joué par un extraordinaire Roland DUBILLARD que sa compagne architecte (jouée par Loleh BELLON, la soeur de Yannick) tente d'aider. Le couple est inspiré de celui que formait Yannick Bellon avec Henry Magnan. Enfin d'autres décident de fuir le plus loin possible à l'image d'un étudiant en ethnologie à qui l'on offre la possibilité d'aller en Equateur. A travers les déambulations au milieu d'une brocante, au muséum d'histoire naturelle ou au jardin des plantes, la rencontre avec Claude Levi Strauss (dans son propre rôle) et la présence de Loleh Bellon, le film fait écho à un autre splendide poème cinématographique de la réalisatrice consacré aux transformations de Paris, "Jamais plus toujours" (1976).

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La Femme de Jean

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1974)

La Femme de Jean

" Il y a quelque chose d'incroyable, c'est le racisme spontané des gens envers les femmes. On sonne, ils vous ouvrent et là ils vous disent avec un petit ton déçu: ah! C'est une dame. Ou bien: j'attendais un monsieur. Incroyable."

Incroyable surtout comme les mentalités ont peu évolué en un demi siècle puisque "La femme de Jean" a été réalisé en 1974 et que j'ai eu droit pas plus tard que le mois dernier à une réflexion à peu près identique de la part d'un vendeur lorsque je ne me suis présentée à son domicile pour retirer un DVD de Frank Borzage que j'avais acheté sur internet. Mais "La femme de Jean", comme son titre l'indique traite de la difficulté pour une femme de se construire une identité propre et surtout, de la préserver dans une société qui fait tout pour qu'elle y renonce. Une question qui avait été déjà soulevée par Simone de Beauvoir dans son ouvrage, "Le Deuxième sexe" en 1949: "On ouvre aux femmes les usines, les facultés, les bureaux mais on continue à considérer que le mariage est pour elle une carrière des plus honorables qui la dispense de toute autre participation à la vie collective. (…) La femme mariée est autorisée à se faire entretenir par son mari ; elle est en outre revêtue d'une dignité sociale très supérieure à celle de la célibataire. Comment le mythe de Cendrillon ne garderait-il pas toute sa valeur ? Tout encourage encore la jeune fille à attendre du "prince charmant" fortune et bonheur plutôt qu'à en tenter seule la difficile et incertaine conquête. (…) Les parents élèvent encore leur fille en vue du mariage plutôt qu'ils ne favorisent son développement personnel ; elle y voit tant d'avantages qu'elle le souhaite elle même ; il en résulte qu'elle est souvent moins spécialisée, moins solidement formée que ses frères, elle s'engage moins totalement dans sa profession ; par là elles se voue à y rester inférieure ; et le cercle vicieux se noue : cette infériorité renforce son désir de trouver un mari (...) Tant que subsistent les tentations de la facilité (...) elle aura besoin d'un effort moral plus grand que le mâle pour choisir le chemin de l'indépendance."

Epouser un rôle social traditionnel de "femme de" ou bien devenir soi-même est le choix qui s'offre à Nadine (France Lambiotte). En fait, ce n'est pas un choix, du moins au début. Nadine est quittée par son mari, Jean (Claude Rich, alors abonné aux rôles patriarcaux) pour une autre femme. Elle est anéantie car elle n'a plus l'impression d'exister, la relation conjugale traditionnelle rendant la femme dépendante de son mari sur tous les plans. Elle n'a face à elle qu'un grand vide. Le film est l'histoire de sa reconstruction en tant que femme libre et indépendante. Une reconstruction qui passe par la quête d'un travail, la reprise des études (qui sont, et c'est très symbolique, de l'astrophysique), une relation amoureuse n'entrant pas dans les cadres institutionnels et un changement d'apparence. Le tout sous les encouragements de son fils Rémi (Hippolyte Girardot alors âgé de 19 ans) qui appartient à la génération ayant connu la révolution des mœurs de 1968. Peu à peu, Nadine relève la tête, arrête de se victimiser, fait un travail sur elle-même et assume ses désirs. Assez ironiquement, c'est Jean, le mari qui vers la fin du film revient vers elle, incapable de rompre le lien conjugal (ce qui dévoile que la dépendance était réciproque) et déboussolé face à son changement. Mais c'est trop tard, elle n'a plus besoin de lui: "quand un type se tire, ce n'est pas un drame". Cette phrase n'avait rien d'évident dans les années 70 où beaucoup de femmes délaissées comme le rappelle Benoîte Groult dans les bonus du DVD sombraient dans la dépression, se suicidaient ou cherchaient compulsivement un autre homme pour remplacer celui qui était parti.

La spécificité de Yannick Bellon est de s'intéresser comme dans "Jamais plus toujours" au poids que le temps fait peser sur les existences. Comme le dit Simone de Beauvoir, ce n'est pas la contrainte qui pousse les femmes à se conformer, mais la tentation de la facilité, celle qui pousse à se laisser porter et à abdiquer toute responsabilité plutôt qu'à persévérer dans une voie propre qu'il faut cependant s'évertuer à défricher "On se fait grignoter, dévorer par les choses, par un certain confort." Le passage du temps étant irréversible, il confère au film une atmosphère mélancolique à l'image du beau visage de France Lambiotte (qui me fait un peu penser à celui de Françoise Hardy). Mais cette mélancolie est sereine, chaque mort, chaque fin s'accompagnant d'une renaissance: "Chaque époque dépose ses sédiments et tout recommence, autrement (…) Tout rentre dans l'ordre, un autre ordre."

 

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Jamais plus toujours

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1976)

Jamais plus toujours

A l'hôtel Drouot, dans la salle des ventes, Claire, une jeune femme triste déambule mélancoliquement au milieu des piles d'objets. Elle reconnaît ça et là ceux qui appartenaient à Agathe, son amie disparue. A l'inverse un fringant jeune couple vient acheter des meubles pour équiper l'appartement dans lequel ils viennent de s'installer. Ils arrêtent leur choix sur un paravent de miroirs qui appartenait justement à Agathe. Car sans le savoir ils partagent avec elle un goût pour le style japonisant. Claire achète également quelques objets témoignant de son passé commun avec Agathe. Elle retrouve à Drouot un ancien ami perdu de vue depuis dix ans Mathieu...

Ce film délicat et sensible est un joyau pour ceux qui aiment les univers contemplatifs, les réflexions nostalgiques sur le temps qui passe, l'éphémère de toute chose, la mémoire qui en conserve des traces et la mue perpétuelle de toute existence (sentiments, lieux, êtres et objets). Les lieux et les objets, omniprésents, sont des interfaces entre le passé, le présent et l'avenir et aussi entre les vivants et les morts. Historiquement et historiographiquement, le film est également important. Il témoigne des transformations de la ville de Paris et fait émerger l'histoire des mentalités, "celle où la vie d'un petit porteur d'eau a autant d'importance que celle de Louis XIII". L'historien Pierre Nora apporte d'ailleurs un éclairage passionnant sur le film dans les suppléments du DVD.

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