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Articles avec #giraudeau (bernard) tag

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)

Publié le par Rosalie210

XCI
La réforme de Bernard scandalise son père qui considère cet abandon comme un désaveu personnel. Les relations avec son fils se tendent d'autant plus qu'il découvre que celui-ci a quitté son poste de contrôleur à l'usine SIMCA où il l'avait fait entrer. Exaspéré, il le chasse de la maison en lui disant qu'il ne pourra revenir que le jour où il aura trouvé un vrai travail, répétant en cela ce que son propre père lui avait fait subir quand il était jeune (lui même avouera peu avant de mourir le sentiment d'avoir raté sa vie).
"Simca, le royaume de l'aventure pour une jeunesse avide de grands espaces." Telle est l'ironique slogan qu'il écrit à la craie sur son établi.

"Simca, le royaume de l'aventure pour une jeunesse avide de grands espaces." Telle est l'ironique slogan qu'il écrit à la craie sur son établi.

XCII
Complètement paumé, Bernard Giraudeau erre quelques temps dans la ville, s'essayant à divers petits métiers entre lesquels se glissent de multiples aventures, des lectures dans les bistrots, une fréquentation assidue de la cinémathèque et des boîtes de nuit. Là encore, il comprend qu'il doit rapidement trouver une issue ("Ce n'était pas là que j'écrirais le roman de ma future existence. Il était hors de question que ma vie soit une imitation.")
Il a découvert le plaisir de monter sur scène (déguisé en Sheila) à l'occasion des fêtes de noël  organisées à bord de La Jeanne d'Arc.

Il a découvert le plaisir de monter sur scène (déguisé en Sheila) à l'occasion des fêtes de noël organisées à bord de La Jeanne d'Arc.

XCIII
Jusqu'au jour où il se fait embaucher à la maison de la culture de La Rochelle en tant que mécanicien. Mais très vite, sa sensibilité entre en résonance avec celle de l'équipe. Il commence à interpréter de petits rôles mais il est encombré par sa démarche chaloupée de marin et des difficultés d'élocution. Il est alors envoyé chez Colette Milner, la fondatrice du conservatoire de danse de la Rochelle. Il se met à la danse classique avec un acharnement perfectionniste, trois-quatre heures par jour (alors qu'au départ on lui demandait de prendre deux cours par semaine!). Il fait aussi du cheval, de l'escrime, du piano et prend des cours d'articulation. Bref, il change de peau, il se réinvente sous une autre forme pleine de créativité et de grâce.
Seul son âge trop avancé (20 ans) empêche Bernard Giraudeau d'entamer une carrière de danseur professionnel. En revanche il orientera ses frères vers le même parcours. L'un deux, Philippe deviendra chorégraphe à Londres.Seul son âge trop avancé (20 ans) empêche Bernard Giraudeau d'entamer une carrière de danseur professionnel. En revanche il orientera ses frères vers le même parcours. L'un deux, Philippe deviendra chorégraphe à Londres.

Seul son âge trop avancé (20 ans) empêche Bernard Giraudeau d'entamer une carrière de danseur professionnel. En revanche il orientera ses frères vers le même parcours. L'un deux, Philippe deviendra chorégraphe à Londres.

XCIV
"Nous étions la seule ville, avec Paris et Lyon, à faire une classe de garçons. Elle avait du succès, car ceux qui venaient étaient souvent confrontés au refus de leur famille, de leurs amis, voire même de la société ! Ils étaient donc plus motivés que les filles. Durant ma carrière, j'ai vu 70 garçons faire une carrière de danseur professionnel". (Colette Milner)

Mais Colette Milner est bien plus qu'une professeur de danse pour Bernard Giraudeau. C'est une mère de substitution qui incarne à elle seule l'esprit de mai 1968, à des années-lumière de ce qu'il a vécu jusque là. Sa maison est un refuge ouvert à tous à la manière de La maison de papier (Françoise Mallet-Joris) ou de La clé sur la porte (Marie Cardinal). Bernard y trouve un second foyer dans lequel il reste trois ans. Pour remercier ceux qui l'hébergent, il effectue de petits travaux, jardine et cuisine. Son cadet de huit ans Philippe devient un autre habitué de la communauté et part faire le conservatoire avec le fils de Colette Milner. 
Toute sa vie, il s'appuiera sur des femmes initiatrices (voire quelque peu Pygmalion) qui l'aideront à s'accomplir de Colette Milner à Anne-Marie Métailié son éditrice en passant par Annie Duperey.
Colette Milner aujourd'hui entourée des photos de Bernard Giraudeau prises à l'époque où il vivait chez elle

Colette Milner aujourd'hui entourée des photos de Bernard Giraudeau prises à l'époque où il vivait chez elle

La Locandiera de Goldoni à la maison de la culture de la Rochelle. Au centre Bernard Giraudeau, à gauche Colette Milner.

La Locandiera de Goldoni à la maison de la culture de la Rochelle. Au centre Bernard Giraudeau, à gauche Colette Milner.

XCV
En 1971, il monte à Paris où il décroche son premier rôle dans la pièce de théâtre boulevardière de Jean Cau Pauvre France où un jeune garçon tente de cacher son homosexualité à son père. Puis il intègre le conservatoire d'art dramatique d'où il sort premier (encore...) en 1974 à la suite d'une interprétation mémorable du monologue de Figaro.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
XCVI
La Comédie-Française s'offre à lui mais il refuse d'y entrer par rejet des institutions et peur d'être enchaîné à un nouvel engagement de longue durée. Il se tourne vers des pièces de théâtre du répertoire littéraire et vers la télévision et le cinéma qui lui ouvrent leurs portes. On l'aperçoit quelques secondes dans La poursuite implacable de Sergio Sollima (1973) mais ses véritables débuts au cinéma ont lieu dans Deux hommes dans la ville de José Giovanni (1973) avec Delon et Gabin.
La poursuite implacable où il joue le jeune homme ensanglanté

La poursuite implacable où il joue le jeune homme ensanglanté

Deux hommes dans la ville au premier plan à gauche

Deux hommes dans la ville au premier plan à gauche

XCVII
Alors qu'avec le talent qu'il avait on pouvait s'attendre à ce qu'il fasse une carrière flamboyante au théâtre, cela n'a pas tout à fait été le cas. Il a surtout joué dans des pièces contemporaines d'Anouilh, de Giraudoux, de Carrière, de Schmitt (La guerre de Troie n'aura pas lieu, La Répétition ou l'Amour puni, L'aide-mémoire, Le libertin, Becket ou l'Honneur de Dieu etc.) ou bien dans des adaptations d'oeuvres littéraires (Les liaisons dangereuses).
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce sous-emploi. Tout d'abord il souffrait du complexe de l'autodidacte et donc d'une autocensure inconsciente vis à vis des grands textes (d'autant qu'avec son perfectionnisme maladif, il pensait ne jamais être assez bien). Ensuite il avait la réputation d'être ingérable à cause de son caractère volcanique et de son désir de tout contrôler. Enfin son image légère au cinéma lui a nui aussi au théâtre: " Avignon [dans lequel il n'a jamais joué], on en prend la mesure dans ces moments là, comme jamais, n'est pas le festival de tous les grands comédiens de France".(Armelle Héliot)
Il n'aborde les grands classiques qu'en 2005 avec Richard III de Shakespeare mais il n'a le temps que de donner quelques représentations à La Rochelle et à Angers avant d'être hospitalisé car son cancer récidive comme par hasard juste à ce moment là et il crache du sang sur la scène.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
XCVIII
De manière encore plus flagrante qu'au théâtre, sa carrière au cinéma ne s'avère pas à la hauteur de son talent. 
A la fin des années soixante-dix et dans la première moitié des années quatre-vingt, il joue d'abord dans des films commerciaux qui mettent en avant soit son allure de jeune premier et son pouvoir de séduction soit ses qualités physiques et sportives. Soit le mélange Delon + Belmondo. Pour Giraudeau, ces films sont un moyen de vivre une adolescence par procuration mais il s'en détourne très vite de peur d'être enfermé dans un seul type de rôle. 
Waouh! Super canon mon prof d'allemand! (La Boum, 1980 de Claude Pinoteau). Gnan-gnan à souhait.

Waouh! Super canon mon prof d'allemand! (La Boum, 1980 de Claude Pinoteau). Gnan-gnan à souhait.

Viens chez moi j'habite chez une copine de Patrice Leconte (1981), sympathique comédie satirique sur deux trentenaires particulièrement immatures!

Viens chez moi j'habite chez une copine de Patrice Leconte (1981), sympathique comédie satirique sur deux trentenaires particulièrement immatures!

Les spécialistes de Patrice Leconte (1985), sorte de super disneyland du film d'action avec Gérard Lanvin qui a fait un triomphe et aurait pu déboucher sur 25 clones si Giraudeau n'avait pas mis le holà .

Les spécialistes de Patrice Leconte (1985), sorte de super disneyland du film d'action avec Gérard Lanvin qui a fait un triomphe et aurait pu déboucher sur 25 clones si Giraudeau n'avait pas mis le holà .

Les longs manteaux (Gilles Béhat, 1986) tourné en Argentine. Une sorte de western parc d'attraction d'une désolante vacuité qui s'est ramassé en salles. Le film est le point de départ de la passion de Bernard pour l'Amérique du sud et de façon plus générale pour les voyages lointains dans les grands espaces.

Les longs manteaux (Gilles Béhat, 1986) tourné en Argentine. Une sorte de western parc d'attraction d'une désolante vacuité qui s'est ramassé en salles. Le film est le point de départ de la passion de Bernard pour l'Amérique du sud et de façon plus générale pour les voyages lointains dans les grands espaces.

XCIX
Soucieux de casser cette image trop lisse,Bernard Giraudeau recherche en parallèle des rôles plus sombres non sans difficulté. 
Ainsi au moment de réunir la production du film Rue Barbare (1983) la directrice de l'unité cinéma d'une chaine de télévision tique sur le nom de Giraudeau "Lui en ouvrier? Vous n'y pensez pas! Giraudeau, c'est le jeune homme de bonne famille qui a raté son bac!"
Gilles Béhat le réalisateur du film lui rétorque alors "Savez-vous quelle a été la vie de Bernard avant qu'il devienne acteur?" 
Pas difficile pourtant de deviner le mécano-marin derrière l'acteur.

Pas difficile pourtant de deviner le mécano-marin derrière l'acteur.

Violent et glauque, le film libère en effet le fauve qui sommeille en Giraudeau et montre de lui un côté plus sombre et plus crade. Mais il ne va quand même pas très loin. Certes rescapé d'un gang, Chet est en réalité un chevalier blanc parti à la rescousse des "petites filles" enlevées par l'ignoble Hagen (joué un Bernard Pierre Donnadieu au sommet de sa forme).

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
C
En effet cette recherche de rôles plus consistants se heurte à des contradictions. Il a développé un rapport ambigu à son image. D'un côté son physique avantageux l'encombre et le fait douter de son talent, de l'autre il fait tout pour se mettre en valeur y compris dans les films où il malmène sa belle gueule.
Dans Le ruffian (1983), il interprète un ancien pilote de formule 1 devenu paraplégique suite à un accident. Cet handicap en fait une proie facile et le condamne à une certaine passivité. Néanmoins son personnage est bien sous tous rapports.

Dans Le ruffian (1983), il interprète un ancien pilote de formule 1 devenu paraplégique suite à un accident. Cet handicap en fait une proie facile et le condamne à une certaine passivité. Néanmoins son personnage est bien sous tous rapports.

Dans Rue Barbare où il se fait sérieusement amocher il avait quand même veillé à ce que le chef-opérateur braque en permanence sur lui un projecteur de 250W recouvert de gélatine bleue, histoire de bien mettre en valeur ses yeux. Pffff!

Dans Rue Barbare où il se fait sérieusement amocher il avait quand même veillé à ce que le chef-opérateur braque en permanence sur lui un projecteur de 250W recouvert de gélatine bleue, histoire de bien mettre en valeur ses yeux. Pffff!

Dans Poussière d'ange (Edouard Niermans, 1986) un film noir où il joue le rôle d'un flic alcoolique, il encaisse avec anxiété le virage brutal d'une apparence et d'un jeu dépourvu de tout clinquant. Cependant là encore, son personnage se ressaisit très vite au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin.

Dans Poussière d'ange (Edouard Niermans, 1986) un film noir où il joue le rôle d'un flic alcoolique, il encaisse avec anxiété le virage brutal d'une apparence et d'un jeu dépourvu de tout clinquant. Cependant là encore, son personnage se ressaisit très vite au nom de la défense de la veuve et de l'orphelin.

Enfin dans L'homme voilé (Maroun Badgadi, 1987), il interprète un médecin ayant basculé dans la vengeance criminelle suite à ses quatre années passées dans l'enfer de la guerre du Liban. Mais une fois de retour à Paris, les retrouvailles avec sa fille, la bien-nommée Claire (Laure Marsac) l'entraînent rapidement sur la voie de la rédemption et du retour à la vie.

Enfin dans L'homme voilé (Maroun Badgadi, 1987), il interprète un médecin ayant basculé dans la vengeance criminelle suite à ses quatre années passées dans l'enfer de la guerre du Liban. Mais une fois de retour à Paris, les retrouvailles avec sa fille, la bien-nommée Claire (Laure Marsac) l'entraînent rapidement sur la voie de la rédemption et du retour à la vie.

CI
Durant cette période il a eu une occasion en or de changer une fois pour toutes de statut et de donner un nouveau tour à sa carrière mais il l'a sabordée en se dérobant au dernier moment alors que le film qui lui était proposé correspondait pourtant à ses aspirations profondes.
En lisant Le Marin à l'ancre, je me suis demandée pourquoi il n'avait jamais joué dans un film de Bertrand Blier tant les affinités avec son univers me paraissaient évidentes. Or c'est d'abord à lui que Bertrand Blier avait pensé pour le rôle d'Antoine dans le film Tenue de soirée après le suicide de Patrick Dewaere. Dans un premier temps Bernard Giraudeau accepte la proposition croyant que le film serait une farce mais lorsque Bertrand Blier lui lit le script, il lui oppose un refus sans appel et sans explications. Un peu plus tard celles qu'il donnera relèvent de la pure mauvaise foi.
Ce n'est pas tant le fait de jouer un homosexuel qui posait problème (Bernard Giraudeau en a interprété un certain nombre) que le fait qu'il s'agissait d'un être dominé, humilié et manipulé. Là ça coinçait vraiment car il ne supportait pas de passer pour un faible ce qui au final était un aveu de fragilité.

Ce n'est pas tant le fait de jouer un homosexuel qui posait problème (Bernard Giraudeau en a interprété un certain nombre) que le fait qu'il s'agissait d'un être dominé, humilié et manipulé. Là ça coinçait vraiment car il ne supportait pas de passer pour un faible ce qui au final était un aveu de fragilité.

CII
Il lui faut attendre dix ans et son propre film Les caprices d'un fleuve pour voir des réalisateurs de films d'auteur s'intéresser enfin à lui. Néanmoins le type de rôle qu'on lui propose est un peu toujours le même: celui du prédateur, dominant dans le jeu de pouvoir, rôle dans lequel il excelle car il ressemble à une part de lui-même. Il peut à la fois briller et en même temps montrer la fragilité sous-jacente de ces personnages sans prendre trop de risques.
En 1995, Patrice Leconte devenu entre temps un réalisateur de films beaucoup plus ambitieux lui offre un second rôle marquant dans Ridicule, celui de l'abbé de Vilecourt, un débauché dont la langue assassine divertit une cour de Versailles frivole et dissolue à la veille de la Révolution. Il en oublie cependant que sa position ne repose que sur le bon plaisir du roi qui le brise au premier faux pas.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)

En 1999 François Ozon lui offre le rôle de Léopold dans Gouttes d'eau sur pierres brûlantes (1999) d'après une pièce de Fassbinder quelque peu autobiographique qui étudie (comme souvent chez lui) les rapports de domination/soumission ici entre quatre personnages enfermés dans un appartement dont les fenêtres ne s'ouvrent pas. 

Mieux vaut ne pas être claustrophobe. Le film est étouffant malgré quelques pauses humoristiques.

Mieux vaut ne pas être claustrophobe. Le film est étouffant malgré quelques pauses humoristiques.

Léopold est à la fois un grand prédateur pervers, tortionnaire domestique et quasi-maquereau et un être souffrant angoissé par la vieillesse et la mort, désireux de rester en enfance (il joue aux petits chevaux, il danse...) 
Sous sa férule, un véritable harem où toutes les sexualités sont représentées: hétérosexualité avec Anna (Ludivine Sagnier), bisexualité avec Eva (Anna Thomson) qui a changé de sexe pour Léopold et homosexualité avec Frantz (Malik Zidi).
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
CIII
La même année, il tourne dans Une affaire de goût (1999) réalisé par Bernard Rapp. Ce film raconte l'histoire de Nicolas, un jeune homme un peu paumé qui tombe sous l'emprise de Frédéric, un grand patron pervers et narcissique (pour changer!) qui veut en faire un clone de lui-même. Pour cela, tel Pygmalion, il va le modeler à son image afin de vivre une nouvelle jeunesse par procuration.
 
Vous ne trouvez pas qu'on se ressemble de plus en plus?

Vous ne trouvez pas qu'on se ressemble de plus en plus?

Je veux que nous ayons le même palais, les mêmes papilles, le même odorat. Désormais, nous partageons les mêmes phobies alimentaires.

Je veux que nous ayons le même palais, les mêmes papilles, le même odorat. Désormais, nous partageons les mêmes phobies alimentaires.

Derrière cette relation sado-masochiste passionnelle, un non-dit et un interdit majeur, celui de la relation homosexuelle, suggérée entre autre à l'aide de phrases équivoques (du genre "Je lirai dans vos yeux que nous partageons le même plaisir" ou "C'est la première fois que je tolère quelqu'un dans mon intimité".) L'issue ne peut être que tragique, un meurtre (ou suicide par procuration).

Comme chez Hitchcock, Rapp filme une scène de meurtre comme une scène d'amour avec un Frédéric qui s'offre littéralement à la lame du couteau.

Comme chez Hitchcock, Rapp filme une scène de meurtre comme une scène d'amour avec un Frédéric qui s'offre littéralement à la lame du couteau.

CIV
Comme Jacques Demy, Bernard Giraudeau a vécu sa jeunesse à une époque où l'homosexualité était un tabou qui pesait des plombes. Dans la marine, elle était impitoyablement réprimée ce qui n'empêchait nullement celle-ci de s'exercer en secret. L'un des héros des Dames de nage est un ancien marin Marco réformé de l'armée pour cette raison. Débarqué brutalement au Chili il survit en se prostituant, travesti en fille, sous le pseudo de Marcia, et souhaite réunir l'argent pour se faire opérer. Marc Austère et Marcia deviennent très proches, ce dernier frôle la limite avec elle mais ne la franchit pas sans qu'on sache exactement si c'est parce qu'il n'en a pas envie (c'est ce qu'il prétend) ou si c'est parce qu'il s'autocensure (ce qui semble être beaucoup plus vraisemblable et lui-même a l'honnêteté de se poser la question). Cette attitude ambiguë de fascination-répulsion est exactement celle de Bernard Giraudeau. D'un côté, il aime exprimer cette part de sa personnalité, de l'autre il met toujours beaucoup de barrières physiques et psychiques quand il interprète ce genre de personnage (voir Tenue de soirée). Dans la vie, idem. Sa quête assez obsessionnelle du double entraîne fatalement ce genre d'attirance qu'il finit soit par sublimer soit par torpiller (ah cette interview sur la chaîne KTO en 2009 où il dit à un moment "j'aime regarder les filles...et aussi les mecs mais je ne suis pas homo.")
Le grand pardon (Alexandre Arcady, 1981)

Le grand pardon (Alexandre Arcady, 1981)

Le fils préféré dans lequel il joue le rôle du frère homosexuel de Gérard Lanvin (Nicole Garcia, 1994)

Le fils préféré dans lequel il joue le rôle du frère homosexuel de Gérard Lanvin (Nicole Garcia, 1994)

CV
Globalement insatisfait par les rôles qu'on lui donne dans le cinéma français et désireux de passer derrière la caméra, Bernard Giraudeau se met à la réalisation de films de fiction et de documentaires pour la télévision (dont les carnets de voyage tournés aux quatre coins du monde). Il réalise deux longs-métrages pour le cinéma qui reflètent ses obsessions intimes: l'Autre (1991) adapté du livre d'Andrée Chedid et Les caprices d'un fleuve (1995).
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
CVI
L'Autre (film aujourd'hui introuvable) qui se situe dans un pays oriental indéterminé est l'histoire d'un vieil homme Simm qui après un tremblement de terre tente de sauver un jeune occidental enseveli sous les décombres. 
 
"-Que penses-tu de la mort?
- La mort, la vie... Ca ne peut pas se séparer, ça se regarde ensemble."
 
"-Depuis que je suis ici Ben avec la mort dans le dos, c'est étrange comme la vie est devenue...comment t'expliquer?...Avant, je n'aurais jamais osé dire: J'aime la vie. Maintenant, je le dis. Je le crie au fond de moi."
 
"Si nous parlons Jeph, c'est parce que la terre est une, aujourd'hui. De plus en plus."
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
CVII
Les caprices d'un fleuve atteignent le sommet du paradoxe puisque avec ce film Giraudeau invente le métissage incestueux. 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Jean-François de la Plaine son héros librement inspiré de la vie du chevalier de Boufflers est un noble qui trois ans avant la Révolution française est obligé d'aller s'exiler au Sénégal parce qu'il a tué en duel un proche du roi Louis XVI. Il devient gouverneur de la colonie de Gorée, plateforme du commerce triangulaire et entame une liaison avec une signare (reine mulâtresse marchande d'esclaves)  alors que sa maîtresse est restée en France. 
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)

Peu à peu, il perd ses certitudes et ses repères d'occidental comme le montre l'évolution de son rapport au miroir.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Un roi trafiquant lui offre en cadeau une petite esclave peule de dix ans que Jean-François nomme Amélie et qu'il élève comme sa fille. 
 
Un échange de regards qui se substitue au miroir
Un échange de regards qui se substitue au miroir

Un échange de regards qui se substitue au miroir

Sauf que devenue grande, il tombe amoureux d'elle et réciproquement. Fille, soeur, épouse et mère.
 
Amélie, lit de mon âme (Les dames de nage)

Amélie, lit de mon âme (Les dames de nage)

Alors qu'il doit retourner en France pour être jugé par la Convention, elle meurt en accouchant de leur fils. Jean-François revient au Sénégal pour faire sa connaissance.
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
CVIII
Oeuvre très personnelle, Les caprices d'un fleuve illustre les contradictions de son réalisateur. Fasciné très jeune par les horizons lointains et les couples mixtes, arpenteur du monde, amoureux passionné de l'Afrique noire et de l'Amérique du sud Bernard Giraudeau a fantasmé la filiation métissée dans son oeuvre littéraire comme cinématographique: " C'est ça l'amour, c'est ça le couple, c'est ça l'avenir, le métissage, l'avenir du monde, c'est le métissage, moi mon film est uniquement là-dessus, il est sur le métissage".
Cependant, dans la vie il a fait exactement le contraire. Ses deux enfants sont issus de sa relation avec Annie Duperey, son gémeau, son clone, son double. Même taille, même âge, même silhouette, même sourire, même métier, même façon de se présenter au public, même caractère indépendant. Frère et soeur siamois, l'union incestueuse parfaite: " J'ai toujours eu envie dans mes rêves de coucher avec ma soeur. J'ai toujours été incestueux.".
"On avait un côté gémellaire". Franchement ça ne se voit pas du tout!

"On avait un côté gémellaire". Franchement ça ne se voit pas du tout!

CIX
C'est justement à partir de la naissance de ses enfants dans les années quatre-vingt que Bernard Giraudeau va fuir cette situation étouffante qu'il a lui-même créé (car c'est lui qui a poussé Annie Duperey à vivre en couple avec lui et à avoir un enfant alors qu'elle ne voulait pas en entendre parler au départ).Voyages, raids, tournages tout est bon pour être le plus loin possible de la famille et de son quotidien domestique qu'il perçoit comme asservissant. Attitude qui reproduit exactement celle de son père, stratégie d'évitement pour ne pas être trop directement confronté aux besoins affectifs des enfants en bas âge. Et comme Annie Duperey manque de repères en matière de couple et de famille (elle a perdu ses parents à l'âge de huit ans, a été séparée de sa soeur etc.) elle supporte cette situation un certain nombre d'années.
Lorsque qu'elle se décide à le quitter, elle aura pourtant les plus grandes difficultés à le décramponner de son rêve d'harmonie familiale. Alors que dans la réalité il est soit absent soit invivable et qu'il refuse toute communication et toute introspection il ira déménager juste au-dessus puis dans la rue juste à côté, incapable de couper définitivement le cordon pendant un certain temps. 
"Bernard aimait construire des fenêtres. Quand elles étaient finies, ils les ouvrait pour partir." (Philippe Giraudeau) Annie Duperey finira par devenir la seule propriétaire de la maison construite par Bernard dans la Creuse. Toutefois avec le recul du temps, cette maison à laquelle elle reste viscéralement attachée apparaît comme un acte de générosité et de foi en la vie puisque qu'elle représente les racines dont elle a été privée.

"Bernard aimait construire des fenêtres. Quand elles étaient finies, ils les ouvrait pour partir." (Philippe Giraudeau) Annie Duperey finira par devenir la seule propriétaire de la maison construite par Bernard dans la Creuse. Toutefois avec le recul du temps, cette maison à laquelle elle reste viscéralement attachée apparaît comme un acte de générosité et de foi en la vie puisque qu'elle représente les racines dont elle a été privée.

CX
Non seulement Bernard Giraudeau est de plus en plus instable, impatient, toujours dans l'urgence, toujours en mouvement mais il manifeste dans tout ce qu'il entreprend un perfectionnisme qui confine à la folie furieuse. Goût du défi, de la conquête et du dépassement de soi deviennent une drogue. Il ne conçoit le sport que comme une compétition ou une quête des sommets. Lors d'un de ses raids à Madagascar, il est victime d'une insolation mais refuse d'abandonner pour ne pas pénaliser son équipe. Lors du tournage des Caprices d'un fleuve dont il veut maîtriser tous les aspects, il  est si habité (voire possédé) qu'il se consume littéralement sous les yeux ébahis de l'équipe: "Tu dors pas, tu manges pas, tu pisses pas, tu travailles tout le temps." (Le Marin à l'ancre) "Il avait la fièvre, la fièvre tout le temps." (Richard Bohringer). Ce sont ses amis et ses collaborateurs qui finissent par lui mettre des limites, essuyant parfois ses monstrueuses colères.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
CXI
Parmi eux, il établit une relation particulièrement forte voire fusionnelle avec le compositeur, peintre et écrivain chilien Osvaldo Torres, guevariste rescapé de la dictature de Pinochet et réfugié en France. Ils tournent ensemble Un ami chilien en parcourant le pays du nord au sud et Osvaldo compose la musique de nombre d'autres de ses oeuvres cinématographiques et littéraires (en version CD audio). 
Bien qu'ils fonctionnent en miroir l'un de l'autre (la quête du double toujours...), Osvaldo est plus mûr, plus posé. Il lui impose le respect et réussit à percer une brèche dans la muraille qu'il a édifié contre les sentiments. Les histoires personnelles et familiales pleine de romanesque d'Osvaldo illuminent les Dames de nage et Cher amour. De même leur voyage au Chili prend l'allure d'une catharsis. Osvaldo et son frère reviennent sur les lieux où ils ont été torturés et leur parole se libère. A son retour en France, Osvaldo commence une psychothérapie qui est le point de départ de celle que finira par suivre Bernard Giraudeau. 
"Te voilà chez toi, métis, criollo, moitié d'Indien et d'Espagnol, tu chantes tes deux pôles, tes deux moitiés, c'est toi qui m'a dit ça" (Cher amour).  Osvaldo Torres a créé une musique métissée dans laquelle il mélange tradition indienne et tradition espagnole.

"Te voilà chez toi, métis, criollo, moitié d'Indien et d'Espagnol, tu chantes tes deux pôles, tes deux moitiés, c'est toi qui m'a dit ça" (Cher amour). Osvaldo Torres a créé une musique métissée dans laquelle il mélange tradition indienne et tradition espagnole.

CXII
A travers Osvaldo, le personnage d'Amélie des Caprices d'un fleuve ou celui de Thérèse dans la nouvelle Indochine (Les Hommes à terre) Giraudeau règle (expie?) un lourd passif familial avec le racisme, la colonisation et l'esclavage. Il a notamment découvert dans les archives de la Rochelle que certains de ses ancêtres avaient armé des bateaux négriers. Sans parler des guerres coloniales de son père. Toutes les formes d'injustice provoquent chez lui une réaction de révolte épidermique comme ce célèbre passage de Cher amour au sujet de la population survivant dans une décharge de Manille " Il y a des enfants nus, de très jeunes enfants, presque des bébés qui poussent dans la merde des autres, les pieds dans l'ordure et la tête au soleil. Ca ne fait pas rire. C'est irréparable. On y laisse quelque chose de soi, un morceau arraché."
En même temps, il garde l'espoir quelque peu utopique que certains de ces enfants échapperont à la fatalité d'une vie misérable par la grâce d'une bonne rencontre un peu comme ce fut le cas pour lui-même.
Chacabuco, camp de prisonniers politiques de Pinochet filmé dans Un ami chilien
Chacabuco, camp de prisonniers politiques de Pinochet filmé dans Un ami chilien

Chacabuco, camp de prisonniers politiques de Pinochet filmé dans Un ami chilien

CXIII
En même temps son parcours est marqué par un refus masochiste du plaisir, du bonheur, du succès et de la reconnaissance au travers d'une obsession de la perfection qui confine à l'autopunition permanente. En lui existe un furieux compétiteur qui ne gagne jamais (il n'a remporté aucun prix sauf pour ses deux derniers livres écrits quand il n'était plus en conflit avec lui-même). De même un trop grand succès public au lieu de le combler ouvre des abîmes d'angoisse (celle d'être enfermé, celle d'être à la hauteur ou tout simplement digne de ce succès). 

La maison des esclaves de Gorée à Dakar.

La maison des esclaves de Gorée à Dakar.

CXIV
Le cancer ou plutôt la récidive de ce cancer en 2005 ne change pas fondamentalement les choses mais elle en modifie radicalement l'équilibre. Ce qui était sous-jacent (la quête de sens, la quête de soi) passe au premier plan et s'il accepte enfin de se calmer, de se poser, de s'ouvrir et de se remettre en question, c'est parce que l'approche de la mort pèse désormais de tout son poids sur lui et qu'il lui faut s'y préparer. Sa vie tumultueuse lui en a fait prendre conscience très tôt, son ombre l'a accompagné partout où il allait. La nouveauté c'est qu'au lieu de continuer à fuir en lui tournant le dos, il a décidé de s'arrêter et d'y faire face. Et de faire avant qu'il ne soit trop tard ce voyage intérieur qu'il a fui presque toute sa vie: " La maladie, il le disait, l'avait contraint d'affronter ses contradictions, celles qui l'avaient construit, celles qui le déchiraient et pouvaient le faire souffrir." (Armelle Héliot)
Bernard acquiert la paix de l'âme alors que son corps part en morceaux (on lui retire un rein en 2001, deux côtes en 2007...)

Bernard acquiert la paix de l'âme alors que son corps part en morceaux (on lui retire un rein en 2001, deux côtes en 2007...)

CXV

Ayant pris du recul, il se révèle très lucide sur lui-même et critique ses comportements passés particulièrement dans Les dames de nage et Cher amour:
"Moi qui aimait partir en cherchant la peur comme un baume, comme une excitation délicieuse, un peu mordante, je paniquais devant l'inconnu qui m'habitait. Aucun voyage, aucune fuite ne me révélerait à moi-même. La solution était en moi et je ne savais pas comment y entrer. Je pressentais qu'il fallait ne plus penser, perdre le contrôle, se laisser aller, enfin".
"Ah! Les hommes d'action, les actifs! Comme ils se fatiguent et nous fatiguent pour ne rien faire, et quelle bête de vanité que celle que l'on tire d'une turbulence stérile! Comme il avait raison Gustave [Flaubert]."
" Je suis seul devant le gâchis et l'orgueil responsable, la vie arrêtée nette au bord de l'abîme, la chair au-dedans déchirée." 
Vis à vis de ses proches, il tente de réparer tout ce qui peut encore l'être. Il se rapproche de ses enfants qu'il a parfois négligés et mis sous pression. Il noue un dialogue avec Annie Duperey qui leur permet de véritablement tourner la page. Et ainsi de suite.
Frédérique Tirmont qui l'a croisé deux ans avant sa mort dira "C'était la première fois qu'il me parlait vraiment, qu'il me regardait vraiment, qu'il me demandait comment j'allais vraiment."
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)

CXVI
Dans Cher amour, c'est l'expression des sentiments qui passe au premier plan. 
Dédicacé à une certaine madame T à qui il s'adresse, on comprend assez vite qu'il s'agit de cette femme rêvée qui l'a accompagnée tout au long de sa vie. Sauf qu'elle finit par s'incarner "je n'envisage pas de continuer cette vie tumultueuse sans aimer. Je ne peux pas éternellement écrire à une ombre, sans lui dire, lui parler et ne jamais avoir de réponse." Madame T prend alors les traits d'une femme bien réelle, celle avec laquelle il a passé les dernières années de sa vie (Thora Mahdavi). Cher amour esquisse la réunification entre l'imaginaire et le réel,  la sexualité et les sentiments.
"Je vous aimerai telle que vous êtes, non telle que je vous ai imaginée. Ce sera ma force et ma guérison. Ainsi commence ce jour le vrai voyage de ma vie puisque ce qui fut vécu n'était qu'un rêve effleuré." 
"Il ne faudra pas oublier les gestes, même esquissés, qui disent la tendresse, les gestes si souvent négligés, oubliés comme un repli du coeur. Je serai encore un peu maladroit mais vous allez m'aider mon amour."

"Ce n'est pas un personnage de théâtre qui souhaite avidement vous tenir dans ses bras, c'est un homme nu, sans costume aucun, sans texte appris par coeur, sans mise en scène longuement élaborée qui veut briser tous les miroirs pour découvrir derrière les éclats de sa vie la femme et l'amour qui s'échappent depuis si longtemps, la fiction dans laquelle je vis encore." (Cher amour)

"Ce n'est pas un personnage de théâtre qui souhaite avidement vous tenir dans ses bras, c'est un homme nu, sans costume aucun, sans texte appris par coeur, sans mise en scène longuement élaborée qui veut briser tous les miroirs pour découvrir derrière les éclats de sa vie la femme et l'amour qui s'échappent depuis si longtemps, la fiction dans laquelle je vis encore." (Cher amour)

CXVII
17 juin 2010, à l'aube
"Le voyage est une aube qui n'en finit pas. Comme Jim Harrison, je trouve que c'est beau, l'aube, les aubes du monde, à Saint-Petersbourg, au Kenya, au Mexique, partout, que ce soit avec l'éléphant qui boit, les usines qui fument, les Andes poudrées, Paris la brume derrière Belleville. C'est l'aube qui est belle parce qu'elle embellit. C'est l'annonce de l'éblouissement, la naissance de la vie incompréhensible. Tu regardes l'aube, mon amour, non, tu la vis, tu es en elle, tu t'abîmes pour renaître. Le bonheur du voyage, c'est de faire tout pour la première fois." (Cher amour)

"Le voyage est une aube qui n'en finit pas. Comme Jim Harrison, je trouve que c'est beau, l'aube, les aubes du monde, à Saint-Petersbourg, au Kenya, au Mexique, partout, que ce soit avec l'éléphant qui boit, les usines qui fument, les Andes poudrées, Paris la brume derrière Belleville. C'est l'aube qui est belle parce qu'elle embellit. C'est l'annonce de l'éblouissement, la naissance de la vie incompréhensible. Tu regardes l'aube, mon amour, non, tu la vis, tu es en elle, tu t'abîmes pour renaître. Le bonheur du voyage, c'est de faire tout pour la première fois." (Cher amour)

CXVIII

La vision panoramique qu'Oscar a d'elle-même,peu de temps avant de mourir

La vision panoramique qu'Oscar a d'elle-même,peu de temps avant de mourir

CXIX
Octobre 2014
Pendant notre séjour à La Rochelle, nous nous rendons sur les lieux qui ont nourri l'imaginaire de Bernard Giraudeau dans son enfance, constatant qu'ils ont été symboliquement détruits les uns après les autres.
En application du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (une conséquence des attentats du 11 septembre 2001), le port de la Pallice a été clôturé et interdit au public. Il a perdu jusqu'à son nom (n'étant plus relié au quartier de la Pallice il a été rebaptisé "port atlantique").

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2 (suite)

Le boulevard Emile Delmas, désormais séparé du port s'est dévitalisé (le Sea men's club, nouveau lieu de détente pour les marins se situant dans l'enceinte du port).
 

L'impasse à laquelle mène aujourd'hui le boulevard.

L'impasse à laquelle mène aujourd'hui le boulevard.

L'inauguration du pont reliant l'île de Ré au continent en 1988 a ouvert une boîte de Pandore. Ne reconnaissant plus le terrain de jeu sauvage de son enfance, défiguré par endroits par les villas de stars et le tourisme de masse, Bernard Giraudeau a fini par revendre la maison qu'il y possédait.
 

La barrière, le port, le pont.

La barrière, le port, le pont.

CXX

En attendant l'ouverture imminente de la maison du port, un bâtiment H.Q.E (haute qualité environnementale) qui désenclavera l'extrémité du boulevard Delmas et permettra enfin aux Rochelais et aux touristes de revenir contempler le trafic du port. Seulement, ils seront parqués sur une plateforme panoramique de 150 m2 qui permettra de voir de loin mais pas de toucher ou de respirer l'odeur des grumes. Ni de lire leur provenance "Le Libéria? Ca doit être un pays où tout le monde est libre..." (Bernard Giraudeau)

 

Un balcon sur la mer.
Un balcon sur la mer.

Un balcon sur la mer.

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Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Publié le par Rosalie210

DEUXIEME PARTIE

LXI
" Je suis double. L'un est là pour embêter l'autre, l'un détruit ce que l'autre entreprend, sans que je sache lequel." (Bernard Giraudeau à propos de son signe astrologique)
Doté d'une personnalité à la fois créatrice et destructrice, hyperactive et contemplative, murée en elle-même et avide de liberté, masculine et féminine, sombre et solaire, généreuse et égoïste, courageuse et prompte à la dérobade, franche et pudique, entière et adepte des faux-semblants, énergique et dépressive, rebelle et docile, dure et (hyper)sensible, forte et fragile, autoritaire et en recherche d'autorité, à la conquête du monde et en quête de sens, Bernard Giraudeau a passé l'essentiel de sa vie à se chercher tout en se fuyant. Une quête d'identité qu'il a effectué dans de grands espaces et des scènes de théâtre, au coeur de la forêt équatoriale et au sommet de la cordillère des Andes. Mais une quête tourmentée, longtemps figée au stade infantile, véritable enfer pour lui-même et pour son entourage. Ce sont les épines d'acacia dans sa poitrine qui l'ont fait grandir d'une seule traite, qui l'ont fait "passer des ténèbres à la sagesse" avant qu'elles ne se referment une fois pour toutes sur leur proie.
"Moi qui aimait les déserts, avec l'infini des robes minérales, je savais impossible ma retraite en cette austérité. Pourtant, quelque chose accrochait le ventre et vous sommait d'ouvrir les bras au soleil. Il faut être soudain poreux pour aimer. La terre se donne. Si elle repousse, c'est qu'on a fermé quelque chose en soi." (Les dames de nage)

"Moi qui aimait les déserts, avec l'infini des robes minérales, je savais impossible ma retraite en cette austérité. Pourtant, quelque chose accrochait le ventre et vous sommait d'ouvrir les bras au soleil. Il faut être soudain poreux pour aimer. La terre se donne. Si elle repousse, c'est qu'on a fermé quelque chose en soi." (Les dames de nage)

LXII
" Les autres officiers et moi-même nous sommes des êtres frustes, vulgaires. Fosca est cultivée, elle a un esprit délicat, subtil. Dès que je vous ai vu je me suis dit: voilà le type d'homme que Fosca aimera. Vous êtes beau, et sensible. Malheur à ceux qui viennent au monde avec la marque de ce péché originel." 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Passion d'amour réalisé en 1981 par Ettore Scola grave magistralement dans le marbre les tourments d'un homme qui, à 34 ans, était alors au faîte de sa jeunesse et de sa beauté. Une beauté quasi surréelle parce que déjà hantée par la mort. Il l'avait frôlée à plusieurs reprises à la fin de son adolescence et une chiromancienne lui avait prédit qu'il allait mourir jeune. "Un homme solaire et inquiet."; "On voyait l'ombre de la mort sur son visage et en même temps il était lumineux."
 
LXIII
Le film est l'adaptation d'un roman aux résonances autobiographiques de Iginio UgoTarchetti. Il ne put achever celui-ci, emporté.... à tout juste 30 ans par la tuberculose.
Tarchetti s'est dépeint aussi bien dans le personnage de Fosca que dans celui de Giorgio Barchetti (qui à une lettre près est son nom de famille).

Tarchetti s'est dépeint aussi bien dans le personnage de Fosca que dans celui de Giorgio Barchetti (qui à une lettre près est son nom de famille).

LXIV
Passion d'amour se déroule au XIX° siècle dans le Piémont italien. Un jeune et fringant capitaine de cavalerie, Giorgio Barchetti est affecté dans une garnison isolée au coeur des Alpes. A son grand désespoir, il doit s'éloigner de sa belle maîtresse, Clara qui est mariée et a un enfant.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
 
Mais dans sa nouvelle affectation, il fait la connaissance d'une jeune fille de son âge, Fosca ("obscure"). Celle-ci vit quasiment cloîtrée car frappée à la fois par une terrible laideur et une maladie potentiellement mortelle. 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Fosca est bouleversée par la beauté de Giorgio mais aussi par sa sensibilité si semblable à la sienne et totalement insolite chez un homme de ce temps et de ce milieu. Elle tombe passionnément amoureuse de lui et révèle sa force de caractère hors du commun (prodigieuse Valeria d'Obici!). En effet ses sentiments se manifestent de façon intense, opiniâtre, douloureuse et oppressive au travers de crises d'hystérie particulièrement terrifiantes. 

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Après une longue lutte interne entre répulsion instinctive et attraction irrésistible, Giorgio finit par découvrir et accepter en lui un sentiment d'une intensité supérieure à tout ce qu'il a vécu jusque-là.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

 Mais cette passion lorsqu'elle se concrétise finit par les détruire tous les deux.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXV
Ettore Scola choisit Bernard Giraudeau pour jouer le rôle de Giorgio Barchetti après avoir rencontré près d'une cinquantaine de comédiens différents: " Immédiatement, le courant passe entre les deux hommes: le scénario renvoie Bernard à ses propres interrogations sur la beauté." (Bertrand Tessier).
Bernard Giraudeau est très surpris voire incrédule d'avoir été choisi par l'un des maître du cinéma italien alors qu'à la même époque il ne tourne en France que des grosses productions populaires à succès "Scola, très psychologue, a dû comprendre qu'intérieurement j'étais plus angoissé, plus fragile et plus violent que je ne le laissais paraître" (B.G)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

LXVI
La beauté et son contraire, la laideur occupent une place centrale dans le film. Mais là où l'histoire s'avère profondément originale et moderne, c'est que ces deux notions sont sexuellement inversées. La beauté qui est d'essence féminine s'incarne dans un corps masculin alors que la laideur, attribuée traditionnellement au masculin (de la Belle et la Bête à Cyrano de Bergerac en passant par Quasimodo et Esméralda) s'incarne ici dans un corps féminin.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXVII
Plus l'histoire progresse, plus la nature féminine de Giorgio se révèle: "Le cheminement de Giorgio a été pour moi une expérience extrêmement douloureuse. C'était très difficile d'accepter cette évolution. Giorgio est passif, il ne dit rien, il ne fait rien, il subit l'autre." (BG)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Bien évidemment, Ettore Scola ne lui a pas attribué ce rôle innocemment: " Les séducteurs ont toujours une part importante de féminité en eux. Sur le tournage, je m'amusais à l'appeler "mon actrice préférée." (Ettore Scola)
 
LXVIII
La mue est achevée quand Giorgio, atteint des mêmes manifestations hystériques que Fosca est réformé de l'armée. L'hystérie est traditionnellement associée aux femmes, hystera signifiant utérus. 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXIX
Le second thème majeur du film est l'incompatibilité entre le bonheur et la passion. Au début du film, Fosca refuse de se montrer de peur d'être rejetée par Giorgio. Ils dialoguent par livres interposés qu'il fait monter dans sa chambre. Parmi eux La Nouvelle Héloïse de Rousseau devient un véritable sésame. Fosca a souligné en effet une phrase lourde de sens dans le livre (voir Jackie Demaistre dans la première partie): " Les passions les plus douloureuses procurent une jouissance qui supplée au bonheur." Comment ne pas songer à Truffaut et à cette phrase récurrente dans son oeuvre: "vous aimer est à la fois une joie et une souffrance."
Dans le manga de la Rose de Versailles (dont Lady Oscar est une adaptation), le comte de Girodelle (qui a demandé la main d'Oscar) se moque d'André en lui suggérant de lire La nouvelle Héloïse qu'il juge "enfantin". Après l'avoir lu et s'y être reconnu dans son amour impossible pour Oscar, André pense qu'"il n'y a des amours qui ne sont unies que par la mort."

Dans le manga de la Rose de Versailles (dont Lady Oscar est une adaptation), le comte de Girodelle (qui a demandé la main d'Oscar) se moque d'André en lui suggérant de lire La nouvelle Héloïse qu'il juge "enfantin". Après l'avoir lu et s'y être reconnu dans son amour impossible pour Oscar, André pense qu'"il n'y a des amours qui ne sont unies que par la mort."

LXX
Troisième thème fondamental du film: la sexualité mortifère. Fosca avec son visage d'épouvante et son corps tourmenté est une cousine pas très lointaine du Nosferatu de Murnau et du Cri de Munch. 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Elle s'aggripe à Giorgio, le prive peu à peu de sa force vitale, le vampirise. Plus le film progresse, plus celui-ci s'affaiblit et s'obscurcit, finissant par s'enrouler dans sa cape noire à la manière d'une grosse chauve-souris.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXI
Elle finit par l'entraîner avec elle dans le monde des ténèbres et même par l'absorber complètementAlmodovar dans son court-métrage en N et B "L'Amant qui rétrécit" (Parle avec elle 2002) illustre cette angoisse latente d'être avalé par le sexe féminin à la façon de l'origine du monde de Courbet. C'est cette crainte qui a entraîné la chasse aux sorcières au Moyen-Age car selon le Maleus Maleficarum "toute sorcellerie vient des passions charnelles qui dans les femmes, sont insatiables."

Quant à Fosca, sa laideur l'a tenue à l'écart des hommes puis l'a rendue malade lorsqu'elle a été flouée par un escroc qui s'est enfui le jour de ses noces avec sa dot. Depuis, la sexualité lui est interdite sous peine de mort. C'est justement pour cela qu'elle passe outre avec Giorgio avec les mêmes conséquences que dans La Belle au Bois dormant"Le jour de ses 16 ans, elle se piquera le doigt avec un fuseau et elle en mourra."

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXII
" J'aurai dû être marin toute ma vie, pas acteur. Je suis un marin acteur." (Le Marin à l'ancre) Aussi (sur)doué pour la gymnastique intellectuelle et l'expression artistique que pour le travail manuel ou les exploits sportifs Bernard Giraudeau a eu plusieurs vies et autant de métiers ou d'occupations différentes. Outre les deux professions déjà citées (de loin les plus importantes), il a été contrôleur à la chaîne, colleur d'affiches, fabricant de colliers et de bracelets, vendeur de placards publicitaires, manutentionnaire, danseur, karatéka, alpiniste, parachutiste, réalisateur...
Les marins perdus (2003) réalisé par Claire Devers d'après le roman du même nom de Jean-Claude Izzo. Un bateau à quai qui symbolise l'impasse existentielle dans la vie de trois hommes de mer. La réalisatrice a engagé Giraudeau sans connaître son passé de marin. Celui-ci infléchit certains passages du film qui prennent une résonance autobiographique.

Les marins perdus (2003) réalisé par Claire Devers d'après le roman du même nom de Jean-Claude Izzo. Un bateau à quai qui symbolise l'impasse existentielle dans la vie de trois hommes de mer. La réalisatrice a engagé Giraudeau sans connaître son passé de marin. Celui-ci infléchit certains passages du film qui prennent une résonance autobiographique.

LXXIII
Et puis il y a l'écriture "ce désir d'enfance d'écrire au monde". Il griffonne sur des carnets de notes durant les années de marine nationale comme durant la période de vedettariat.
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Son talent d'écrivain n'éclate au grand jour que dans les années 2000 quand la maladie le contraint à l'ascétisme et à l'introspection. Comme Proust qui a toujours su lui résister puisqu'en qu'en dépit de ses efforts il n'est jamais parvenu à terminer A la recherche du temps perdu. Plutôt irritant quand on est un perfectionniste.
 
LXXIV
Entre 2001 et 2009, Bernard Giraudeau a publié cinq livres: une correspondance (Le Marin à l'ancre), un recueil de contes pour enfants (Les contes d'Humahuaca), un recueil de nouvelles (Les Hommes à terre) et deux romans Les dames de nage et Cher amour. A cela il faut rajouter les deux bandes dessinées réalisées d'après ces mêmes ouvrages avec le dessinateur Christian Cailleaux: R97-Les hommes à terre (2008) et Les longues traversées publiées à titre posthume en 2011.
Des livres à forte teneur autobiographique bien que les héros portent d'autres noms tels que Théo Laurens (R97) ou Marc Austère et ses amis Michel et Diego (Les dames de nage).
"Je pense parfois en t'écrivant que je ne suis qu'un marin d'encre et que toi, mon ami, le marin à l'ancre, il n'y a que ton corps qui soit ancré à Saint-Jean."

"Je pense parfois en t'écrivant que je ne suis qu'un marin d'encre et que toi, mon ami, le marin à l'ancre, il n'y a que ton corps qui soit ancré à Saint-Jean."

" Il y a des ports qui se cachent. ils se barricadent en concessions privées, ils se replient, se ferment.. Ils se portifient. Ils sont portifères."

" Il y a des ports qui se cachent. ils se barricadent en concessions privées, ils se replient, se ferment.. Ils se portifient. Ils sont portifères."

"Elle était riche d'un passé tumultueux, hésitant. Elle avait la souplesse d'un animal et la liberté offerte. Elle semblait, en ces instants une vague heureuse, épuisée, dirait Camus, qui s'abandonne sur la grève. Elle était femme des turbulences et cherchait un abri. Elle était rieuse et douloureuse à la fois, c'est à dire doulourieuse."

"Elle était riche d'un passé tumultueux, hésitant. Elle avait la souplesse d'un animal et la liberté offerte. Elle semblait, en ces instants une vague heureuse, épuisée, dirait Camus, qui s'abandonne sur la grève. Elle était femme des turbulences et cherchait un abri. Elle était rieuse et douloureuse à la fois, c'est à dire doulourieuse."

"Je vous écris pour prolonger l'instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité, à l'oubli, à l'impermanence, ceci sans succès bien sûr puisque c'est vouloir figer l'éphémère et j'aime l'éphémère, nul n'est parfait."

"Je vous écris pour prolonger l'instant, en garder une trace, tordre le cou à la fugacité, à l'oubli, à l'impermanence, ceci sans succès bien sûr puisque c'est vouloir figer l'éphémère et j'aime l'éphémère, nul n'est parfait."

LXXV
Le contenu et le style de ses livres est à l'image de sa personnalité: varié, contrasté, marqué par des ruptures de rythmes et de tons, des passages d'un monde à un autre, d'un type de récit à un autre "Mais comment fait-il, Bernard Giraudeau? Comment parvient-il à passer en quelques lignes de l'horreur à la beauté, d'un cruel réalisme à la poésie, du rire aux larmes, du vaste monde à la loge d'un théâtre, d'Anouilh à Magellan, des choses qui fâchent aux choses qui enchantent?" (Bernard Pivot à propos de Cher amour)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXVI
L'évolution personnelle de Bernard Giraudeau est perceptible à travers ses romans. On bouge tellement d'un lieu à l'autre dans Le Marin à l'ancre que l'on finit par avoir le tournis. L'univers se réduit à des sensations ou des impressions furtives. Les faits les plus traumatisants et/ou les plus sordides sont exposés avec une crudité suffocante. Un certain fatalisme (inaptitude au bonheur, à l'amour etc.) teinté d'angoisse imprègne le tout. A l'autre bout du spectre, Cher amour est ample, lent, approfondi, réflexif, contemplatif, perméable, doux, sensible et ouvert à l'espoir. 
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXVII
Bernard Giraudeau est né à La Rochelle le 18 juin 1947. Son père qui est militaire a été prisonnier en Allemagne de 1940 à 1945. Puis il a été affecté à Berlin au début de la guerre froide avant de s'engager dans les guerres coloniales d'Indochine et d'Algérie. Entre ses engagements, il tient une épicerie puis vend des automobiles. Fuyant ou absent, "toutes fenêtres closes sur la pudeur" puisque "communiquer était impudique" (Le Marin à l'ancre). 
Sa mère, femme au foyer est issue d'une famille huguenote ayant trouvé refuge dans ce fief du protestantisme depuis l'édit de Nantes. D'une autre façon que le père, elle n'est pas vraiment là non plus " Maman était quelqu'un d'un peu absent, qui a toujours vécu dans son monde. Elle ne posait pas de questions." (Elizabeth Giraudeau). L'enfance de Bernard Giraudeau est solitaire (ses frères et sa soeur sont beaucoup plus jeunes que lui).
Je n'ai jamais eu de photos d'enfance nettes. Toutes furent prises avec cet appareil, qui laisseront toujours mes premières années de vie dans le flou. (Les dames de nage)

Je n'ai jamais eu de photos d'enfance nettes. Toutes furent prises avec cet appareil, qui laisseront toujours mes premières années de vie dans le flou. (Les dames de nage)

LXXVIII
 
C'est au croisement des deux influences parentales que se situe son passage chez les éclaireurs unionistes, des scouts protestants qui lui donnent le goût de l'aventure. 
Deux traits de son caractère s'affirment à cette occasion: son goût pour le commandement (il était toujours le chef "des troupes") et un comportement volcanique et rebelle qui lui vaut le totem de "Taurillon furieux".

Deux traits de son caractère s'affirment à cette occasion: son goût pour le commandement (il était toujours le chef "des troupes") et un comportement volcanique et rebelle qui lui vaut le totem de "Taurillon furieux".

" Je jure que j'ai cru, une nuit, au débarquement des contrebandiers sur les plages de l'Atlantique. Sur les pieds nus des pirates l'écume était phosphorescente. Un Long John Silver donnait rudement des ordres et maniait un grand coutelas. Un type avec un bandeau tenait un fusil. Il scrutait les dunes en s'attardant dans notre direction. Grouillez-vous les gars, y'a du danger, crachait-il tout bas mais assez fort pour être entendu, y'a mon nez qui me dit qu'on est peut-être pas tout seuls cette nuit. Dimitri a repéré un campement de l'autre côté des dunes, des mouflets qu'il a dit. Si je les prends, je les noie comme des petits chats." (Les dames de nage)

Jim et Long John Silver, les héros de l'un des premiers livres d'aventures dévoré par Bernard Giraudeau

Jim et Long John Silver, les héros de l'un des premiers livres d'aventures dévoré par Bernard Giraudeau

LXXIX
Outre Stevenson, deux écrivains de marine nourrissent l'imaginaire de l'enfant et de l'adolescent: Joseph Conrad et Herman Melville.
R97, les hommes à terre p 45

R97, les hommes à terre p 45

Les Hommes à terre, Billy, nouvelle, pp 85-110

Les Hommes à terre, Billy, nouvelle, pp 85-110

Plus tard, il y aura d'autres de ces écrivains navigateurs ou écrivains voyageurs ou écrivains aventuriers: Rimbaud, St-Exupéry, Kerouac, London etc.

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXX
Quand il ne bivouaque pas avec les éclaireurs sur l'île de Ré ou dans le marais poitevin, il s'évade sur les quais du port de commerce de la Rochelle entre grumes (troncs d'arbres) et conteneurs:
"Tu te retrouves à dix ans sur le port de la Pallice à regarder le nez en l'air, les grumiers d'Afrique ou du Brésil. Ca sent le bois, ça sent là-bas. Tu voudrais déjà aller sur le pont où flotte un pavillon panaméen. Le soleil avant de disparaître allume les bois rouges et la rouille des coques. Tu as déjà vu les grandes grues des quais, Roland? Le soir, elles s'immobilisent. Elles ressemblent à de gros insectes en attente. Il  y a une odeur de cuisine grasse, d'effluves de pétrole, de peinture. Cette odeur-là tu la reconnaîtras partout, la même odeur ou presque sur tous les bateaux du monde. Tu vois qu'il y a de quoi nourrir l'imaginaire. Tu as dix ans et tu es déjà parti." (Le Marin à l'ancre)

"Tu te retrouves à dix ans sur le port de la Pallice à regarder le nez en l'air, les grumiers d'Afrique ou du Brésil. Ca sent le bois, ça sent là-bas. Tu voudrais déjà aller sur le pont où flotte un pavillon panaméen. Le soleil avant de disparaître allume les bois rouges et la rouille des coques. Tu as déjà vu les grandes grues des quais, Roland? Le soir, elles s'immobilisent. Elles ressemblent à de gros insectes en attente. Il y a une odeur de cuisine grasse, d'effluves de pétrole, de peinture. Cette odeur-là tu la reconnaîtras partout, la même odeur ou presque sur tous les bateaux du monde. Tu vois qu'il y a de quoi nourrir l'imaginaire. Tu as dix ans et tu es déjà parti." (Le Marin à l'ancre)

Autre lieu-clé du quartier de la Pallice: le boulevard Emile Delmas situé juste derrière les docks, passerelle entre le port et la ville. La nuit tombée il se transforme en boulevard de la Soif.

"Tu as dix ans et tu passes avec ton vélo sans lumière sur le boulevard de la soif. C'est encore le port. Il y a des bistrots, des bordels. Tu roules lentement, le coeur battant. Tu scrutes l'interdit. Il y a des dos enfumés, des gueules qui se retournent sans te voir. Des filles qui collent, qui rient. Tu as dix ans et tu regardes. Un type sort pour dégueuler. Tu as honte qu'il te voie. Hoquets et cascades lie de vin. Qu'est-ce que tu fais là, petit? Tu cherches ta mère? Ginette, qui c'est le gamin? Je m'en tape du gamin, ferme la porte et essuie-toi. Tu verrais ta gueule en rouge et bleu sous les néons. L'Eden, le Caraïbe, le Bambou Bar. Il est tard et tu files à la maison." (Le Marin à l'ancre)
"Tu as dix ans et tu passes avec ton vélo sans lumière sur le boulevard de la soif. C'est encore le port. Il y a des bistrots, des bordels. Tu roules lentement, le coeur battant. Tu scrutes l'interdit. Il y a des dos enfumés, des gueules qui se retournent sans te voir. Des filles qui collent, qui rient. Tu as dix ans et tu regardes. Un type sort pour dégueuler. Tu as honte qu'il te voie. Hoquets et cascades lie de vin. Qu'est-ce que tu fais là, petit? Tu cherches ta mère? Ginette, qui c'est le gamin? Je m'en tape du gamin, ferme la porte et essuie-toi. Tu verrais ta gueule en rouge et bleu sous les néons. L'Eden, le Caraïbe, le Bambou Bar. Il est tard et tu files à la maison." (Le Marin à l'ancre)

"Tu as dix ans et tu passes avec ton vélo sans lumière sur le boulevard de la soif. C'est encore le port. Il y a des bistrots, des bordels. Tu roules lentement, le coeur battant. Tu scrutes l'interdit. Il y a des dos enfumés, des gueules qui se retournent sans te voir. Des filles qui collent, qui rient. Tu as dix ans et tu regardes. Un type sort pour dégueuler. Tu as honte qu'il te voie. Hoquets et cascades lie de vin. Qu'est-ce que tu fais là, petit? Tu cherches ta mère? Ginette, qui c'est le gamin? Je m'en tape du gamin, ferme la porte et essuie-toi. Tu verrais ta gueule en rouge et bleu sous les néons. L'Eden, le Caraïbe, le Bambou Bar. Il est tard et tu files à la maison." (Le Marin à l'ancre)

LXXXI
Issu d'une lignée de marins (sous marinier, pêcheur, cap-hornier) Bernard a la mer et le voyage dans le sang, des rêves de liberté plein la tête et refuse viscéralement d'aller à l'usine vers laquelle il semble destiné depuis qu'il a été orienté en collège technique en sixième.
15 ans, il quitte le collège pour entrer à l'Ecole des apprentis mécaniciens de la flotte de Toulon (dite aussi école des mousses ou école des arpètes) dont il sort premier en 1963 ce qui lui permet de choisir son embarquement.
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
En 1964 à 17 ans, il embarque donc pour son premier tour du monde à bord du navire école des officiers de la marine nationale, le porte-hélicoptères R97 dit La Jeanne d'Arc. Il est mécanicien spécialiste en turbine-diesel et chaudière, tout en bas de la hiérarchie (d'où le surnom péjoratif de "bouchon gras" en référence au chiffon utilisé par les mécaniciens pour éponger les taches d'huile). 
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXXII
Cependant, il découvre très vite un mode de vie éprouvant, très différent de celui qu'il s'était imaginé. Il passe ses journées à fond de cale, enfermé dans la salle des machines dans le bruit et la chaleur (plus de 40°). Le manque d'isolation l'empêche de dormir (sa cabine est juste au-dessus de la salle des machines). La promiscuité est pesante (ils sont une soixantaine à occuper le même poste).
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Il a également oublié le fait que la marine est une partie de l'armée. Il est soumis à une discipline de fer, inspecté tous les jours, obligé de se plier aux pires corvées. 

C'est d'ailleurs en les récurant qu'il déniche le premier tome d'A la recherche du temps perdu de Proust, coincé dans la tuyauterie.

C'est d'ailleurs en les récurant qu'il déniche le premier tome d'A la recherche du temps perdu de Proust, coincé dans la tuyauterie.

LXXXIII
En plus de tout cela, il est le plus jeune et le plus frêle de l'équipage. Il a du mal à trouver sa place dans un monde d'hommes grossiers, brutaux et alcoolisés. Il se replie sur lui-même et n'est proche que de ceux qui comme lui écrivent des poèmes ou lisent de la littérature.
Tous les néophytes (surnommés "la "bleusaille") subissent des brimades. Un jour, il est victime d'une tentative de meurtre par pendaison. Celle-ci est interrompue par un second maître qui étouffe l'affaire. Cet événement longtemps tu laissera des traces. 

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXXIV
Les longues traversées constituent l'essentiel de son quotidien et celui-ci peut être très sportif notamment lors des typhons...
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

Les escales dans les ports sont d'autres moments de hautes turbulences. Certes, il y a des excursions, du shopping mais il y a surtout des virées de groupe dans les bars et les bordels qui tournent parfois au drame. 

Lors de son second tour du monde il se fait braquer en sortant d'un restaurant de Manille et croit que sa dernière heure est arrivée. Le déséquilibré le ramène jusqu'au bateau, le canon du revolver enfoncé dans son dos (Cher amour)

Lors de son second tour du monde il se fait braquer en sortant d'un restaurant de Manille et croit que sa dernière heure est arrivée. Le déséquilibré le ramène jusqu'au bateau, le canon du revolver enfoncé dans son dos (Cher amour)

LXXXV
C'est au cours de ce premier tour du monde qu'il connaît ses premières expériences sexuelles. A la fréquentation des prostituées, s'ajoutent des "amours" de passage sans lendemain possible. Dans les deux cas c'est un désastre affectif qui achève de le transformer en handicapé des sentiments.
D'un côté la satisfaction compulsive des bas instincts dans des conditions sordides et humiliantes. De l'autre un grand amour idéalisé avec une femme rêvée seule à pouvoir partager son intimité ("concept contre la solitude" selon les propres termes de BG que l'on retrouve en couverture des BD). En conservant ce mode de fonctionnement dissocié bien après l'armée, il s'empêche de connaître une relation satisfaisante avec une femme réelle. Elles finissent toutes par le quitter à cause de son détachement, de son indifférence, de son mutisme ou de son caractère invivable: " Ce n'est pas quelqu'un avec qui on pouvait rester. On n'arrivait pas à le cerner. On ne savait pas si l'on comptait. On était là et puis voilà. Il n'était pas câlin. Il ne disait rien. Il était bloqué. Insaisissable. Ailleurs." (Frédérique Tirmont)
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
LXXXVI

Le point de non-retour est atteint lorsque ,furieux d'être réduit à une "machine-outil", il manque étrangler une prostituée à Kobé. Seule l'intervention d'un camarade l'arrête dans son geste meurtrier. Dans les années et les décennies qui suivent, c'est contre lui qu'il retourne cette violence et là encore, il faut des interventions extérieures pour l'empêcher de commettre l'irréparable. 

De là découle une peur d'aller fouiller en lui-même qui ne le quittera plus et l'entraînera dans une fuite en avant sans issue.
"J'ai peur de l'inexplicable et de l'inexpliqué. J'ai peur un jour de perdre la raison totalement, irrémédiablement. J'ai peur de ces moments où je ne me contrôle plus, où j'échappe à moi-même." (Lettre à Philippe Giraudeau).

"J'ai peur de l'inexplicable et de l'inexpliqué. J'ai peur un jour de perdre la raison totalement, irrémédiablement. J'ai peur de ces moments où je ne me contrôle plus, où j'échappe à moi-même." (Lettre à Philippe Giraudeau).

LXXXVII
La folie criminelle revient comme une obsession dans la filmographie de Bernard Giraudeau:
 
Dans cette adaptation d'Hécate et ses chiens de Paul Morand datant de 1982, Giraudeau joue le rôle d'un attaché consulaire pris au piège d'une passion pour une prédatrice perverse et insaisissable. Peu à peu il est gagné par la jalousie et la folie furieuse au point de sombrer dans la même criminalité pédophile qu'elle. Le film est inégal et maladroit mais il possède une réelle atmosphère grâce à sa musique et l'utilisation des labyrinthiques ruelles de Fes.

Dans cette adaptation d'Hécate et ses chiens de Paul Morand datant de 1982, Giraudeau joue le rôle d'un attaché consulaire pris au piège d'une passion pour une prédatrice perverse et insaisissable. Peu à peu il est gagné par la jalousie et la folie furieuse au point de sombrer dans la même criminalité pédophile qu'elle. Le film est inégal et maladroit mais il possède une réelle atmosphère grâce à sa musique et l'utilisation des labyrinthiques ruelles de Fes.

Dans Ce jour-là de Raoul Ruiz (2003) il joue un tueur échappé de l'asile qui se transforme en chevalier servant au contact d'une jeune fille aussi "dérangée" que lui. Au lieu de l'assassiner, il s'en prend à tous ceux qui lui veulent du mal.  Le film décalé et surréaliste rappelle un peu Délicatessen avec sa loufoquerie, sa poésie, son étrangeté, sa dureté sous-jacente (le monde cruel des capitalistes contre deux innocents aux mains pleines.) et ses acteurs typés (dont Rufus qui joue dans les deux films).

Dans Ce jour-là de Raoul Ruiz (2003) il joue un tueur échappé de l'asile qui se transforme en chevalier servant au contact d'une jeune fille aussi "dérangée" que lui. Au lieu de l'assassiner, il s'en prend à tous ceux qui lui veulent du mal. Le film décalé et surréaliste rappelle un peu Délicatessen avec sa loufoquerie, sa poésie, son étrangeté, sa dureté sous-jacente (le monde cruel des capitalistes contre deux innocents aux mains pleines.) et ses acteurs typés (dont Rufus qui joue dans les deux films).

Quant à Je suis un assassin de Thomas Vincent (2004), son titre annonce le programme. Le personnage joué par Giraudeau tue d'abord par procuration avant de sombrer peu à peu dans la folie (pour changer...) et de tuer pour de bon.

Quant à Je suis un assassin de Thomas Vincent (2004), son titre annonce le programme. Le personnage joué par Giraudeau tue d'abord par procuration avant de sombrer peu à peu dans la folie (pour changer...) et de tuer pour de bon.

LXXXVIII
S'il repart néanmoins à bord de la Jeanne d'Arc pour un deuxième tour du monde (cette fois en tant qu'agent de sécurité du navire), c'est qu'il a signé un engagement pour cinq ans avec la marine nationale et qu'il est coincé. Il est néanmoins beaucoup plus revendicatif et rebelle qu'avant. 
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Il sait en effet qu'il dilapide sa jeunesse et que son avenir n'est pas dans la marine: " Dans l'enclos de l'armée vivent des âmes qui peu à peu se dessèchent. Quelques-uns et je fais mon possible pour être de ceux-là, tentent de sortir de ce sommeil malfaisant. Nous luttons contre ce sommeil troublé par des règles absurdes qui abaissent l'être. Non! Ce n'est pas la vie et la place d'un homme."

Après la Jeanne d'Arc, il embarque à bord de la frégate Duquesne (qui reste à quai) puis du porte-avions Clemenceau. Là, il explose. Feignant (ou non) un début de démence, il est interné en psychiatrie militaire et réformé le 23 novembre 1966.

LXXXIX
Néanmoins son histoire avec la Jeanne d'Arc n'est pas terminée.
 
Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2

En 2004, quarante ans après son premier tour du monde, Bernard Giraudeau est de retour sur la Jeanne d'Arc pour une traversée cathartique. Auréolé de son titre d'écrivain de marine, il a le statut honorifique de capitaine de frégate. A ce titre il peut naviguer sur n'importe quel bâtiment de la Royale (surnom de la marine nationale dont le siège se trouve rue Royale). Evidemment, c'est la Jeanne d'Arc qu'il choisit. Il dort dans la chambre de l'amiral, face à la mer et demande à monter tout en haut du mât pour filmer le passage du canal de Suez. 

Sous le signe des Gémeaux: Jacques Demy et Bernard Giraudeau: chapitre 2
Néanmoins il descend aussi dans la salle des machines là où tout a commencé...
 
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XC
L'identification est telle que lorsque la Jeanne d'Arc est mise au rebut en mai 2010, il envoie un message à ses anciens camarades réunis pour l'occasion "Je suis dans la dernière ligne droite, comme La Jeanne. Elle c'est fini et moi ça va pas tarder". De fait il mourra un mois plus tard.
Ce lien charnel, organique entre un homme et une machine féminisée nourrit l'histoire de l'art de Jacques Lantier et la Lison, la locomotive de La Bête humaine de Zola à Théodore et Samantha l'ordinateur dans le film Her de Spike Jonze. Avec pour toile de fond la déshumanisation, la solitude et la folie: " Ce furent des années bousculées par la découverte d'autres terres, une jeunesse frappée sur l'enclume avec un mélange de fascination pour la beauté du monde et la violence des hommes, un apprentissage pendant lequel l'amour avait les ailes coupées. Il fallait une féroce envie d'aimer la vie pour ne pas être définitivement blessé." (Cher amour)
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Publié le par Rosalie210

Introduction

"Mais toute ombre en dernier lieu est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu."
(Stephan Zweig, le Monde d'hier)

"Rien ne ressemble autant à une notion que son contraire." (Le paradoxe dans la poésie de Jules Supervielle, Jacques Allemand)

Nantes, le pont transbordeur détruit en 1958

Nantes, le pont transbordeur détruit en 1958

Le port de La Pallice à La Rochelle

Le port de La Pallice à La Rochelle

PREFACE
 
Mon premier contact avec l'univers de Jacques Demy remonte au début des années 80. Mais ce n'est ni Peau d'Ane ni rien qui ressemble de près ou de loin à une bonbonnière. Il s'agit probablement de deux extraits ou bandes-annonces qui passaient à la télévision. Dans le premier, des rats sortaient de toutes part d'un gâteau de mariage, dans l'autre une femme nue sous un manteau de fourrure entrait dans un magasin de télés vert glauque.
Le Joueur de flûte (1971)

Le Joueur de flûte (1971)

Une chambre en ville (1982)

Une chambre en ville (1982)

Deux images plutôt troubles qu'à l'époque je n'ai bien entendu pas pu identifier mais que j'ai su retrouver plus tard. C'est le contraste entre la surface pastel de son univers et ce que j'avais pu en entrevoir si jeune de sombre, d'obscur qui m'a attirée vers ce réalisateur. Et ce d'autant qu'en 1978 il a adapté l'oeuvre culte de mon adolescence, La Rose de Versailles de Riyoko Ikeda (sous le titre de Lady Oscar).

Les premiers films où j'ai vu jouer Bernard Giraudeau remontent également au début des années 80 et ont suscité chez moi une réaction de rejet virulente et épidermique. Les longs manteaux (scénario indigent sur personnages transparents = ennui total) a été une des pires expériences cinématographiques de ma vie, un véritable épouvantail pour de longues années. Quant aux autres films vus durant cette période, ils ont achevé de me donner une image détestable de lui à base de beaugossitude autosatisfaite et d'overdose de testostérone, d'adrénaline, de surboum et autres méduses bien collantes.

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Une antipathie tenace qui s'est brusquement muée en son contraire lorsque j'ai découvert récemment le film Passion d'amour (qui date pourtant aussi du début des années 80) adapté du roman Fosca d'Iginio Ugo Tarchetti. Parce qu'il était réalisé par Ettore Scola que j'adore notamment pour la finesse de son observation de la nature humaine, j'ai surmonté mes préjugés et je l'ai regardé. En mettant en évidence quelques unes des (nombreuses) dualités identitaires de cet acteur, il m'a conduit jusqu'à cette réflexion sur les semblables qui s'attirent et les antipodes qui se touchent.

Passion d'amour est f[oscar]dien par excellence: roses qui soulignent l'éphémère de la beauté, maladies incurables, uniformes militaires seyants, amours passionnelles impossibles, inversion sexuelle, romantisme exacerbé...

Passion d'amour est f[oscar]dien par excellence: roses qui soulignent l'éphémère de la beauté, maladies incurables, uniformes militaires seyants, amours passionnelles impossibles, inversion sexuelle, romantisme exacerbé...

Jamais plus toujours de Yannick Bellon (1976) est un magnifique poème cinématographique sur le temps qui passe et la mémoire, célébré aussi bien par Lévi-Strauss que par Pierre Nora. Il illustre la formule de Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme". L'objet y joue un rôle fondamental qu'il soit recyclé à la poubelle ou dans une vente aux enchères. C'est ainsi que deux petits jeunes qui s'installent (Bernard Giraudeau et Marianne Epin) achètent un paravent à miroirs ayant appartenu à une actrice décédée. Ils le placent dans leur appartement décoré à la japonaise.

Jamais plus toujours de Yannick Bellon (1976) est un magnifique poème cinématographique sur le temps qui passe et la mémoire, célébré aussi bien par Lévi-Strauss que par Pierre Nora. Il illustre la formule de Lavoisier "rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme". L'objet y joue un rôle fondamental qu'il soit recyclé à la poubelle ou dans une vente aux enchères. C'est ainsi que deux petits jeunes qui s'installent (Bernard Giraudeau et Marianne Epin) achètent un paravent à miroirs ayant appartenu à une actrice décédée. Ils le placent dans leur appartement décoré à la japonaise.

Jacques Demy et Bernard Giraudeau donc. Les réunir était une évidence. Parce qu'ils sont tous deux Gémeaux (5 et 18 juin), nés dans une cité portuaire du nord-ouest de la France avec l'océan, l'île de Ré ou Noirmoutier-en-l'île pour horizon. Parce qu'issus de milieux modestes, ils se sont rebellés contre le destin que leur père avait tracé pour eux dans le monde ouvrier au profit d'une carrière artistique librement choisie. Parce que le marin est une figure emblématique des films de Jacques Demy et que marin a été le premier métier de Bernard Giraudeau. Parce que le premier a pensé au second pour jouer Guilbaud dans Une chambre en ville et Orphée dans Parking, ses deux films les plus sombres et torturés. Parce que leurs couples respectifs, gémellaires tous les deux, ont gravité autour du même secteur du XIV° arrondissement de Paris. Parce que tandis que l'un a longtemps rêvé en rongeant son frein au bord du précipice, l'autre s'est engouffré dans les extrêmes jusqu'à finir par se brûler les ailes. A moins que ce ne soit le contraire. Parce qu'au final leur mort quasiment au même âge a été prématurée et tragique. 

 Une histoire profondément marquée par une tension entre la quête du même, du double, du semblable et l'irrésistible attraction de l'autre et de l'ailleurs

Une histoire profondément marquée par une tension entre la quête du même, du double, du semblable et l'irrésistible attraction de l'autre et de l'ailleurs

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