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Les héros du troisième type (8): Le Zéro et l'Infini

Publié le par Rosalie210

Les héros du troisième type (8): Le Zéro et l'Infini

Conclusion

Le Zéro et l'infini

 

"Le Zéro et l'Infini" (Darkness at Noon) a été écrit par Arthur Koestler entre 1938 et 1940. Juif austro-hongrois comme Billy Wilder, né juste un an avant lui et qui a vu également une partie de sa famille partir en fumée, Arthur Koestler couvrit la guerre d'Espagne pour le Komintern ce qui lui valut d'être arrêté, emprisonné et condamné à mort. Il ne dut son salut qu'au fait d'avoir de la valeur en tant que monnaie d'échange. Relâché, il s'enfuit en France où il fut interné au camp de Vernet-sur-Ariège pour "étrangers indésirables" quelques mois après que les réfugiés espagnols (dont mon grand-père faisait partie*) en eussent été évacués. Il a également laissé un témoignage sur les conditions de vie dans ce camp "La Lie de la terre" (1941). Il a passé les premières années de la guerre à fuir, être arrêté, s'échapper, errer en quête d'un asile et à tenter de se suicider, en vain également. Son expérience carcérale, il l'a relatée dans son livre le plus célèbre "Le Zéro et l'Infini" qui au-delà du stalinisme, au-delà même des totalitarismes évoque la place de l'individu selon qu'il vit dans une société ouverte (où il représente la valeur suprême) ou dans un système clos** (où il ne compte pour rien). On le voit, Arthur Koestler était profondément nietzschéen.

* J'ai d'ailleurs récupéré toutes les oeuvres d'Arthur Koestler (qui n'était presque plus édité quand je les ai lues, Arthur Koestler étant alors tombé dans un semi-oubli) dans sa bibliothèque.

** J'aime beaucoup le passage de l'article d'Emmanuel Gehrig dans le journal suisse "Le Temps" du 12/10/2012 qui à l'occasion de la réédition de l'autobiographie de Arthur Koestler écrit "Sous sa plume sarcastique, le marxisme et ses dévots, mais aussi Freud, les religions, tous les systèmes «clos» sont mis à plat, dans leur binarité néfaste. A noter toutefois – nul n’est parfait – qu’il n’a pas renié une autre passion de jeunesse, le sionisme."

Les héros du troisième type (8): Le Zéro et l'Infini

Mais le "Le Zéro et l'Infini" a un autre sens absolument crucial. Durant la majeure partie de sa vie, Arthur Koestler a vécu comme un surhomme romantique c'est à dire excessivement, dangereusement, passionnément et toujours en marge: 

"Depuis les quelques 25 ans que je connais Arthur Koestler [décrit comme un éternel adolescent], son physique a peu changé. Pourtant, ce quart de siècle a été pour lui bien rempli ; il était avec la gauche vaincue en Allemagne, avec les paysans mourant de faim en Ukraine, avec l’émigration militante en France, avec les républicains en Espagne, dans la cellule du condamné à mort à Malaga et à Séville, dans le camp du Vernet, dans la Légion étrangère en Afrique, pendant les grands bombardements dans une prison de Londres, dans l’armée anglaise, en Palestine avec les premiers terroristes sionistes et plus tard […] avec les premières unités de l’armée israélienne […] La sincérité de Koestler n’est pas une vertu, mais une passion violente, dévorante, qui lui fait mal. [...] Un croisé sans croix, un croyant sans foi, Koestler se condamne à vivre sur la corde raide. " (Manès Sperber) Et son comportement en privé était à l'avenant "facilement irritable, tourmenté, impulsif jusqu’à la fureur surtout pour des motifs triviaux, cassant volontiers mobiliers et bibelots, buveur excessif au point d’avoir eu de nombreux démêlés avec la police pour état d’ivresse, gros mangeur, hédoniste proclamé et revendiqué". (Mamaine Paget). 

Les héros du troisième type (8): Le Zéro et l'Infini

Dans "La Corde Raide" (1952), Arthur Koestler résume parfaitement sa quête d'Absolu par ce qu'il appelle "sa flèche dans l'azur, lancée avec une "superforce" "qui la porterait au-delà de la force de gravité terrestre, au-delà de la lune, au-delà de l'attraction du soleil, des autres galaxies, des voies lactées [...] Elle continuerait son chemin au-delà des nébuleuses en spirale, d'autres galaxies et d'autres nébuleuses, et il n'y aurait rien pour l'arrêter, pas de limite, pas de fin, ni dans l'espace, ni dans le temps [...] Mon obsession de la flèche ne fut que la première phase de la recherche. La soif de l’absolu qui marque les êtres incapables de trouver satisfaction dans le monde relatif du maintenant et de l’ici. Quand elle se révéla stérile, l’infini, en tant que but, fut remplacé par des utopies d’un genre ou d’un autre. C’était la même recherche et le même état d’esprit « tout ou rien » qui m’attirèrent vers la Terre promise et vers le Parti communiste […] ».

Nietzsche aurait sans doute applaudi des deux mains, lui qui désespérait voir des hommes de cette trempe advenir " Il est temps que l’homme se fixe à lui-même son but. Il est temps que l’homme plante le germe de sa plus haute espérance. Maintenant son sol est encore assez riche. Mais ce sol un jour sera pauvre et stérile et aucun grand arbre ne pourra plus y croître. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer ! Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos. Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même. Voici ! Je vous montre le dernier homme. » (Ainsi parlait Zarathoustra).

Si la fin des utopies et le vieillissement assagirent Arthur Koestler avec le temps, il resta jusqu'à sa mort un homme engagé, en faveur de l'abolition de la peine de mort (qu'il avait failli subir durant son incarcération en Espagne) et de l'euthanasie. Je me souviens d'ailleurs que mon grand-père avait acheté à sa sortie "Suicide, mode d'emploi" ce qui lui avait valu une certaine réprobation de la part des vendeurs. Cela n'avait fait qu'exacerber ma curiosité et bien qu'il mettait ce livre à part, je me souviens l'avoir feuilleté.

Si la fin des utopies et le vieillissement assagirent Arthur Koestler avec le temps, il resta jusqu'à sa mort un homme engagé, en faveur de l'abolition de la peine de mort (qu'il avait failli subir durant son incarcération en Espagne) et de l'euthanasie. Je me souviens d'ailleurs que mon grand-père avait acheté à sa sortie "Suicide, mode d'emploi" ce qui lui avait valu une certaine réprobation de la part des vendeurs. Cela n'avait fait qu'exacerber ma curiosité et bien qu'il mettait ce livre à part, je me souviens l'avoir feuilleté.

Koestler était un homme sans concessions, admirable certes mais objectivement invivable au quotidien car toujours insatisfait. Parvenir à concilier l'inconciliable, c'est à dire l'ici et le maintenant avec l'infini et l'éternité, la trivialité ennuyeuse de la vie ordinaire avec les voyages psychiques et intellectuels extraordinaires, l'amour qui oblige et la passion qui rend esclave, le grand homme et l'homme bien, la flèche et la boucle, l'organique et le mental, le spirituel et le charnel, la grande culture et la culture populaire, le cinéma d'auteur et la série s'avère donc être un vrai défi, indispensable pour dépasser ce clivage stérile. La plupart des hommes qui font des "étincelles" si j'ose dire (les artistes, les philosophes, les sages, les grands scientifiques, les mystiques, les gens curieux et ouverts, les gens qui marchent sur des chemins de traverse bref tous ceux qui cherchent à s'élever ou à s'élargir d'une façon ou d'une autre) se confrontent à ces contradictions et tentent de les dépasser. Comme le dit François Terrasson à propos du Petit Chaperon Rouge, "c'est en passant dans le ventre du fauve qu'on en acquiert en ressortant tous les pouvoirs" (p163), une variante du célèbre "Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort" de Nietzsche. L'expérience de l'accouchement est un bon moyen de l'éprouver. L'espoir naît de cette capacité à évoluer en s'améliorant car c'est une démarche profondément naturelle, elle qui est toujours en mouvement. Tant que ce mouvement perpétuel est là, l'homme reste vivant et cela Nietzsche qui était influencé par les philosophies orientales, en particulier le bouddhisme (dans les limites de ce que l'on en savait en Occident au XIX° siècle) l'avait bien compris. S'il est l'un des seuls philosophes qui ait pu me "parler"*, c'est en raison de son refus des systèmes codifiés, rigides, clos, y compris dans sa manière de penser, poétique, métaphorique, fragmentaire (comme le sont les sources historiques à reconstituer) qu'il concevait comme une manière de danser. Une réconciliation du corps et de l'esprit sans laquelle rien ne peut véritablement advenir.

* Il me parlait déjà quand j'avais 20 ans (je voyais dans ma tête des petites flammes danser quand notre prof de philo évoquait avec le gai savoir qu'il était aussi un philosophe du corps et de la joie, un philosophe dionysiaque) mais jusqu'à ce que je me décide à écrire, je croyais être incapable de parler de lui.

Se dépasser soi-même.

La valse de l'éternel retour.

"Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde" (Friedrich Nietzsche)

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Les héros du troisième type (7): Le dernier problème

Publié le par Rosalie210

VII

Le dernier problème

Chihiro et le sans-visage dans "Le Voyage de Chihiro", Hayao Miyazaki (2001). Celle-ci a apprivoisé (et rendu doux comme un agneau) cette entité sans identité qui quelques scènes auparavant avait comblé son vide intérieur en dévorant tout sur son passage. En effet elle ne l'a ni jugé, ni condamné. Elle a juste répondu à son véritable besoin d'ordre affectif. Le dernier problème.

Chihiro et le sans-visage dans "Le Voyage de Chihiro", Hayao Miyazaki (2001). Celle-ci a apprivoisé (et rendu doux comme un agneau) cette entité sans identité qui quelques scènes auparavant avait comblé son vide intérieur en dévorant tout sur son passage. En effet elle ne l'a ni jugé, ni condamné. Elle a juste répondu à son véritable besoin d'ordre affectif. Le dernier problème.

" On ne souligne pas les choses. On les suggère. On a recours a un peu de subtilité, on pousse le spectateur à faire le travail".

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 57)

La série "Sherlock" fonctionne de la même manière, au grand désarroi d'ailleurs de certains fans plus habitués à consommer passivement qu'à déchiffrer, résoudre, rassembler, interpréter, bref, faire le même effort de déduction que le héros. Des enfants empoisonnés par les bonbons que leur donne Moriarty jusqu'à Magnussen (Lars Mikkelsen), le méchant de verre et d'acier qui utilise son organisme pour humilier ses victimes de la manière la plus répugnante qui soit, tout fait sens.

On ne perçoit les choses que par contrastes: celui qui oppose le mental et l'organique prend une ampleur saisissante à partir de l'épisode 3 de la saison 3 de Sherlock avec les agressions dégoûtantes de Magnussen qui est par ailleurs d'une froideur clinique et doté d'un palais mental d'acier. De quoi susciter des réactions viscérales telles que des pulsions meurtrières même chez celui qui se croit le plus à l'abri de ce genre de débordement.
On ne perçoit les choses que par contrastes: celui qui oppose le mental et l'organique prend une ampleur saisissante à partir de l'épisode 3 de la saison 3 de Sherlock avec les agressions dégoûtantes de Magnussen qui est par ailleurs d'une froideur clinique et doté d'un palais mental d'acier. De quoi susciter des réactions viscérales telles que des pulsions meurtrières même chez celui qui se croit le plus à l'abri de ce genre de débordement.

On ne perçoit les choses que par contrastes: celui qui oppose le mental et l'organique prend une ampleur saisissante à partir de l'épisode 3 de la saison 3 de Sherlock avec les agressions dégoûtantes de Magnussen qui est par ailleurs d'une froideur clinique et doté d'un palais mental d'acier. De quoi susciter des réactions viscérales telles que des pulsions meurtrières même chez celui qui se croit le plus à l'abri de ce genre de débordement.

"Jack : C'est trop soudain. Je n'ai pas eu le temps, c'est tout.

 Warnie : Le temps de quoi ?

 Jack : De rien du tout. De dire les choses…

 Warnie : Ah ! Tu crois que c'est si long ?

 Jack : Non, tu as peut-être raison.

 Warnie : Quoi que tu aies à dire, Jack, dis-le.

 Jack : Oui, tu as probablement raison. Mais… Mais, c'est si difficile, tu sais ?"

Warnie: Oui, ça je sais."

(aujourd'hui je ne lis plus Warnie mais "warning: avertissement").

 

J'ai vu beaucoup de films qui ont été importants pour moi cette année-là. Celui-là, j'ai dû aller le voir au moins 3-4 fois dans le feu cinéma Georges V (le seul qui le diffusait encore). Il rendait la potion de "Les Vestiges du jour" (sorti la même année) moins amère à avaler en dépit du fait que c'était le cancer incurable de la femme qu'il aimait qui poussait Jack à surmonter son silence. 

Jack (Anthony Hopkins) et son frère Warnie (Edward Hardwicke), deux célibataires endurcis.

Jack (Anthony Hopkins) et son frère Warnie (Edward Hardwicke), deux célibataires endurcis.

Watson: "Sérieux, on en parle pas?"

Sherlock: "De quoi?"

Watson: "Comment ça marche?"

Sherlock: "Quoi?"

Watson: "Toi et La Femme."

[...]

Sherlock: "Nom d'un chien, je ne lui réponds pas!" 

Watson: "Pourquoi? Espèce de petit...con. Elle t'attend, elle t'aime et elle est en vie! Tu as la moindre idée de la chance que tu as? [...] Réponds-lui."

Sherlock; "Pourquoi? [...] Comme je te l'ai expliqué maintes fois avant, une relation amoureuse comble d'autres..."

Watson: "Elle t'apporterait la plénitude."

Sherlock: "Charabia."

Watson: "Réponds-lui! Appelle-la. Réagis tant que c'est possible. Ca ne durera pas. Crois-moi, ça passe vite. Plus vite que tu ne le penses."

(Sherlock, épisode 2, saison 4)

 J'ai comme l'impression d'avoir déjà entendu ça quelque part, non? ^^.

En plus Moriarty fait très bien la pendule... et le warning.

En plus Moriarty fait très bien la pendule... et le warning.

Du premier épisode de la saison 1 jusqu'à la fin de la saison 4 en passant par l'épisode spécial, John Watson tente plusieurs fois de percer le mystère de l'absence de toute implication de Sherlock dans le domaine amoureux et sexuel. Comme Camille dans "Un coeur en hiver", il ne comprend pas comment un être fait de chair et de sang (en bref un être organique) peut faire comme s'il n'avait ni sentiments ni pulsions. Mais l'obsessionnel du contrôle qu'est Sherlock considère justement l'amour comme "un grain de sable dans un engrenage, une rayure sur l'objectif" et préfère se voir comme un être 100% cérébral pour ne pas dire un "pur esprit". Comme bien évidemment un tel déni de la réalité est la porte ouverte à l'autodestruction, il est logique que Watson qui certes n'est pas un médecin de l'âme, mais est tout de même un médecin et un ami proche revienne sans cesse à la charge. Avec plus de succès qu'on ne le pense car en dépit de son refus apparent de se remettre en question ("je suis comme ça", soit à peu près ce que répond Stéphane à Camille), Sherlock entame un long processus d'évolution qui trouve son point final dans la résolution de cet épineux problème. Pour y parvenir, il manque en effet une pièce maîtresse du puzzle que le dernier épisode va combler, de façon indirecte.

Si Moriarty a échoué à tuer Sherlock à la fin de la saison 2, c'est parce que son plan était défaillant. En ciblant ce qu'il croyait être ses trois seuls amis ou pour être exact son père (Lestrade), sa mère (Mrs Hudson) et son frère de substitution (John Watson), il est passé à côté du quatrième: sa soeur de substitution, Molly Hooper (Louise Brealey).

"Moriarty a commis une erreur. La seule personne dont il pensait que je me fichais éperdument était celle qui m'était la plus chère." 

(Episode 1, saison 3)

En effet, sans qu'on s'en rende compte, Sherlock remplace un à un chaque membre de sa famille biologique névrosée par un autre suffisamment sain pour tracer une perspective d'avenir comme le démontre le début du dernier épisode dans lequel Mycroft veut exclure John de la conversation sur Eurus (Sian Brooke) en arguant que c'est une affaire de famille et que Sherlock lui répond "c'est pour ça qu'il reste!"

Les trois enfants de la famille Holmes: Mycroft, Sherlock et Eurus, tous trois aussi "géniaux" que sacrément perturbés. Quand ils étaient enfants, Mycroft aimait raconter à Sherlock le rendez-vous de Samarra, un conte sur une histoire de mort programmée. Mais déjouant la fatalité, Sherlock à changé le scénario devenu le rendez-vous de Sumatra et est devenu pirate. Une belle métaphore de l'état d'esprit de la série.

Les trois enfants de la famille Holmes: Mycroft, Sherlock et Eurus, tous trois aussi "géniaux" que sacrément perturbés. Quand ils étaient enfants, Mycroft aimait raconter à Sherlock le rendez-vous de Samarra, un conte sur une histoire de mort programmée. Mais déjouant la fatalité, Sherlock à changé le scénario devenu le rendez-vous de Sumatra et est devenu pirate. Une belle métaphore de l'état d'esprit de la série.

Cette affaire privée, concerne en effet la soeur cadette de Mycroft et Sherlock, Eurus, meurtrière et pyromane dès son plus jeune âge, enfermée à l'asile puis en prison et dont il n'apprend l'existence (ou plutôt il ne s'en souvient) qu'à la toute fin de la série lorsque l'histoire traumatique de sa famille remonte à la surface. Coup de maître de Mark Gatiss et de Steven Moffat que d'avoir personnifié ce vent d'est (en grec Eurus) par un principe féminin complètement broyé dans toutes les sociétés patriarcales malades de leurs émotions réprimées et qui fait d'autant plus de ravages lorsqu'il souffle sans boussole. En effet de façon inexplicable, il apparaît que leur soeur peut sortir de sa prison quand ça lui chante pour tourner autour de Sherlock et de son entourage sous divers déguisements. Les deux frères et Watson partent donc pour l'île de Sherrinford dans lequel leur soeur est censée être enfermée où ils vont se retrouver piégés.

Sherrinford, l'île-prison-forteresse dans laquelle Mycroft a fait enfermer Eurus qui sous les traits d'une petite fille en détresse enfermée dans un avion en train de se crasher alors que tout le monde est endormi appelle à l'aide Sherlock, John et Mycroft, les mettant sous pression et ainsi se vengeant de tout ce qu'ils lui ont fait subir.
Sherrinford, l'île-prison-forteresse dans laquelle Mycroft a fait enfermer Eurus qui sous les traits d'une petite fille en détresse enfermée dans un avion en train de se crasher alors que tout le monde est endormi appelle à l'aide Sherlock, John et Mycroft, les mettant sous pression et ainsi se vengeant de tout ce qu'ils lui ont fait subir.

Sherrinford, l'île-prison-forteresse dans laquelle Mycroft a fait enfermer Eurus qui sous les traits d'une petite fille en détresse enfermée dans un avion en train de se crasher alors que tout le monde est endormi appelle à l'aide Sherlock, John et Mycroft, les mettant sous pression et ainsi se vengeant de tout ce qu'ils lui ont fait subir.

L'ultime étape pour Sherlock consiste en effet à se retrouver dans le dernier épisode pris dans son propre piège, au fond de son propre tombeau, soumis aux jeux pervers de sa propre soeur infectée par l'esprit de Moriarty qui est la pire version de lui-même. Jusqu'à cet ultime épisode, il n'avait pas complètement perdu tout contrôle de la situation, même quand il semblait au fond du trou. A Sherrinford qui est un avatar du château d'If c'est à dire une île-prison-forteresse où est enfermé la partie la plus secrète de lui-même, il se retrouve tout comme Watson et Mycroft (aussi misérable humainement qu'il est puissant politiquement autrement dit c'est l'archétype du faible selon Nietzsche) dans la position du parfait cobaye des expérimentations sadiques de type nazie. Miroir de celles auxquelles il avait lui-même "joué" dans le troisième épisode de la saison 1 lors de son affrontement avec Moriarty sans se soucier le moins du monde émotionnellement des vies qui étaient en jeu. A la fin de la saison 4, il a suffisamment évolué pour ressentir ce que cela fait dans la chair et dans l'âme d'être traité comme un rat de laboratoire et disséqué vivant. Ou plus prosaïquement le fait d'être manipulé, humilié, terrorisé, bafoué et voir ceux que l'on aime subir le même traitement dégradant. 

Eurus psychopathe aux commandes d'un grand "jeu" consistant à torturer psychologiquement Sherlock, son frère et son meilleur ami

Eurus psychopathe aux commandes d'un grand "jeu" consistant à torturer psychologiquement Sherlock, son frère et son meilleur ami

Sherlock finit cependant par comprendre que la folle qui les torture et la petite fille morte de peur dans l'avion ne sont qu'une seule et même personne qui s'est dissociée (comme il l'est lui-même, comme l'est aussi son frère aîné). Il va l'aider à atterrir en douceur:

"- Je ne suis pas un étranger. Je suis ton frère. Je suis là, Eurus.

[...]

- Je suis dans l'avion. Je vais m'écraser. Et tu vas me sauver.

- Tu es brillante. Ton esprit as créé la parfaite métaphore. Tu es au-dessus de nous, seule, mais tu ne sais pas comment te poser. Je ne suis qu'un idiot mais je suis au sol. Je peux te ramener à la maison.

- Non. Trop tard.

- Non, il n'est pas trop tard.

- Chaque fois que je ferme les yeux, je suis dans l'avion. Je suis perdue, perdue dans le ciel et personne ne m'entend.

- Ouvre les yeux. Je suis là. Tu n'es plus perdue. Tu as seulement fait fausse route la dernière fois. Cette fois, ne te trompe pas."

(épisode 3, saison 4)

La réunification finale Sherlock/Eurus (raison/émotion)  c'est la magie wildérienne en action (la découverte de la partie de soi la plus précieuse).

La réunification finale Sherlock/Eurus (raison/émotion) c'est la magie wildérienne en action (la découverte de la partie de soi la plus précieuse).

Le jeu de reflets suggère parfaitement ce que représente Eurus pour Sherlock: tout ce qu'il a enfoui (émotions, sentiments, pulsions)

Le jeu de reflets suggère parfaitement ce que représente Eurus pour Sherlock: tout ce qu'il a enfoui (émotions, sentiments, pulsions)

C'est donc Eurus qui va obliger Sherlock à révéler ses émotions les plus intimes sous la torture durant l'escape game sadique qu'elle a organisé dans la prison dont elle a pris le contrôle, en lui donnant au passage une bonne leçon sur ce qui se cache derrière l'apparent ennui d'une vie ordinaire, ce qui en fait en réalité tout le prix. Ce prix qu'a voulu justement lui transmettre Mary en lui sauvant la vie, ajoutant que la seule vie qu'elle estimait valoir la peine d'être vécue était celle qu'elle avait eu avec John Watson.

" Revenons à nos moutons. Le cercueil. Le problème. Quelqu'un va mourir. Ce sera semble-t-il une tragédie. Tant de jours non vécus, tant de mots non prononcés. Etc. Etc. Etc. [...] Le cercueil de qui, Sherlock? Commence tes déductions."

C'est Mycroft évidemment, bien obligé lui aussi de payer la facture qui comprend le plus vite de quoi il s'agit.

"[...] C'est quelqu'un qui aime quelqu'un. Qui aime Sherlock. Tout tourne autour de toi ici. Alors, qui t'aime? La liste ne doit pas être longue."

(épisode 3, saison 4 qui s'appelle justement "Le dernier problème").

Je pense alors qu'il y a quelque chose du final d'Alphaville dans cette scène quand Lemmy Caution-Orphée (Eddie Constantine) arrache Natasha-Eurydice (Anna Karina) de ce cauchemar urbain orwellien dans lequel la poésie tout comme les sentiments ont été abolis (logique, c'est une machine qui dirige Alphaville et elle s'appelle von Braun du nom du scientifique nazi qui mit au point les premiers missiles avant de rejoindre les USA et de participer au programme Apollo, inspirant à Kubrick son célèbre "Docteur Folamour"):

Lemmy: "Ne vous retournez pas."

Natasha: "Vous croyez qu'ils sont tous morts?"

Lemmy: "Non, pas encore [...] Ne vous retournez pas."

Natasha: "J'ai dormi longtemps?"

Lemmy "Non, l'espace d'un instant.

Natasha: [...] Vous me regardez d'une drôle de façon. J'ai le pressentiment que vous voulez que je vous dise quelque chose."

Lemmy: "Oui"

Natasha: "Je ne sais pas quoi dire. C'est des mots que je ne connais pas. On ne me les a pas appris. Aidez-moi".

Lemmy: "Impossible princesse. Vous devez y arriver toute seule. Alors vous serez sauvée. Si vous n'y arrivez pas, vous êtes perdue comme les morts d'Alphaville."

Natasha: "Je....vous....aime. Je vous aime!"

Une morgue n'est pas vraiment le genre d'endroit auquel on pense pour une rencontre. Pourtant c'est bien là que font connaissance Sherlock et Molly, lui pour ses "expériences" sur les cadavres et elle dans le cadre de son travail de médecin légiste et c'est aussi là que le spectateur les découvre, en même temps dans le premier épisode. Il apparaît aussitôt que Molly qui est une jeune femme plutôt ordinaire et timide est complètement sous le charme de Sherlock et que c'est quelqu'un qui parle avec son coeur, sans réprimer ou travestir ses affects, sans manipuler ceux des autres, alors que lui est absolument odieux avec elle, ne cessant de lui faire des remarques désobligeantes sur son apparence qui ne paye pas de mine, sur ce qu'elle peut bien dire ou faire ou bien manipulant ses sentiments pour les besoins de son enquête, comme il le fera avec Janine dans la saison 3. L'image qui en ressort est déplorable des deux côtés ce qui reflète leur basse estime d'eux-mêmes. Sherlock se déteste en tant qu'être humain autant qu'il s'adore en idole (d'ailleurs, une fois devenus amis au début de la saison 3 il dit à Molly qu'elle mérite mieux qu'un "sociopathe"). Il passe pour un goujat et elle, pour une pauvre fille pathétique qui d'ailleurs flirte aussi avec un Moriarty tout aussi manipulateur sans le savoir (épisode 3 de la saison 1).

Bien évidemment, c'est cette scène qu'Eurus fait rejouer dans le dialogue téléphonique entre l'appartement de Molly et la prison de Sherrinford dans le dernier épisode de la saison 4. Elle n'a plus ensuite qu'à présenter la facture à un Sherlock très éprouvé psychologiquement ("Regarde ce que tu lui a fait, regarde ce que tu t'es fais à toi-même").

Il y a comme qui dirait "un cadavre" entre eux.

Il y a comme qui dirait "un cadavre" entre eux.

En fait la morgue "dit" exactement où se trouvent placés les émotions et les sentiments dans une société mortifère qui voue un culte au jeu de pouvoir et a lancé un programme d'autodestruction dont nul ne sait jusqu'où il ira. Dans le livre "La peur de la nature" de François Terrasson (1997) celui-ci clarifie parfaitement les enjeux: "La Nature, c'est ce qui ne dépend pas de notre volonté. Comme nos désirs, comme nos passions, amours et détestations, pulsions sexuelles ou agressives. De la nature à l'intérieur de l'homme, voilà ce que c'est. Pas question de commander. Cela surgit, venu du fond du coeur (ou du cerveau plus exactement) et cela passe d'autant mieux que la partie raisonnante du cerveau est mise entre parenthèses. La musique est une de ces techniques qui permet au souffle des puissances intérieures de se manifester sans se soucier de la volonté [...] Les sociétés qui détruisent la Nature sont aussi des sociétés de répression émotive." (p 51). Et on voit à quel point la pensée nietzschéenne a été mal comprise quand par "volonté de puissance" il parle en fait "d'embrasser le chaos du monde" c'est à dire son vécu sensoriel, corporel et certainement pas de le trier, de l'ordonner ou de le domestiquer, en bref de le rationaliser. Encore moins de le réprimer.

J'ai découvert ce livre à partir d'un autre très justement intitulé "L'intelligence du coeur" vers 1996. Et depuis, ils me suivent toujours partout où je vais.

J'ai découvert ce livre à partir d'un autre très justement intitulé "L'intelligence du coeur" vers 1996. Et depuis, ils me suivent toujours partout où je vais.

Tous deux coupés de leurs émotions et ayant refoulé leur soeur et ce qu'elle représente, Mycroft et Sherlock portent en eux le caractère mortifère de la société "anti-nature". Gatiss et Moffat ont considérablement développé l'attachement fraternel toxique qui était seulement esquissé chez Billy Wilder.

Mycroft version Gatiss/Moffat (présenté lui aussi comme un génie à l'intelligence encore supérieure à celle de son frère*) étouffe tellement Sherlock de sa surveillance constante  qu'il ne lui laisse aucun centimètre carré de vie privée. Depuis son plus jeune âge, il le traque et le repêche dans toutes les situations sordides dans lesquelles il va se fourrer puis annote sur un carnet tous les produits qu'il utilise. Au moindre soupçon, il se précipite chez lui pour fouiller partout en quête de réserves. La moindre rencontre fait l'objet d'une enquête approfondie, le moindre changement est scruté à la loupe (^^), le moindre mouvement jugé anormal fait l'objet d'une filature etc. Par ailleurs, Mycroft fait remarquer que Sherlock n'a jamais fermé une porte sans l'ordre direct de sa mère (épisode 3, saison 3), allusion à peine voilée à l'absence de sexualité de celui-ci qui partage la même forme de soumission à l'autorité que Baxter dont l'appartement est ouvert à tous les vents alors que lui est toujours seul. 

En fait c'est un cercle vicieux. C'est justement parce que Mycroft est un control freak que Sherlock est incontrôlable. Comme le souligne judicieusement Mrs Hudson dans l'épisode 2 de la saison 4, ce sont ses émotions réprimées qui le gouvernent insidieusement. Pour se donner une illusion d'avoir un contrôle dessus, il les rationalise comme au début de l'épisode 3 de la saison 3 dans lequel il prétend mener une enquête sur Magnussen pour justifier qu'il a replongé dans la drogue alors que la vraie raison de cette rechute est qu'il souffre du vide affectif laissé par le départ de John. Il a comblé certes ce vide par son enquête mais celle-ci implique de se mettre une femme (la secrétaire de Magnussen) dans la poche et c'est évidemment aussi la sexualité qu'il fuit en passant ses nuits dans un squat de drogués. Mrs Hudson a raison également de souligner qu'il ne réfléchit pas. Car la réflexion est un antidote à l'addiction. Tout ce qui demande de se poser et de prendre du temps (rêver, penser, méditer, créer) est antinomique de l'addiction qui est un tyran exigeant des sensations fortes immédiates. Le cerveau de Sherlock s'emballe sans que celui-ci n'ait de véritable contrôle dessus, de même que ses émotions qui jaillissent de façon tellement anarchiques qu'elle le rendent dangereux pour lui-même et pour les autres ce qui ne fait que resserrer un plus plus l'étau fraternel avant la prochaine crise. Et le peu que l'on sait d'Eurus avant son enfermement laisse entendre qu'elle était encore pire que ses frères car elle était déjà rejetée par eux et avait à coeur de se montrer de ce fait encore plus insensible (tant vis à vis des sévices infligés à son corps qu'à celui des autres).

* Par exemple il s'avère capable d'apprendre le serbe en deux heures (épisode 1 saison 3).

 

J'aime beaucoup ce dessin qui montre comment on passe avec le temps d'un amour fraternel parfaitement sain à quelque chose de totalement névrotique qui les détruit tous les deux.

J'aime beaucoup ce dessin qui montre comment on passe avec le temps d'un amour fraternel parfaitement sain à quelque chose de totalement névrotique qui les détruit tous les deux.

L'origine de cette attitude castratrice permet de relier Wilder et Doyle, ce dernier décrivant Mycroft comme corpulent alors qu'à l'inverse Sherlock est maigre et n'aime pas manger (sauf dans de rares moments de chaleur humaine partagé où il a envie de frites). Deux facettes du même rapport névrotique à la nourriture, l'anorexie et la boulimie. Dans la série, cette corpulence n'est pas apparente (sauf quand on voit Mycroft enfant) mais elle empoisonne tout aussi sûrement Mycroft que les drogues le font avec Sherlock. Et les deux frères (sans parler de la soeur qui ne peut même pas vivre dans la société) apparaissent au final comme deux adultes immatures et autodestructeurs soumis au joug de leurs parents, Mycroft n'étant finalement que leur relai.

Le Mycroft "paternaliste de haut niveau" qui contrôle tout et surtout lui-même d'une main de fer.
Le Mycroft "paternaliste de haut niveau" qui contrôle tout et surtout lui-même d'une main de fer.
Le Mycroft "paternaliste de haut niveau" qui contrôle tout et surtout lui-même d'une main de fer.

Le Mycroft "paternaliste de haut niveau" qui contrôle tout et surtout lui-même d'une main de fer.

Le Mycroft moribond, obèse et boulimique du palais mental (épisode spécial) à l'époque victorienne qui révèle comment il a dompté son obésité de façon aussi impitoyable qu'il ne le fait avec les débordements de son frère (et de sa soeur).

Le Mycroft moribond, obèse et boulimique du palais mental (épisode spécial) à l'époque victorienne qui révèle comment il a dompté son obésité de façon aussi impitoyable qu'il ne le fait avec les débordements de son frère (et de sa soeur).

Une des rares fois où l'on voit bien l'âge mental réel des deux frères et le caractère commun de leur névrose.

Une des rares fois où l'on voit bien l'âge mental réel des deux frères et le caractère commun de leur névrose.

Molly au contraire représente ce qui terrifie le plus les deux frères: la nature, étouffée par "le talon de fer" de la société industrielle depuis le début du XIX° siècle (pour reprendre le titre d'un livre de Jack London). Il n'est guère étonnant qu'elle n'ait aucune estime pour elle-même, allant jusqu'à penser "qu'elle ne compte pas". Car elle a raison sur un point: ce qu'elle représente ne compte effectivement pas à l'échelle de nos représentations sociales. Mais ce qu'elle représente est aussi le plus important à l'échelle du monde du vivant. Sa connaissance de la mort (et donc aussi de la vie) par le biais de l'analyse du corps (autopsie signifiant "se regarder par soi-même") est inaccessible à la plupart des gens dans une société qui fait tout pour invisibiliser voire nier cette dernière. C'est de cette connaissance (son "palais organique") qu'elle tire sa puissance, enfouie sous son apparence insignifiante et sous le mépris général dont elle fait l'objet. Comme le dit François Terrasson "Tous ceux dont la formule émotionnelle rejette l'organique sont condamnés à avoir peur de la Nature. Celle-ci nous offre des spectacles qui obligent à se rappeler que si on nous ouvrait le ventre on en trouverait de semblables. En nous vit et travaille l'organicité impudique de la Nature. Dans une société où l'un des grands mythes inconscients est que nous sommes de purs esprits, rationnels, clairs et quasiment métalliques." (p111).

La "pauvre" Molly est donc en fait pleine aux as. Sa richesse déborde même tellement qu'elle fait peur. De ce genre de débordement organique qui terrifie Mycroft, lui qui traverse la vie avec une ceinture de contention invisible autour des tripes. Si cette ceinture sautait, son monstre intérieur jaillirait aussitôt à la surface.

Le monstre que contient Mycroft, c'est M. Creosote (Terry Jones) qui finit par exploser ses tripes (Monty Python: Le Sens de la vie, 1983). C'est justement parce que leur société est si répressive vis à vis des émotions que les british peuvent se permettre de telles transgressions.
Le monstre que contient Mycroft, c'est M. Creosote (Terry Jones) qui finit par exploser ses tripes (Monty Python: Le Sens de la vie, 1983). C'est justement parce que leur société est si répressive vis à vis des émotions que les british peuvent se permettre de telles transgressions.

Le monstre que contient Mycroft, c'est M. Creosote (Terry Jones) qui finit par exploser ses tripes (Monty Python: Le Sens de la vie, 1983). C'est justement parce que leur société est si répressive vis à vis des émotions que les british peuvent se permettre de telles transgressions.

Bon appétit ^^.

La société japonaise si proche dans sa culture de la société anglaise n'est pas avare de ces monstres de l'addiction. Le plus réussi, le plus extraordinaire est le sans-visage créé par Hayao Miyazaki pour "Le Voyage de Chihiro" (2001). Fantomatique, inexpressif puisqu'il porte un masque du théâtre no et ne peut donc exprimer aucune émotion, sans identité, sans langage, il peut se transformer en monstre dont la voracité est sans limite lorsqu'il se retrouve confronté à des gens cupides alors qu'il se fait tempérant et calme avec Chihiro qui comprend son véritable besoin: ne pas rester seul. 

Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"
Le "hungry ghost"

Le "hungry ghost"

Si tel un serpent de mer, le mythe de Sherlock Holmes revient hanter notre société depuis maintenant plus d'un siècle ce n'est certainement pas un hasard. Il incarne plus que tout autre le symbole de la maladie qui l'affecte et qui pourrait parfaitement s'appeler "Miss me" ("Je vous manque"). "C'est notre monstre à nous" disait Mary dans la tête de John avec justesse (épisode 2, saison 4). Car plus le personnage s'humanise au fil des décennies et des adaptations, plus la nature du trouble qui l'affecte devient également visible.

Les héros du troisième type (7): Le dernier problème

Entre l'extra-terrestre de ses débuts à succès et sa renaissance annoncée par "Heroes", David Bowie a exploré au travers de son addiction à la cocaïne au milieu des années 70 un terrifiant personnage néo-nazi "The Thin White Duke", d'aspect romantique mais totalement cynique et sans émotions. Un vampire en somme.

Comme c'est dans la deuxième saison que Sherlock commence à évoluer cela se répercute sur sa relation avec Molly. Et cela commence dans le premier épisode, "A Scandal in Belgravia". Pour montrer son mépris envers les fêtes et les cérémonies, mais aussi les émotions sous-jacentes qu'elles charrient, Sherlock se comporte une fois de plus en imbuvable goujat en se moquant du physique de Molly, de son caractère sentimental et du cadeau de noël qu'il devine être destiné à l'élu de son coeur avant de se prendre dans la figure le fait que "le petit ami dont elle est accro" et "l'être cher dont elle est amoureuse", c'est lui-même. Pour la première fois, Molly se rebiffe en lui demandant pourquoi il ne sait dire que des horreurs, réussissant à lui couper la chique, à lui faire honte et à obtenir des excuses.

Bien plus tard, dans l'épisode 2 de la saison 4, elle a l'occasion de lui faire passer un examen médical et elle a la confirmation de ce qu'elle savait déjà: à savoir que son état est pire que certains des macchabées qu'elle a pu examiner à la morgue.

Noël devient ainsi un mot synonyme d'explosion émotive comme le montre la fin de l'épisode 3 de la saison 3 quand le visage déformé par la haine, Sherlock souhaite un "joyeux noël" à Magnussen avant de l'abattre.

En effet, dès l'épisode 3 de la saison 2, elle capte, comme Irène Adler l'avait fait avant elle toute la morbidité qu'il y a en Sherlock sous son complexe de supériorité. Elle sent qu'il est un mort en sursis (l'ombre de Moriarty en lui qui ne cesse de grandir comme un cancer) et en médecin dévouée (et amoureuse et sans doute atteinte elle-même de zones d'ombres qui ne sont pas explicitées mais qu'il n'est pas difficile de deviner), elle lui propose son aide. Une fois de plus Sherlock commence par la traiter avec mépris mais elle prend le dessus sur lui, lui tend un miroir dans lequel il peut voir toute la laideur de son comportement (et je pense que c'est aussi un miroir que les auteurs de la série tendent à la société) et elle l'oblige même à lui dire merci.

Et c'est ainsi qu'il finit par rendre les armes en acceptant son aide, c'est à dire en acceptant d'être sauvé. Le tout avec un changement de ton radical qui confirme que Molly a réussi à le toucher au coeur. Alors qu'il prétendait à la fin de la saison 1 ne pas en avoir. C'est la première fois qu'il admet implicitement sa nature organique, donc sa mortalité. Cette acceptation l'amène naturellement à se rapprocher d'elle.

"Vous avez tort vous savez. Vous comptez. Vous avez toujours compté et j'ai toujours eu confiance. Mais vous aviez raison. Je ne vais pas bien.

Dites-moi ce qu'il y a.

Molly... je crois que je vais mourir.

Que vous faut-il?

Si je n'étais pas ce que vous croyez, ce que je crois, m'aideriez-vous?

Que vous faut-il?

Vous." (épisode 3, saison 2)

Evidemment ce dialogue annonce la crise d'identité c'est à dire la déconstruction et la reconstruction du personnage à partir de la saison 3. 

A partir du moment où Sherlock remet son corps entre ses mains, Molly va occuper une place aussi importante que celle d'Irène Adler mais de l'autre côté du spectre dionysiaque. Irène qui est une péripatéticienne SM de luxe pour personnes en mal de sensations fortes représente la promesse de l'ivresse orgiaque (symbolisée par le bruit orgasmique qui annonce tous ses textos). Promesse inaccessible à court terme au vu de l'état physique et psychique déplorable du principal concerné. Mais la présence d'Irène (personnage flamboyant et "extraordinaire") a le mérite de révéler l'identité enfouie de Sherlock pour que Molly (personnage "ordinaire") puisse prendre le relai afin de le guérir. Molly, c'est le lierre d'une indéfectible fidélité qui s'enroule autour du corps pour le protéger de la mort, comme le ferait un serpent, quitte à mourir avec lui.  Ce qui explique qu'elle apparaît, soit dans le monde réel, soit dans le palais mental de Sherlock chaque fois qu'il flirte avec la mort pour l'obliger à se ressaisir, confirmant au passage qu'elle n'a rien d'une petite victime impuissante mais que c'est au contraire elle qui tient le phallus quand il le faut. 

Les héros du troisième type (7): Le dernier problème
Les méthodes musclées de Molly font que lorsque Sherlock rejoue la scène de leur rencontre à l'époque victorienne dans son esprit, elle a changé de sexe (de toutes façons à cette époque, une femme ne pratiquait certainement pas ce métier). Mais l'inversion des genres touche aussi Sherlock qui fait figure sur la table d'autopsie de "Blanche-neige" ou de "Belle au bois dormant" (sauf que le réveil est un peu plus brutal).
Les méthodes musclées de Molly font que lorsque Sherlock rejoue la scène de leur rencontre à l'époque victorienne dans son esprit, elle a changé de sexe (de toutes façons à cette époque, une femme ne pratiquait certainement pas ce métier). Mais l'inversion des genres touche aussi Sherlock qui fait figure sur la table d'autopsie de "Blanche-neige" ou de "Belle au bois dormant" (sauf que le réveil est un peu plus brutal).
Les méthodes musclées de Molly font que lorsque Sherlock rejoue la scène de leur rencontre à l'époque victorienne dans son esprit, elle a changé de sexe (de toutes façons à cette époque, une femme ne pratiquait certainement pas ce métier). Mais l'inversion des genres touche aussi Sherlock qui fait figure sur la table d'autopsie de "Blanche-neige" ou de "Belle au bois dormant" (sauf que le réveil est un peu plus brutal).

Les méthodes musclées de Molly font que lorsque Sherlock rejoue la scène de leur rencontre à l'époque victorienne dans son esprit, elle a changé de sexe (de toutes façons à cette époque, une femme ne pratiquait certainement pas ce métier). Mais l'inversion des genres touche aussi Sherlock qui fait figure sur la table d'autopsie de "Blanche-neige" ou de "Belle au bois dormant" (sauf que le réveil est un peu plus brutal).

Ce sont aussi ses apparitions dans l'esprit de Sherlock qui permettent de définir la place qu'elle occupe à ses côtés. En effet elle y boîte systématiquement ce qui établit aussitôt une connexion avec John Watson dont elle semble être le miroir. D'ailleurs, les indices allant en ce sens sont nombreux. Sherlock l'appelle "John" dans la saison 2, lui propose de travailler à ses côtés à la place de John dans la saison 3 et lorsqu'elle le frappe après avoir découvert qu'il se drogue, elle emploie exactement les mêmes mots que John "Arrête, arrête ça". Sherlock doit logiquement la vie à deux médecins (un médecin de guerre et un médecin légiste) alors que son frère et sa soeur biologiques sont porteurs de mort. Mycroft semble l'avoir compris puisqu'il semble dès la fin de l'épisode spécial prêt à passer le relai à Watson. Ce personnage si cynique en apparence mais dont Mark Gatiss parvient à restituer au final toute l'étendue du désert affectif se fait avoir lui aussi par ses émotions. Les cinq minutes qu'il accorde chaque noël à l'expression de ses émotions. Les cinq minutes qu'il a accordé à sa soeur pour voir Moriarty en guise de cadeau de noël et qui lui ont suffi pour organiser "l'escape game" qui se termine par un cul-de-sac dans lequel Eurus somme Sherlock de choisir l'un de ses deux frères et de tuer l'autre, un ordre impossible qui les conduit tous deux au bord du suicide. 

Surnommé par Irène "L'iceberg" et par Mrs Hudson "Le reptile", Mycroft finit par être un des personnages les plus poignants de la série qui observe impuissant sa famille se déliter. Délitement symbolisé par les cendres de leur maison partie en fumée. Mark Gatiss n'a pas choisi ce rôle au hasard car c'est lui qui a transmis l'esprit Wilder à la série.
Surnommé par Irène "L'iceberg" et par Mrs Hudson "Le reptile", Mycroft finit par être un des personnages les plus poignants de la série qui observe impuissant sa famille se déliter. Délitement symbolisé par les cendres de leur maison partie en fumée. Mark Gatiss n'a pas choisi ce rôle au hasard car c'est lui qui a transmis l'esprit Wilder à la série.
Surnommé par Irène "L'iceberg" et par Mrs Hudson "Le reptile", Mycroft finit par être un des personnages les plus poignants de la série qui observe impuissant sa famille se déliter. Délitement symbolisé par les cendres de leur maison partie en fumée. Mark Gatiss n'a pas choisi ce rôle au hasard car c'est lui qui a transmis l'esprit Wilder à la série.
Surnommé par Irène "L'iceberg" et par Mrs Hudson "Le reptile", Mycroft finit par être un des personnages les plus poignants de la série qui observe impuissant sa famille se déliter. Délitement symbolisé par les cendres de leur maison partie en fumée. Mark Gatiss n'a pas choisi ce rôle au hasard car c'est lui qui a transmis l'esprit Wilder à la série.

Surnommé par Irène "L'iceberg" et par Mrs Hudson "Le reptile", Mycroft finit par être un des personnages les plus poignants de la série qui observe impuissant sa famille se déliter. Délitement symbolisé par les cendres de leur maison partie en fumée. Mark Gatiss n'a pas choisi ce rôle au hasard car c'est lui qui a transmis l'esprit Wilder à la série.

Le mot de la fin est laissé à Lestrade-Wilder-Dreyfuss. Lorsqu'on l'interroge sur le fait que Sherlock est un grand homme et qu'il répond qu'il devenu mieux que ça: un homme bien, comment ne pas penser au "Mensch" de "La Garçonnière" (du 221b Baker Street)? Après avoir retrouvé son humanité c'est à dire sa mémoire et ses émotions, s'être libéré de la famille toxique qui l'en privait au profit de sa seconde famille choisie (dans laquelle il y a également un bébé à élever, Rosie, la fille de John Watson dont Sherlock et Molly sont les parrains), et avoir rappelé Irène (à qui il répondait plus qu'il ne voulait l'avouer) pour l'inviter enfin à venir chez lui, il ne reste plus à Sher "lock" qu'une seule chose à faire: verrouiller la porte de sa chambre.

Les héros du troisième type (7): Le dernier problème
Les héros du troisième type (7): Le dernier problème

Cette connaissance des secrets de la vie et de la mort est une science dans laquelle Monte-Cristo est également passé maître comme le montre le passage où il organise la pseudo-mort de Valentine pour mieux lui sauver la vie:

" Pour vivre, Valentine, il faut avoir bien confiance en moi.

— Ordonnez, monsieur, que faut-il faire ?

— Il faut prendre aveuglément ce que je vous donnerai. [...] si vous souffrez, si vous perdez la vue, l’ouïe, le tact, ne craignez rien ; si vous vous réveillez sans savoir où vous êtes, n’ayez pas peur, dussiez-vous, en vous éveillant, vous trouver dans quelque caveau sépulcral ou clouée dans quelque bière ; rappelez soudain votre esprit, et dites-vous : En ce moment, un ami, un père, un homme qui veut mon bonheur et celui de Maximilien, cet homme veille sur moi. [...] 

Alors le comte tira de la poche de son gilet le drageoir en émeraude, souleva son couvercle d’or, et versa dans la main droite de Valentine une petite pastille ronde de la grosseur d’un pois.

Valentine la prit avec l’autre main, et regarda le comte attentivement : il y avait sur les traits de cet intrépide protecteur un reflet de la majesté et de la puissance divines. Il était évident que Valentine l’interrogeait du regard.

— Oui, répondit celui-ci.

Valentine porta la pastille à sa bouche et l’avala." (chapitre 101)

"La jeune fille ne respirait plus, ses dents à demi desserrées ne laissaient échapper aucun atome de ce souffle qui décèle la vie ; ses lèvres blanchissantes avaient cessé de frémir ; ses yeux, noyés dans une vapeur violette qui semblait avoir filtré sous la peau, formaient une saillie plus blanche à l’endroit où le globe enflait la paupière, et ses longs cils noirs rayaient une peau déjà mate comme la cire.

Madame de Villefort contempla ce visage d’une expression si éloquente dans son immobilité ; elle s’enhardit alors, et, soulevant la couverture, elle appuya sa main sur le cœur de la jeune fille.

Il était muet et glacé." (chapitre 102)

Les héros du troisième type (7): Le dernier problème

Dans "Souffrances, morts et rédemptions dans Le Comte de Monte-Cristo. Monte Cristo: la fission du héros -personnage atomisé, destin atomique" de Silvie Miliard, celle-ci évoque outre l'importance de la mort et de la résurrection dans le destin du héros (et c'est ce que vivent également les personnages de "Les Ailes du désir" et de "Sherlock", condamnés à muer pour renaître) celle d'avoir une expérience complète de l'existence comme de soi-même pour véritablement pouvoir apprécier la vie "Avec la pseudo mort de Valentine [...] il prépare la traversée des Enfers de Maximilien que Monte Cristo va conduire sans pitié vers le bonheur. En effet, si les autres destinées relèvent du choix narratif de l'auteur, celle de Maximilien est consciemment voulue par Monte Cristo qui le laisse désespérer pour mieux lui redonner le goût de vivre. «Il n'y a ni bonheur, ni malheur en ce monde, il n'y a que la comparaison d'un état à un autre. Celui-là seul qui a éprouvé l'extrême infortune est apte a ressentir l'extrême félicité». Monte Cristo fait du malheur une condition indispensable au bonheur." Comme Monte-Cristo lui-même et comme son grand-père, il lui a fallu mourir (en tant qu'héritière d'une famille empoisonnée) et renaître (en tant que jeune femme libre de ses choix). C'est grâce à elle que Monte-Cristo lorsqu'il se réunifie avec Edmond Dantès peut aider Maximilien Morrel à accéder à cette humanité entière qui fera de lui un homme accompli et donc un époux digne de la jeune femme.

L'image de la tombe revient à dire métaphoriquement que les trésors se trouvent en creusant dans le sol. Où l'on trouve aussi des vers, des os et autres choses peu ragoûtantes.

L'image de la tombe revient à dire métaphoriquement que les trésors se trouvent en creusant dans le sol. Où l'on trouve aussi des vers, des os et autres choses peu ragoûtantes.

Stephan Zweig, viennois de la Mitteleuropa de la génération précédent celle de Billy Wilder ne disait pas autre chose "Mais toute ombre, en dernier lieu, est pourtant aussi fille de la lumière et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence a vraiment vécu." (Le Monde d'Hier).

Les héros du troisième type (7): Le dernier problème

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Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Publié le par Rosalie210

VI

Le vent se lève

L'une des plus belles et aussi des plus terribles images de "Les Ailes du désir": la grâce et la mort peuvent également tomber du ciel.

L'une des plus belles et aussi des plus terribles images de "Les Ailes du désir": la grâce et la mort peuvent également tomber du ciel.

« Un vent d’est se lève néanmoins, Watson, un vent d’est tel qu’il n’en a jamais soufflé encore sur toute l’Angleterre. Il sera froid et mordant, Watson, et bon nombre d’entre nous n’aurons pas le bonheur d’assister à son accalmie. Mais c’est un vent divin, et des contrées plus saines, meilleures, plus fortes scintilleront sous le soleil quand la tempête aura passé. » (Son dernier coup d'archet, Conan Doyle).

Le "vent d'est" dont il est question c'est la première guerre mondiale qui s'annonce en toile de fond de la nouvelle de Conan Doyle. Mais la guerre est également présente par le biais de Watson qui en tant que médecin militaire a participé aux guerres menées par ce qui était alors le plus grand Empire colonial du monde à la fin du XIX° siècle. Dont celle d'Afghanistan qu'il est facile de transposer de nos jours (avec les américains à la place des anglais). Une façon de rappeler à quel prix les pays occidentaux ont construit leur suprématie sur le monde.

Watson blessé à l'épaule en ouverture de l'épisode spécial (en écho à l'épisode 1 dans lesquels il fait des cauchemars).

Watson blessé à l'épaule en ouverture de l'épisode spécial (en écho à l'épisode 1 dans lesquels il fait des cauchemars).

La métaphore du vent pour désigner la guerre se retrouve aussi dans le film de Hayao Miyazaki "Le Vent se lève" (2013) qui se situe dans l'entre-deux-guerres puis pendant la seconde guerre mondiale. Les avions (passion de Miyazaki), vecteurs de rêve se mettent alors à semer la mort et la désolation. Une ambiguïté qui traverse d'ailleurs toute son oeuvre depuis "Le Château dans le ciel" (1986). Celle-ci fait toujours la part belle aux engins volants de toutes sortes sans jamais dissimuler la part de noirceur qu'ils véhiculent lorsqu'ils sont utilisés à des fins destructrices. Néanmoins "Le Vent se lève" est avec "Porco Rosso" (1992), le plus ancré dans l'Histoire.

Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).
Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).

Le vent se lève, Hayao Miyazaki (2013) d'après le vers de Paul Valéry "Le vent se lève, Il faut tenter de vivre!" (Le cimetière marin) et "Porco Rosso" (1992).

Un autre film célèbre, Palme d'Or 2006 porte en VF le même titre et traite également de la guerre. En VO, il s'intitule "Le vent qui agite l'orge" ("The Wind That Shakes the Barkey") d'après une complainte irlandaise du XIX° siècle évoquant la capacité de la résistance irlandaise à toujours renaître pour lutter contre l'oppresseur britannique. "Le Vent se lève" de Ken Loach évoque la guerre d'indépendance irlandaise puis la guerre civile qui la suivit lorsque les irlandais se déchirèrent entre ceux qui acceptaient le traité avec les britanniques en pensant obtenir des avancées ultérieurement et ceux qui refusaient tout compromis avec en toile de fond la lutte des classes derrière la guerre de décolonisation religieuse et nationaliste. Comme lors des révolutions (française et russe), il est ainsi désolant de voir des frères (d'armes ou des frères tout court) qui ont combattu pour un noble but commun tellement pris dans l'engrenage de la violence que le moindre désaccord idéologique est aussitôt noyé dans le sang du plus faible (du moment) qui devient le nouveau "traître" à abattre tandis que les plus beaux idéaux dévoilent leur visage hideusement inhumain ("Liberté, que de crimes on commet en ton nom").

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Les pays vaincus à la fin de la seconde guerre mondiale ont été entièrement rasés par les bombardements. C'est le cas du Japon et de l'Allemagne. Billy Wilder qui avait vécu à Berlin entre 1926 et 1933 y était revenu dès l'automne 1945 en tant que colonel de l'armée américaine puis en 1948 pour y tourner "La scandaleuse de Berlin" et avait pu filmer l'ampleur des dégâts:

" Quand l'avion a atteint la ville qui avait autrefois été la mienne, je n'en ai pas cru mes yeux. Elle était en ruine. [...] Le Romanisches Café? Disparu. Le bureau des studios Ufa sur la Friedrichstrasse? Disparu. Partout des ruines, et encore quelques personnes ici et là qui tentaient de survivre, comme des animaux. Il n'y avait pas eu d'été aussi chaud depuis des années et la ville empestait. Elle empestait les gens en train de mourir. Elle empestait les cadavres."

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 217).

L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.
L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.

L'ouverture documentaire de "La Scandaleuse de Berlin" (A Foreign Affair, 1948) et la scène d'introduction de "Un deux trois" ("One two three", 1961) tourné juste avant la construction du mur et qui montre bien la différence entre les deux parties de Berlin.

 "Les Ailes du désir" rappellent par flashs à l'aide d'images d'archives ce passé d'autant plus traumatique qu'en 1987 à cause du mur qui coupait la ville en deux, le centre de Berlin n'avait toujours pas été reconstruit et portait les stigmates de ce passé avec des terrains vagues et de nombreuses ruines laissées en l'état. Vient s'y ajouter le tournage d'un film sur la seconde guerre mondiale qui explique la présence de Peter Falk (qui est d'origine juive). Et surtout le témoignage de Curt Bois, acteur juif allemand ayant dû s'exiler en 1934 dans le rôle de l'historien Homer qui tente de se remémorer le passé détruit par les bombes en se rendant dans ce qui était avant-guerre le centre de Berlin, la Potsdamer Platz où il n'observe que désolation:

" Je ne retrouve pas Potsdamer Platz! Non, je crois, ici... Ca ne peut pas être ça! Potsdamer Platz, c'est là qu'il y avait le café Josti. J'y venais l'après-midi faire la conversation, prendre un café et regarder le public, après avoir fumé mon cigare chez Löhse et Wolff, marchands de tabac réputés, ici, juste en face. Donc ça ne peut pas être Potsdamer Platz, non! Et personne à qui demander. C'était une place animée! Des tramways, des omnibus à chevaux et deux autos, la mienne et celle du chocolatier. Le magasin Wertheim aussi était ici. Et puis, soudain, des drapeaux sont apparus... Toute la place en était couverte. Et les gens n'étaient plus du tout aimables, la police non plus. Mais je n'abandonnerai pas tant que je n'aurai pas retrouvé Potsdamer Platz! Où sont mes héros, où êtes-vous mes enfants? Où sont les miens, les obtus, ceux des origines?"

"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)
"Les Ailes du désir" (1987)

"Les Ailes du désir" (1987)

Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)
Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)

Le poids de l'histoire tourmentée de la ville l'a tellement façonnée que je n'ai eu qu'à aller dans un centre commercial situé sous la Potsdamer Platz pour trouver une galerie de photos retraçant les transformations de ce lieu emblématique entre 1930 (photo 1) et aujourd'hui (photo 5) en passant par 1945 (photo 2), 1980 (photo 3) et 1989 (photo 4)

En 1945, Billy Wilder a également réalisé un film documentaire sur les camps de concentration, "Death Mills" ("Les Moulins de la mort") au moment de leur découverte. Le visionnage des archives a constitué une terrible épreuve pour lui en ce qu'elles lui ont fait comprendre qu'il ne retrouverait jamais les siens, laissés en arrière lors de son exil en 1933:

"Qu'en était-il du reste de ma famille? C'était ça qui m'empêchait de dormir depuis quelques années - ou me donnait des cauchemars, quand je parvenais à dormir. Et je parle de véritables cauchemars. Le genre qui vous réveille en sursaut, couvert de sueur. [...] Pourquoi n'avais-je aucune nouvelle de ma mère? Etait-elle toujours à Vienne? Elle était censé y être. Mais je n'avais plus de ses nouvelles depuis des années. Rien. Je lui avait écrit, mais personne ne répondait jamais à mes lettres. Je lui avais téléphoné, mais personne ne décrochait jamais. [...]

- Pourquoi tu t'infliges ça? Pourquoi rester assis dans cette salle toute la journée à regarder ses scènes... d'horreur?

[...]

- Je cherche ma mère. [...] Ma mère, ma grand-mère et mon beau-père pour être tout à fait précis.

- Mais... tu regardes ces images tous les jours, ces images de cadavres, de corps décharnés, en espérant les voir, eux?

- "Espérer" n'est pas vraiment le terme que j'emploierais. "

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi pages 185, 203, 204)

Billy Wilder ne risquait pas de les retrouver parmi les cadavres. En raison de la confusion entre les lieux de concentration et d'extermination (tout particulièrement à Auschwitz-Birkenau), il ne savait pas que des siens, il ne restait plus que des cendres.

Death Mills (1945)

Death Mills (1945)

"- Iz m'a raconté une fois que vous vouliez adapter La liste de Schindler au cinéma.

- Exact

- Vous l'avez vu?" Demandai-je. La version de Spielberg était sortie trois ans plus tôt.

Billy opina et retomba dans le silence un long moment. Puis il dit " Oui, oui, je l'ai vu. Je l'ai regardé une fois. Je ne supporterais pas de le revoir. Je pense que c'est un des... des plus grands films  qui soient. Le plus grand de tous. Mieux que tout ce que j'aurais pu réaliser. [...]

- Je me souviens que vous m'avez dit une fois que Spielberg et les autres de son âge ne pourraient jamais vraiment réaliser de films sérieux parce qu'ils n'avaient pas vécu ce que vous, vous avez vécu. Les gens de votre génération. Les deux guerres.

Il leva les yeux

- J'ai dit ça?

J'acquiesçai.

- Et bien, c'étaient des conneries."

Avec ce film, c'est aussi un malentendu générationnel qui se dissipe. Car dix-huit ans plus tôt, Steven Spielberg avait rencontré le succès avec "Les Dents de la mer" ce qui avait conduit Billy Wilder à conclure que celui-ci faisait dans les gros poissons et pas dans l'être humain comme lui.

Lorsque j'ai écrit un avis sur "La Chute" ("Der Untergang" d'Oliver Hirschbiegel, 2004) consacré aux derniers jours de Adolf Hitler dans son bunker, voici les propos que j'ai tenus: "Bruno GANZ aura incarné au cinéma pour le meilleur et non pour le pire le meilleur et le pire de l’homme. Qui veut faire l’ange fait la bête disait Blaise Pascal et dans "La Marquise d O..." (1976) de Éric ROHMER, sommet de romantisme chrétien fondé sur la chute et la rédemption mais aussi sur une véritable ambiguïté morale, Edith CLEVER lui disait (lui prédisait ?) qu’il ne lui aurait pas semblé être le diable si à sa première apparition, elle ne l’avait pris pour un ange. Bruno GANZ en véritable « étoile noire » a donc incarné les deux polarités extrêmes de l’être humain, sa part céleste d’une part et la bête immonde tapie en lui de l’autre avec une profondeur proprement sidérante."

L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")
L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")

L'Affiche de "La Chute" et la première apparition de Bruno Ganz dans le rôle du comte qui semble littéralement tomber du ciel pour sauver la pauvre Julietta, sur le point de subir un viol collectif. Sauf que l'aura de souffre qui émane de lui laisse entrevoir toute l'ambiguïté du personnage ("La Marquise d'O...")

En révélant sa part de ténèbres, le comte déstabilise les conceptions rigides du bien et du mal et oblige la marquise à se confronter à ses propres pulsions.

Dans "Les Ailes du désir", quand Damiel s'incarne en homme, il ne chute pas tout de suite. L'empreinte de ses pas devient juste visible. C'est seulement dans un deuxième temps qu'une chute est suggérée par son armure (de soldat de Dieu) qui lui tombe sur la tête alors qu'il est évanoui au sol. En revanche, dans "Si Loin si proche", lorsque Cassiel s'incarne à son tour, c'est pour sauver une petite fille qui tombe du haut d'un immeuble et la caméra suggère bien qu'il s'agit d'une chute vertigineuse. Dans les deux cas, c'est la force de leur désir de s'impliquer dans l'existence (pour le premier, afin de rejoindre la femme qu'il aime et pour le second, de sauver une petite fille) au coeur d'une ville encore malade de son histoire puis en voie de cicatrisation qui les rend humains.

Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.
Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.

Les étapes de la métamorphose de Damiel d'Ange en homme: il peut alors aller à la rencontre de Peter Falk, puis de Marion. Les dernières scènes du film ont été tourné dans ce qu'il reste de l'hôtel Esplanade qui se situait sur la Potsdamer Platz, coeur battant du Berlin d'avant-guerre.

Cassiel s'incarne par accident contrairement à Damiel mais c'est bien sa détermination à agir qui le rend humain. Soit la traduction en images de la volonté de puissance de Nietzsche qui n'est que cela et rien d'autre.

Cassiel s'incarne par accident contrairement à Damiel mais c'est bien sa détermination à agir qui le rend humain. Soit la traduction en images de la volonté de puissance de Nietzsche qui n'est que cela et rien d'autre.

Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.
Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.

Comme "Les Ailes du désir", "Si Loin, si proche" qui a été tourné 6 ans après est un témoignage historique dans lequel on voit que le mur a disparu et que la Potsdamer Platz commence sa reconstruction (achevée aujourd'hui). D'autre part Wim Wenders peut enfin tourner dans les lieux qui étaient situés de l'autre côté du mur.

1987, année de la sortie de "Les Ailes du désir" est aussi l'année du mythique concert for Berlin au pied du mur durant lequel David Bowie qui avait des liens particuliers avec la ville a chanté "Heroes" composé dix ans auparavant alors qu'il y habitait. Les berlinois de l'est n'en perdent pas une miette car le mur n'arrêtait pas les sons au grand dam des autorités. ""Standing by the wall, And the guns shot above our heads , And we kissed as though nothing could fall, And the shame was on the other side." Deux ans plus tard, le mur tombait.

En 2013, dans son avant-dernier album "The Next Day", David Bowie revient avec nostalgie sur l'époque où il vivait à Berlin alors divisé par le mur (fin des années 70) qu'il confronte avec le Berlin réunifié de 2013.

Pour Sherlock, la chute est littérale puisque l'épisode dans lequel il fait "le saut de l'ange" (3° de la saison 2) s'intitule "La Chute du Reichenbach", adaptation de la nouvelle de Conan Doyle "Le dernier problème" dans laquelle Sherlock et Moriarty trouvent la mort. Mais sous la pression des fans (et des éditeurs avec un gros paquet d'argent à la clé), celui-ci décida 3 ans plus tard de ressusciter son héros en lui inventant une histoire abracadabrantesque pour justifier sa longue absence.

 

L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).
L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).

L'illustration originale de 1893 pour "Le dernier problème", sa transposition de nos jours à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 et sa reconstitution dans l'épisode spécial de la série "Sherlock" qui se déroule en majeure partie à l'époque victorienne (en fait dans l'esprit de Sherlock dans lequel son ami vient le sauver).

Dans la série, cette chute en forme de mort et de résurrection (mourir pour renaître d'où la référence à Lazare de Béthanie) marque une césure dans la façon dont est traité le personnage. Sommé par John Watson d'assumer la responsabilité d'être son meilleur ami, bref, sommé de s'impliquer dans la vie réelle ordinaire (il était déjà un homme de terrain dans le domaine extraordinaire), il devient ce que Moriarty avait anticipé en le traitant justement avec mépris "d'homme ordinaire". Ou presque. Durant ce long atterrissage (la métaphore de la chute se poursuit jusqu'au dernier épisode de la quatrième saison), Sherlock va devoir faire face aux relations humaines qu'il fuyait, gérer ses émotions sous-jacentes qui se mettent à jaillir de façon incontrôlable et ravagent tout sur leur passage, lutter contre son addiction à la drogue, se libérer de la tutelle de son frère qui à trop le protéger l'empêche de grandir car sa plus grande peur est de le perdre ("ça m'anéantirait" se permet-il de dire en guise de cadeau de noël, seul moment de l'année où Mycroft s'autorise à émettre un sentiment humain ce qui va ensuite lui revenir dans la figure). 

L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).
L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).

L'humanisation de Sherlock grâce à Watson (et réciproquement car il n'est pas facile pour un ancien soldat de montrer ses faiblesses: "boys don't cry") est parfaitement résumée par ces deux images qui montrent le chemin parcouru (la première à la fin de la saison 2, la seconde, à la fin de la saison 4).

Le discours de Sherlock dans l'épisode 2 de la saison 3 est un moment important de la série. Pendant que Mycroft soigne ses kilos en trop et sa misanthropie bien au chaud dans sa coquille du club Diogène (qui comme son nom l'indique est un non-club, un club par l'absurde), son frère pourtant inadapté social notoire présentant des troubles du spectre autistique (ça se voit tout de suite pour un oeil averti, bien avant que cela soit mentionné dans l'épisode 2 de la saison 2) affronte un public rassemblé pour ce qui est la quintessence de l'événement social: un mariage. Celui de son meilleur ami en l'occurence dont il est le témoin ("best man" en VO ce qui implique qu'il doit devenir "le meilleur des hommes" après avoir été "le meilleur des détectives") et qui l'oblige à prononcer un long discours. C'est ce qui s'appelle se dépasser et ça peut se faire non seulement à l'occasion d'événements exceptionnels, mais aussi au quotidien, je peux en témoigner. Et la rencontre produit cette petite étincelle qui fait que l'un s'humanise au contact de l'autre. 

Après avoir traversé de multiples épreuves dans laquelle les deux hommes ont de nouveau testé la solidité de leur lien comme rempart au désespoir (en mode "je saute, tu me rattrapes"), ils arrivent enfin à se voir tels qu'ils sont à la fin de la 4° saison.

Watson a beau être rongé par le chagrin d'avoir perdu sa femme, le manque de communication entre eux avait fini par conduire celui-ci à en désirer une autre. Cette révélation a pour effet de briser l'image romantique que Sherlock avait de son ami et donc de le voir de façon plus réaliste.

Il en va de même pour Sherlock qui voit sa croyance en sa toute-puissance s'écrouler lorsque sa propension à enfoncer les gens qu'il méprise entraîne la mort de Mary Watson qu'il s'était pourtant juré de protéger. Cette désacralisation se répercute sur son apparence. Très propre sur lui et très hiératique jusqu'au milieu de la saison 3, on voit ensuite de plus en plus les manifestations de son organicité (sueur, tremblements, saignements, vomi, poils etc.)... au fur et à mesure que la facette obscure du junkie en manque c'est à dire du corps en souffrance prend le dessus sur l'esprit déconnecté du réel du détective génial planant dans les hautes sphères de la science ou de la philosophie. La "descente" prend des allures de descente aux enfers. Ce que Watson qui voit lui aussi son ami de façon plus réaliste résume en une formule lapidaire pleine d'ironie: "Le grand Sherlock Holmes va aller pisser dans un bocal" (épisode 3, saison 3).

Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?
Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?

Est-ce étonnant que dans les limbes de son esprit, Sherlock retrouve son obsession la plus névrotique, Moriarty?

Dans la réalité ce n'est guère mieux.

Dans la réalité ce n'est guère mieux.

Le crash du major Tom 11 ans après "Space Oddity", titre qui prend un nouveau sens lorsque Bowie évoque l'addiction à la drogue de son personnage. Mais le phénix du rock renaît toujours de ses cendres.

Comme Sherlock Holmes, le Comte de Monte-Cristo va perdre de sa superbe en tant que "juge suprême, maître de la vie et de la mort" lorsque son ancien moi, Edmond Dantès, qu'il avait laissé pour mort au château d'If le rattrape. Ses projets de vengeance sur les enfants de ses ennemis se retournent alors contre lui car il découvre que ceux-ci sont inextricablement liés à ceux qu'il aime.

- Il redécouvre par exemple qu'Albert, le fils de Fernand est aussi celui de Mercédès qui a été le grand amour d'Edmond. Il ne peut pas effacer son passé, ni rester insensible à ses sentiments comme le montre le chapitre 89: 

" J’ai vu celui que j’aimais prêt à devenir le meurtrier de mon fils !

Mercédès prononça ces paroles avec une douleur si puissante, avec un accent si désespéré, qu’à ces paroles et à cet accent un sanglot déchira la gorge du comte.

Le lion était dompté ; le vengeur était vaincu.

— Que demandez-vous ? dit-il ; que votre fils vive ? eh bien ! il vivra !

Mercédès jeta un cri qui fit jaillir deux larmes des paupières de Monte-Cristo, mais ces deux larmes disparurent presque aussitôt, car sans doute Dieu avait envoyé quelque ange pour les recueillir, bien autrement précieuses qu’elles étaient aux yeux du Seigneur que les plus riches perles de Guzarate et d’Ophir.

— Oh ! s’écria-t-elle en saisissant la main du comte et en la portant à ses lèvres, oh ! merci, merci, Edmond ! te voilà bien tel que je t’ai toujours rêvé, tel que je t’ai toujours aimé. Oh ! maintenant je puis le dire. [...]

Insensé, dit-il, le jour où j’avais résolu de me venger, de ne pas m’être arraché le cœur !"

- Il en va de même lorsqu'il découvre que Maximilien Morrel, le fils de celui qui a tenté de le sauver quand il n'était qu'Edmond est amoureux de Valentine de Villefort qui a été empoisonnée par sa belle-mère. A nouveau il se sent "mordu au coeur" car c'est lui qui a donné à Mme de Villefort la recette du poison. Il se sent donc responsable du malheur de Maximilien qu'il aime comme un fils car il pense qu'il est trop tard pour sauver la jeune fille. 

- Et effectivement, son autre grande découverte est qu'il n'est pas tout-puissant. S'il parvient à sauver Valentine, c'est uniquement parce que Noirtier a réussi en dépit de son handicap à la protéger jusqu'à ce qu'il prenne le relai. En retour, Valentine l'aide à renouer avec la vie (voir chapitre précédent). En revanche, il ne peut rien pour le jeune fils de Villefort, Edouard, victime innocente de sa vengeance qui le hantera jusqu'à la fin de ses jours. Il n'y a donc pas de retour en arrière possible, seulement un nouvel équilibre obtenu en réunifiant les différentes parties de sa personnalité: il est à la fois redevenu Edmond Dantès tout en restant à jamais le Comte de Monte-Cristo.

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Comme ses congénères Monte-Cristo et Sherlock, Jack Lucas (Jeff Bridges) dans "Fisher King" de Terry Gilliam (1991) pense occuper un trône au-dessus de l'humanité en tant qu'animateur radio cynique dont le studio occupe le dernier étage d'une haute tour. Le titre de SNAP "I've got the power" (également utilisé sur "Bruce tout-puissant" (Tom Shadyac, 2003) ne laisse planer aucun doute sur la nature mégalomaniaque de Jack Lucas. Mais lorsqu'une remarque inconséquente de sa part entraîne un massacre, il perd pied et dévisse, littéralement. 

La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.
La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.

La chute de Jack Lucas, telle qu'elle est suggérée par les plans en plongée puis en contre-plongée de Terry Gilliam.

Comme Sherlock, Jack va devoir "ramer" pour conquérir son humanité. Selon le schéma désormais bien établi, il ne peut y parvenir qu'avec l'aide d'un compañero, Parry (Robin Williams), l'une des victimes du massacre, ancien professeur d'histoire médiévale clochardisé et traumatisé. Parry qui s'imagine vivre en plein Moyen-Age et être sur la quête du Graal fait de Jack son héros. Autrement dit il lui confère la même responsabilité que John vis à vis de Sherlock d'autant que dans les deux cas, les deux hommes se sont sauvés mutuellement la vie. Et si la culpabilité est plus écrasante pour Jack qui a sans le vouloir brisé la vie de Parry, elle existe aussi chez Sherlock qui a fait souffrir tous ses amis et se croit responsable de la mort de Mary.

Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.
Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.

Parry se rêve en chevalier du Saint-Graal (souvenir de son passé de professeur d'histoire médiévale) mais dès qu'il s'en approche de trop près, sa fêlure ressort et le renvoie dans l'événement qui l'a traumatisé c'est à dire en enfer.

Les deux hommes qui partagent un même enfer ne peuvent donc s'en sortir que l'un par l'autre. Jack Lucas ravale sa fierté et devient le chevalier dont Parry a besoin pour guérir (et au passage sauve la vie du milliardaire à qui il a volé la coupe). De même qu'il ravalera sa fierté pour avouer ses sentiments à la femme qu'il aime et partager les idées excentriques de son ami.

Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève
Les Héros du troisième type (6): Le vent se lève

Et puis bien sûr, on ne peut pas clore un chapitre consacré aux anges tombés du ciel sans parler du plus célèbre d'entre eux:

Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)
Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)

Le livre d'origine et un beau portrait animé de David Bowie (Thomas Jerome Newton) d'après son adaptation cinématographique "L'homme qui venait d'ailleurs" ("The Man Who Fell To Earth", Nicolas Roeg, 1976)

Certaines scènes du film rappellent la fascination de David Bowie (que je partage tout comme son amour pour Berlin) pour le Japon et annonce son futur rôle dans Furyo ("Merry Christmas Mister Lawrence") de Nagisa Oshima (1983).

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Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Publié le par Rosalie210

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

V

Compañeros

Dans "Les Ailes du désir", c'est une rencontre décisive qui va donner à l'Ange Damiel l'élan nécessaire pour se transformer en être humain: sa rencontre avec l'acteur Peter Falk jouant son propre rôle, venu à Berlin pour tourner une fiction sur la seconde guerre mondiale. Pour une raison qui n'est expliquée qu'à la fin du film (à savoir qu'il est lui-même un ex-Ange ce qui semble couler de source pour quelqu'un dont le rôle le plus célèbre ne se différencie de la colombe que d'une seule lettre ^^), Peter Falk ressent sa présence et lui vante le bonheur de savourer les petits plaisirs de l'existence:

" J'aimerais te dire comme on est bien ici. Rien que de toucher quelque chose! C'est froid! C'est bon! Fumer, boire un café. Et faire les deux à la fois, c'est fantastique. Ou dessiner, on prend un crayon et on fait une ligne épaisse, puis une ligne légère, et les deux font une bonne ligne. Ou quand on a froid aux mains, on les frotte l'une contre l'autre, tu vois, c'est bon, ça fait du bien! Il y a tant de bonnes choses! Mais tu n'es pas là - Moi, je suis là. J'aimerais que tu sois là. Que tu puisses me parler. Parce que je suis un ami: compañero!"

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Un moment qui entre parfaitement en résonance avec celui où John Watson à la fin de l'épisode 3 de la saison 2 de la série "Sherlock" dit sur la tombe de son ami " Tu m'as dit une fois que tu n'étais pas un héros. J'ai parfois pensé que tu n'étais pas humain, mais tu étais le meilleur des hommes, le plus humain des êtres humains que j'aie connus. Personne ne me convaincra jamais que tu m'as menti, voilà. J'étais tellement seul et je te dois tant. Juste une dernière chose, un dernier miracle pour moi. Ne sois pas mort. Pourrais-tu faire ça pour moi? Arrête. Arrête ça."

Outre le fait que Watson souligne le paradoxe des extrêmes que je connais bien (à savoir que ceux qui sont censés ne rien ressentir sont aussi justement ceux qui lorsqu'ils ressentent, ressentent trop) et que sa prière annonce le miracle de la résurrection de Sherlock (que des fans à la foi chevillée au corps peuvent accomplir tout autant que le christ, la série ayant une dimension méta assumée), il souligne le fait qu'il n'y a pas que le pouvoir qui entraîne des responsabilités. C'est exactement la même chose en ce qui concerne l'amour. Par conséquent le premier épisode de la saison 3 n'est pas un retour à la situation antérieure. Parce qu'il était présent lorsque Watson parlait à sa tombe, Sherlock avoue "l'avoir entendu". Ce qui a la valeur d'un engagement irrévocable. Entre hommes d'honneur qui se sont mutuellement sauvés la vie, on ne revient jamais en arrière.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Le mot "Compañero" employé dans "Les Ailes du désir" et sa suite "Si Loin si proche" (1993) pour qualifier les liens qui unissent les Anges ayant décidé d'embrasser la condition humaine signifie à la fois "compagnon" et "camarade". Il appartient au champ lexical du vocabulaire politique espagnol et désigne littéralement "ceux qui partagent le même pain", ceux qui sont soudés par une fraternité, une identité commune forgée notamment dans la lutte contre le fascisme durant la guerre d'Espagne (1936-1939). Ce ne sont pas seulement des convictions qui soudent ces hommes, ce sont aussi les expériences partagées de l'horreur de la guerre et de la proximité de la mort. Par conséquent les liens qui se créent entre eux, à la fois charnels et spirituels, sont bien plus puissants que ceux d'une amitié ordinaire. 

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Plusieurs films de Wim Wenders sont centrés sur l'amitié quasi fusionnelle entre deux hommes embarqués dans un périple soit historico-géographique, soit policier: le méconnu et pourtant magnifique "Au fil du Temps" (Im Lauf der Zeit, 1976), le jouissif et morbide polar inspiré du "Ripley s'amuse" de Patricia Highsmith "L'Ami Américain" (Der Amerikanische Freund, 1977), et bien entendu "Les Ailes du désir" (Der Himmel über Berlin, 1987), proche de "Au fil du Temps" et sa suite "Si Loin si proche!" (In weiter Ferne, so nah!, 1993) qui lorgne davantage du côté du néo-noir. Olivier Père, le directeur général de Arte France Cinéma a trouvé la formule-choc pour définir le duo formé par Rüdiger Vogler et Hanns Zischler dans "Au fil du Temps". Il en parle en effet comme du premier grand couple "hétéro-gay" de la filmographie de Wim Wenders (et il en va de même des autres bien sûr).

Le périple d'un projectionniste ambulant et de l'homme qu'il a recueilli après son accident à la frontière RFA/RDA au début des années 70. Périple lors duquel les deux hommes en apparence opposés découvrent leur fraternité. Le tout sur fond de règlement de comptes avec le nazisme.

"L'Ami américain": Bruno Ganz et Dennis Hopper son "doppelgänger" qui le propulse dans une vie dangereuse jalonnée de crimes avant une mort programmée qu'il contribue à accélérer. Une relation qui n'est pas sans rappeler celle de Sherlock/Moriarty.

"L'Ami américain": Bruno Ganz et Dennis Hopper son "doppelgänger" qui le propulse dans une vie dangereuse jalonnée de crimes avant une mort programmée qu'il contribue à accélérer. Une relation qui n'est pas sans rappeler celle de Sherlock/Moriarty.

La sortie de route finale de l'apprenti tueur moribond sous le regard de son initiateur.

Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.
Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.

Damiel et Cassiel, inséparables dans leur condition d'Ange comme l'étaient leurs formidables interprètes, Bruno Ganz et Otto Sander sur les planches.

Quant à Peter Falk, s'il a accepté la proposition d'intégrer "la ligue des Anges" de Wim Wenders c'est parce qu'il y retrouvait ce qu'il aimait chez son ami John Cassavetes tant sur le plan humain que sur celui de la méthode de travail, axée sur l'improvisation. Effectivement le cinéma de John Cassavetes que j'ai découvert en même temps que celui de Wenders et dont je suis une grande fan repose également sur des amitiés masculines très puissantes comme celle qui unissait les trois "compañeros" John Cassavetes, Ben Gazzara et Peter Falk. Tous trois fils d'immigrés européens, nés à New York à la fin des années 20, ils avaient grandi dans les mêmes quartiers, fréquenté les mêmes écoles et connu, enfants, l'Amérique de la Grande Dépression: "Un jour, on s'est parlé et ça a été une sorte d'évidence. Nous venions du même monde, nous avions les mêmes idées, nous étions épris de liberté, nous disions les mêmes bêtises et nous aimions le même New York... On ne s'est plus quittés".

Les trois amis à l'époque du tournage de "Husbands" qui raconte l'errance nocturne et éthylique de trois alter ego en rupture sociale et familiale sans éluder l'aspect homoérotique de leur relation (Ben Gazzara dans le rôle de Harry se surnomme quand il est bourré "Fairy Harry").

Les trois amis à l'époque du tournage de "Husbands" qui raconte l'errance nocturne et éthylique de trois alter ego en rupture sociale et familiale sans éluder l'aspect homoérotique de leur relation (Ben Gazzara dans le rôle de Harry se surnomme quand il est bourré "Fairy Harry").

Il existe par ailleurs un lien amusant entre l'univers de Cassavetes et celui de la série Sherlock de Mark Gatiss et Steven Moffat. Il s'agit en effet de tournages dans lesquels réalité et fiction se confondent et qui de ce fait ont un supplément d'âme. Plusieurs films de Cassavetes se déroulent dans la propriété du couple qu'il formait avec Gena Rowlands, leurs parents y faisaient régulièrement des apparitions, les acteurs étaient leurs amis dans la vie etc. Il en va de même dans Sherlock. Mark Gatiss, le co-créateur de la série joue Mycroft, frère aîné de Sherlock, Steven Moffat fait interpréter à son fils le rôle de Sherlock enfant et sa femme, Sue Vertue est la productrice de la série, les parents de Benedict Cumberbatch interprètent les parents de Sherlock, Amanda Abbington qui joue Mary, l'épouse de Watson était aussi celle de Martin Freeman, Una Stubbs (Mrs Hudson) est une amie de la mère de Benedict Cumberbatch et connaît donc ce dernier depuis l'enfance ce qui confère à leurs rapports une relation mère-fils (qui culmine dans l'épisode 2 de la saison 4) totalement absente des romans de Arthur Conan Doyle etc.

On pourrait ajouter aussi qu'il s'agit dans les deux cas d'univers paradoxaux. Fondés sur des amitiés masculines profondément émotionnelles propres à terrifier les "mâles dominants" par ce qu'elles impliquent en matière d'homoérotisme, ils se doublent de portraits de femmes puissantes... qui les terrifie tout autant. Ce qui est somme toute logique, le principe féminin n'étant pas opprimé comme il l'est habituellement, les genres n'y sont pas stérilement (et stupidement) binarisés. Comme le dit la petite voix de Mary qui parle dans la tête de Watson "Tu en a marre des mecs qui t'expliquent la vie, comme tout le monde." (épisode 2, saison 4). le "mansplaining" étant une forme de domination consistant pour les dominants à parler à la place de tous les autres. 

Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.
Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.
Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.

Family trees. A Gauche: la famille élargie de John Cassavetes (avec Gena Rowlands, Ben Gazzara, Peter Falk). Au centre la famille de la série Sherlock (Molly, Mary, John, Sherlock, Greg Lestrade et Mrs Hudson). A droite, Benedict Cumberbatch et ses parents, Mark Gatiss et Louis Moffat.

Les films de Billy Wilder que je préfère infusent le même état d'esprit. De 1857 à 1981, ils ont tous été scénarisés par I.A.L. Diamond. I.A.L. ne sont pas les initiales de son prénom mais un prix gagné au lycée, l'Interscholastic Algebra League. Son prénom roumain (Itzec Domnici) étant imprononçable, il se faisait surnommer Izzy ou Iz à Hollywood. Wilder et Diamond étaient donc tous deux des immigrés d'Europe centrale et orientale. Ils ont commencé leur collaboration en 1957 avec "Ariane" et ne se sont plus quittés jusqu'à leur dernier film. ils en ont écrit ensemble au total 12, soit la moitié de la filmographie de Billy Wilder. Une écriture à quatre mains puisque Billy Wilder était à l'origine scénariste lui-même, journaliste et écrivain.

Deux d'entre eux, de l'aveu même de la femme d'Izzy Diamond reflétaient la relation des deux hommes. Tous deux font partie de mes films préférés: "Certains l'aiment chaud" évidemment avec le duo Joe/Jerry. Et puis bien sûr "La Vie privée de Sherlock Holmes" avec Holmes/Watson.

" - Il a l'air d'être très heureux de refaire un film [...]

- Il est dans son élément. Il adore tout ça. Le chaos, l'adrénaline.

-Et vous?

- Moi? Je préfère mener une vie tranquille. Mais ce n'est pas moi qui choisis. Il aime m'avoir auprès de lui." (Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p95).

Mais ce ne sont pas les seuls films du duo mettant en scène... un duo d'hommes. "La Grande Combine" ("The Fortune cookie", 1966), "Spéciale Première" ("The Front Page", 1974) et leur dernier film, le raté "Victor la Gaffe" ("Buddy Buddy", 1981 d'après "L'Emmerdeur" d'Edouard Molinaro) sont tous trois interprétés par les mêmes acteurs principaux Jack Lemmon et Walter Matthau. Le plus réussi des trois est "Spéciale Première" et c'est celui qui s'amuse le plus avec les codes de genre puisqu'il s'agit d'une adaptation de la pièce de théâtre de Ben Hecht "The Front Page" qui avait déjà donné lieu à un film de Howard Hawks, "La Dame du Vendredi" (1940). Sauf que la "dame" en question devient ici un homme et que cela entraîne toute une série de quiproquos croustillants. Voici un extrait de ma propre critique du film:

"Déguisement, travestissement, transformisme: la métamorphose du corps et le brouillage des identités est au coeur de l'œuvre de Billy Wilder. C'est donc sans surprise pour le connaisseur que la Hildy de Hawks réapparaît sous les traits de Jack Lemmon qui forme un vieux couple dans le film avec Walter Burns-Walter Matthau. Il s'agit de la 2° prestation des deux acteurs chez Wilder qui forment un véritable "drôle de couple" dans le cinéma US (une dizaine de films en duo à leur actif). Les journalistes (un ramassis d'homophobes machistes sauf Bensinger, premier personnage de Wilder caractérisé par son homosexualité) eux-mêmes disent dans le film qu'Hildy est "marié à Walter Burns" sans parler de dialogues plein de sous-entendus ("someday you're gonna do that and i'm suck you in the shnoze"; " you're beautiful when you're angry.") Et surtout durant tout le film, celui-ci s'emploie à briser le couple Hildy-Peggy comme le faisait Grant chez Hawks mais d'une manière encore plus retorse. La scène la plus extraordinaire de ce point de vue est celle où Peggy, excédée d'attendre Hildy dans le taxi qui doit les mener vers leur destination de mariage monte en salle de presse et le trouve en train de "prendre son pied" à écrire un article sensationnel (d'où l'équivoque "Honey, not now" lorsqu'elle s'approche de lui). Et Burns, triomphant vient alors se coller à Hildy, lui passe le bras autour des épaules, lui glisse une cigarette dans la bouche et défie Peggy (isolée par la mise en scène) du regard "Je lui donne plus de plaisir que tu ne pourras jamais le faire." Celle-ci se décompose sous nos yeux et s'en va, vaincue. Les derniers rebondissements du film ne sont pas aussi réussis mais ils vont dans le même sens. Et tandis que Hildy revient se jeter dans les bras de Burns, Bensinger qui était victime des railleries de ses collègues ("ne te retrouve jamais seul avec lui aux WC") finit par ouvrir un magasin d'antiquités avec le petit jeune à qui cet avertissement était adressé..."

 

Il n'est guère étonnant que dans le livre de Jonathan Coe, la relation entre les deux hommes fasse l'objet de plaisanteries de la part de leurs épouses: 

" Ne sont-ils pas adorables tous les deux? dit Barbara. Ne serait-ce pas magnifique s'ils pouvaient être mariés l'un à l'autre, plutôt qu'à nous? Je ne sais pas toi, Audrey, mais parfois, je me sens tellement coupable de m'immiscer entre eux comme je le fais.

Audrey rit à nouveau. "Oh oui! C'est exactement pareil pour moi. Si je n'avais pas mis le grappin sur Billy quelques années avant qu'il ne rencontre Iz, je sais que je n'aurais pas eu la moindre chance.

- Ecoutez, nous ne sommes pas de la jaquette, dit Billy, avant de me mettre en garde: N'allez pas commencer à répandre ce genre de rumeur!"

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 65)

Billy et Izzy

Billy et Izzy

John Cassavetes et Billy Wilder ont d'ailleurs un autre point commun (que les amitiés masculines fusionnelles): leur intérêt pour les femmes de plus de cinquante ans. Cassavetes a filmé ces femmes mûres, désirantes, en quête d'amour, angoissées par la peur de ne plus être désirées dans presque tous ses films car il considérait qu'il fallait réunir toutes les générations, tous les âges du féminin, que c'était une question de justice et de morale et que dans ses films qu'il qualifiait d'enquête sur la vie, il s'intéressait autant à la masculinité qu'à la féminité ce qui est parfaitement exact, les deux principes fonctionnant en vases communicants. Quant à Billy Wilder, il leur a servi d'escort à Berlin durant les années où il travaillait dans les hôtels Eden et Adlon. Il leur a plus ou moins dédié "Fedora" (1978) et sur ce sujet encore, il y a de très belles pages dans le livre de Jonathan Coe "Il y avait ces femmes qui venaient aux thés dansants l'après-midi, parfois avec leur mari mais plus souvent seules, et il leur fallait un partenaire. Un jeune homme séduisant qui savait danser, soit parce qu'elles n'avaient personne, soit parce que leur mari en était incapable, voire carrément incapable de se lever, ou simplement parce qu'il ne supportait pas de passer les bras autour de la taille de son épouse, tu vois? [...] Mais ce ne sont pas les obèses qui m'ont le plus marqué. Elles avaient souvent l'air plutôt gaies, assez bien dans leur peau. C'étaient surtout les femmes qui avaient gardé la ligne mais perdu leur beauté et qui se retrouvaient toutes seules. Leur mari les avait peut-être quittées, ou peut-être qu'il était mort, et elles n'auraient plus jamais d'homme dans leur vie, même pas en rêve, parce que qu'elles étaient vieilles. C'était ça, l'unique raison. Et quand elles passaient les bras autour de vous [...] on sentait malgré tout cet appétit, ce besoin de simplement toucher un autre être humain [...] rien que la façon dont elles vous touchaient trahissait leur détresse. Mais comment ne pas les plaindre? Dès qu'une femme perd sa beauté, c'est fini. Elle est invisible. [...] Même après tout ce temps; je n'ai jamais oublié ce que ça faisait de sentir les bras de ces femmes autour de moi, de les regarder dans les yeux et... la tristesse qu'on y voyait. La tristesse et le manque." (Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p263-264)

La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").
La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").

La première fois que j'ai vu "Faces" (1968), j'ai été bouleversée par le personnage de Chet (Seymour Cassel), l'escort boy qui sauve de justesse Maria du suicide (comme Fran dans "La Garçonnière", elle a avalé des somnifères) et sa tirade sur l'incommunicabilité ("Nous nous protégeons, personne ne prend le temps de se montrer vulnérable à l'autre [...] nous sortons avec notre armure et notre bouclier, nous sommes tellement mécaniques").

Etre le compañeros de quelqu'un fait naître la solidarité sans laquelle la survie en condition extrême est impossible. C'est aussi un moyen non seulement de le compléter mais aussi de le révéler à lui-même. Ainsi contrairement à Sherlock Holmes dont l'étrangeté se voit au premier coup d'oeil, John Watson est en apparence un "M. tout le monde" dont le démon intérieur ne surgit que par intermittences, le plus souvent quand il est privé de l'adrénaline de ses enquêtes avec le détective: quand il va chez sa psy, lors de sa claudication psychosomatique du premier épisode ou dans ses cauchemars. Il faut attendre l'épisode 3 de la saison 3 pour que celui-ci soit confronté "en pleine conscience" à cette facette obscure de lui-même lorsqu'il découvre que sa femme Mary qu'il pense être "sans histoire" et avec laquelle il souhaite mener une vie conformiste ("le banal, ça a du bon parfois, le banal ça me convient" dit-il dans l'épisode 2 de la saison 1) a un lourd passé de tueuse à gages.

Le double visage de Mary
Le double visage de Mary
Le double visage de Mary
Le double visage de Mary

Le double visage de Mary

Sherlock en profite alors pour dire à Watson ses quatre vérités (un de mes passages préférés par sa portée symbolique car il peut s'adresser à chaque spectateur à qui la série offre une caisse de résonance, encore une dimension méta-réflexive redoutablement intelligente):

" Tout est de ton fait (...) Tu es un médecin parti à la guerre. Tu n'as pas tenu un mois en banlieue sans tabasser un junkie dans un squat. Ton meilleur ami est un sociopathe résolvant des crimes pour décrocher [de la drogue] C'est moi, salut. Ta logeuse dirigeait un cartel* (...) John, tu es accro à un certain mode de vie, anormalement attiré vers les situations et les gens dangereux. Est-il si surprenant que la femme dont tu tombes amoureux soit à l'avenant?"

"Elle n'était pas censée être comme ça! Pourquoi elle est comme ça?"

"Parce que tu l'as choisie". 

* Mrs Hudson le rectifie... en précisant qu'elle était secrétaire (et épouse) d'un narco-trafiquant. Si on ajoute qu'elle a été "danseuse exotique" et eu des problèmes avec l'alcool, cela dresse un portrait d'elle tout aussi peu conventionnel que celui de ses locataires. La raison pour laquelle elle supporte les excentricités de Sherlock sous son propre toit devient alors tout à fait limpide (en plus du fait qu'il a aidée à se débarrasser de son mari). 

Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.
Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.

Le double visage de Mrs Hudson qui a pas mal de chevaux sous le capot ^^^^^.

Le simple fait que dès leur première rencontre, Mary se sente complice avec Sherlock en dit long sur sa véritable personnalité. Parce qu'une personne "sans histoire" aurait pris peur et se serait montré hostile, l'aurait évidemment rejeté et tout fait pour l'éloigner de son mari. Mais Mycroft, Sherlock, Watson, Mary, Irène, Mrs Hudson, Greg Lestrade et Molly bien que de caractères très différents appartiennent à la même "confrérie des ombres" et sont des preuves vivantes que la dernière chose dont un être humain tangent a besoin, c'est d'un jugement moral qui vienne lui donner le coup de grâce. Bien au contraire, il a besoin de s'accepter en totalité, ne rien rejeter de son expérience et de sa personnalité. La "surhumanité" dont parle Nietzsche est paradoxalement aussi une "pleine humanité" dont les personnes étriquées obéissant à une morale conformiste sont dépourvues.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Lorsqu'existe un tel degré de proximité entre des êtres, chacun agit donc sur l'autre comme un miroir révélateur. Dans le pire comme dans le meilleur. Si l'amitié de John Watson est ce qui ramène Sherlock Holmes dans le monde des vivants, l'inverse est tout aussi vrai. Car si John Watson n'avait pas rencontré Sherlock Holmes, il serait sans doute devenu Travis Bickle, le psychopathe de "Taxi Driver" (1976) de Martin Scorsese. Vétéran de la guerre du Vietnam souffrant de stress post-traumatique, Travis Bickle qui est devenu insomniaque et asocial devient de plus en plus haineux au fur et à mesure que son inadaptation apparaît insurmontable jusqu'à finir par se prendre pour un justicier et aller nettoyer les bas-fonds de la ville en commettant un bain de sang. Travis a récemment été remis sur le devant de la scène parce qu'il a beaucoup inspiré "Joker" (2019) de Todd Phillips avec Joaquin Phoenix.

N'ayant personne à qui parler, Travis Bickle finit par faire comme un autre célèbre psychopathe célèbre de fiction, Voldemort: se parler à lui-même.

Quant à Monte-Cristo, son cas est particulièrement intéressant. Dans le chapitre 71, il refuse de partager "le pain et le sel" c'est à dire de toucher à quoi que ce soit dans la maison de l'ennemi qu'il souhaite abattre au grand désespoir de Mercédès qui a percé à jour ses intentions meurtrières (et suicidaires): 

« Monsieur le comte, reprit enfin Mercédès en regardant Monte-Cristo d'un oeil suppliant, il y a une touchante coutume arabe qui fait amis éternellement ceux qui ont partagé le pain et le sel sous le même toit.
- Je la connais, madame, répondit le comte ; mais nous sommes en France et non en Arabie, et en France, il n'y a pas plus d'amitiés éternelles que de partage du sel et du pain.
- Mais enfin, dit la comtesse palpitante et les yeux attachés sur les yeux de Monte-Cristo, dont elle ressaisit presque convulsivement le bras avec ses deux mains, nous sommes amis, n'est-ce pas ? »
Le sang afflua au coeur du comte, qui devint pâle comme la mort, puis, remontant du coeur à la gorge, il envahit ses joues et ses yeux nagèrent dans le vague pendant quelques secondes, comme ceux d'un homme frappé d'éblouissement.
« Certainement que nous sommes amis, madame, répliqua-t-il ; d'ailleurs, pourquoi ne le serions-nous pas ? » (...)

- Comment pouvez-vous vivre ainsi, sans rien qui vous attache à la vie ?
- Ce n'est pas ma faute, madame. A Malte, j'ai aimé une jeune fille et j'allais l'épouser, quand la guerre est venue et m'a enlevé loin d'elle comme un tourbillon. J'avais cru qu'elle m'aimait assez pour m'attendre, pour demeurer fidèle même à mon tombeau. Quand je suis revenu, elle était mariée. C'est l'histoire de tout homme qui a passé par l'âge de vingt ans. J'avais peut-être-le coeur plus faible que les autres, et j'ai souffert plus qu'ils n'eussent fait à ma place, voilà tout. »
La comtesse s'arrêta un moment, comme si elle eût eu besoin de cette halte pour respirer.
« Oui, dit-elle, et cet amour vous est resté au coeur... On n'aime bien qu'une fois... Et avez-vous jamais revu cette femme ?
- Jamais.
- Jamais !
- Je ne suis point retourné dans le pays où elle était.
- A Malte ?
- Oui, à Malte.
- Elle est à Malte, alors ?
- Je le pense.
- Et lui avez-vous pardonné ce qu'elle vous a fait souffrir ?
- A elle, oui.
- Mais à elle seulement ; vous haïssez toujours ceux qui vous ont séparé d'elle ? »

La comtesse se plaça en face de Monte-Cristo ; elle tenait encore à la main un fragment de la grappe parfumée.
« Prenez, dit-elle.
- Jamais je ne mange de muscat, madame », répondit Monte-Cristo.

Les Héros du troisième type (5): Compañeros

Ne pouvant se relier à ses anciens amis qui l'ont tous trahi ni à son ancien amour qui ne l'a pas attendu et a épousé (sans le savoir) l'un de ses bourreaux, Monte-Cristo n'a a priori personne vers qui se tourner. En réalité il y a bien quelqu'un mais longtemps, il ne la voit pas parce qu'il s'agit de la fille de son pire ennemi, Valentine de Villefort qui est mon personnage préféré dans le roman. Elle possède le même don que Peter Falk dans "Les Ailes du désir" ou que John Watson et Molly Hooper (voir chapitre VII) dans "Sherlock": celui de ramener les morts dans le monde des vivants. Ou si l'on veut de les faire passer du non-être à l'être. A commencer par son grand-père, Noirtier de Villefort, atteint du locked-in syndrome (plus d'un siècle avant qu'il ne soit identifié par les neurologues!) et dont elle est une des seules à pouvoir traduire le langage, concentré dans les clignements de sa seule paupière restée valide.

"Rien n'était plus effrayant parfois que ce visage de marbre au haut duquel s'allumait une colère ou luisait une joie. Trois personnes seulement savaient comprendre ce langage du pauvre paralytique : c'étaient Villefort, Valentine et le vieux domestique dont nous avons déjà parlé. Mais comme Villefort ne voyait que rarement son père, et, pour ainsi dire, quand il ne pouvait faire autrement ; comme, lorsqu'il le voyait, il ne cherchait pas à lui plaire en le comprenant, tout le bonheur du vieillard reposait en sa petite-fille, et Valentine était parvenue, à force de dévouement, d'amour et de patience, à comprendre du regard toutes les pensées de Noirtier. A ce langage muet ou inintelligible pour tout autre, elle répondait avec toute sa voix, toute sa physionomie, toute son âme, de sorte qu'il s'établissait des dialogues animés entre cette jeune fille et cette prétendue argile, à peu près redevenue poussière, et qui cependant était encore un homme d'un savoir immense, d'une pénétration inouïe et d'une volonté aussi puissante que peut l'être l'âme enfermée dans une matière par laquelle elle a perdu le pouvoir de se faire obéir." (Chapitre 58)

Cet extrait permet de comprendre que Noirtier est un homme de la même trempe que Monte-Cristo (il fait d'ailleurs partie de mes personnages préférés du roman). L'épreuve de la paralysie de son corps et de la privation du langage l'a rendu paradoxalement plus puissant que n'importe qui d'autre dans sa propre famille. Il est le seul à comprendre bien avant tout le monde le drame qui s'y joue et le seul à être donc en capacité d'agir pour contrer la fatalité qui s'y déploie. Il va en effet tout faire pour aider sa petite-fille, considérée comme un pion par son père (qui veut la marier à un noble très riche) et par sa belle-mère (qui veut la tuer pour que ce soit son fils qui touche l'héritage familial) à gagner sa liberté. Et le moment venu, Monte-Cristo sera là pour l'épauler. Car les deux hommes sont liés par un passé et un futur commun. Le passé, c'est l'interception d'une lettre adressée à Noirtier alors bonapartiste, glissée dans les bagages d'Edmond Dantès par ses ennemis, qui vaudra à ce dernier d'être soupçonné de comploter pour le rétablissement de Napoléon au pouvoir, puis incarcéré en 1815. Le futur concerne Valentine, la petite-fille de Noirtier et celui qu'elle aime, Maximilien Morrel, le protégé du comte de Monte-Cristo.

Valentine et son grand-père.

Valentine et son grand-père.

Aussi et logiquement, ce pouvoir qui permet à Noirtier de rester en vie, de communiquer et d'agir, Valentine va ensuite l'exercer sur Monte-Cristo lui-même à la fin du récit en lui ouvrant les yeux sur les sentiments d'Haydée à son égard:

"Haydée ! Haydée ! tu es jeune, tu es belle ; oublie jusqu’à mon nom et sois heureuse.

— C’est bien, dit Haydée, tes ordres seront exécutés, mon seigneur ; j’oublierai jusqu’à ton nom et je serai heureuse.

Et elle fit un pas en arrière pour se retirer.

— Oh ! mon Dieu ! s’écria Valentine, tout en soutenant la tête engourdie de Morrel sur son épaule, ne voyez-vous donc pas comme elle est pâle, ne comprenez-vous pas ce qu’elle souffre ?

Haydée lui dit avec une expression déchirante :

— Pourquoi veux-tu donc qu’il me comprenne, ma sœur ? Il est mon maître et je suis son esclave ; il a le droit de ne rien voir." (chapitre 117).

Récemment, j'ai lu un post en forme d'ode à Valentine et Haydée qui m'a comblée de bonheur. Parce qu'on oublie trop souvent le rôle clé des femmes dans "Le Comte de Monte-Cristo".

Récemment, j'ai lu un post en forme d'ode à Valentine et Haydée qui m'a comblée de bonheur. Parce qu'on oublie trop souvent le rôle clé des femmes dans "Le Comte de Monte-Cristo".

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Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect

Publié le par Rosalie210

IV

Nobody's perfect

« La force de Wilder est de mettre en scène des crapules, des crétines, des imposteurs, des lâches et des assassins, puis d'en faire des êtres humains. » (Noël Simsolo).

Billy Wilder (1906-2002) et sa jeune (et fictive) interprète grecque, Calista sur le tournage en Grèce de Fedora (1978), allusion transparente à "L'interprète grec", l'une des nouvelles d'Arthur Conan Doyle dans laquelle on découvre pour la première fois Mycroft Holmes, le frère aîné de Sherlock et le club Diogène dont il est le co-fondateur. Mais bien que "Billy Wilder et moi" soit un roman, il se fonde sur des faits et propos bien réels grâce notamment à la rencontre entre l'auteur et le fils de I.A.L. Diamond (le scénariste de Billy Wilder à partir de 1957) qui lui a ouvert les archives de son père. Le résultat est remarquable car extrêmement vivant tout en étant méticuleusement documenté.

Billy Wilder (1906-2002) et sa jeune (et fictive) interprète grecque, Calista sur le tournage en Grèce de Fedora (1978), allusion transparente à "L'interprète grec", l'une des nouvelles d'Arthur Conan Doyle dans laquelle on découvre pour la première fois Mycroft Holmes, le frère aîné de Sherlock et le club Diogène dont il est le co-fondateur. Mais bien que "Billy Wilder et moi" soit un roman, il se fonde sur des faits et propos bien réels grâce notamment à la rencontre entre l'auteur et le fils de I.A.L. Diamond (le scénariste de Billy Wilder à partir de 1957) qui lui a ouvert les archives de son père. Le résultat est remarquable car extrêmement vivant tout en étant méticuleusement documenté.

En novembre 1993, j'ai vu pour la première fois un film de Billy Wilder, "La Garçonnière" ("The Apartment",1960), sur Arte, lors d'une soirée "Thema" qui était consacrée au célèbre réalisateur américain d'origine austro-hongroise. Comme Calista dans le roman de Jonathan Coe lorsqu'elle fait sa connaissance, je ne savais absolument pas qui il était car cela faisait peu de temps que je m'étais mise au cinéma. Je me souviens juste que ça a été le coup de foudre au point qu'un mois après, le soir de noël, je me repassais encore le film que j'avais enregistré, seule dans ma chambre avec une ferveur incroyable en me disant à peu près comme Edmond Dantès qu'il n'y avait qu'à "attendre et espérer". Car c'est de cela dont j'avais le plus besoin à l'époque et c'est à ce besoin-là que Billy Wilder répondait justement:

" Imagine une famille à Düsseldorf. Le mari est déprimé [...] La femme dit à son mari: "Ecoute, je suis amoureuse du dentiste et je te quitte". Le fils s'est fait arrêter [...] La fille est en cloque et elle a la syphilis. Et voilà que quelqu'un passe les voir et dit: "Ecoutez, je sais que vous avez eu une rude journée, mais allons nous remonter le moral. Allons voir Despair de Fassbinder. [...] La vie est moche. On le sait tous. Pas besoin d'aller au cinéma pour savoir que la vie est moche. Les gens y vont parce que ces deux heures apportent à leur existence une petite étincelle [...] Un soupçon de joie peut-être."

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 260).

L'une des nombreuses affiches de "La Garçonnière" et une affiche de "Despair" de Rainer Werner Fassbinder. J'adore Dirk Bogarde mais les films dans lesquels il a tourné ne transpirent pas vraiment le bonheur. D'ailleurs parmi mes pires souvenirs en matière de films (au sens de films traumatisants et non de mauvais films) il y a un téléfilm de Fassbinder, "Martha" (1974) qui décrit un processus d'emprise terrifiant au sein d'un couple.
L'une des nombreuses affiches de "La Garçonnière" et une affiche de "Despair" de Rainer Werner Fassbinder. J'adore Dirk Bogarde mais les films dans lesquels il a tourné ne transpirent pas vraiment le bonheur. D'ailleurs parmi mes pires souvenirs en matière de films (au sens de films traumatisants et non de mauvais films) il y a un téléfilm de Fassbinder, "Martha" (1974) qui décrit un processus d'emprise terrifiant au sein d'un couple.

L'une des nombreuses affiches de "La Garçonnière" et une affiche de "Despair" de Rainer Werner Fassbinder. J'adore Dirk Bogarde mais les films dans lesquels il a tourné ne transpirent pas vraiment le bonheur. D'ailleurs parmi mes pires souvenirs en matière de films (au sens de films traumatisants et non de mauvais films) il y a un téléfilm de Fassbinder, "Martha" (1974) qui décrit un processus d'emprise terrifiant au sein d'un couple.

Si on m'avait dit en effet à cette époque que Billy Wilder était un réalisateur cynique, je serais "tombée des nues" ^^. Il m'est apparu comme un sauveteur (au sens de maïeuticien de l'âme). L'un des rares qui pouvait proposer un regard humaniste et une issue positive à des personnages en apparence irrécupérables: "Les gens me traitent de cynique et c'est vrai, j'ai réalisé quelques films cyniques, mais en réalité, je crois que j'ai une image assez romantique de ce que doit être un film." (p 263)

Ironie dès le générique: Baxter regarde de l'extérieur son propre appartement (son intimité) envahi et lui-même, en être exclu.

Ironie dès le générique: Baxter regarde de l'extérieur son propre appartement (son intimité) envahi et lui-même, en être exclu.

La Garçonnière raconte l'histoire d'un petit employé d'assurances, CC Baxter (joué par son acteur fétiche, Jack Lemmon) qui prête sa garçonnière à ses supérieurs (patron inclus) pour qu'ils y emmènent leurs maîtresses contre la promesse de gravir les échelons de son entreprise. Ce qu'il parvient à faire, se retrouvant à la fin adjoint du patron, tout en haut de la tour qui abrite les bureaux de la compagnie. Une satire corrosive de la sucess story autant que du parcours édifiant du héros américain, self-made-man parti de rien et arrivé au sommet par ses propres moyens, ici la prostitution par procuration.

La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.
La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.
La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.
La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.
La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.

La tour à gravir, le célèbre open space d'Alexandre Trauner puis l'exécutive office et enfin le bureau du patron.

Sauf qu'en fait Baxter n'est pas un arriviste. C'est une chiffe molle qui se laisse dicter sa conduite par les dirigeants de la société à qui il n'ose pas dire non. Tout le comique du film mais aussi sa profonde mélancolie repose sur un quiproquo entre l'image que renvoie Baxter à la société (celle du conquérant à qui tout réussit tant sur le plan professionnel que privé) et une réalité faite de solitude et d'asservissement. Fran, la jeune liftière jouée par Shirley MacLaine pour qui Baxter a le béguin résume parfaitement la réalité prédatrice de la société américaine "certains exploitent et d'autres se font exploiter". Double féminin de Baxter, elle aussi est manipulée par son patron qui lui fait miroiter de belles promesses qu'il n'a nullement l'intention d'honorer.  Et bien entendu Baxter ne se doute pas qu'elle passe une partie de ses nuits dans son propre lit mais avec un autre alors qu'il se gèle sur le trottoir en attendant de pouvoir rentrer chez lui.

Sans crier gare, le film bascule de la comédie satirique au drame poignant lorsque Baxter découvre sa propre fêlure dans le miroir brisé de Fran.

Sans crier gare, le film bascule de la comédie satirique au drame poignant lorsque Baxter découvre sa propre fêlure dans le miroir brisé de Fran.

C'est alors qu'intervient l'humaniste de l'histoire, double de Wilder en la personne du docteur Dreyfuss, voisin de palier de Baxter et témoin de ce qu'il croit être sa vie de jeune débauché irresponsable. Il ne va pas seulement se contenter de sauver Fran du suicide et du désespoir. Il va secouer Baxter en lui enjoignant de devenir un "Mensch" c'est à dire un véritable être humain au sens où Diogène l'entendait. Et ce juste au moment où ce dernier sort enfin de sa léthargie en accédant au sentiment amoureux qui est pour lui une révélation. Il devient alors un homme à part entière qui décide de se libérer de sa servitude et de protéger sa vie privée pour y accueillir Fran qui retrouve parallèlement le goût de vivre. Jack Lemmon qui introduisait le film lors de la soirée Thema disait que Billy Wilder avait réussi "à faire pousser une rose sur du fumier".

Les bons conseils du docteur Dreyfuss 😊.

Et la décision de Baxter de les suivre.

Les films de Billy Wilder que je préfère, tous co-scénarisés avec I.A.L. Diamond possèdent ce bouleversant pouvoir de métamorphose d'une marionnette en être humain, souvent grâce à la connexion ou à la reconnexion avec une partie ignorée de soi (la plus secrète et la plus précieuse, évidemment). L'exemple le plus célèbre est celui du musicien plutôt fade Jerry (Jack Lemmon) devenant l'irrésistible Daphné dans "Certains l'aiment chaud" (Some like it hot, 1959) mais Flannagan (Gary Cooper), le vieux séducteur blasé retrouvant ses émotions d'adolescent dans "Ariane" (Love in the afternoon,1954) devant la bravoure d'une gamine encore vierge (Audrey Hepburn) qui pour se mettre à "son niveau" s'invente une collection d'amants est tout aussi fascinant. Je me souviens encore de l'état d'enchantement dans lequel j'étais en sortant de la projection. Car celui-là, je l'ai vu dans un cinéma art et essai qui n'existe plus, le Rex à Toulouse, quelques mois après "La Garçonnière". Cinéma à qui je dois une bonne partie de ma culture cinématographique. 

Et la joie qui résulte du sentiment de plénitude retrouvé s'exprime en danse et en musique avec l'éternel orchestre dans un coin de l'image.

La signature Wilder: la fleur portée derrière l'oreille apparaît dans toutes les scènes de danse. Dans "Certains l'aiment chaud" elle est portée par Joe E. Brown (Osgood)

Dans "Ariane", la fleur épinglée au costume qui finit derrière l'oreille est portée par Gary Cooper (Flannagan) dans une scène bucolique

Cependant, je n'avais exploré qu'une facette de la personnalité de Billy Wilder. Deux ou trois ans après vers 1995, j'en ai découvert une seconde qui m'a tout autant marqué que la première. Pas la plus cynique (quoiqu'il y ait toujours une part de cynisme dans ses films, sinon on n'en dégusterait pas avec autant de délectation la part romantique). Mais la plus lugubre assurément. Celle de "l'ouverture des tombeaux", principalement dans les années 70 quand Billy Wilder devenu vieux et has been à Hollywood ("un homme d'hier" faisant "du cinéma d'hier" par rapport aux "jeunes barbus", Scorsese, Coppola, Spielberg) s'est penché avec nostalgie sur l'époque de sa jeunesse européenne brutalement interrompue par l'avènement du nazisme.

Les films de fantômes de la filmographie de Billy Wilder ne datent pas tous cependant des années 1970. "La Scandaleuse de Berlin" (1948) ressuscite l'Ange bleu (en version déchue) et "Boulevard du crépuscule" (1950), les vieilles gloires du cinéma muet (en version déchues également) en entremêlant fiction et réalité. "Boulevard du crépuscule" a d'ailleurs son miroir macabre (et dégradé) dans les années 70, "Fedora" (1978) avec le même acteur (William Holden) qui poursuit la chimère de faire tourner une nouvelle version de "Anna Karénine" à une ex-star recluse (et déchue pour changer) que chacun ne peut qu'identifier à Greta Garbo. On peut même inclure dans cet ensemble "La valse de l'Empereur" (1948) qui remonte aux dernières années de l'Empire austro-hongrois. Toutes ces périodes révolues ont un point commun. Elles sont issues d'une partie morte de l'existence de Billy Wilder. Sa vie d'avant: d'avant l'exil en France puis aux USA, d'avant la Shoah et la mort de sa famille, ce "Monde d'Hier" à jamais perdu dont parle son contemporain, Stefan Zweig. Seul "Fedora" s'aventure cependant du côté de l'expérimentation clinique façon "roman de la momie hollywoodienne", en faisant penser à la fois aux mutations du visage du film de Franju, "Les yeux sans visage" (1960) et à "La Piel que Habito" (2011) de Pedro Almodovar.

Mais le résultat est identique: ce sont tous des films de morts-vivants dans lesquels on sent bien qu'il y a une cassure dans la vie de Billy Wilder et que celle-ci est irréparable.

La géniale ouverture macabre tempérée d'humour noir de "Boulevard du crépuscule" avec son narrateur décédé flottant dans la piscine et la toute aussi joyeuse scène d'ouverture de "Fedora" (1978)
La géniale ouverture macabre tempérée d'humour noir de "Boulevard du crépuscule" avec son narrateur décédé flottant dans la piscine et la toute aussi joyeuse scène d'ouverture de "Fedora" (1978)

La géniale ouverture macabre tempérée d'humour noir de "Boulevard du crépuscule" avec son narrateur décédé flottant dans la piscine et la toute aussi joyeuse scène d'ouverture de "Fedora" (1978)

C'est exactement au carrefour de ces deux tendances, romantique et sépulcrale que se situe "La vie privée de Sherlock Holmes" ("The Private life of Sherlock Holmes") réalisé en 1970. Celui-ci était en effet un des personnages préférés de sa jeunesse et il voulu le traiter comme une personne ayant réellement existé et possédant de ce fait des failles on ne peut plus humaines. Pour cela, il a imaginé avec son complice scénariste I.A.L. Diamond l'exhumation d'une malle poussiéreuse entreposée dans une banque de Londres ayant appartenue à John Watson mais qui ne pouvait être ouverte que cinquante ans après sa mort. A l'intérieur, on y découvre un texte inédit du docteur consacré à ce qui est précisément occulté dans l'oeuvre volontairement fragmentaire de Arthur Conan Doyle: à savoir ce qui relève de la sphère privée de la vie du détective. C'est ainsi que Billy Wilder parvient à rendre hommage à l'oeuvre originale en complétant les "blancs" tout en se montrant extrêmement irrévérencieux à son égard.

La malle est à Watson mais tous les objets appartiennent à Sherlock Holmes, restes tangibles d'un monde perdu (un autre livre célèbre de Conan Doyle de 1912 qui s'est perpétué jusqu'à nos jours avec "Jurassic Park" (1993) de Steven Spielberg et toutes ses suites)

N'ayant pas saisi à l'époque tout ce qui faisait la complexité de ce cinéaste, je suis allée voir le film dans un cinéma du quartier latin qui le passait en même temps que "Avanti" (1972) en me disant naïvement que j'allais forcément y retrouver ce qui m'avait fait tant de bien dans les autres que j'avais vu de lui. Je me souviens en être sortie à la fois touchée au coeur, complètement déprimée et profondément troublée tant le décalage était immense entre l'image d'Epinal véhiculée par le célèbre détective dans la culture populaire (qui était la seule que je connaissais jusque là puisque je n'avais lu aucun livre de Conan Doyle ni vu aucune adaptation) et la vision d'outre-tombe qu'en donnait Billy Wilder. Comme si la mémoire collective avait opéré une sélection en ne conservant que ce qui l'arrangeait dans le personnage (son génie) en oubliant le reste (ses démons). Et cela n'est pas seulement imputable aux silences et aux omissions du docteur Watson (et donc de Conan Doyle). C'est aussi une question d'évolution des moeurs. Pas toujours dans le sens de ce que l'on croit d'ailleurs, comme le montre le chapitre 52 du Comte de Monte-Cristo intitulé "Toxicologie" dans lequel le sujet des drogues (fabrication et usage) est aussi décomplexé qu'il l'est dans les livres de Conan Doyle alors que de nos jours Edmond et Sherlock auraient quelques problèmes avec la justice (question réglée dans la série par le fait que le frère de Sherlock qui gravite dans l'ombre du pouvoir couvre tous ses écarts de conduite).

Chapitre 100% consacré aux meilleurs moyens de fabriquer des remèdes...et des poisons.

Chapitre 100% consacré aux meilleurs moyens de fabriquer des remèdes...et des poisons.

De la cocaïne pour soigner le mal de dents Carton publicitaire de 1885 Lloyd Manufacturing Company. Aujourd'hui, même les produits dérivés inoffensifs issus de ces drogues sont devenus tabous (sauf le Coca ^^), du moins en France. Aux Pays-Bas en revanche, l'esprit XIX° siècle est davantage demeuré (sucettes et glace au cannabis dans toutes les boutiques, exposition sur les drogues et les instruments pour les utiliser au musée national d'Amsterdam, coffee Shop permettant d'acheter et de consommer légalement du cannabis sous certaines conditions.)

De la cocaïne pour soigner le mal de dents Carton publicitaire de 1885 Lloyd Manufacturing Company. Aujourd'hui, même les produits dérivés inoffensifs issus de ces drogues sont devenus tabous (sauf le Coca ^^), du moins en France. Aux Pays-Bas en revanche, l'esprit XIX° siècle est davantage demeuré (sucettes et glace au cannabis dans toutes les boutiques, exposition sur les drogues et les instruments pour les utiliser au musée national d'Amsterdam, coffee Shop permettant d'acheter et de consommer légalement du cannabis sous certaines conditions.)

En surface, le film est souvent très drôle comme dans la scène où au fur et à mesure que la rumeur d'une relation homosexuelle Holmes/Watson se répand comme une traînée de poudre (^^), ce dernier qui danse avec des ballerines de l'Opéra se retrouve en fâcheuse posture (mais aujourd'hui, ce qui me fait le plus rire ce sont les mines outrées de Colin Blakeley à l'idée du qu'en dira-t-on dans son ancien régiment alors que le "respectable" docteur fournit par ailleurs de la came à son ami toxicomane tout en déplorant son vice). Nul doute que Le duo a été conçu pour se compléter, l'un jouant le rôle du clown blanc (Sherlock) et l'autre de l'auguste (Watson, Colin Blakeley étant par moments aussi désopilant que Jack Lemmon).

Dans "La vie privée de Sherlock Holmes", la fleur à l'oreille est portée par Colin Blakely (Watson).

Mais ce rire n'est que la politesse du désespoir, une expression que mon grand-père employait comme remède et dont j'ai fini par retrouver l'auteur, Chris Marker. Billy Wilder en était un grand adepte: "Quand je suis très heureux je fais des tragédies, quand je suis déprimé je fais des comédies. Pour Certains l'aiment chaud j'étais très déprimé, suicidaire."

Jonathan Coe consacre deux pages à la philosophie de ce rire qui était également essentielle chez I.A.L. Diamond dont on comprend qu'il était l'âme de la gaîté des films de Billy Wilder:

"Et cette fois je ris, en partie parce que je trouvais l'anecdote amusante, et en partie parce que j'aimais la manière dont monsieur Diamond l'avait racontée, la manière dont ses yeux brillaient au moment où il atteignait la chute, la façon dont, pendant un court instant, raconter cette plaisanterie suscitait chez lui un éclair de joie étrange et de lucidité sur le monde. Et je pris conscience que pour un homme fondamentalement mélancolique, un homme pour qui la marche du monde ne serait jamais qu'une source de regrets et de déceptions, l'humour n'était pas seulement beau mais nécessaire, que raconter une bonne blague pouvait faire naître un moment, fugace mais délicieux, où la vie prenait un sens particulier et ne semblait plus arbitraire, chaotique ni inexplicable. J'étais heureuse de penser que malgré toutes les inextricable difficultés du monde, il disposait de cette source de consolation." (p 125).

Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect

En profondeur, "La vie privée de Sherlock Holmes" laisse une trace de mélancolie et de douleur contenue ineffaçable. S'il revêt bien le genre de la quête à suspense et de l'aventure, c'est bien son caractère intimiste qui m'a le plus marquée en tant que portrait d'un homme malade. Comme l'est le film lui-même, amputé de quatre scènes par des producteurs qui le ramenèrent à une durée de 2h et comme l'était aussi l'acteur jouant le détective, Robert Stephens, bipolaire et alcoolique qui tenta de mettre fin à ses jours pendant le tournage (je ne suis d'ailleurs pas certaine que son teint livide et ses mains tremblantes relèvent seulement du jeu).

Quand on lit le début de la deuxième aventure de Sherlock Holmes, on comprend pourquoi la mémoire collective l'a fait passer à la trappe:

"Sherlock Holmes prit la bouteille au coin de la cheminée puis sortit la seringue hypodermique de son étui de cuir. Ses longs doigts pâles et nerveux préparèrent l’aiguille avant de relever la manche gauche de sa chemise. Un instant son regard pensif s’arrêta sur le réseau veineux de l’avant-bras criblé d’innombrables traces de piqûres. Puis il y enfonça l’aiguille avec précision, injecta le liquide, et se cala dans le fauteuil de velours en poussant un long soupir de satisfaction. [...] 

« Aujourd’hui, lui demandai-je, morphine ou cocaïne ? » [...] 

« Cocaïne, dit-il, une solution à sept pour cent. Vous plairait-il de l’essayer ?

– Non, certainement pas ! répondis-je avec brusquerie. Je ne suis pas encore remis de la campagne d’Afghanistan. Je ne peux pas me permettre de dilapider mes forces. »

[...] « Peut-être avez-vous raison, Watson, dit-il. Peut-être cette drogue a-t-elle une influence néfaste sur mon corps. Mais je la trouve si stimulante pour la clarification de mon esprit, que les effets secondaires me paraissent d’une importance négligeable.

- Mais considérez la chose dans son ensemble ! m’écriai-je avec chaleur. Votre cerveau peut, en effet, connaître une acuité extraordinaire ; mais à quel prix ! C’est un processus pathologique et morbide qui provoque un renouvellement accéléré des tissus, qui peut donc entraîner un affaiblissement permanent. Vous connaissez aussi la noire dépression qui s’ensuit : le jeu en vaut-il la chandelle ? Pourquoi risquer de perdre pour un simple plaisir passager les grands dons qui sont en vous." (Le signe des quatre).

Soit précisément le passage qui a rendu Billy Wilder fan du détective "Le premier Sherlock Holmes que j'ai lu, c'était Le Signe des quatre. Et dans les tout premiers paragraphes, il s'injecte de la cocaïne! Incroyable. J'étais mordu." (Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p 196-197).

"Nous avons tous nos défaillances. Heureusement, le docteur Watson ne relate jamais les miennes" (mais d'autres le font). "Qui se nourrit de canaris et d'acide sulfurique avec un moteur en guise de coeur?". "Sherlock, quand je t'ai dit de renoncer à cette affaire, ce n'était pas une suggestion, c'était un ordre". etc. le portrait se précise.

Le Sherlock de Billy Wilder a un certain nombre de points communs avec le Baxter de "La Garçonnière": la solitude, la marginalité, la déconnexion de soi et les problèmes d'identité qui en découlent ainsi que la difficulté à communiquer et l'incapacité à s'affirmer devant l'autorité (le patron étant remplacé par le grand frère, Mycroft joué par Christopher Lee, le Dracula des films du studio Hammer) et enfin l'inclination à la dépression et aux addictions. S'y ajoute, changement d'époque oblige des interrogations explicites sur le genre et la sexualité. Tout cela menant in fine directement vers l'autodestruction programmée, nul "sauveteur" ne se pointant dans cet horizon bouché.

Echec commercial et critique à sa sortie (logique au vu de son caractère non-conformiste), oublié à l'époque où je l'ai découvert, je ne me doutais pas qu'il deviendrait un serpent de mer dans ma vie ni qu'il allait devenir culte avec le temps et connaître une éclatante revanche 40 ans plus tard:

- D'une part grâce à la quête des parties manquantes effectuée par le passionné de Wilder (et de "La vie privée de Sherlock Holmes") qu'est Jonathan Coe (ayant acheté le DVD collector il y a deux ans, j'ai pu les visionner. Mais elles restent à l'état de fragments: ce sont tantôt des images, tantôt une bande-son, tantôt un script permettant de se faire juste une idée du projet initial de Wilder).

- De l'autre parce qu'étant également le film préféré de Mark Gatiss (qui comme Jonathan Coe l'a découvert quand il n'avait qu'une dizaine d'années), il a été une source d'inspiration majeure pour la série "Sherlock", l'empreinte du film de Billy Wilder (et par extension, de toute son oeuvre) s'y retrouvant un peu partout, des plus grosses évidences aux détails les plus subtils. L'humanisation de Sherlock est d'ailleurs l'ADN de cette série, sa raison d'être, comme elle l'était chez Wilder (d'où le passage au second plan des enquêtes dès la deuxième saison au profit des enjeux humains).

Mark Gatiss en plus d'être le co-créateur de la série joue le rôle de Mycroft, le frère aîné de Sherlock dont le rôle est considérablement étoffé par rapport à Doyle et à Wilder (qui a toutefois défini le type de relation qu'il entretient avec son frère).

"A scandal in Belgravia" (épisode 1, saison 2) reprend la plupart des passages clés de la joute érotico-platonique entre Sherlock et l'espionne allemande Gabrielle Valladon/Ilse von Hoffmanstal (Geneviève Page) qui est fusionnée avec la Irène Adler du canon surnommée la Femme. Quelques éléments diffèrent toutefois, qu'ils soient technologiques (le sms a remplacé le morse) ou sexistes (la misogynie affichée de Sherlock sur le thème "la femme est une traîtresse", même si Billy Wilder lui tord le cou par la suite est remplacée par une relation potentiellement sulfureuse - car non consommée à ce stade- entre une dominatrice professionnelle et un homme sexuellement bridé). Et contrairement à la version Wilder dans laquelle il ne parvient à obtenir qu'un sursis à Ilse, le Sherlock de la série réussit à la suivre clandestinement sur le terrain et à lui sauver la vie ce qui traduit un net changement quant au degré d'implication dans le réel du personnage et la manière dont il créé des liens qui s'avèrent ensuite indéfectibles. Le degré de conflictualité avec Mycroft est également nettement plus élevé dans la série qu'il ne l'est dans le film, sa tutelle écrasante suscitant plus de résistance.

Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.
Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.

Sherlock version Gatiss/Moffat refuse la version de la vie fataliste que lui raconte son frère depuis qu'il est tout jeune. Il déjoue donc logiquement son scénario morbide en une pulsion anti-létale qui est fondamentale pour comprendre l'évolution du personnage.

Autres éléments communs au film de Wilder et à la série: l'élément aquatique et le cimetière recouvrant des monstres qui ne demandent qu'à surgir... hors de l'inconscient.

Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect
Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect
Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect
Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect
Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect

Le personnage féminin inventé par Wilder et I.A.L Diamond a également influencé l'écriture de l'épouse de John Watson, Mary (Amanda Abbington) dans la série.

Gabrielle Ashdown, son pseudo dans le premier épisode de la saison 4 est en effet celui qu'utilise Ilse von Hoffmanstal quand elle se réfugie au Japon à la fin de "La vie privée de Sherlock Holmes". Il s'agit d'une déclaration d'amour à Sherlock qui l'a connue sous le pseudo de "Gabrielle Valladon" avant qu'elle et lui ne se fassent passer pour un couple marié, "M. et Mrs. Ashdown" pour les besoins de son enquête.

Il est vraisemblable que Billy Wilder lui-même soit transposé dans le personnage de Greg Lestrade qui partage avec Sherlock dans le premier épisode les mêmes patchs de nicotine sur le bras. Car "Ashdown" évoque à la fois l'addiction de Sherlock qui s'asphyxie dans son cabinet à force d'étudier et de répertorier les différentes sortes de cendres de tabac ("Respirer, respirer, quelle barbe!" dit-il dans le premier épisode de la saison 1) et le passé traumatique de Billy Wilder. Daniel Hermsdorf en 2009 a mis en évidence la récurrence dans son oeuvre des thèmes du train, du brouillard, de la fumée et des gaz dont le film est saturé jusqu’à l’étouffement. Il lie cela à des réminiscences inconscientes de la biographie de Wilder dont la famille mourut dans les camps nazis. 

J'ajoute que le quatrième film de Billy Wilder porte un nom évocateur en VF: "Le Poison" ("The Lost Weekend", 1945). Et que le célèbre décor d'Alexandre Trauner d'open space pour "La Garçonnière" a été conçu pour noyer le personnage dans la masse et provoquer une sensation d'oppression maximale.

Mariés au travail (kafkaïen) mais aussi au danger, à la nicotine, à la bouteille.
Mariés au travail (kafkaïen) mais aussi au danger, à la nicotine, à la bouteille.
Mariés au travail (kafkaïen) mais aussi au danger, à la nicotine, à la bouteille.
Mariés au travail (kafkaïen) mais aussi au danger, à la nicotine, à la bouteille.

Mariés au travail (kafkaïen) mais aussi au danger, à la nicotine, à la bouteille.

"Vous creusez votre tombe, il était temps que je revienne, il y a du laisser-aller". Les retrouvailles nicotinées Sherlock/Lestrade (épisode 1, saison 3). Ce n'est pas la dernière fois que Sherlock va se faire traiter de "salaud" pour la façon dont il (ma)traite les sentiments de ceux qui l'aiment.

Mais l'hommage que je trouve le plus émouvant reste la petite fleur à l'oreille que porte Watson dans le premier épisode de la saison 4 lorsqu'il rencontre pour la première fois Eurus, la soeur de Sherlock dans le bus. Ca c'est vraiment le genre de petit détail qui (me) tue.

❤❤❤

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De ma découverte du cinéma de Billy Wilder a découlé un intérêt pour la culture et l'histoire juive qui ne s'est jamais tarie au fil des ans. De ma licence sur l'anthropologie des sociétés juives contemporaines en 1995 à ma maîtrise sur les écoles juives parisiennes en 1996, de mes stages au Mémorial de la Shoah, à Cracovie et à Auschwitz-Birkenau en 2015 à mon séjour à Berlin en 2018, j'ai tracé au fil du temps une seconde filiation, d'élection avec celui que je considère comme mon second grand-père et dont je pourrais dire comme le dit Watson sur la tombe de Sherlock: "j'étais tellement seule et je lui dois tant".

Les Héros du troisième type (4): Nobody's perfect

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Les héros du troisième type (3): Sur les cimes du désespoir

Publié le par Rosalie210

" Sur les cimes du désespoir" (1933) est une oeuvre du philosophe roumain Emil Cioran. Le type de bouquin qui m'intriguait par sa concision et son titre en forme de paradoxe nihiliste quand je le contemplais dans la bibliothèque de mon grand-père (tout comme "De l'inconvénient d'être né" publié en 1973).

Les héros du troisième type (3): Sur les cimes du désespoir

III

Sur les cimes du désespoir

"Il prit son violon, et il commença de jouer tandis que je m'allongeais. C'était un air rêveur et mélodieux; de sa propre composition certainement, car il savait improviser avec beaucoup de talent. Je me souviens vaguement de ses bras maigres, de son visage attentif et du va-et-vient de l'archet. Puis il me sembla que je m'éloignais paisiblement, flottant sur une douce mer de sons, pour ensuite atteindre le royaume des rêves où le joli visage de Mary Morstan se penchait vers moi" (Arthur Conan Doyle, Le signe des quatre.)

La magnifique BO de Miklos Rozsa pour "La Vie privée de Sherlock Holmes" de Billy Wilder (1970)

Plusieurs objets fétiches du célèbre détective ne sont pas spécialement passés à la postérité dans l'imaginaire collectif. Deux en particulier: son Stradivarius et sa seringue. C'est évidemment significatif. Je parlerai de la seconde dans le chapitre suivant. Dans celui-ci, je vais me concentrer sur la seule manière par laquelle il parvient à exprimer des émotions et des sentiments dans les oeuvres de Arthur Conan Doyle: la musique (en tant qu'instrumentiste mais également compositeur).

S'il y a un cinéma qui lui correspond, c'est celui de Claude Sautet, un réalisateur aussi mélomane que secret. S'il a longtemps plus ou moins caché son mal de vivre et sa solitude derrière la convivialité des groupes, ses derniers films, plus resserrés, plus épurés et plus intérieurs, en un mot, plus intimes, résonnent comme un témoignage de ce qu'il était vraiment. Ainsi, "Un coeur en hiver" (1992) campe le portrait assez glaçant d'un luthier (joué par Daniel Auteuil) solitaire, austère, économe de ses mots, véritable expert technique dans son domaine, "marié à son travail" (pour reprendre l'expression de Sherlock dans le premier épisode de la saison 1) et qui est si emmuré en lui-même qu'il ne ressent aucune émotion. Cette infirmité fait de lui un mort-vivant ou pour reprendre l'idée de Cioran, un mort-né qui détruit les autres autant qu'il se détruit lui-même. Beaucoup ont vu dans le personnage un portrait déguisé de Maurice Ravel, solitaire, marginal, incapable d'intimité... et grand collectionneur d'automates (personnellement j'ai toujours trouvé son "Boléro" mécanique et obsessionnel).

Seule la musique semble émouvoir Stéphane mais parce que "c'est du rêve", il ne se met pas en danger et dans ce cadre sécurisé, il peut se laisser aller comme le fait Stevens dans "Les Vestiges du jour" en lisant des romans sentimentaux.

Camille (Emmanuelle Béart), la jeune violoniste prodige pour qui travaille Stéphane tente par des assauts répétés et de plus en plus virulents de faire réagir, de faire parler cette âme qui se refuse à toute implication émotionnelle avec qui que ce soit de chair et de sang: son "ami" Maxime (André Dussollier) qu'il refuse d'appeler comme tel, préférant le terme de "partenaire" et précisant qu'ils se "complètent car c'est l'intérêt de chacun bien compris, rien de plus". Hélène (Elizabeth Bourgine) la libraire qui l'aime en secret: "c'est quelqu'un que j'apprécie, avec qui je m'entends bien." Et elle-même bien sûr qui lorsqu'elle lui avoue son désir et ses sentiments a droit à une fin de non-recevoir " Camille, je ne crois pas que je peux vous donner ce que vous cherchez [...] Vous parlez de sentiments que je ne ressens pas, qui n'existent pas. Je n'y ai pas accès. Je ne vous aime pas." On en a une belle variante dans l'épisode 1 de la saison 2 de Sherlock dans lequel celui-ci dit "Pour quelle raison voudrais-je dîner si je n'ai pas faim?" pour exprimer son manque de désir et aussi le fait que l'amour est pour lui un "inconvénient" (comme celui d'être né pour Cioran). 

Camille lui démontre l'absurdité d'une telle attitude qui confine à la fuite devant le réel, devant le présent, devant le changement, devant la vie: "vous n'êtes pas comme ça parce que personne n'est comme ça, ça n'existe pas". Quel que soit le baratin rationalisant qu'il peut se dire à lui-même, Stéphane n'a aucun contrôle sur les sentiments et les réactions des autres. Il n'a plus qu'à contempler les dégâts, la désolation que son attitude provoque autour de lui et reconnaître "qu'il y a quelque chose en lui qui ne vit pas". 

La dissection du violon et les petits automates qui rappellent l'univers de Ravel.
La dissection du violon et les petits automates qui rappellent l'univers de Ravel.

La dissection du violon et les petits automates qui rappellent l'univers de Ravel.

Stéphane vit dans une illusion de toute-puissance, s'imaginant à l'abri de tout ce qui pourrait l'atteindre et voyant les autres comme des gens faibles et manipulables. "C'est vrai que j'ai voulu vous séduire, sans vous aimer, par jeu, sans doute, contre Maxime. Parce que je l'avais décidé." Camille lui objecte "qu'on ne décide pas les choses, on les vit." A condition d'accepter de laisser la vie entrer en soi ce qui n'est pas le cas de Stéphane. C'est exactement le même portrait qui est fait de Stevens, le majordome de "Les Vestiges du jour" par Kasuo Ishiguro (adapté par James Ivory en 1993 avec les fabuleux Anthony Hopkins et Emma Thompson):

" Qu'est-ce que un grand majordome ? [...] Les grands majordomes sont grands parce qu'ils ont la capacité d'habiter leur rôle professionnel, et de l'habiter autant que faire se peut ; ils ne se laissent pas ébranler par les événements extérieurs, fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants. Ils portent leur professionnalisme comme un homme bien élevé porte son costume : il ne laissera ni des malfaiteurs ni les circonstances le lui arracher sous les yeux du public ; il s'en défera au moment où il désirera le faire, et uniquement à ce moment, c'est à dire, invariablement, lorsqu'il se trouvera entièrement seul. C'est, je l'ai dit, une question de " dignité."

Cette "dignité" si constitutionnelle de la culture british (très proche par ailleurs de la culture japonaise, j'aurai l'occasion d'y revenir quand je parlerai des addictions) consiste en réalité à ne jamais se laisser distraire par les émotions et les sentiments, à agir purement fonctionnellement comme le montre le passage dédié à la mort de son père "Le lendemain j'étais très occupé à servir au salon lorsque Miss Kenton vint me prévenir que mon père venait de nous quitter. " Miss Kenton je vous en prie, ne me croyez pas grossier de ne pas monter voir mon père dans son état de décès à ce moment précis. Vous comprenez, je sais que mon père aurait souhaité que je continue mon travail maintenant ". Quand je dis que la conférence de 1923, et ce soir là en particulier, a constitué un tournant vital de mon évolution professionnelle, je me réfère à mes propres critères de valeur. Et je vais jusqu'à avancer que j'ai peut-être fait preuve, face à la situation, d'une " dignité " qui aurait pu convenir à un personnage tel que mon père et je m'aperçois que j'éprouve, à y repenser, un sentiment de triomphe." Sentiment de triomphe (de toute-puissance) qui revient à chaque fois qu'il est confronté à quelque chose qui pourrait le déstabiliser: la peur, la mort ou encore l'amour qu'il éprouve pour Miss Kenton l'intendante qu'il repousse et qu'il laisse partir faire sa vie ailleurs.

Lorsque Stevens réalise le gâchis qu'il a fait de sa vie, il est bien entendu trop tard comme il s'en rend compte en retrouvant Miss Kenton vingt ans plus tard.

" Quand j'ai quitté Darlington Hall, il y a bien des années, je n'avais pas conscience d'être réellement, vraiment en train de partir. Je crois que je prenais ça pour une de mes ruses, Mr Stevens, destinées à vous contrarier. Pendant longtemps j'ai été très malheureuse, vraiment malheureuse. Mais les années se sont écoulées, ma fille a grandi, et un jour je me suis aperçue que j'aimais mon mari. C'est un homme bon et tranquille, j'ai appris à l'aimer. Mais ça ne veut pas dire, évidemment, qu'il n'y a pas de temps à autre, des fois - des moments de grande tristesse - où on se dit en soi-même : " Quel terrible gâchis j'ai fait de ma vie " Et on se met à penser à une vie différente, à la vie meilleure qu'on aurait pu avoir. Par exemple, je me mets à penser à la vie que j'aurais pu avoir avec vous, Mr Stevens ".

Je ne crois pas avoir répondu immédiatement car la portée de ces paroles était de nature à susciter en moi une certaine douleur. En vérité - pourquoi ne pas le reconnaître -, à cet instant précis, j'ai eu le cœur brisé."

Les héros du troisième type (3): Sur les cimes du désespoir
Les héros du troisième type (3): Sur les cimes du désespoir

Stevens qui pense avoir été un GRAND majordome au service d'un GRAND homme, Lord Darlington a tout faux, sur toute la ligne. Il s'est juste manipulé lui-même en trichant avec ses sentiments et avec sa conscience par peur de la vie et de son aspect incontrôlable. Conséquence: il a détruit son existence, gâché (du moins en partie) celle de Miss Kenton qui avait des sentiments pour lui et tout cela pour servir un sympathisant nazi, soit la négation même de l'humanité. La réalité l'a rattrapé et lui a présenté une facture impitoyable.

D'un point de vue nietzschéen, ces personnages sont tout aussi éloignées du surhumain que la médiocrité des masses qui se laissent diriger aveuglément par une idéologie. En effet ce sont des personnes vides, incapables de se déployer et d'agir dans le réel alors que l'homme accompli tel qu'il l'envisage embrasse au contraire le chaos de la vie dans toutes ses dimensions pour se dépasser. Les Stéphane ou les Stevens qui se croient tout-puissants par leur maîtrise d'eux-mêmes et leur détachement sont juste des impuissants qui n'accouchent que d'un désert stérile. Ces hommes qui se pensent "grands" sont au contraire l'incarnation même de la petitesse, de l'étriquement, de la compression ou de la rétention émotionnelle et ce jusqu'à la mort par asphyxie complète. Comme le résume Camille dans la confrontation finale de "Un coeur en hiver": " C'est qui ce type? C'est quoi? Une oreille? Un bricoleur de génie comme le dit son ami Maxime? Qu'est ce que je dis, son ami! "L'intérêt de chacun bien compris, rien de plus. L'amitié ça n'existe pas. Il n'y a pas accès". [...] Et si c'était un jeu, il fallait aller jusqu'au bout! Il fallait me baiser! Vous auriez été un salaud mais au moins ça c'est dans la vie [...] Mais là c'est rien! Vous n'êtes rien! [...] Il est là, tout étriqué sur sa chaise! Il voudrait bien être ailleurs hien? Ah il paraît qu'il aime la musique! Parce que "c'est du rêve la musique! Parce ce que ça n'a rien à voir avec la vie". Mais le rêve, pauvre type, tu sais pas ce que c'est! Tu n'as pas d'imagination, pas de coeur, pas de couilles, pas de sève. Y'a rien là-dedans, y'a vraiment rien." 

Et pour parfaire le tableau de cette conscience totalement cadenassée:

"Tout ce que nous nous sommes dit!

Mais nous ne sommes rien dit, Camille."

Dans le documentaire que Arte lui a consacré "Le calme et la dissonance", Claude Sautet évoque pour expliquer sa propre difficulté à exprimer ses émotions par les mots la figure de son père, d'une pudeur maladive comme lui et qui "traînait en permanence le mal-être qu'il avait ramené de la grande guerre. Tout l'ennuyait dans la vie. Il délaissait sa famille qu'il voyait peu et à qui il ne racontait rien. Il ne s'intéressait qu'au sport et aux femmes, multipliant les aventures". Un grand vide affectif décrit de façon à peine voilée dans "Un mauvais fils" (1981) dont le documentaire souligne qu'il aurait pu s'appeler "Un mauvais père". Le film relate les relations conflictuelles entre un fils fragile et drogué (joué par Patrick Dewaere à fleur de peau, lui-même addict à la drogue et dont on connaît la fin tragique) et un père (Yves Robert) qui rejette sur lui tout le malheur familial. Tout transpire l'enfermement et le mal-être dans le film. Seul le personnage de libraire homosexuel (et mélomane) joué par Jacques Dufilho, sorte de père de substitution offre un peu de lumière en tendant la main au jeune homme et à une autre jeune toxicomane (jouée par Brigitte Fossey). Mais devant son impuissance à l'empêcher de replonger, il lui démontre que les échappatoires face aux problèmes de la vie sont en réalité des processus d'autodestruction ("Y'a pas de sortie, à part la fenêtre").

Dans son dernier film "Nelly et M. Arnaud" (1995), autoportrait à peine déguisé, "film en creux qui en dit long" comme j'ai pu l'écrire, Claude Sautet résume en une seule magnifique scène sa difficulté à se connecter avec la vie. Une scène qui m'a d'autant plus marquée qu'elle ressemble comme deux gouttes d'eau à la caresse sans contact de "Les Ailes du désir" (voir chapitre précédent).

Les héros du troisième type (3): Sur les cimes du désespoir

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Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors

Publié le par Rosalie210

II

Là-Haut et En-dehors

Une version révisée (puissante et planante) de Space Oddity de David Bowie, enregistrée par le commandant Chris Hadfield à bord de la Station Spatiale Internationale (2013). Pour mémoire, ce titre de 1969 se réfère justement au film de Kubrick qui était sorti un an avant.

Quand j'étais adolescente, je me voyais comme un ballon d'hélium rattaché à la terre par un simple ruban, une sorte de cordon ombilical qui pouvait se rompre à tout moment. J'étais fascinée par ces ballons auxquels on attachait des cartes postales comme des bouteilles jetées à la mer et qu'on lâchait par grappes colorées dans les airs sans savoir jusqu'où ils pourraient monter, aller ni où ils pourraient bien atterrir. S'ils atterrissaient un jour me disais-je. 

Par ailleurs, mon grand-père me parlait souvent de Diogène de Sinope (c'était un peu son autoportrait), marginal banni de sa patrie d'origine mais libre comme l'air qui passait ses journées à parcourir la cité avec une lampe allumée à la recherche "d'un homme". J'en ai conclu que pour voyager haut et loin, il valait mieux voyager léger.

Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).
Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).

Dans "Là-Haut" de Pete Docter (2009), Karl s'envole avec sa maison pour échapper à un anéantissement programmé (sa maison doit être rasée et lui-même, enfermé en maison de retraite). De même, c'est un acte de rébellion qui pousse le jeune baron d'Italo Calvino à prendre de la hauteur pour observer à distance la fourmilière humaine de son temps ("Le Baron perché", 1957).

Les héros du troisième type partagent les caractéristiques suivantes:

- Ce sont des figures romantiques occupant une position surplombante par rapport au reste de l'humanité (soit c'est une condition originelle, soit c'est à la suite d'un séisme traumatique, soit les deux).

- A un moment ou à un autre, ils sont amenés à redescendre sur terre et en assumer les conséquences. (Quand il s'agit d'humains, cette trajectoire aboutit à une réunification des différentes parties de soi)

- Ils tendent un miroir à la société qui les accueillent et disent donc quelque chose de l'état de cette société (ce sont des héros paradoxalement très ancrés dans l'Histoire de leur temps et de leur pays, Histoire tumul-tueuse et une de leurs principales motivations à descendre est de changer le cours de l'Histoire justement).

Je vais en développer plus particulièrement trois tout au long de cette analyse: le premier issu de la littérature française classique et populaire du XIX° siècle, les seconds du cinéma d'auteur allemand des années 80-90, le troisième de la série britannique des années 2010, mais qui rejoint les deux autres par son background littéraire et cinématographique.

Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (Caspar David Friedrich, 1818)

Le voyageur au-dessus de la mer de nuages (Caspar David Friedrich, 1818)

I- Le Comte de Monte-Cristo, le surhomme du roman populaire

Le premier exemple qui me vient en tête, c'est bien évidemment "Le Comte de Monte-Cristo" de Alexandre Dumas, écrit entre 1844 et 1846, roman que j'ai découvert vers 16-17 ans et que je n'ai cessé de lire et de relire au fil du temps (et comme je l'ai dit en introduction c'est à lui que je me référais quand je pensais au "surhomme qui devenait un homme").

Monte-Cristo est au départ Edmond Dantès, un homme tout à fait ordinaire, marin de son état, qui à la suite d'événements extraordinaires liés aux vicissitudes politiques d'une époque instable (la fin du 1er Empire, la Restauration, les 100 jours, la Re-Restauration) a été exclu de l'humanité en étant condamné à l'incarcération et à l'isolement pour le restant de ses jours. Après s'être évadé au bout de 14 ans, il se dépouille de son ancienne identité pour se réinventer sous la forme d'un justicier vengeur qui souhaite rester délibérément en dehors de la société qui l'a martyrisé. Pour ce faire, il s'élève au-dessus de la condition humaine ("Je suis un de ces êtres exceptionnels, oui, monsieur, et je crois que, jusqu'à ce jour, aucun homme ne s'est trouvé dans une position semblable à la mienne"). En témoigne son mode de vie. Bien que devenu fabuleusement riche, Monte-Cristo continue à vivre comme un ascète, voire un mort-vivant, considère la société qui l'entoure avec dégoût et s'évade dans l'exotisme orientaliste qui faisait fureur à l'époque et les paradis artificiels. La seule motivation qui l'amène à se mêler aux élites dirigeantes de la France de Louis-Philippe est son désir de vengeance. Ne pouvant compter sur des institutions corrompues, il prétend se substituer à dieu grâce à des pouvoirs quasi surhumains (fortune, intelligence, science illimitées, capacité à être partout et nulle part, à changer sans cesse d'apparence et à tout connaître de ses ennemis qui ne comprennent pas d'où viennent les coups qui les frappent). 

L'îlot du château d'If, forteresse-prison où a été enfermé ou plutôt enterré vivant Edmond Dantès et dont son âme reste en quelque sorte prisonnière même si son corps s'en est évadé.

L'îlot du château d'If, forteresse-prison où a été enfermé ou plutôt enterré vivant Edmond Dantès et dont son âme reste en quelque sorte prisonnière même si son corps s'en est évadé.

Dans "Le Comte de Monte-Cristo, le surhomme, la justice et la loi" (Les Cahiers de la justice, 2012/1, (N°1) p 159-169), Gérard Gengembre évoque le fait que ce dernier pourrait bien être le premier personnage de surhomme de la littérature populaire à bénéficier d'une aura l'ayant hissé au rang de mythe. Il ajoute même que l'écrivain et philosophe italien marxiste Antonio Gramsci victime de la répression du régime de Mussolini pensait qu'il avait eu une influence décisive sur Nietzsche " Il semble de toute façon qu'on puisse affirmer qu'une grande partie de la soi-disant "surhumanité" nietzschéenne a simplement pour origine et pour modèle doctrinal non pas Zarathoustra mais Le Comte de Monte-Cristo d'A. Dumas. [...] Le type du "surhomme"; est Monte-Cristo, libéré de cette auréole particulière de "fatalisme" qui est propre au bas romantisme et qui est encore plus appuyé chez Athos et chez Joseph Balsamo."

Monte-Cristo partage en effet avec Nietzsche le volontarisme anti-fataliste (il s'est "créé" ou plutôt "recréé" une personnalité et un destin pour changer une histoire qu'il juge injuste plutôt que de continuer à subir les événements) et une forme d'anarcho-individualisme en tant que refus de se soumettre à un quelconque "ordre moral" ou "à la loi du troupeau" (institutions et idéologies qui les sous-tendent) qui débilitent l'homme en le réduisant à un "animal social". Le surhomme nietzschéen qui a été dévoyé par les idéologies d'extrême-droite est au contraire un esprit libre complètement affranchi des masses et des manipulations sont elles peuvent faire l'objet.

L'En-dehors, périodique français anarchiste de l'entre deux guerres dont la couverture est parfaitement parlante.

L'En-dehors, périodique français anarchiste de l'entre deux guerres dont la couverture est parfaitement parlante.

II- Les Anges de Wim Wenders

Le deuxième exemple qui me vient en tête, c'est le film de Wim Wenders, "Les Ailes du désir" (1987) et sa suite "Si Loin si proche" (1993) dont les protagonistes principaux sont des Anges qui contemplent les hommes depuis le ciel berlinois. Leur position surplombante est due à leur nature même et n'a rien de condescendant. Au contraire, ils représentent des figures bienveillantes qui témoignent d'une compassion détachée vis à vis des habitants d'une ville malmenée par l'histoire.

La magistrale introduction de "Si Loi si proche" avec l'Ange Cassiel (Otto Sander) juché au sommet de l'Ange de la victoire.

Le monde vu d'en-haut.

Le monde vu d'en-haut.

Dès le premier visionnage de "Les Ailes du désir" lors de la soirée de démarrage sur le réseau hertzien de la chaîne Arte le 28 septembre 1992, j'ai été fascinée par la poésie du film qui épouse la plupart du temps le point de vue des Anges avec des mouvements de caméra aériens de toute beauté et une photographie noir et blanc d'Henri Alekan absolument magnifique. La couleur n'est présente dans le film (comme dans sa suite) que lorsqu'il adopte le point de vue des humains.

L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.
L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.

L'image iconique de "Les Ailes du désir", c'est la première apparition de Damiel (Bruno Ganz) dont les ailes sont alors bien visibles (la plupart du temps, elles ne le sont pas) au sommet de l'Eglise du souvenir, une relique de la seconde guerre mondiale volontairement laissée en l'état comme témoignage des horreurs de la guerre.

Logiquement le monde vu d'en haut apparaît en plongée avec les seuls enfants qui redressent la tête lorsqu'un ange passe.

Logiquement le monde vu d'en haut apparaît en plongée avec les seuls enfants qui redressent la tête lorsqu'un ange passe.

Néanmoins si les Anges sont omniscients et immatériels (ils peuvent donc traverser le mur qui séparait les deux parties de la ville en 1987), ils sont réduits à une position d'observateurs et de conservateurs de l'histoire humaine en marche depuis la formation du monde dont ils enregistrent particulièrement tous les éclats de beauté mais aussi toutes les horreurs. Comme les soldats de la paix de l'ONU, ils sont dans l'incapacité d'intervenir directement dans le monde sensible. Et la lassitude de sa condition gagne de plus en plus Damiel: "Mais parfois je suis las de mon éternelle existence d'esprit. J'aimerais ne plus éternellement survoler, j'aimerais sentir en moi un poids qui abolisse l'illimité et m'attache à la terre. Pouvoir, à chaque pas, à chaque coup de vent, dire "Maintenant", et "Maintenant" et "Maintenant" et non plus "Depuis toujours" et "A jamais". S'asseoir à la table des joueurs et être salué, ne serait-ce que d'un signe de tête. [...] Non que je veuille tout de suite engendrer un enfant ou planter un arbre, mais ce serait déjà quelque chose, au retour d'une longue journée, de nourrir le chat comme Philip Marlowe. D'avoir la fièvre, les doigts noircis par le journal, de ne plus être exalté par l'esprit seul, mais enfin par un repas, par la courbe d'une nuque, par une oreille. [...] sentir en marchant sa charpente qui avance. Deviner enfin, au lieu de toujours tout savoir."

Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.
Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.
Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.

Les Anges ont remplacé les bombes mais Cassiel ne peut pas empêcher le suicide de l'homme qu'il essaye de soulager, Damiel ne peut véritablement s'emparer des objets, ne saisissant que leur essence. De même, il ne peut que caresser sans la toucher l'épaule de Marion.

La beauté de Marion (Solveig Dommartin), gracieuse et mélancolique trapéziste qui semble s'élever vers le ciel pour aller jusqu'à lui n'est pas pour rien dans la soudaine lassitude de Damiel vis à vis de sa condition d'Ange. Il l'observe, l'écoute, tente de soulager son spleen mais ne peut réellement la rencontrer qu'en rêve ce qui exacerbe sa frustration de ne pouvoir agir.

Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors
Les Héros du troisième type (2): Là-Haut et En-dehors

III- Sherlock Holmes 2.0: le surhomme déconnecté

Transposition des romans et nouvelles écrites par Arthur Conan Doyle entre 1887 et 1927  constituant le "canon holmésien" dans la société des années 2010 mais aussi réappropriation, extension (incluant des hommages à d'autres apports, voir chapitre IV), réinterprétation de ces oeuvres et enfin proposition de solution (autre que celle à 7% ^^) à la manière d'une (brillante) fanfiction professionnelle, le Sherlock Holmes né des talents conjoints de Mark Gatiss et de Steven Moffat pour la BBC (4 saisons de 3 épisodes réalisés entre 2010 et 2017 + un épisode spécial faisant la transition entre les deux dernières saisons soit au total 13 films de 1h30 chacun) a pas mal de points en commun avec le héros de Alexandre Dumas et par conséquent avec le surhomme de Nietzsche. Si lui-même se voit comme un "sociopathe de haut niveau" (en VO, c'est encore plus parlant, "High functioning sociopath"), Irène Adler (Lara Pulver) en donne une définition plus complète: "un être abîmé qui croit en une puissance supérieure: lui-même". Néanmoins ce qui coupe Sherlock (Benedict Cumberbatch) des autres hommes est au moins autant dû à une amnésie traumatique liée à une histoire familiale (mais également sociétale et civilisationnelle) sur laquelle pèse une lourde chape de plomb qu'au fait d'être né neurologiquement différent. Ses capacités cérébrales exceptionnelles lui permettent d'atteindre l'omniscience à partir d'un sens aigu d'observation des détails et une capacité fulgurante de déduction. Adepte d'un mode de vie extrême fondé sur le danger de mort permanent, il vit par ailleurs une grande partie du temps dans d'autres mondes: celui de son "palais mental" c'est à dire son esprit qui est paradoxal puisque hypermnésique sur les détails et amnésique sur l'essentiel; celui du numérique; celui de l'infiniment petit qu'il observe au microscope ou à la loupe; celui de la mort enfin, sa deuxième maison étant la morgue de l'hôpital St Bartholomew's de Londres.

Avec un sens consommé de l'efficacité visuelle, le spectateur entre dans l'esprit de Sherlock en voyant ses déductions s'afficher à l'écran, parfois à partir de gros plan sur les infimes détails qui lui ont permis de reconstituer le profil d'une personne.

Avec un sens consommé de l'efficacité visuelle, le spectateur entre dans l'esprit de Sherlock en voyant ses déductions s'afficher à l'écran, parfois à partir de gros plan sur les infimes détails qui lui ont permis de reconstituer le profil d'une personne.

Quand il daigne s'intéresser à une enquête, c'est parce qu'il la juge suffisamment excitante pour le faire grimper aux rideaux afin de tromper l'ennui mortel qui le ronge la plupart du temps (ennui qu'il comble par la toxicomanie, autre façon de "planer", être défoncé se disant "to be high"). Sa rapidité de raisonnement (et d'élocution) donne le tournis à un homme ordinaire. Se retrouvant donc forcément désynchronisé de la société qu'il ne comprend pas pas plus qu'elle ne le comprend, il ne se sent pas concerné par ce qui s'y passe en dehors des éléments techniques qu'il peut y prélever comme un chercheur en laboratoire le ferait pour mettre en avant ses découvertes géniales. Dans la première saison, il fonctionne comme une parfaite machine à penser dont les fonctions vitales sont réduites au minimum (aussi ascétique que Monte-Cristo, il est adepte de l'asphyxie lente entre son débit mitraillette et les poisons qu'il s'injecte). Son comportement infantile et infatué de lui-même ("je ne suis pas "les gens"), son asociabilité, son mépris des règles et des lois, et son attirance pour le crime lui valent d'être considéré avec suspicion par la majorité de la police qui pense qu'il n'y a finalement pas grande différence entre le détective consultant obsessionnel et le sérial killer shooté au crime.

Do you miss me? Le leitmotiv lancinant de Jim Moriarty (Andrew Scott, brillant et charismatique comme l'ensemble du casting) la némésis de Sherlock est aussi l'une de ses obsessions et se perpétue ainsi bien après sa mort comme ces fantômes du passé qui continuent à coller aux basques.

Do you miss me? Le leitmotiv lancinant de Jim Moriarty (Andrew Scott, brillant et charismatique comme l'ensemble du casting) la némésis de Sherlock est aussi l'une de ses obsessions et se perpétue ainsi bien après sa mort comme ces fantômes du passé qui continuent à coller aux basques.

Le seul à lui faire confiance et à avoir de l'estime à son égard, c'est l'inspecteur Lestrade (Rupert Graves) qui partage avec lui la même addiction au tabac. Il lui a tendu en amont une perche sous forme de fil invisible dont celui-ci n'a attrapé que l'extrémité. Le regard décalé que la série porte sur Lestrade (par rapport au canon) ne le fait pas paraître comme un faire-valoir mais comme une figure paternelle bienveillante par le simple fait qu'il ouvre une possibilité à Sherlock d'exercer ses dons au service de la société, espérant que cela le fera évoluer ("c'est un grand bonhomme et je crois qu'un de ces jours, si on a beaucoup de chance, il pourrait être quelqu'un de bien" dit-il dans le premier épisode et ce sera à lui d'avoir le mot de la fin dans le dernier pour faire le bilan, évidemment). En effet bien qu'ayant une trentaine d'années dans la série, l'âge réel de Sherlock est bloqué autour de 11-12 ans (on verra l'enfant qui est en lui à partir de la saison 3). Il va falloir tout de même les quatre saisons entières pour qu'il arrive à retenir correctement le prénom de Lestrade, Greg (allusion au fait qu'il n'est désigné que par une lettre dans le canon, "G").

Sherlock Holmes a deux pères. Le premier, Conan Doyle, l'a inventé. le second, Billy Wilder, en a fait un être humain (voir chapitre IV). La série rend hommage aux deux mais prolonge et amplifie la démarche humaniste du deuxième.

Sherlock Holmes a deux pères. Le premier, Conan Doyle, l'a inventé. le second, Billy Wilder, en a fait un être humain (voir chapitre IV). La série rend hommage aux deux mais prolonge et amplifie la démarche humaniste du deuxième.

Tout s'emballe dans le troisième épisode de la deuxième saison (pile au milieu de la série) quand Jim Moriarty, le "jumeau maléfique" de Sherlock l'attend pour un affrontement dont aucun des deux n'est censé réchapper. Les deux hommes sont engagés dans une lutte à mort qui ressemble plutôt à un processus d'autodestruction programmé. Il se retrouvent logiquement sur les toits de Londres, le second murmurant au premier que ce qui le différencie de lui c'est qu'il est ennuyeux parce qu'il a choisi d'être du côté des Anges. Il est vrai que Moriarty trompe son ennui en commettant des crimes là où Sherlock Holmes se passionne pour leur résolution. Mais pour ce qui est de leur indifférence à la vie, celle d'autrui comme la leur, les deux se valent. Ou presque car Sherlock a quelques ancrages terrestres (Lestrade, sa logeuse Mrs Hudson jouée par Una Stubbs et son colocataire, John Watson joué par Martin Freeman) et a commencé à vaciller sous l'effet du désir et de la peur dans les deux premiers épisodes de la saison 2 mais il tient encore tout ce qui pourrait voir s'effondrer l'image qu'il s'est construite de lui-même à bonne distance. D'ailleurs ne dit-il pas à Moriarty qu'il est peut-être "du côté des Anges" mais qu'il n'en fait certainement pas partie, ajoutant: "Je suis vous. Prêt à tout. Prêt à brûler. Prêt à faire ce que les gens ordinaires ne feraient pas. Vous voulez que je vous serre la main en enfer. Je ne vous décevrai pas." Moriarty n'a plus qu'à le prendre au mot en se suicidant et en enjoignant Sherlock à le rejoindre pour sauver ses trois amis qui seront abattus s'il reste en vie ce qui est la parfaite définition du nihilisme.

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Les Héros du troisième type (1) Introduction

Publié le par Rosalie210

"L'art - n'importe quelle oeuvre d'art - c'est plutôt comme... tendre un miroir, et regarder ce qu'il reflète. Donc un film, c'est comme un miroir, d'accord, un miroir présenté au monde?"

(Jonathan Coe, Billy Wilder et moi, p102)

Ainsi parlait Zarathoustra, (Richard Strauss, 1896), générique d'ouverture de "2001, l'Odyssée de l'espace" ("2001, Space Odyssey, Stanley Kubrick, 1968)

A mon grand-père, Francisco Casa (1913-1995).

 

"Rencontres du troisième type" ("Close encounter of the third kind", Steven Spielberg, 1977)

"Rencontres du troisième type" ("Close encounter of the third kind", Steven Spielberg, 1977)

I

Introduction

Qu'est ce qu'un héros du troisième type?

Il s'agit d'une expression que j'ai inventée en référence au film de Steven Spielberg, "Rencontres du troisième type (Close encounters of the third kind)" (1977) pour qualifier le type de héros qui me correspond depuis l'adolescence.

J'en ai pris conscience justement à cette époque-là. Je venais de lire ou plutôt de dévorer "Le Comte de Monte-Cristo" d'Alexandre Dumas et je me souviens parfaitement de la phrase que j'ai alors employée pour le définir:

"C'est l'histoire de quelqu'un qui se prend pour un surhomme mais qui va finir par devenir un homme".

François Truffaut dans le rôle du docteur Itard qui humanise Victor "L'Enfant sauvage"(1970) devient également chez Steven Spielberg un passeur, le scientifique Claude Lacombe qui invente le langage musical permettant de communiquer avec les aliens.
François Truffaut dans le rôle du docteur Itard qui humanise Victor "L'Enfant sauvage"(1970) devient également chez Steven Spielberg un passeur, le scientifique Claude Lacombe qui invente le langage musical permettant de communiquer avec les aliens.

François Truffaut dans le rôle du docteur Itard qui humanise Victor "L'Enfant sauvage"(1970) devient également chez Steven Spielberg un passeur, le scientifique Claude Lacombe qui invente le langage musical permettant de communiquer avec les aliens.

Un héros traditionnel du "premier type" mène au départ une vie conformiste, fondu dans la masse. Mais il aspire en secret à autre chose et répond à l'appel de l'aventure, souvent encouragé par un mentor, voire adoubé par dieu lui-même ("l'Elu"). Après avoir subi des épreuves initiatiques qui prouvent sa valeur, il revient de son voyage couvert de gloire et transformé pour le bien de l'humanité. Il est sorti des sentiers battus pour se forger un destin exceptionnel et admirable.

Le roi Arthur est l'archétype du héros traditionnel. Aujourd'hui il en est de même pour nombre de héros de la pop-culture comme Luke Skywalker et Rey dans "Star Wars"
Le roi Arthur est l'archétype du héros traditionnel. Aujourd'hui il en est de même pour nombre de héros de la pop-culture comme Luke Skywalker et Rey dans "Star Wars"

Le roi Arthur est l'archétype du héros traditionnel. Aujourd'hui il en est de même pour nombre de héros de la pop-culture comme Luke Skywalker et Rey dans "Star Wars"

A ce type édifiant de héros, il faut ajouter le héros tragique ("deuxième type") d'origine antique. Il se distingue du héros traditionnel en ce qu'il est le jouet d'une fatalité qui le dépasse (qu'elle soit externe ou interne à lui) contre laquelle il ne peut rien (ou plutôt à laquelle il choisit de se soumettre si on raisonne à l'intérieur d'un paradigme sans transcendance) et qui l'entraîne vers une mort inéluctable. Celle-ci peut être pathétique ou au contraire se transformer en apothéose, le héros se consumant dans un moment ultime de gloire. Dans les deux cas, il ne laisse que de la terre brûlée derrière lui tant sa vengeance ou son moment de gloire n'a relevé que d'un palliatif à son vide existentiel.

Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.
Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.
Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.
Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.

Si les héros tragiques de l'antiquité ou du théâtre shakespearien (exemple ci-dessus, Hamlet) ou du grand siècle sont de haute naissance ou ont de hautes fonctions (roi, reine prince princesse, général etc.), les héros tragiques modernes touchent du doigt la grandeur en sacrifiant leur vie à leur art ou à leur sport ("Ashita no Joe" meurt en boxant, les héros de Darren Aronofsky en dansant ou en catchant etc.

Le héros du troisième type ou "extra-terrien" accomplit le chemin diamétralement opposé à ceux des types 1 et 2. En effet, ce héros occupe au départ une position détachée de l'humanité, soit au sens propre (il n'appartient pas à l'espèce humaine) soit au sens figuré (il est coupé de ses émotions et sentiments). La plupart du temps il flotte quelque part au-dessus d'elle comme un astre solitaire et quelque peu désaxé. Mais un événement soudain et violent ou bien un cheminement progressif l'amène à quitter son perchoir. Sa trajectoire prend alors la forme d'une chute. On dit selon les cas qu'il "tombe du nid", "tombe du ciel" ou "tombe de son piédestal". Il doit alors apprendre ou réapprendre à partager le sort des "simples" mortels. Au bout du chemin la plupart du temps parsemé d'embûches plus ou moins âpres, il parvient soit à devenir humain soit à retrouver son humanité perdue. 

Bien entendu ce type de héros peut tout à fait se panacher avec les autres ce qui est par exemple le cas dans les films chevaleresques de Terry Gilliam, "Brazil" (1985) qui le combine avec le type 2 et "Fisher King"(1991) avec le type 1.

"2001, l'Odyssée de l'Espace" qui fait référence musicalement et philosophiquement à "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) tend vers un dépassement de l'humain par lui-même qui débouche sur un enfant astral, détaché de la terre dans le film de Kubrick. Mais nul besoin de la quitter pour s'accomplir en tant qu'humain, pleinement humain (et non "Humain, trop humain") (1878).
"2001, l'Odyssée de l'Espace" qui fait référence musicalement et philosophiquement à "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) tend vers un dépassement de l'humain par lui-même qui débouche sur un enfant astral, détaché de la terre dans le film de Kubrick. Mais nul besoin de la quitter pour s'accomplir en tant qu'humain, pleinement humain (et non "Humain, trop humain") (1878).
"2001, l'Odyssée de l'Espace" qui fait référence musicalement et philosophiquement à "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) tend vers un dépassement de l'humain par lui-même qui débouche sur un enfant astral, détaché de la terre dans le film de Kubrick. Mais nul besoin de la quitter pour s'accomplir en tant qu'humain, pleinement humain (et non "Humain, trop humain") (1878).

"2001, l'Odyssée de l'Espace" qui fait référence musicalement et philosophiquement à "Ainsi parlait Zarathoustra" (1883-1885) tend vers un dépassement de l'humain par lui-même qui débouche sur un enfant astral, détaché de la terre dans le film de Kubrick. Mais nul besoin de la quitter pour s'accomplir en tant qu'humain, pleinement humain (et non "Humain, trop humain") (1878).

Ainsi "Fisher King" (1991) convoque à la fois le surhomme de Nietzsche (assimilé à la grandeur du destin d'exception, en bien ou en mal) et Pinocchio, le pantin de bois qui doit gagner le simple droit d'intégrer l'humanité: 

"Nietzsche dit qu'il y a deux races de gens dans le monde. Ceux destinés à être grands comme Walt Disney et Hitler. Et puis... nous autres. Il nous a appelés les sabotés et les salopés. Bon pour le miroir aux alouettes. Parfois, on approche la grandeur mais sans toucher au but. On est jetable à merci. Poussés sous des trains, empoisonnés à l'aspirine... flingués dans des ice-cream Palaces! Tu veux savoir le nouveau titre de ma biographie, mon petit pote italien? "C'était pas de la tarte, la vie de Jack Lucas".

Jack Lucas, animateur radio mégalomane passe sans transition ou presque du "sommet des dieux" à la clochardisation au ras du bitume avec sa marionnette pour miroir qu'il a pour mission d'animer. Comment? Là est tout son problème.

Jack Lucas, animateur radio mégalomane passe sans transition ou presque du "sommet des dieux" à la clochardisation au ras du bitume avec sa marionnette pour miroir qu'il a pour mission d'animer. Comment? Là est tout son problème.

Sommaire:

1- Introduction

2- Là-Haut et en dehors

3- Sur les cimes du désespoir

4- Nobody's Perfect

5- Compañeros

6- Le Vent se lève

7- Le dernier problème

8- Le Zéro et l'Infini

Cassiel (Otto Sanders) dans "Si Loin si Proche" (Wim Wenders, 1993) qui retrouve la sensation de voler après avoir chuté et s'être incarné en humain.

Cassiel (Otto Sanders) dans "Si Loin si Proche" (Wim Wenders, 1993) qui retrouve la sensation de voler après avoir chuté et s'être incarné en humain.

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L'enjeu de la communication dans Okja

Publié le par Rosalie210

"Tout est consommable, sauf les cris"

(Nancy Mirando)

Mija (Ahn Seo-Hyeon âgée de 13 ans en 2017) entourée par les deux principaux producteurs de récits du film. La maîtrise des outils de communication du capitalisme mondialisé est en effet indissociable du pouvoir. Le caractère antispéciste est affirmé par des affiches qui définissent les humains comme des pièces de boucherie.

Mija (Ahn Seo-Hyeon âgée de 13 ans en 2017) entourée par les deux principaux producteurs de récits du film. La maîtrise des outils de communication du capitalisme mondialisé est en effet indissociable du pouvoir. Le caractère antispéciste est affirmé par des affiches qui définissent les humains comme des pièces de boucherie.

L'un des aspects du film de Bong Joon-jo qui m'a le plus passionnée est sa dimension réflexive sur la communication.

Tout d'abord, comme instrument de contrôle et de pouvoir:

- Par la production d'images et de discours propagandistes (storytelling) émanant des sphères économiques dirigeantes et de leurs adversaires politiques.

- Par la maîtrise de la langue de la civilisation dominante, l'anglais, illustration d'un soft power qui réduit au silence les autres peuples et encore plus le règne animal qui est réduit au rang d'objet consommable.

A l'inverse et à plusieurs reprises, Bong Joon-ho montre des séquences mettant en scènes une communication authentique, sans enjeu de pouvoir. Le récit mêle en effet deux genres a priori incompatibles: le conte pour enfants voire la fable antispéciste et le storytelling économique et politique. Le télescopage dérange d'ailleurs beaucoup, il suscite le malaise. Personne n'aime voir l'innocence salie d'où le choix de compartimenter les expériences: d'un côté l'enfance et la nature vierge (j'emploie ce terme à dessein), de l'autre le monde corrompu des adultes. Mais en virtuose du mélange des genres, Bong Joon-ho casse cette frontière et ne se contente pas de verser dans la satire, il interroge l'être humain au travers de son rapport à l'animal (c'est à dire à la nature) dans une société dévoyée où seules deux attitudes de refus du système sont possibles: se replier en son jardin comme Candide et refuser de devenir adulte ou bien lutter utopiquement pour un monde meilleur en acceptant de mettre les mains dans le cambouis.

Mija Mononoké (surnommée par Lucy Mirando "la chevaucheuse de cochon") et Okja Totoro.
Mija Mononoké (surnommée par Lucy Mirando "la chevaucheuse de cochon") et Okja Totoro.

Mija Mononoké (surnommée par Lucy Mirando "la chevaucheuse de cochon") et Okja Totoro.

Son film très proche du style baroque, déjanté, cartoonesque et en même temps très noir de Terry Gilliam prend la forme d'une chute depuis les cîmes édéniques des montagnes de Corée jusqu'aux entrailles d'un sinistre abattoir dont les grilles de parcage évoquent le camp d'Auschwitz-Birkenau et la fin de "La liste de Schindler", l'influence de Spielberg se faisant également sentir dans le film ainsi que celle de Miyazaki. Cette descente aux enfers est magnifiquement photographiée par Darius Khondji qui renoue avec la cochonaille après le génial "Délicatessen" (très proche de "Brazil" par ailleurs).

Okja: Delicatessen II?
Okja: Delicatessen II?

Okja: Delicatessen II?

Deux parties structureront cette analyse: une première partie consacrée au storytelling d'entreprise et au système capitaliste qui le soutient au travers de l'exemple de la Mirando Corporatio