"Fais de beaux rêves" est l'adaptation d'un roman de Massimo Gramellini tournant autour du secret de famille par Marco BELLOCCHIO qui y injecte ses propres thèmes. L'histoire est celle de Massimo (Valerio MASTANDREA) qui ne parvient pas à faire le deuil de sa mère, morte brusquement quand il avait 9 ans après lui avaoir dit "fais de beaux rêves" parce que son entourage occulte la raison de son décès. On soustrait le journal de sa vue quand il vient souhaiter la bonne année, on lui fournit des explications qu'il sent mensongères. Il grandit et se construit adulte autour de ce trou noir dans son existence qui l'empêche de profiter pleinement du présent. Marco BELLOCCHIO règle une fois de plus ses comptes avec la religion, ses conventions et ses tabous. La vérité, elle, transparaît au travers de la figure de Belphégor que regardaient Massimo et sa mère et dont une séquence clé revient hanter ce dernier adulte. Et également au travers de la doctoresse (jouée par Berenice BEJO) qui apaise les attaques de panique de Massimo et lui redonne le goût de vivre: la scène de danse de la fin fait écho à celle du début avec la mère et l'utilisation de la musique est globalement très judicieuse (on entend même à un moment la version de "Colchique dans les prés" de Dorothée!) Néanmoins la narration est inutilement éclatée et alourdie par des séquences gênantes, telle celle de Sarajevo quand Massimo reporter de guerre observe son partenaire photographe placer un enfant devant le cadavre de sa mère ou encore la scène du courrier des lecteurs où il étale son passé en réponse à une lettre de haine d'un fils envers sa mère, ou encore le passage avec Emmanuelle DEVOS.
Il y a une tendance propre au cinéma italien qui parfois me rebute, c'est la peinture de la décadence d'une famille bourgeoise ou aristocratique. Parfois car j'adore "Les Damnes" (1969) et "Theoreme" (1968). Mais le premier était traversé par l'Histoire, le second par le divin ce qui les élevaient à une sorte de grandeur tragique voire de transcendance. Rien de tel dans le sinistre et étouffant premier long-métrage de Marco BELLOCCHIO "Les Poings dans les poches" (1965) qui dépeint un terrible huis-clos familial. Dans leur villa encombrée par les portraits des aïeux vivent une veuve et ses quatre enfants, la plupart atteints de tares congénitales (cécité, épilepsie, débilité mentale). Repliés sur eux-mêmes et plus ou moins coupés de la société à l'exception de l'aîné, Augusto, ils développent des tendances incestueuses et des troubles morbides, certes très bien mis en scène et illustrés une fois de plus par la musique expressive de Ennio MORRICONE. Alessandro (Lou CASTEL dans son premier rôle) qui est épileptique fomente un plan eugéniste façon programme T4 pour "libérer" son frère jugé "sain" en liquidant le reste de sa famille, y compris lui-même. Néanmoins en étant constamment morbide et implacable, le film ne m'a pas convaincu dans ses allusions explicites aux pulsions de mort d'une certaine jeunesse rebelle, celle de James DEAN et de Arthur Rimbaud voire de Michel Poiccard qui étaient davantage dans l'errance et la flamboyance alors que celle que nous dépeint Marco BELLOCCHIO est juste putride.
"L'Enlèvement" est un film puissant et engagé qui mêle avec talent et un lyrisme tout opératique grande et petite histoire pour nous raconter comment entre 1858 et 1870 le pape Pie IX, despotique et réactionnaire a tenté de sauver ce qu'il restait de son pouvoir temporel en s'appuyant sur la conversion et l'embrigadement de jeunes enfants juifs, recrutés parfois de façon peu "catholique". Ce film crépusculaire qui décrit l'agonie d'une institution d'autant plus venimeuse qu'elle est à bout de souffle est un thriller nerveux qui n'hésite pas lors de plusieurs séquences à recourir à l'onirisme. En effet Marco BELLOCCHIO créé un suspense prenant autour du sort du petit Edgardo, enlevé à sa famille juive à l'âge de six ans sous prétexte qu'il aurait été baptisé alors qu'il était bébé et malade par sa nourrice crédule qui espérait ainsi lui épargner "les limbes". Histoire incroyable et pourtant véridique connue sous le nom de l'affaire Mortara. Une véritable course contre la montre s'engage entre d'un côté la famille d'Edgardo qui remue ciel et terre pour le récupérer, épaulée par la communauté juive et les libéraux du monde entier alors que l'Italie est en voie d'unification sous la houlette du royaume de Piémont-Sardaigne et de l'autre une Eglise obscurantiste et bunkérisée. Même les têtes couronnées réprouvent ce flagrant abus de pouvoir mais Pie IX ne veut rien savoir et va jusqu'à adopter le petit garçon qui entre lavage de cerveau et syndrome de Stockholm embrasse sa nouvelle condition, peut-être aussi pour ne plus souffrir tant Marco BELLOCCHIO montre que chaque contact avec sa famille d'origine le déchire profondément.
Il est rare que je regarde un film deux fois de suite, c'est pourtant ce que j'ai fait pour "Le sourire de ma mère". La première fois en effet, je n'ai pas tout compris tant le film a un caractère énigmatique mais j'ai trouvé le personnage d'Ernesto et l'acteur qui l'interprète (Sergio CASTELLITTO) si beaux que j'ai eu envie de recommencer le voyage. Le film raconte l'histoire d'un homme qui se retrouve plongé en plein cauchemar kafkaïen le jour où un prêtre vient chez lui pour lui annoncer que l'Eglise veut béatifier sa mère et qu'elle a besoin de lui pour faire parler le responsable de son assassinat, lequel n'est autre qu'un frère d'Ernesto qui souffre de maladie mentale. Cauchemar car Ernesto qui est athée et ne supportait pas sa mère confite en dévotion mais incapable d'aimer subit les pressions de sa famille à l'origine de la demande de canonisation mais il choisit de résister, pour conserver son libre-arbitre et le transmettre à son petit garçon dont il est très proche. C'est ce combat pour conserver son intégrité face à un microcosme social corrompu que raconte Marco BELLOCCHIO avec un onirisme teinté de surréalisme qui n'est pas sans rappeler Luis BUÑUEL. Face au cynisme et au conformisme de ses autres frères, de ses tantes, de son ex-épouse qui envisagent la religion sous un angle mercantile, une "assurance-vie", un "investissement sûr" qui ne "coûte rien" et la canonisation comme un titre conférant prestige social et protection des puissants, Ernesto qui est peintre et illustrateur se réfugie dans la sublimation conférée par l'art et par l'amour. "Votre peinture est pleine de couleurs, de mouvement autour d'un sujet, vous travaillez l'arrière-plan comme les maîtres de la Renaissance dans le peu d'espace laissé par Jésus et les saints. Dans les espaces inutiles se libère un talent qui me manque" lui dit avec admiration l'institutrice de son fils dont il tombe amoureux et dont on peut douter de sa réalité lorsque le voile de son identité est levé. Quant au sourire du titre, il est moins celui de sa mère qui "ne souriait jamais" que celui qu'elle a transmis à Ernesto, lequel offre ce sourire évanescent comme un bouclier face au cynisme du monde qui l'entoure et contre la dépression qui menace. Oui, un bien beau film.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.