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Articles avec #almodovar (pedro) tag

Douleur et gloire (Dolor y gloria)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2019)

Douleur et gloire (Dolor y gloria)

 "Douleur et gloire" est un film intimiste et introspectif où Pedro Almodovar poursuit sa réflexion sur les relations qu'entretiennent l'art et la vie à partir d'un personnage que l'on devine être le double de lui-même. Il aurait pu s'appeler également "De la dépression au désir" tant ce dernier s'avère crucial dans le processus créatif comme le souligne la société de production de Pedro Almodovar qui s'appelle El Deseo. Ainsi la panne d'inspiration de Salvador Mallo (Antonio Banderas), un réalisateur vieillissant et angoissé est indissociable de sa dépression. A l'inverse, la remontée progressive du fil de ses souvenirs (le premier flashback, magnifique et lumineux se déroule d'ailleurs au bord d'une rivière et convoque le personnage central de la mère jouée dans ses jeunes années par l'actrice fétiche de Petro Almodovar, Penelope Cruz) ponctuée de retrouvailles, de réminiscences et de réconciliations l'entraîne jusqu'au "premier désir", un nouveau scénario qui s'avère être la chair du film que nous regardons. Et ce n'est pas la seule mise en abyme du film, il y en a beaucoup d'autres. Certaines fournissent des pages entières de scénario, d'autres sont à peine esquissées. Deux m'ont particulièrement touchée. La première est suggérée par un simple mouvement de caméra au tout début du film qui suit le fil d'une cicatrice, celle qui barre de bas en haut le torse d'Antonio Banderas. De cette cicatrice, il n'en sera ensuite plus question, car elle est recouverte par la multitude de maux psychosomatiques égrenés par Salvador Mallo, persuadé d'être atteint d'une maladie grave et addict aux drogues et aux médicaments. A la fiction de l'hypocondrie s'oppose ainsi une réalité bien charnelle: celle du corps scarifié de l'acteur après l'opération du cœur qui a suivi sa crise cardiaque en 2017. La seconde concerne les relations entre Salvador Mallo et Alberto Crespo (Asier Etxeandia), un acteur qu'il a dirigé 30 ans plus tôt mais avec lequel il s'est ensuite brouillé. Il parvient à le retrouver et à se réconcilier avec lui. Alberto qui traverse lui aussi un passage à vide créatif (rempli par la drogue) lui propose de jouer au théâtre l'un de ses scénarios auto-fictionnel, "L'Addiction" évoquant le grand amour perdu de Salvador. La représentation (qui est à la fois théâtrale et cinématographique comme pour souligner leurs deux personnalités) sonne comme une double renaissance. En tant que vecteur d'émotions pour Alberto et en tant que sujet désirant pour Salvador puisque à peine évoqué, son ex, Federico (Leonardo Sbaraglia) se matérialise miraculeusement, d'abord devant son double de fiction, puis devant lui.  Comment ne pas y voir un reflet de la relation entre Pedro Almodovar et Antonio Banderas, lequel joue devant nous ce que nous savons être une histoire très proche de la vie de l'auteur en se confondant le plus possible avec lui ou plutôt en se fondant en lui car même s'il a revêtu ses habits et s'est entouré de ses objets familiers, il s'agit d'un don de soi, un don absolu, qui, lorsqu'il a lieu entre un réalisateur et son acteur/actrice touche au sublime. Et ce après une très longue période de séparation (22 ans) et des retrouvailles compliquées sur le tournage de "La piel que habito" (2011). C'est pourquoi il n'est guère étonnant que ce soit pour ce rôle qu'il ait obtenu la consécration à Cannes, lui qui n'avait jusqu'ici jamais remporté de récompense majeure et qu'il ait déclaré que c'était aussi le prix de Pedro Almodovar.

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Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1999)

Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre)

L'art d'Almodovar est celui de la transfusion sanguine. C'est exactement ce que montre le générique de "Tout sur ma mère". C'est l'art d'effacer toutes les dichotomies, toutes les frontières au profit d'un continuum. Un seul et même flux lie masculin et féminin, homosexualité et hétérosexualité, vie et mort, maman et putain, Madrid et Barcelone, sacré et profane, spirituel et charnel, planches et coulisses, théâtre et rue. C'est ce flux qui unit des personnages à priori disparates. Manuela la mater dolorosa (Cecilia Roth), sœur Rosa (Penelope Cruz), le père de leurs fils Estéban-Lola (Toni Canto) et Agrado le travesti (Antonia San Juan) ont en commun un altruisme poussé à l'extrême. Chacun s'élève en sacrifiant (sanctifiant?) quelque chose de lui-même (transformations corporelles, dons d'organe, maladie mortelle...) Par ailleurs, chacun de ces personnages entretient un lien fort avec le monde de l'art et de la fiction ce qui les lie à une actrice, Huma Rojo (Marisa Paredes). Actrice de théâtre mais aussi actrice du drame qui les frappe. Le travail de l'actrice est aussi un don de soi ce qui explique les hommages d'Almodovar à celles qui étaient capables de s'abandonner corps et âme à la caméra comme Romy SCHNEIDER et Gena Rowlands (la séquence dramatique qui lance véritablement l'intrigue est une citation directe d'Opening night.) D'autre part le titre fait référence à celui du film de Mankiewicz "All about Eve", en montre un extrait et rend hommage à Bette Davis qui jouait le rôle principal. "Tout sur ma mère" est en effet le reflet inversé de "All about Eve" car Manuela (assistante un temps d'Huma Rojo puis doublure de Stella dans la pièce de Tennessee Williams) n'est que générosité là où Eve n'était qu'arrivisme. 

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Parle avec elle (Hable con ella)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2002)

Parle avec elle (Hable con ella)

"De la mort surgit la vie; du masculin surgit le féminin; de la terre surgit l'éther" dit Katerina (Géraldine Chaplin), professeur de danse à Benigno (Javier Camara), l'infirmier qui veille jour et nuit sur son ancienne élève plongée dans le coma Alicia (Léonor Watling). Parle avec elle est un grand film de la trans(fusion), l'énergie vitale, le sang, la magie, le miracle s'incarnant tour à tour dans l'amitié, l'amour, la parole, l'art, la foi:

- Transfusion de la chair (terre) à l'esprit (éther): Alicia et Lydia (Rosario Flores) sont mortes pour la science, mortes pour Marco (Dario Grandinetti) qui raisonne en cartésien. Alicia est vivante pour Benigno et Katerina, des mystiques qui croient aux forces de l'esprit, à l'impalpable, à l'invisible, à l'inconnaissable "le cerveau des femmes est un mystère, surtout dans cet état." A la fin Benigno est à son tour devenu éther, il occupe un siège vide entre Marco et Alicia. A moins qu'il soit à jamais en Alicia.

- Transfusion du masculin au féminin: "L'amant qui rétrécit", court-métrage muet en noir et blanc réalisé dans le style expressionniste des films des années 20 montre un homme qui retourne dans "l'origine du monde." Il ne fait plus qu'un avec la femme qu'il aime. Avant de s'occuper d'Alicia, Benigno s'est dévoué corps et âme pour sa mère au point d'effacer toute trace de vie personnelle. D'autre part Lydia est une femme androgyne qui est toréador. Pourtant après avoir hurlé de peur face à un serpent et s'être faite encorner par un taureau (des symboles phalliques évidents), elle termine comme Alicia en belle endormie condamnée à une totale passivité.

- Transfusion de la mort à la vie et du mal vers le bien: le comportement psychotique de Benigno (amoureux fou d'une morte à la manière de Scottie dans Vertigo) et son acte transgressif, jugé comme criminel par la société est aussi un comportement sacrificiel et un acte d'amour et de foi. Pour qu'Alicia revive, Benigno accepte de mourir socialement et finit par mourir physiquement.

Les transfusions sont réversibles. Ainsi les œuvres d'art captent le mouvement de la vie pour le retranscrire en "natures mortes" avant d'irriguer de nouveau le cerveau et le cœur des vivants (pour d'éventuelles œuvres d'art futures). Et des œuvres d'art contenues dans Parle avec elle, il y en a plusieurs. "L'amant qui rétrécit", la tauromachie (vue comme un art chorégraphique), la sublime voix de Caetano Veloso sur la chanson mélancolique "Cucurrucucu Paloma" mais aussi l'extrait de Café Müller, spectacle de Pina Bausch qui ouvre le film. Comment ne pas voir dans ces deux femmes somnambules qui dansent en miroir et manquent trébucher à chaque pas, veillées par un homme qui écarte les obstacles sur leur route une métaphore de l'histoire des deux couples Alicia-Benigno et Lydia-Marco? Deux couples en miroir qui finissent par fusionner. Benigno se fond en Alicia et il trouve son double en Marco comme le montre le passage où les deux hommes joignent leurs mains de part et d'autre d'une vitre. Chacun injecte un peu de sa substance à l'autre. Benigno finit par instiller en Marco sa croyance dans le pouvoir magique de la parole. Marco ramène Benigno sur terre à tous les sens du terme. Les deux femmes sont également le miroir l'une de l'autre en étant plongées dans un coma jugées irréversible. Et leurs destinées se répondent. L'une se dessèche parce qu'elle est privée d'amour, l'autre renaît sous l'effet de la puissance d'un amour hors des lois humaines. 

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Julieta

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (2016)

Julieta

Encore un film magnifique d'Almodovar sur la difficulté à communiquer, le silence destructeur qui accouche de l'absence. Ce thème est au coeur de ses chefs d'oeuvre de Tout sur ma mère au si bien nommé Parle avec elle. Dans Julieta, les non-dits s'accumulent et dressent des barrières infranchissables entre les êtres, murés dans leur solitude. Pire encore, ils se transmettent de génération en génération.

C'est d'abord ce cerf qui court derrière la vitre d'un train comme un appel muet. C'est cet homme qui s'assoit en face de Julieta et tente dans un ultime sursaut de nouer une conversation (sans succès) avant de disparaître. C'est ensuite Xoan, son futur époux avec lequel elle entretient une relation distante sauf sur le plan charnel. Entre eux il y a d'autres femmes: la première épouse décédée, la maîtresse de Xoan, Ava, la mer(e) qui accapare le pêcheur mais aussi Marian, la femme de ménage hostile qui est une sorte de mère castratrice aux attitudes lourdes de sous-entendus. Antia, la fille de Xoan et de Julieta absorbe tous ces non-dits de même que Julieta avant elle l'a absorbé au sein de sa famille (la scène où les trois générations de femmes se retrouvent sous le même toit est éloquente). Quand Antia apprend la mort de son père en mer, non seulement elle ne montre rien de ce qu'elle ressent mais elle renverse les rôles et devient chef de famille, prenant en charge sa mère devenue dépendante d'elle. Jusqu'au jour où elle craque et disparaît à son tour pour tenter de se construire une vie à elle loin des fantômes du passé. Sans succès puisque son fils prénommé Xoan se noie comme l'avait fait son grand-père... Quant à Julieta, après une phase de crise aigue, elle tente également de se reconstruire en gommant l'existence de sa fille jusqu'au moment où celle-ci ressurgit dans sa vie, laissant poindre le fragile espoir d'un nouveau départ.

Le film est rempli de références à Hitchcock de Pas de printemps pour Marnie (la serviette "magique" de l'affiche qui révèle une autre femme) à Rebecca (la gouvernante hostile à la nouvelle épouse) en passant par l'inconnu du Nord-Express pour la scène du train.

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