Comment captiver un large auditoire tout en proposant un spectacle de qualité? En élargissant son horizon pardi! C'est le pari gagné de Louis GARREL qui en sortant de son étroite zone de confort nous régale d'un film vraiment réjouissant dont le scénario ciselé a été fort justement récompensé aux César de même que la prestation énergique de Noémie MERLANT elle aussi trop souvent cantonnée à un cinéma de niche. "L'Innocent" est une comédie policière qui réussit à mêler une histoire familiale intimiste (et partiellement autobiographique) à une intrigue de braquage ultra-référencée, celle du dernier coup qui ne se passe pas comme prévu. Si l'ex-taulard Michel (Roschdy ZEM) se prends les pieds dans ses mensonges et met en péril son couple en revanche pour son beau-fils, Abel (Louis GARREL), sa présence est le coup de fouet qui lui manquait pour reprendre sa vie en mains. Plein de méfiance vis à vis de ce beau-père dont s'est amourachée sa mère Sylvie lors des cours de théâtre qu'elle donne en prison (Anouk GRINBERG qu'on se réjouit de voir enfin au premier plan), Abel qui est aussi réservé et inquiet que Sylvie est exubérante et confiante décide d'enquêter sur Michel. Bien qu'il ne soit pas très doué, il finit par découvrir au cours d'une scène digne d'un film d'espionnage (et en split-screen!) que celui-ci prépare bien un braquage. Mais Michel finit par lui jurer que c'est pour le bonheur de sa mère et qu'il n'y a aucun risque. Et comme Abel ne veut pas briser le coeur de sa mère, il se décide à aider son beau-père, moins secondé que supplanté par son explosive amie Clémence (Noémie MERLANT). Et c'est ainsi que se met en place le bouquet final qui voit se dérouler dans le dos du chauffeur l'équivalent de "L'Ultime razzia" (1956) pendant que Abel et Clémence jouent pour distraire le chauffeur une variante de "Quand Harry rencontre Sally" (1989). Jean-Paul (Jean-Claude PAUTOT), le collègue braqueur de Michel n'a-t-il pas dit que ce que le public recherchait, c'était "du cul et de la violence"? Mais la réalité va très vite dépasser la fiction, pour le plus grand plaisir du spectateur, le vrai, celui qui est derrière l'écran. Il y a en effet beaucoup de mises en abyme dans le film et la scène dans laquelle Abel et Clémence répètent leurs rôles semble jouer avec l'image que l'on se fait des acteurs, de Louis GARREL en particulier qui manifeste une certaine autodérision bienvenue. Un virage vers l'élargissement de sa palette et de son auditoire confirmé en 2023 avec sa prestation dans l'excellent "Les Trois Mousquetaires - D'Artagnan" (2022).
Voilà un film qui n'existait dans ma mémoire que par sa formidable BO que, à l'image de "Arizona Dream" (1993), je n'ai cessé d'écouter en boucle. A cela s'ajoutait quelques images oxymoriques d'une mariée volant à l'intérieur d'une cave. Mais l'histoire, je l'avais complètement oubliée car je n'avais sans doute pas à l'époque compris les enjeux. "Underground" est une fresque historique de la Yougoslavie s'étirant sur plus d'un demi-siècle, de la seconde guerre mondiale jusqu'à la guerre de Bosnie (qui n'était pas terminée quand Emir KUSTURICA a tourné le film) par le biais d'un traitement allégorique, celui de la caverne platonicienne. En effet comme le titre l'indique, la majeure partie des personnages du film vivent confinés dans une cave pendant près de deux décennies, manipulés par un profiteur qui par intérêt personnel les maintient dans l'illusion que la seconde guerre mondiale n'est pas terminée. On pense à "Goodbye Lenin" (2001) qui repose sur un postulat semblable (un fils cache à sa mère alitée les changements historiques en cours en inventant un monde parallèle dans lequel le communisme ne se serait pas effondré) et plus près de nous à "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021) où en vertu des ordres qui lui ont été donné et de son abandon par l'armée japonaise sur une île isolée, Onoda se persuade pendant trente ans que la guerre n'est pas finie. Cette manière de produire un récit uchronique à l'intérieur d'un récit historique est une évidente métaphore du cinéma créateur de fictions au coeur du monde réel. D'ailleurs à la manière d'un Robert ZEMECKIS, Emir KUSTURICA retouche les images d'archives pour y introduire ses personnages de fiction. La confusion entre les deux dimensions est telle que lorsque Blacky et son fils Jovan sortent enfin de la cave, ils tombent en plein tournage d'un film qui reconstitue leur histoire pendant la guerre mais croient qu'il s'agit de la réalité. Et d'une certaine manière, ils ont raison. Car l'imaginaire slave mis sous cloche durant un demi-siècle par la dictature communiste a rejoué sans cesse la même partition belliqueuse qui lui a tenu lieu d'identité. C'est encore le cas en Russie qui vit dans la nostalgie de l'URSS et des victoires contre le nazisme. Aussi l'image des partisans fabriquant de façon immuable des armes à la chaîne sur un atelier circulaire ou bien l'orchestre tzigane tournant sur lui-même comme une toupie illustre bien la folie autarcique s'étant emparé des peuples de l'est emmurés vivants et coupés de l'histoire en marche. Peuples qui une fois déconfinés retournent leur folie guerrière contre leurs semblables sous forme de règlements de comptes et de fractures religieuses, métaphoriquement illustrée par la dérive des continents. Mais le film-somme de Emir KUSTURICA se caractérise aussi par son caractère baroque, ses images oniriques (à l'exemple de la mariée qui vole ou qui nage au fond des eaux) et son rythme frénétique martelé par une fanfare tzigane qui est un personnage du film à part entière. Film paradoxal ayant existé en amont sous forme de pièce de théâtre (grâce à son unité de lieu) et en aval sous forme de mini-série (grâce à son caractère de fresque historique). Oeuvre définitivement hors-norme et quelque peu ogresque qui a valu à son réalisateur d'obtenir sa deuxième Palme d'or en 1995.
C'est après avoir assisté à une conférence sur le corps queer au cinéma ponctué d'extraits de films pointant les différences dans manière de filmer strip-tease féminin et masculin que j'ai eu envie de voir "Magic Mike". Dans ce dernier domaine, j'en étais resté à "The Full Monty" (1997) qui tout de même commence à dater. En dépit de grandes différences esthétiques, les deux films ont pour point commun de donner aux personnages des origines prolétariennes et de leur faire considérer le strip-tease comme un moyen de réalisation ou de reconnaissance sociale et non comme une fin. Michael (Channing TATUM dont l'expérience dans le milieu a nourri le film) veut passer du rôle d'objet de désir à celui de sujet maître de son destin en devenant entrepreneur. Mais il semble en même temps se saboter en s'entourant de boulets ou de prédateurs qui profitent de lui. Joanna (Olivia MUNN) par exemple est une étudiante issue d'un milieu aisé qui veut se payer un maximum de corps jeunes et beaux avant de se ranger, le chippendale constituant une prise de choix. Il en va de même avec Dallas, son patron, génialement joué par un Matthew McCONAUGHEY extrêmement sensuel voire provocant mais qui ne lui donne qu'un faible pourcentage sur ses performances. Enfin Adam, le petit jeune qu'il prend sous son aile (Alex PETTYFER) afin de se rapprocher de sa soeur (Cody HORN) achève de lui mettre la tête sous l'eau de par sa stupidité. Mais ce n'est pas vraiment cette intrigue, traitée assez superficiellement que l'on retient mais plutôt les numéros de danse dont le caractère sulfureux est là encore trop édulcoré. Certes, Steven SODERBERGH a souvent questionné l'identité masculine dans ses films. Mais la façon dont il tente assez maladroitement de couper court à tout ce que le film peut charrier d'homoérotisme interroge. C'est particulièrement flagrant dans la scène du miroir où Dallas initie Adam à l'aide de force déhanchements plus que suggestifs mais en prévenant que "c'est pour le boulot". Mieux aurait valu laisser le spectateur décider par lui-même de la nature de ce qu'il voyait. C'est sans doute le caractère commercial du film qui explique ce recours à des justifications superfétatoires. Par ailleurs, la photographie duale bleu/jaune qui m'a rappelé "Traffic" (2000) n'est pas du meilleur goût.
Autant ma première incursion dans le cinéma de Valerio ZURLINI avec "Le Professeur" (1972) m'avait laissé une impression mitigée, autant "La Fille à la valise" m'a profondément touchée. Les ingrédients sont pourtant les mêmes: une atmosphère particulière, souvent hors du réel, un contexte plutôt glauque, une histoire d'amour impossible. Mais alors que "Le Professeur" baignait dans un climat poisseux, décadent et nihiliste avec des personnages sinistres, "La Fille à la valise" est illuminé par deux acteurs rayonnant de vitalité, de jeunesse et de beauté: Claudia CARDINALE et Jacques PERRIN. Alors certes, le déterminisme social y est souligné à gros traits. Avec l'argent qui remplace les mots qui ne peuvent se dire, tirant la romance vers le commerce (la satisfaction des pulsions contre celle des besoins matériels). Avec la morale religieuse incarnée par un prêtre qui vient faire la leçon à Aïda (une fille-mère perturbant les études d'un adolescent bourgeois, ce n'est pas convenable). Mais posséder un tel prénom quand on est une jeune fille pauvre c'est vivre dans la contradiction permanente. Car lorsque Aïda descend l'escalier de la demeure où vit Lorenzo après avoir pris son bain (et symboliquement lavé ses impuretés), c'est sur la musique du célèbre opéra de Verdi: on entrevoit alors cet autre monde que cherche Aïda dans son éternelle errance et qu'elle parvient à toucher du doigt avec Lorenzo, trop jeune pour être encore vraiment corrompu, le temps de quelques parenthèses hors du temps. Le climax étant atteint lors d'une séquence d'intense proximité dans le désert (d'une plage) où les deux amoureux, magnifiquement photographiés se retrouvent dépouillés de leur masque social: ils sont alors juste beaux à pleurer dans une gémellité qui préfigure celle que sublimera Jacques DEMY dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1966). Cette séquence se rapproche de la grâce des photos de "La Jetée" (1963) qui arrachait également au temps des instants d'éternité. Peu importe au fond que la pesanteur du réel avec ses désillusions, son amertume, son fatalisme social ne reprenne ensuite le dessus puisque ces moments auront existé et que le cinéma les aura fait passer à la postérité.
Trois heures de film pour raconter trois jours de la vie de Jeanne Dielman (Delphine SEYRIG), la quarantaine, veuve, mère au foyer d'un garçon de 16 ans: trois jours dans la prison physique et mentale de la ménagère de moins de 50 ans, trois jours rythmés par une multitude de gestes répétitifs dédiés aux tâches domestiques, cette fameuse charge mentale qui pèse encore majoritairement sur les épaules des femmes. Le film de Chantal AKERMAN apparaît comme le précurseur de tout un courant d'oeuvres contemporaines dédiées à l'aliénation domestique. Dans une succession de plans fixes parfois étirés jusqu'à l'épuisement, on suit le lent et inéluctable déraillement de la vie de Jeanne. La première journée est sans qu'on le sache de prime abord la dernière d'une longue série de "journées type". On y voit Jeanne accomplir mécaniquement son "devoir" lequel commence (dans le film) par le "devoir conjugal" qui se confond avec la prostitution puisque Jeanne qui est veuve dépend pour vivre des clients réguliers qu'elle reçoit en fin d'après-midi à raison d'un par jour quand son fils est à l'école. Cette tâche est mise sur le même plan que la préparation du dîner, Jeanne faisant cuire ses pommes de terre pendant la demi-heure où elle reçoit. Et il en va de même du reste de la journée, de la soirée, du lendemain matin et du début d'après-midi: une succession ininterrompue (sauf par les quelques heures de sommeil coupées au montage) de tâches domestiques répétitives sous le regard d'une mise en scène qui l'est tout autant. Le caractère carcéral, étouffant, oppressant de cette vie enfermée dans une routine ne se mesure pas seulement au fait que Jeanne passe 22h sur 24 entre les quatre murs de son deux-pièces mais il se manifeste aussi par sa solitude, sa méticulosité, sa psychorigidité, son mutisme. La seule personne qui lui pose des questions personnelles est son fils au moment du coucher mais le positionnement de Jeanne tout au fond de l'image quand son fils est au premier plan suffit à souligner combien elle cherche à esquiver le contact. La deuxième journée confirme son refus de l'intimité et le vide de sa vie: elle refuse l'invitation d'une femme rencontrée en ville à prendre le thé et ne trouve rien à écrire à sa soeur. Parallèlement on observe un début de perte de contrôle dans le fait qu'elle laisse cuire trop longtemps les pommes de terre ce qui la désoriente et décale le planning de toute la soirée. La dernière journée commencée une heure trop tôt confirme à de petits détails que Jeanne déraille: elle fait tomber des objets, oublie de rincer sa vaisselle, ne parvient pas à boire son café au lait, ne trouve pas son journal quotidien dans la boîte aux lettres, sa place habituelle à la brasserie où elle aime passer un moment en début d'après-midi est occupée, les commerces où elle fait les courses sont encore fermés, le bébé qu'elle garde sur l'horaire de midi ne supporte pas d'être approché par elle etc. Toutes ces petites choses insignifiantes en apparence s'accumulent jusqu'à l'explosion silencieuse qui conclue le film.
Huitième long-métrage de Kelly REICHARDT, le quatrième avec Michelle WILLIAMS (après "Wendy & Lucy" (2008), "La Dernière piste" (2010) et "Certaines femmes") (2016), "Showing up" offre le portrait (l'autoportrait?) d'une artiste quelque peu marginale, Lizzy qui fabrique des statuettes de femmes en céramique. Un portrait que j'ai trouvé d'une grande véracité et c'est à souligner car les femmes ont souvent du mal à exister à l'écran tant elles sont aliénées par des injonctions sociales écrasantes dictées par le "male gaze" issu d'un patriarcat qui domine encore largement le monde de l'art. Mais Kelly REICHARDT est une cinéaste indépendante qui déconstruit film après film ce schéma. Elle a trouvé en Michelle WILLIAMS dont la carrière oscille entre le cinéma indépendant et les films plus mainstream une interprète parfaite. Comme dans "Wendy & Lucy" (2008), celle-ci affiche une apparence anti-glamour au possible, non dictée cette fois par la précarité mais par son immersion dans la création. Une immersion sans cesse perturbée par les aléas d'un quotidien bien encombrant: un ballon d'eau chaude en panne, un pigeon à l'aile cassée dont il faut s'occuper, les problèmes familiaux, une voisine et propriétaire au tempérament opposé au sien dont il faut s'accommoder, le boulot alimentaire dans l'école d'art de sa mère etc. Bien que Lizzy supporte mal ces contraintes, se plaigne et affiche une mine renfrognée, elle se montre d'une grande persévérance, tant pour affronter les tracas du quotidien que dans son travail d'artiste sur le point d'exposer. On assiste ainsi aux différentes étapes de la création de ses statuettes de femmes en mouvement dont l'étape de la cuisson révèle une part d'aléatoire Kelly REICHARDT montre également le petit milieu arty gravitant autour de l'héroïne avec une certaine ironie (l'attention autour du pigeon, les pique-assiette s'invitant chez le père, certaines démonstrations artistiques qui laissent perplexe) mais sans que cela n'altère la sensibilité qui émane de son film.
Certes, le documentaire en soi n'est pas transcendant, linéaire et assez superficiel. Mais il a le mérite d'apporter un éclairage sur la personnalité de Robert MITCHUM qui est un acteur dont je ne savais à peu près rien, hormis les cinq films où je l'ai vu jouer (sur les 120 dans lesquels il a tourné mais si on enlève les séries B et les apparitions de fin de carrière, il y en a déjà beaucoup moins). Son jeu non formaté épouse un parcours accidenté, très loin des standards hollywoodiens. Enfant de la crise des années 30, Robert MITCHUM a derrière lui un passé d'errance, de galères et de délinquance quand il parvient à percer en tant qu'acteur après la seconde guerre mondiale. Néanmoins ce passé est surtout le fruit d'une société normative et répressive à laquelle il se ne pliera jamais comme le souligne le passage où il refuse de changer son nom et de camoufler ses origines indiennes. Il en va de même de son refus de collaborer au maccarthysme ou encore son arrestation en 1948 à une soirée pris en flagrant délit de consommation de marijuana. On croit rêver quand on apprend qu'il a fait près de deux mois de prison et que la carrière de la jeune actrice avec qui il fumait fut ruinée*. Sa première arrestation à l'âge de 16 ans pour vagabondage révélait déjà la véritable nature de la société américaine, impitoyable avec les plus faibles. Cela donne d'autant plus de relief à son rôle de démobilisé qui affronte la haine raciste et antisémite des WASP dans "Feux croisés" (1947). L'image de rebelle, bagarreur, "mauvais garçon" collée à Robert MITCHUM n'a de sens que par rapport aux canons puritains et hypocrites de cette société. La véritable personnalité de Mitchum semblait être celle d'un artiste dans l'âme mais qui pour se protéger d'un système fondé sur l'apparence et les mondanités affichait une attitude nonchalante, désinvolte voire cynique. La preuve en est avec l'échec de "La Nuit du chasseur" (1955) qui est pourtant aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands films du septième art. C'est sans doute le film qui nous en dit le plus à son sujet. Comment ne pas voir en ces deux enfants un autoportrait quand on connaît son histoire alors que le diable qu'il incarne paré des atours de la respectabilité religieuse ressemble à un miroir tendu à l'Amérique puritaine qui évidemment ne l'a pas supporté.
*La marijuana est alors vue comme une drogue menant à tous les vices: on dit que sa consommation, qui peut coûter jusqu'à deux ans de prison, conduit au meurtre, aux accidents de la route, au suicide, aux viols et à la folie. Dans un Hollywood de l'après-guerre encore largement contrôlé par les censeurs et en quête perpétuelle d'une moralité d'apparat, Leeds et Mitchum sont condamnés au moment même où ils franchissent le pas de la porte, les menottes aux poignets. Les fixers de la RKO et d'Howard Hughes, le tout nouveau propriétaire du studio, n'ont rien pu faire. La presse est déjà là. Alors, quand un policier lui demande son métier, Mitchum répond «ancien acteur»: il est persuadé que sa carrière à Hollywood est ruinée. (Slate, "Comment un joint avec une star d'Hollywood a ruiné la vie de Lila Leeds, Michael Atlan, 18/08/2019).
C'est parce que je rêvais de voir réunis à l'écran Boris KARLOFF et Peter LORRE que j'ai regardé "Le Croque-mort s'en mêle", l'avant-dernier film de Jacques TOURNEUR, un titre en VF qui fait penser à du Blake EDWARDS (et d'ailleurs le chat du film est paraît-il celui qui apparaît dans "Diamants sur canapé") (1961). Cerise sur le gâteau, il y a aussi pour compléter le casting Vincent PRICE, Basil RATHBONE et Joe E. BROWN (le Osgood de "Certains l'aiment chaud") (1959). Néanmoins j'ai été plutôt déçue. Il est d'ailleurs logique que cette comédie horrifique de série B parodiant les succès de la Hammer soit tombé aux oubliettes. Tout d'abord, Boris KARLOFF et Peter LORRE ont pris un coup de vieux: le premier, malade, a dû se rabattre sur un rôle secondaire de papi gâteux où il n'interagit pas avec les autres alors qu'il devait jouer à l'origine le rôle de M. Black finalement interprété par Basil Rathbone. Le second est mort peu de temps après le tournage. Ensuite si cette comédie très théâtrale est parfois drôle, elle ne fait pas dans la dentelle. Chaque personnage est réduit à un stéréotype, exploité jusqu'à la corde: le gendre odieux, le souffre-douleur à la mine de chien battu, le vieillard sénile, la Castafiore des cérémonies funèbres, le cataleptique qui n'arrive pas à crever etc. Tout ce petit monde nous entraîne vers des gags parfois répétitif, parfois longuets et aussi subtils qu'un éléphant dans un magasin de porcelaines. Ca se regarde mais ce n'est guère transcendant.
Après "L'Esprit de la ruche" (1973) il y a quelques jours qui évoquait l'imaginaire d'une petite fille face à la mort dans un contexte de dictature franquiste, "Apocalypse Now" (1976) est le deuxième film que je visionne baignant presque entièrement dans la lumière dorée des heures magiques de l'aube et du crépuscule, prolongées en nocturne par la lueur des flambeaux. Le dantesque chef-d'oeuvre que Francis Ford COPPOLA a consacré à la guerre du Vietnam est un voyage dans l'espace-temps dont la dernière demi-heure atteint des sommets de mysticisme magnifié par la renversante photographie. Le colonel Kurtz (Marlon BRANDO) et son alter ego le capitaine Willard (Martin SHEEN) sont filmés comme des idoles de sang et d'or à demi noyées dans l'obscurité. Des idoles condamnées à un crépuscule éternel. Car si le film s'ouvre et se ferme sur "The End" des Doors, il est composé comme une relecture de la tétralogie de Wagner: l'Or du Rhin, c'est le fleuve Congo de la nouvelle de Joseph Conrad "Au coeur des ténèbres" ayant servi de base scénaristique au film. C'est aussi une métaphore: "Apocalypse now" est un film-fleuve. C'est enfin le Nung, nom du fleuve vietnamien que remonte Willard et son équipage à la recherche du colonel Kurtz devenu un seigneur de la guerre vivant avec ses fidèles à la frontière du Cambodge. Pour avoir accès au fleuve, Willard doit faire appel au lieutenant-colonel Bill Kilgore (Robert DUVALL) qui lui fraie un chemin avec sa cavalerie d'hélicoptères au son de la chevauchée des Walkyries. Une séquence entrée dans la légende du cinéma d'autant que l'épique y est modéré par l'horreur et le grotesque qui souligne que Francis Ford COPPOLA n'est pas dupe des images qu'il filme en coupant court à toute héroïsation. Car personne n'a oublié la petite phrase de Kilgore regardant brûler la jungle avec satisfaction "j'aime l'odeur du napalm le matin" alors que sur son ordre deux de ses hommes surfent en terrain pas tout à fait conquis. Puis le film se mue en fleuve-movie oscillant entre séquences introspectives (la lecture des lettres de Kurtz qui "hante" l'ensemble du film bien avant qu'il ne se matérialise en chair et en os) et rencontres symboliques et oniriques qui forment autant de jalons expérimentaux dans la quête de ce nouveau Sigfried qu'est Willard. Outre des soldats abandonnés à eux-mêmes continuant absurdement le combat tels "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021), l'une des plus saisissantes est celle des colons français qui a été rajoutée lorsque Francis Ford COPPOLA a pu remonter le film a postériori. Baignant elle aussi majoritairement dans une lumière crépusculaire, elle peut s'interpréter comme une halte au pays des revenants d'une époque révolue vivant en vase clos hors-sol, celle de l'Indochine française dont la disparition avait donné lieu à une première guerre dans laquelle les USA avaient soutenu la France. Francis Ford COPPOLA parvient ainsi à une rare osmose entre mythologie, histoire et critique: "La Charge héroïque" (1948) du lieutenant-colonel Kilgore avait elle-même de relents de conquête de l'ouest génocidaire du XIX° siècle. Et que dire de la fin avec son décor d'autel païen rempli d'offrandes sanglantes à un monstre terré dans son antre se prenant pour un Dieu et incarnant de même que la lumière en clair-obscur la dualité humaine ("qui fait l'ange fait la bête"). Monstre qui doit être sacrifié par un double adoubé sorti des eaux comme Nessie et devant lequel on se prosterne pour que l'Amérique puisse conserver la conscience claire.
Le premier film de la série des "Comédies et proverbes" est le seul que je n'avais jamais vu. Il me semble également être le plus faible de la série. La faute sans doute à un certain manque de charisme des interprètes et à un éparpillement de l'intrigue. Anne jouée par Marie RIVIÈRE, petite amie de François (Philippe MARLAUD) est un personnage plutôt antipathique. Une sorte de miroir inversé de son rôle dans "Le Rayon vert "(1986) dans lequel elle se bougeait pour trouver une issue à son mal-être. Dans "La femme de l'aviateur" elle est au contraire statique, passive, retranchée pour l'essentiel au bureau ou dans sa chambre de bonne. Elle semble considérer François comme un gêneur qu'elle esquive sans que cela le décourage, bien au contraire. Plus elle le repousse, plus il s'accroche. Ayant découvert qu'elle revoyait son ex Christian (Mathieu CARRIÈRE), François, poussé par la jalousie (en théorie) décide de le prendre en filature d'autant qu'une femme inconnue chemine à ses côtés dont François aimerait découvrir l'identité pour sans doute inciter Anne à revenir vers lui. C'est le passage de loin le plus intéressant du film, celui de l'errance géographique comme ouverture des possibles propre au cinéma de Éric ROHMER. François rencontre en effet sur son chemin une lycéenne espiègle, Lucie (Anne-Laure MEURY) qui a tout ce qui manque à Anne: le dynamisme, l'esprit d'initiative, la confiance en soi, en somme, la force de caractère. Avec elle, François retrouve un peu de légèreté, tous deux jouant aux détectives dans le parc des Buttes-Chaumont (l'ancrage territorial des films de Rohmer fait partie de leur charme). Avec elle, il peut réfléchir sur lui-même, réaliser qu'il se fait mener par le bout du nez. Hélas, cet épisode ne s'avère être qu'une parenthèse, François retombant dans les bras de Anne lors d'une scène interminable dans sa chambre où l'on apprend l'identité (décevante) de la femme qui accompagnait Christian. Et si Lucie lui a laissé le moyen de la recontacter, force est de constater que François qui n'en a pas fait de même (peut-être pour se donner l'illusion qu'il maîtrise ses décisions?) risque bien d'avoir laissé passer sa chance bien que la fin soit équivoque.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.