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L'Esclave libre (Band of Angels)

Publié le par Rosalie210

Raoul Walsh (1957)

L'Esclave libre (Band of Angels)

"Autant en emporte le vent" (1938) numéro 2, "L'esclave libre"? Superproduction hollywoodienne certes, traitant du même thème certes (esclavage et guerre de Sécession), avec le même acteur certes (Clark GABLE avec vingt ans de plus) mais dans lequel le racisme et ses ravages joue un rôle bien plus important, Raoul WALSH ayant un point de vue nettement plus engagé sur la question que Victor FLEMING. Il y a quand même quelques (grosses) couleuvres à avaler. Yvonne DE CARLO n'est pas métisse et aucun effort n'est fait pour qu'elle passe pour telle sans doute pour que l'américain blanc moyen de 1957 s'identifie à elle et compatisse à son sort. Le scénario, adapté du roman "Band of Angels" de Robert Penn Warren comporte quelques grosses invraisemblances. On ne peut guère imaginer qu'un planteur du XIX° siècle élève la fille qu'il a eu d'une esclave noire comme si elle était sa fille légitime (puisqu'elle porte son nom) au vu et au su de tout le monde (sauf de la principale intéressée) sans que cela ne pose le moindre problème dans une société phobique du métissage. Et encore moins que celui-ci meure sans avoir pris la moindre disposition pour la protéger des esclavagistes après avoir passé vingt ans à la faire éduquer dans les meilleures écoles. Le personnage de Clark Gable est également un peu trop beau pour être vrai en ancien négrier cherchant à se racheter, même si on devine qu'une histoire d'amour interdite est (encore!) derrière tout ça et que ce n'est pas par hasard si la rédemption de Hamish Bond a commencé le jour où il a sauvé son rejeton. Lequel devenu adulte éprouve un sentiment inextricable d'amour et de haine vis à vis de son maître qui se comporte avec lui en père adoptif et dont on se demande s'il n'est pas son père biologique. La relation entre Rau-Ru (Sidney POITIER dans un de ses meilleurs rôles) et Hamish Bond (qui veut dire "lien") est autrement plus intéressante que celle, très balisée par les conventions romantiques et romanesques de l'époque entre Hamish Bond et Amantha Starr. Un des passages que je trouve parmi les plus remarquables du film est ce leitmotiv lancinant (il revient trois fois!) de l'homme traqué et en fuite. Le film s'ouvre sur deux esclaves cherchant à s'échapper de la plantation du père d'Amantha puis c'est Rau-Ru qui après avoir frappé un prétendant trop entreprenant avec Amantha doit s'enfuir vers le nord où il s'enrôle chez les nordistes. Enfin, dans un saisissant renversement de situation, c'est Amish Bond qui fuit les nordistes lancés à sa poursuite dans les marais. Nordistes dont Raoul WALSH souligne les préjugés racistes tout aussi ancrés dans leurs mentalités que dans celles des sudistes. Seuls des individus isolés parviennent à échapper à l'aliénation générale et à se libérer semble dire la mise en scène qui montre Rau-Ru observant Amish fausser compagnie à ceux qui l'ont arrêté grâce aux menottes qu'il avait lui-même truqué avant de s'embarquer avec Amantha pour on ne sait quel ailleurs.

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L'Enfant de la barricade/L'émeute sur la barricade/Anarchiste

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1906)

L'Enfant de la barricade/L'émeute sur la barricade/Anarchiste

Ce court-métrage qui possède plusieurs titres (j'en ai mis trois mais il en existe d'autres variantes) est considéré comme la première adaptation du roman "Les Misérables" de Victor Hugo. Compte-tenu de sa durée, il n'en adapte qu'un fragment, inspiré de l'histoire de Gavroche. Inspiré seulement car la version qu'en donne le court-métrage est très différente. Et pour cause, Victor Hugo a également écrit un poème "Sur une barricade", publié dans le recueil l'Année terrible en 1872 et qui fait référence à la Commune de Paris. Et c'est bien plus de ce poème qu'est tiré l'argument du film que de l'échec de l'insurrection de 1832. L'auteur y évoque en effet un enfant arrêté par les Versaillais pour avoir combattu avec les Communards mais qui obtient l'autorisation d'aller rendre sa montre à sa mère avant d'être fusillé. Comme il tient parole, l'officier impressionné par son courage lui fait grâce.

Dans la version de Alice Guy (je me demande encore comment Gaumont a pu attribuer le court-métrage à un homme tant le point de vue féminin se fait ressentir), l'enfant est innocent (il est pris pour un émeutier alors qu'il est juste sorti pour faire des courses), le personnage de la mère joue un rôle actif en s'interposant entre son enfant et l'officier et la montre devient une bouteille de lait. Il y a d'ailleurs un va-et-vient entre l'intérieur symbolisé par la cuisine (le ventre de la mère) et l'extérieur, théâtre de la tuerie perpétré par les hommes sur d'autres hommes. En devenant actrice politique et historique, la femme perturbe cet ordre du monde à l'image de Alice Guy qui réalisait des films. Elle n'avait cependant pas pensé que l'histoire pouvait être manipulée selon les intérêts politiques du moment et donc que les femmes pouvaient en être effacées.

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Tokyo Shaking

Publié le par Rosalie210

Olivier Peyron (2021)

Tokyo Shaking

Voilà un film, sorti en juin 2021 qui ne paye pas forcément de mine mais pourtant qui vaut le détour. En effet il donne un bon aperçu de la diversité du comportement humain en situation de crise à l'échelle d'une entreprise. L'introduction adopte un ton satirique ("tout va très bien Madame la Marquise") pour signifier que dans leur tour d'ivoire (ou plutôt de verre et d'acier) les décideurs (dys)fonctionnent selon leur logique fictionnelle du "storytelling capitaliste" jusqu'à l'absurde. Absurde que va boire jusqu'à la lie Alexandra, cadre ambitieuse spécialisée dans la finance expatriée à Hong-Kong avec sa famille à qui l'antenne japonaise d'une banque française offre une promotion. Elle déménage donc avec ses enfants et découvre (première déconvenue) qu'au lieu de lui donner des tâches financières, on lui fait faire le sale boulot des RH: dégraisser le personnel. Et la voilà en train d'annoncer la mauvaise nouvelle à son stagiaire qu'elle avait pourtant promis d'intégrer alors que la terre se met à trembler. Mais pendant un certain temps, Alexandra comme le reste du personnel continuent comme si de rien n'était car rien ne doit arrêter la machine entrepreneuriale.

La suite relève de la même logique. Alors que le réel cogne de plus en plus fort à la porte des métropoles mondialisées qui dirigent le monde (séisme puis tsunami puis catastrophe nucléaire, le film reconstituant les événements ayant conduit à l'accident nucléaire de Fukushima), Alexandra n'entend autour d'elle que des discours "rassuristes" (ça ne vous rappelle rien?) sur le thème "tout est sous contrôle", doit préparer une évacuation collective du personnel de l'entreprise sur les ordres de son chef qui va s'avérer être une pure manoeuvre de diversion pendant que ce dernier s'enfuit en douce, découvre comment les traders spéculent sur la catastrophe, reçoit des consignes contradictoires qui la mettent dans une situation impossible (une mère de famille doit sauver ses enfants mais une cadre d'entreprise doit rester à son poste sous peine d'être licenciée, ça s'appelle la double contrainte et ça, notre société adore!) etc., etc. Et c'est ainsi que l'on découvre, ô surprise, que lorsque la bulle d'illusion créée par l'aveuglement collectif éclate (comme les bulles spéculatives), c'est le chaos du chacun pour soi qui l'emporte alors qu'on nous vante à longueur de temps notre capacité à gérer les risques et que les chances de s'en sortir varient selon votre place dans la hiérarchie sociale, votre niveau de revenus, la qualité de votre réseau, votre genre, votre nationalité etc. Bref que toutes les inégalités en temps de crise sont exacerbées. Dans cette nouvelle configuration, Alexandra se retrouve au final malgré elle du côté des victimes et devient solidaire d'eux. Une découverte de soi à travers une société des antipodes dont elle adopte les codes et qu'elle apprend à découvrir. Symboliquement à la fin du film, Alexandra quitte les lieux occidentaux dans lesquels elle était enfermée depuis son arrivée à Tokyo -une prison de verre que le film souligne particulièrement bien- pour aller à la rencontre de la vraie société japonaise.

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La Collectionneuse

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1967)

La Collectionneuse

Quatrième conte moral de Eric Rohmer (mais tourné avant le troisième "Ma nuit chez Maud"), "La Collectionneuse" se situe dans la continuité de "La Carrière de Suzanne" et annonce "Le genou de Claire". Deux insupportables goujats intellos imbus d'eux-mêmes (mais paresseux et misanthropes comme pas deux) déversent leur misogynie sur une fille qui les trouble et les exaspère par son comportement libéré. Comme dans "Le genou de Claire", tout ce petit monde se retrouve en villégiature, le temps d'un été à marivauder dans un langage très écrit (bien que se laissant volontiers aller à quelques "vulgarités") dans une villa inondée de soleil. Avec l'apparition de la couleur, Eric Rohmer fétichise le corps de Haydée dont le ventre, la nuque et les genoux apparaissent en gros plan quand elle est en maillot de bain au moment même où Adrien prétend ne pas être intéressé (l'hypocrite). Cette ironie s'observe dès le prologue: Haydée qui ne prononce pas un mot et se contente de marcher sur la plage est présentée avant tout comme un objet de désir alors que les deux hommes avec qui elle va partager son espace sont au contraire des moulins à parole. Cette inégale répartition des rôles théâtralise en apparence ce qui se joue dans la société à ceci près que Eric Rohmer en inverse le sens. Le jugement moral que les deux hommes portent sur Haydée qu'ils définissent comme une "collectionneuse" (d'amants) révèle leur peur d'être eux-mêmes transformés en objets (de collection). Prise dans le tourbillon de la vie, Haydée ne cesse au final de leur échapper, se joue d'eux, sème la zizanie et leur renvoie la balle de la moralité, eux qui adorent s'écouter parler plutôt que d'écouter leurs vrais désirs. 

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Madame a des envies

Publié le par Rosalie210

Alice Guy (1907)

Madame a des envies

"Madame a des envies" est un court-métrage burlesque de Alice Guy encore plus osé et jubilatoire que "Les résultats du féminisme" (1906). Il alterne de façon très rythmée les plans d'ensemble filmés en extérieur et les gros plans filmés en studio ce qui était un procédé innovant à l'époque. Les plans d'ensemble montrent une femme enceinte s'adonner à des vols compulsifs envers les passants qu'elle croise, son mari resté à l'arrière avec leur premier marmot assistant impuissant aux écarts de conduite de sa femme et essayant de réparer les dégâts dans son sillage. Les gros plans montrent la femme déguster avec gourmandise le fruit de ses larcins ce qui constitue un autre type de transgression. Les produits qu'elle avale sont encore aujourd'hui déconseillés ou interdits aux femmes enceintes (tabac et alcool) mais à l'époque, ils n'étaient consommés que par des hommes. Plus largement ce que montrent ces plans, c'est que ce sont le désir (plans d'ensemble) et le plaisir (plans rapprochés) féminin qui mènent la danse ce qui était tellement subversif en soi qu'il n'est guère étonnant que le cinéma de Alice GUY soit passé à la trappe, à la fois pour ce qu'elle incarnait mais aussi pour ce qu'elle montrait. Car outre tabac, alcool et hareng saur (aliment à l'odeur forte qui s'oppose au goût supposé délicat des femmes)*, Madame commence par chiper une sucette à une petite fille dont la forme équivoque ne laisse aucun doute sur le sens caché que prend sa dégustation. Comme quoi Serge Gainsbourg n'a certainement pas été le premier à avoir l'idée d'évoquer le plaisir sexuel en le déplaçant sur cette friandise particulièrement suggestive.

* Dans le documentaire "Le sexe du rire", diffusé récemment sur France 5, l'éviction des femmes de la sphère comique au cours des siècles est expliqué par leur situation dominée dans la société. Le rire est un moyen de prendre le pouvoir par la séduction et parce qu'il a aussi quelque chose de carnassier, donc de puissant (on montre l'intérieur de la bouche, les dents etc.) Il en va de même avec la nourriture: une femme qui rit, fait rire ou qui dévore à pleine dents montre sa puissance.

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