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3 jours à Quiberon

Publié le par Rosalie210

Emily Atef (2018)

3 jours à Quiberon

Au lendemain du visionnage du film sur Arte (dont j'avais entendu parler et pas qu'en bien), je suis dominée par un sentiment de déception, teinté d'une pointe d'agacement. La démarche esthétique est certes cohérente avec le projet: montrer Romy SCHNEIDER au travers du photo-reportage en noir et blanc réalisé par Robert Lebeck lors du séjour de la star dans un hôtel cinq étoiles à Quiberon en 1981. Ces clichés ont été ensuite publiés dans le magazine allemand "Stern" et étaient accompagnés d'une interview accordée à un jeune journaliste allemand, Michael Jürgs. Sur ce plan-là, il n'y a rien à dire, la reconstitution est réussie, on se croit bien revenu à l'époque de la fin des années 70-début années 80 quand les gens avaient la clope au bec du matin au soir et enfilaient les verres d'alcool, le tout sans censure ni interdictions aucune. De ce point de vue-là, les problèmes d'addiction de Romy Schneider étaient symptomatiques de ceux de la société toute entière, celle-ci étant simplement bien plus excessive et conjuguée à la prise de médicaments pour lutter contre les souffrances liées à la célébrité. On remarquera d'ailleurs que le fait d'être une femme et d'être jugée par la presse allemande est un facteur aggravant. La société allemande tolère bien plus mal qu'en France (et c'était encore pire à l'époque) qu'une femme ayant des enfants travaille car elle était accusée de les délaisser (on les qualifiait de "mères-corbeaux", bonjour la culpabilité).

Néanmoins on ne peut réduire Romy Schneider à la vision négative qu'en avait l'Allemagne qui n'avait visiblement jamais pardonné à la star d'avoir renié "Sissi" (1955)" au profit d'une carrière dans le cinéma d'auteur européen (et surtout français). La raison profonde de cette relation compliquée entre l'actrice et son pays d'origine aurait pu être l'objet d'un film passionnant. Au lieu de quoi on a droit à des questions superficielles dignes de la presse people et inutilement agressives. Pourquoi s'en prendre d'ailleurs à une femme visiblement dépressive? L'attitude du journaliste allemand interroge le spectateur mais n'est pas plus interrogée que le reste. Bref le scénario semble n'être qu'une adaptation littérale du photo-reportage et reste en surface. De plus, le côté forcément poseur de l'exercice (Romy est mitraillée de photos pendant tout le film par un photographe qui est aussi un amant de passage) transforme l'actrice en monstre d'ego. Que peut-il sortir de vraiment intime d'une personne qui est suivie H24 par un photographe et un journaliste? On a donc l'impression de voir quelqu'un qui joue un rôle, celui d'une petite fille gâtée, capricieuse et cyclothymique et cela finit par lasser tant au final le film échoue à dire ce qu'elle était au-delà de l'image créée par le cirque médiatique. C'est dommage car Marie BÄUMER présente une réelle ressemblance avec son modèle (de loin surtout) ce qui était un atout considérable pour la recréer. 

Comble d'ironie, la réalisatrice n'a cessé de clamer que son film n'était pas un biopic. Je le confirme mais ce n'est pas un compliment.

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Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... (Christiane F. - Wir Kinder vom Bahnhof Zoo)

Publié le par Rosalie210

Uli Edel (1981)

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...  (Christiane F. - Wir Kinder vom Bahnhof Zoo)

A sa sortie à la fin des années soixante-dix, le livre autobiographique "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée" fit grand bruit bien au-delà de la RFA. Il connut un succès durable (je m'en souviens comme d'un livre incontournable de mon adolescence que tout le monde se passait alors qu'il était déjà sorti depuis une bonne dizaine d'années) et contribua à changer l'image des drogués ainsi que leur prise en charge. En 1981, deux ans seulement après la parution du livre, une adaptation cinématographique vit le jour que l'on peut voir en ce moment sur Arte ainsi qu'un documentaire qui a le mérite de contextualiser l'histoire de Christiane. Si le livre fit l'effet d'une bombe à sa sortie, c'est qu'il révélait en effet le mal-être profond d'une partie de la jeunesse ouest-allemande, faisant voler en éclats l'image positive, pimpante et prospère que la RFA s'évertuait à donner d'elle-même. Livre et film sont construits comme une descente aux enfers, une spirale sans fin dans un monde dystopique sans aucune perspective (ce n'est pas un hasard si le mouvement punk et son "no future" émerge au même moment). Comme la génération des cinéastes qui débutaient à cette époque (Wim WENDERS, Werner HERZOG, Volker SCHLÖNDORFF), les jeunes allemands de l'ouest étouffaient sous plusieurs chapes de plomb bien trop lourdes à porter pour leurs frêles épaules:
- Celle de la seconde guerre mondiale qu'avaient connu leurs parents et qui les avaient murés dans le silence.
- Celle de la guerre froide et ses multiples murs: celle du rideau de fer entre les deux Allemagne, celui qui entourait Berlin-ouest où a grandi Christine.
- Celle des années de plomb du terrorisme d'extrême-gauche (incarné principalement par Fraction armée rouge pour l'Allemagne) lui-même issu en partie de la fracture générationnelle lié au nazisme et suscitant en retour une surenchère sécuritaire de la part des autorités de la RFA.
- Celle de la crise économique des années soixante-dix consécutive aux chocs pétroliers.
- Celle de la cité Gropius dans laquelle a grandi Christine qui incarnait à l'époque comme partout ailleurs en Europe la "modernité" alors que plusieurs cinéastes (Jean-Luc GODARD, Maurice PIALAT, Jacques TATI) alertaient déjà sur la deshumanisation, l'aspect mortifère de ces grands ensembles, leur insalubrité galopante et derrière, une volonté de contrôle absolu du vivant par le biais du bétonnage de la nature et donc des émotions. Il est d'ailleurs bien précisé que rien n'avait été prévu pour les enfants et les jeunes dans la cité sinon une forêt de panneaux d'interdictions, de même que pas un brin d'herbe ne pouvait pousser entre les dalles de béton.

Tous ces facteurs, combinés à la maltraitance subie par Christiane dans son enfance par son père, puis le divorce de ses parents et le délitement des liens familiaux qui en a résulté (facteurs peu évoqués dans le film et pas du tout dans le documentaire) explique ce qui ressemble à une interminable et cauchemardesque dérive dans la nuit (la très grande majorité du film se déroule en nocturne) dans des lieux sordides: une boîte de nuit glauque, un squat, des toilettes publiques et une station de métro délabrée, la Zoologischer Garten (un nom bien ironique quand on observe ce dédale souterrain sinistre) devenu le point de ralliement des jeunes tombés dans la spirale de la drogue et de la prostitution (pour se payer les doses). Comme dans la plupart des films traitant de l'addiction aux drogues dures et de ses dommages collatéraux, plusieurs scènes sont très crues, que ce soit dans la prise de drogue, les crises de manque ou les overdoses. Tous ces corps d'adolescents en souffrance, réduits à l'état de zombies, hurlant leur désespoir en lieu et place de leurs parents mutiques et absents ont quelque chose de si saisissant qu'ils n'ont pu que provoquer un électrochoc. Les sociétés occidentales y voyaient leur propre finitude au travers de l'autodestruction de leurs enfants. Une crainte qui nous poursuit toujours sous d'autres formes (écologiques notamment).

A noter que la bande originale du film a été composée par David BOWIE à partir de ses albums berlinois. Et le chanteur (dont est fan Christiane) fait une apparition dans le film quand celle-ci va le voir en concert.

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Logan Lucky

Publié le par Rosalie210

Steven Soderbergh (2017)

Logan Lucky

Pas très cliente du genre du film de casse en général mais celui-ci (par l'auteur de la série des "Ocean") est vraiment pas mal. D'abord le plan est ingénieux (il s'agit de mettre en place une "pompe à fric" genre gros aspirateur pour vider le coffre de la recette d'une course automobile). Ensuite il y a pas mal de traits d'humour. Le plus évident est d'avoir pris au pied de la lettre l'expression "équipe de bras cassés" puisque les frères Logan sont respectivement boiteux (pour Jimmy alias Channing TATUM) et manchot (pour Clyde alias Adam DRIVER). J'avoue avoir éclaté de rire quand le faux bras de Clyde est aspiré dans la pompe à fric, quand la bombe n'éclate pas car Joe "Bang" (Daniel CRAIG totalement à contre-emploi) le spécialiste de l'explosif (^^) a juste un peu trop entortillé le sac plastique qui la contient (mais avec un flegme olympien, il l'ajuste, la relance et ça fait "bang") ou encore quand le directeur de la prison empêche son employé de sonner l'alerte en mode autruche car il a décidé qu'il n'y avait jamais de révolte dans sa prison et qu'on ne s'y évadait jamais (ça fait penser à une institution bien de chez nous qui a pour mot d'ordre "pas de vagues"). Enfin, le côté Robin des bois/revanche sociale du film a quelque chose de bien senti (et s'il fait mouche, comme pour l'humour c'est que le film est particulièrement bien construit). Jimmy et Clyde sont des éclopés, des laissés pour compte de la société américaine qu'ils ont pourtant servi (Clyde a perdu son bras en Irak, Jimmy est un ancien champion de football) et j'adore le passage où leur marginalisation se retourne contre les agents du FBI (dont Hilary SWANK) venus enquêter sur le casse. Ils ne peuvent en effet tracer Jimmy car celui-ci n'ayant pu payer ses factures, il se retrouve dépourvu de mouchard numérique ^^. Au vu de la façon dont il se fait jeter au début du film de son travail juste à cause de son handicap ou bien le fait que sa relation à sa fille soit menacée par son ex-femme* qui ne jure que par un homme plein aux as, on se dit que c'est bien fait et que tel est pris qui croyait prendre**.

* Alors qu'à plusieurs reprises, Jimmy rencontre des femmes indépendantes dont une médecin de campagne (Katherine WATERSTON) qui semble ne pas le laisser indifférent.

** Il y a du "Hana-Bi" (1996) dans ce film-là même s'il n'atteint pas le niveau du chef-d'oeuvre de Takeshi KITANO.

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Illusions perdues

Publié le par Rosalie210

Xavier Giannoli (2021)

Illusions perdues

J'étais sûre quand je l'ai vu dans "Eté 85" (2019) que Benjamin VOISIN irait loin, grâce à son talent. Et il en faut du talent pour porter sur ses épaules le personnage de l'un des romans les plus importants de la Comédie humaine de Honoré de Balzac. L'adaptation passionnante de Xavier GIANNOLI est centrée sur l'histoire de Lucien de Rubempré, poète talentueux mais sans le sou, naïf et faible de caractère. Originaire d'Angoulême et monté à Paris avec de grandes ambitions comme Rastignac mais rapidement grisé par le succès de l'argent et le pouvoir facile que peut lui rapporter sa plume et obsédé par le désir d'effacer ses origines roturières en se faisant anoblir, il multiplie les faux pas jusqu'à la chute fatale. Le jeune homme veut concilier ce qui est inconciliable. Comme le disait Mme de Merteuil dans "Les liaisons dangereuses", "l'amour et la vanité sont incompatibles" et son incapacité à choisir ainsi que sa naïveté et sa méconnaissances des codes sociaux propres aux milieux qu'il fréquente causeront sa perte. Les précédents longs-métrages de Xavier GIANNOLI que j'ai pu voir présentent le même type de personnage imposteur dont le caractère tragique naît du fait qu'il croit en ses propres mensonges, encouragé par le miroir déformant que lui renvoie la société jusqu'à ce que celui-ci se brise, brisant alors le personnage avec lui tant celui-ci a finit par se confondre avec son illusion (Marguerite et sa voix fausse, Paul et sa fausse entreprise).

Parallèlement au destin très romanesque du jeune homme, Honoré de Balzac dresse dans le roman un portrait féroce de son époque (la Restauration) et en particulier du milieu journalistique qu'il connaissait très bien pour y avoir travaillé et qu'il détestait. Xavier GIANNOLI fait particulièrement bien ressortir ce qu'il y a de commun entre l'époque de Balzac et la nôtre. Et pour cause: les années qu'il décrit sont celles de l'arrivée de la première révolution industrielle en France (évoquée à travers l'exemple de la rotative dans le film qui permet la naissance de la presse à grand tirage même si celle-ci ne deviendra un média de masse qu'avec la III° République et la généralisation de l'instruction primaire à la fin du siècle) et avec elle, du capitalisme et sa logique du profit maximal. L'information est donc dévoyée par la marchandisation et la corruption, que ce soit dans la presse libérale où Lucien fait ses gammes ou bien dans la presse royaliste à qui il se vend lorsqu'il espère ainsi obtenir son titre de noblesse. Le parallèle avec la prostitution est d'ailleurs montré de façon flagrante lorsque l'illusion de l'amour se dissipe et que le mécénat de sa première maîtresse se concrétise de manière sonnante et trébuchante en échange de faveurs sexuelles. Le summum de la supercherie est atteint avec le portrait d'éditeurs analphabètes comme Dauriat (Gérard DEPARDIEU, plutôt sobre) ou de mercenaires payés pour faire applaudir ou au contraire faire huer un spectacle (Jean-François STÉVENIN dans l'un de ses derniers rôles). Quant aux recettes pour "faire le buzz", on découvre que l'ère numérique ne les a absolument pas inventées. C'est Vincent LACOSTE dans le rôle de Lousteau, un rédacteur en chef qui est chargé d'initier Lucien (et le spectateur) aux ficelles des requins de la presse-finance et on se régale avec des répliques assassines sur l'art d'écrire un article de mauvaise foi ("si l'article est intelligent il est complaisant, s'il est émouvant, il est larmoyant, s'il est drôle, il est superficiel, classique, il est académique" etc.) Le tout est emballé avec une grande vivacité d'interprétation et de réalisation sans pour autant que cela ne paraisse confus.

Si le personnage de Nathan (joué par Xavier DOLAN) vient apporter un peu de hauteur au coeur de toute cette fange, la version de Xavier GIANNOLI avec la mise à mort de la jeune compagne-actrice de Lucien, Coralie (jouée par Salomé DEWAELS) fait nettement pencher la balance en faveur du cynisme, de la noirceur et de l'amertume. Et si toute la corruption et la malhonnêteté intellectuelle dépeintes sont plus que jamais d'actualité (d'ailleurs cela m'a bien éclairé sur certains comportements de journalistes dont on sent les réflexes idéologiques ou la complaisance vis à vis des réseaux influents par le pouvoir et l'argent plus que la volonté de transmettre des sentiments authentiques sans parler de l'origine du mot "canard" pour qualifier les journaux dont j'ignorais qu'il qualifiait les "fausses rumeurs" et donc aujourd'hui les "fake news" puisque les anglicismes se sont imposés dans toute l'économie), il n'en reste pas moins que le "quatrième pouvoir" (expression que l'on doit d'ailleurs à Balzac) est indispensable à la démocratie. Il est dommage que la tentative de Charles X pour restaurer l'absolutisme en faisant notamment museler la presse (ce qui entraîna la révolution de 1830) soit juste montrée comme une opération "mains propres" vis à vis de personnages n'ayant aucune déontologie (il faut voir comment l'expression "liberté de la presse" résonne dans la bouche de Lousteau). C'est pourquoi un visionnage de "Les Hommes du Président" (1976) me paraît indispensable pour montrer qu'il existe plusieurs formes de journalisme et que l'opposition ne se réduit pas comme le montre le film (qui dépeint aussi la vision exécrable que Balzac entretenait avec les journalistes) entre l'art et la "putapresse".

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Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturica (1993)

Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

La seule chose que j'avais retenu de ce film, c'était sa BO que j'avais énormément écouté à l'époque et que je connais par coeur. Mais le film en lui-même, je l'avais oublié et pour cause: le scénario, extrêmement faiblard est décousu et répétitif et les personnages sont parfaitement creux. D'ailleurs ils se ressemblent tous. Les jeunes sont des losers paumés assez pathétiques quand ils ne sont pas carrément suicidaires alors que leurs parents qui se comportent en grands enfants vivent dans le déni de leur âge en transgressant les barrières générationnelles. Elaine (Faye DUNAWAY) croque les jeunots pendant que Leo (Jerry LEWIS) épouse une jeune fille qui a le presque le même âge que son neveu, Axel (Johnny DEPP) qui est aussi l'amant d'Elaine, au grand dam de sa belle-fille, Grace (Lili TAYLOR) qui se consume de désespoir pour cet homme qu'elle ne peut pas avoir. Emir KUSTURICA superpose maladroitement leurs rêves (s'envoler, s'évader) avec ceux qui ont fondé la civilisation des USA (la Cadillac, le western, le voyage lunaire et bien sûr le cinéma qui est abondamment cité, de "Autant en emporte le vent" (1938) à "La Mort aux trousses" (1959), "Le Parrain, 2e partie" (1974) et "Raging Bull") (1980). Tout cela fonctionne en autarcie sans guère de lien avec la réalité (le métaphore du ballon est assez explicite) et ne mène nulle part sinon à la mort. Même les quelques effets spéciaux paraissent datés. Bref c'est l'exemple d'un film qui a marqué son époque mais qui avec le temps a révélé sa vacuité.

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La vie est un long fleuve tranquille

Publié le par Rosalie210

Etienne Chatiliez (1988)

La vie est un long fleuve tranquille

Je n'avais pas spécialement l'intention de revoir ce film un jour. Mais la nouvelle du décès d'André WILMS que j'aimais beaucoup, notamment dans "Le Havre" (2011) m'a rappelé qu'il avait joué dans ce film (je l'avais totalement oublié en effet, l'ayant vu il y a si longtemps!) Il y est évidemment brillant en bourgeois coincé, sa force comique étant de sortir des énormités en conservant un visage aussi impassible que celui de Buster KEATON ("je suis l'albinos de la famille" [du petit africain qu'il protège] dans "Le Havre", "Vous me faites bander, Marielle" dans "La Vie est un long fleuve tranquille"). Mais toute la distribution est au diapason. Hélène VINCENT qui joue son épouse, Mme Le Quesnoy s'est mainte fois illustré depuis dans des rôles de bourgeoises très BCBG qu'un petit grain de sable (ou de folie) vient faire dérailler ("Marie-Francine" (2017), "Le Sens de la fête" (2016) etc.) Entre eux, l'objet de tous les regards, c'est Maurice, leur fils biologique élevé par une famille des antipodes socialement parlant, les Groseille, des prolos vulgaires vivant à la limite de la marginalité. C'est en effet le rôle qui a révélé Benoît MAGIMEL alors tout jeune adolescent. Par delà l'hilarante satire* des deux milieux que tout oppose et que le destin réunit (de façon un peu forcée, il faut bien le dire), il est intéressant de constater deux manières de réagir face à ce qu'on peut qualifier de double identité. Alors que Maurice fait preuve de grandes capacités d'adaptation, se coulant facilement dans sa nouvelle position sociale privilégiée sans renier pour autant le milieu dans lequel il a été élevé, Bernadette, la fille biologique des Groseille élevée par les Le Quesnoy connaît à l'inverse une crise d'identité, se repliant sur elle-même et sombrant dans la dépression en rejetant les deux milieux.

Enfin que serait la comédie de Étienne CHATILIEZ sans son "hit" devenu culte, "Jésus revient" chanté par Patrick BOUCHITEY tout comme le film en lui-même dont le concept d'échange de bébés à la naissance a fait florès depuis dans le monde entier (dernièrement "Madres paralelas" (2021) mais aussi "Tel père, tel fils") (2013).

* Celle des Le Quesnoy est particulièrement bien sentie à chaque fois que le couple se retrouve empêtré dans les contradictions inhérentes à l'hypocrisie de la morale catholique. C'est particulièrement flagrant dans la scène où la bonne Marie-Thérèse (Catherine JACOB) prétend que sa grossesse est une "immaculée conception" (on retrouve le même mensonge dans "L Événement" (2021) montrant à quel point le tabou de la sexualité était puissant dans les mentalités imprégnées de catholicisme). Autre scène absolument jouissive, quand la plus jeune des Le Quesnoy avoue benoîtement à sa mère outrée mais piégée par l'éducation qu'elle lui a donné (la fameuse "charité chrétienne") avoir échangé sa belle poupée contre une autre en piteux état car "c'est une bonne action de donner à une petite fille pauvre".

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Panique

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1946)

Panique

Il y a comme qui dirait un petit parfum d'expressionnisme allemand dans ce film d'après-guerre réalisé par Julien DUVIVIER d'après le roman de Georges Simenon "Les fiançailles de M. Hire*". Tant sur le fond que sur la forme. La noirceur, le pessimisme, le jeu des ombres sur les murs, le travail de reconstitution d'un quartier en studio mais pas seulement. Le fait de ne pas contextualiser le film alors qu'on ressent profondément le climat délétère lié à l'épuration encore toute proche** établit un lien assez frappant avec celui non moins délétère dans lequel fut tourné "M le Maudit" (1931) (l'agonie de la République de Weimar, la montée du nazisme). D'une certaine manière "Panique" est le résultat du "viol des foules", processus de deshumanisation entamé avec la première guerre mondiale qui priva l'homme de son individualité au profit de la masse avec des procédés de terreur et de persuasion que récupérèrent les régimes totalitaires et qui furent portés à leur plus haut degré de perfection avec la seconde guerre mondiale. Cette disparition de l'individualité au profit du troupeau et de la raison au profit du déchaînement des instincts primaires est au coeur des deux films.

Pourtant de prime abord, le décor (reconstitué en studio comme celui de "M le Maudit") (1931) semble à l'opposé de ceux de l'expressionnisme allemand: une grande place bien dégagée et lumineuse et une fête foraine. Sauf qu'il s'agit d'un espace clôturé de tous les côtés et que les manèges tournent en rond dans un cercle de plus en plus étouffant, de plus en plus infernal au fur et à mesure que le film avance. Pas d'échappatoire possible. Face à la foule déchaînée qui se jette sur lui pour le lyncher, M. Hire (Michel SIMON) se réfugie sur les toits, hors de leur atteinte mais son sort funeste souligne que la seule alternative à cette fange humaine est le ciel, c'est à dire d'au-delà.

Qu'a-t-il donc fait ce M. Hire pour fédérer la haine d'un quartier tout entier? Il a tout du mouton noir qui à la première étincelle se transforme en bouc-émissaire d'une société qui préfère rejeter sur autrui toute la vilenie dont elle s'est rendue coupable pendant la guerre. Dans le film de Julien DUVIVIER il n'est pas mentionné que M. Hire est juif, il est juste solitaire, excentrique, misanthrope et mal aimable et cela suffit à susciter la défiance du boucher qui n'aime pas ses manières rudes ou d'une voisine qui voit des intentions malveillantes dans le fait qu'il offre des cadeaux à sa petite fille (encore une allusion à "M le Maudit" (1931)?) Une étincelle suffit donc pour transformer ce suspect en puissance en coupable idéal à jeter en pâture à la vindicte populaire. L'étincelle, c'est un crime crapuleux resté irrésolu. Ceux qui livrent M. Hire au lynchage sont le véritable criminel, Alfred (Paul BERNARD) et sa maîtresse, Alice (Viviane ROMANCE). Si le premier est un salaud intégral dissimulant sa perversité sous une épaisse couche d'hypocrisie sociale, la seconde est un personnage bien plus intéressant. A la fois bourreau et victime, elle est manipulée par Alfred qui la tient sans doute par pure passion physique (l'homme maudit par ses bas instincts) et a réussi à obtenir d'elle qu'elle se fasse emprisonner à sa place lors d'un précédent larcin (et tout ça, avec le sourire de l'idiote énamourée qui croit vivre le grand amour alors qu'elle se fait avoir jusqu'à l'os). Avec M. Hire, c'est un peu différent. Si elle fait consciencieusement tout ce que son amant lui demande (le séduire, le compromettre, le livrer à la foule etc.), ses sentiments lui indiquent qu'elle fait fausse route et elle se retrouve prise dans une situation inextricable. Car si M. Hire (lui aussi rattrapé par ses bas instincts... et son indécrottable idéalisme romantique) tombe sous son charme et ne voit pas son double jeu, il cerne bien sa personnalité profonde (qui a des similarités avec la sienne), créé une véritable intimité avec elle et veut la sauver, comme elle veut sauver Alfred. Illusions qui les perdront, l'un et l'autre. Le seul à y voir clair dans toute cette comédie (la place ressemble aussi à une agora ou à une scène de théâtre) est le secrétaire du commissaire (Charles DORAT) dont le regard perçant (les cadrages sont admirables, permettant de saisir les moindres nuances d'expressions des personnages ainsi que les non dits dans leurs interactions) et les questions précises démasquent sans difficulté le vernis de bonne conduite sociale d'Alfred, le trouble puis l'accablement d'Alice et enfin, la preuve du véritable coupable que M. Hire avait soigneusement dissimulée comme une bombe à retardement. Le fait que ce soit une photographie est aussi une mise en abyme du film lui-même.

* Nom qui m'a paru familier car même si je ne l'ai pas vu, j'ai beaucoup entendu parler à sa sortie du film de Patrice LECONTE, "Monsieur Hire" (1989), lui aussi adapté du roman de Simenon.

** Viviane Romance, l'interprète d'Alice, avait été incarcérée (mais seulement quelques jours) à la Libération pour avoir fait de la propagande avec d'autres acteurs français en faveur de la collaboration.

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Pépé le Moko

Publié le par Rosalie210

Julien Duvivier (1937)

Pépé le Moko

Si j'ai des réserves sur certains films de Julien DUVIVIER (relatifs au scénario), ce n'est pas le cas de "Pépé le Moko", film noir à la française génialement transposé dans l'Algérie coloniale. Génialement car avec la Casbah d'Alger, Duvivier a trouvé un équivalent aux quartiers de la pègre des grandes villes américaines, l'exotisme en plus*. Présentée de façon quasi-documentaire au début du film**, la Casbah (la vieille ville arabe située sur les hauteurs d'Alger et cernée par les quartiers européens plus récents) est un dédale urbain de ruelles étroites et emmêlées mal contrôlées par les autorités françaises qui a servi de bastion au FLN pendant la guerre d'indépendance. Il est donc logique qu'à l'époque coloniale, ce quartier ait servi de refuge à tous ceux qui pour une raison ou pour une autre cherchaient à échapper aux autorités. Ce contexte historique très riche se marie avec une topographie, une architecture et une atmosphère unique que Julien Duvivier et son équipe ont parfaitement reconstitué en studio pour narrer un destin indissociable de lui. La virtuosité formelle et la qualité des dialogues de Henri JEANSON sert la limpidité du propos. Car que raconte au fond ce film sinon l'histoire d'un déraciné (un dangereux malfaiteur parisien recherché par la police) qui a trouvé refuge dans la Casbah mais qui s'y sent emprisonné puisqu'il sait qu'il ne peut mettre un pied dehors sans être arrêté. Le film est d'une fatalité implacable: pour lui n'existe aucun échappatoire, aucune planche de salut ici-bas: c'est derrière des barreaux qu'il voit son rêve de liberté et de retour au pays s'envoler. Plus que l'intrigue à la "Scarface" (1931) avec ses truands typés (le jeunot, le grand-père, le gros bras etc.), son flic retors, sa femme fatale et ses indics (Fernand CHARPIN et Marcel DALIO dont les méthodes ne brillent pas par leur subtilité, le premier étant même au centre d'une scène de règlement de comptes impressionnante) c'est la mélancolie du personnage porté par Jean GABIN chantant sa nostalgie du Paris perdu et des autres marginaux qui l'accompagnent (dont une poignante FRÉHEL, chanteuse alors oubliée dans un rôle autobiographique) qui donne toute sa profondeur au film, historiquement "habité".

* Juste retour des choses, "Pépé le Moko" (1937) inspirera quelques années plus tard "Casablanca" (1942).

** Mais pas de façon neutre: dans les années 30, le gouvernement français cherche à convaincre une population métropolitaine relativement indifférente de l'intérêt de son Empire colonial ("la plus grande France"). L'exposition coloniale de 1932 au bois de Vincennes s'inscrit donc dans le même effort propagandiste que "Pépé le Moko" ce qui n'enlève rien à sa valeur historique documentaire.

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Mort sur le Nil (Death on the Nile)

Publié le par Rosalie210

John Guillermin (1977)

Mort sur le Nil (Death on the Nile)

En rachetant la Fox en 2019, Disney a eu accès à un catalogue de films et de séries qui lui a permis de lancer sa propre plateforme de streaming, Disney +. "Mort sur le Nil" réalisé en 1977 par John Guillermin figure en bonne place dans cette offre et ce d'autant plus que la sortie du remake réalisé par Kenneth Branagh la même année et qui devait servir de vitrine à la plateforme a été repoussée de deux ans suite à la crise du covid et aux accusations de viol touchant l'interprète de Simon Doyle, Armie Hammer. Disney ne pouvait pas tout prévoir! 

Comme "Le crime de l'Orient-Express", "Mort sur le Nil" est un whodunit c'est à dire une enquête à huis-clos façon Cluedo dans un moyen de transport mettant en scène le détective belge Hercule Poirot et un aéropage de représentants plus ou moins excentriques de la haute société britannique qui ont tous un lien avec le crime commis. Comme l'adaptation cinématographique de "Le crime de l'Orient-Express" par Sidney Lumet en 1974, celle de John Guillermin qui traversait alors sa meilleure période cinématographique réunit un casting prestigieux (Bette Davis, Mia Farrow, Maggie Smith, Angela Lansbury etc.). Peter Ustinov qui reprend le rôle de Hercule Poirot après que Albert Finney ait décliné l'offre est savoureux. La mise en scène est inventive, que ce soit dans l'utilisation d'un site antique pour une scène à suspense, les visualisations des scènes de meurtres sous différents angles et avec différents suspects ou certains traits d'humour (ainsi le personnage joué par Angela Lansbury raconte qu'elle était sortie admirer le paysage alors qu'un flashback la montre en train d'acheter en douce des bouteilles de gin). On peut également souligner la qualité de l'adaptation (le scénario est de Anthony Shaffer qui a signé aussi ceux de "Frenzy" et de "Le Limier"), de la musique (par Nino Rota) et de la photographie. Le résultat est un divertissement réussi, même si le procédé est éventé depuis longtemps (le spectateur devine très vite qui est le véritable coupable).

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L'Avventura

Publié le par Rosalie210

Michelangelo Antonioni (1960)

L'Avventura

La mort de Monica VITTI a remis en lumière l'importance des films qu'elle a tourné avec Michelangelo ANTONIONI dans l'histoire de la cinématographie mondiale et en particulier le premier d'entre eux, "L'Avventura" qui l'a révélée. Bien que présenté comme un film en rupture avec les courants cinématographiques qui l'ont précédé (le classicisme, le néoréalisme etc.), "L'Avventura" se positionne plutôt comme un héritier qui propose quelque chose de nouveau. Un héritier car "Une femme disparaît" (1938) et qui dans "Psychose" (1960) disparaît au bout d'une demi-heure de film pour ne plus revenir alors qu'il était présenté comme le personnage principal renvoie à Alfred HITCHCOCK. Mais Michelangelo ANTONIONI refuse la voie du thriller psychologique et emprunte un chemin plus déroutant, celui de l'errance existentialiste dans laquelle la disparue s'évanouit des mémoires autant que du récit pour ne plus laisser qu'un grand vide. Sa recherche sur l'île rocheuse par ses amis prend la forme d'une errance labyrinthique dans le désert, errance qui renvoie chacun à son grand vide intérieur et à sa quête de sens dans un monde gagné par l'absurde. Car la bourgeoisie dépeinte dans le film transpire un profond mal-être, incapable qu'elle est d'aimer et de créer. Les paysages de ruines, les artères urbaines désolées, les salles immenses que traversent ensuite Sandro, le fiancé et Claudia, la meilleure amie de la disparue reflètent cet état de fait. Partis tous deux pour soi-disant enquêter sur la disparition d'Anna (soit un schéma qui rappelle encore une fois celui de "Psychose") (1960), ils oublient celle-ci en chemin, s'en servant comme prétexte pour entamer une liaison qui semble aussi vaine que celles qui l'ont précédé dans l'histoire, que ce soit celle de Sandro et Anna ou celles de leurs amis mondains. Le pire étant le couple disparate formé par Corrado et Giulia qui se venge des humiliations que lui fait subir son époux bien plus âgé, imbu de sa soi-disant supériorité culturelle et qui ne perd pas une occasion pour l'humilier en cédant aux avances d'un très jeune peintre. D'ailleurs les cadres très picturaux que Sandro et Claudia traversent font penser au dépouillement, à la minéralité et aux formes architecturales des tableaux de Giorgio de Chirico.

Néanmoins on ne peut réduire "L'Avventura" à ce versant nihiliste. Parce que s'il n'était que cela, aussi beau soit-il, il ne serait pas un grand film, un film inspirant pour les générations suivantes (Lars von Trier lui doit à mon avis beaucoup). La disparition d'Anna et de son actrice, Lea MASSARI permet à sa meilleure amie et donc à Monica VITTI qui était jusque là en position périphérique de passer au premier plan et de l'inonder de lumière. Le magnétisme que dégage son visage envahit l'écran et ne le quitte plus. Et contrairement à Sandro (Gabriele FERZETTI) qui semble vivre en mode automatique et que rien ne semble affecter, Claudia ressent bien plus que les autres la perte de son amie et les contradictions qui l'accompagnent (tristesse, manque mais aussi culpabilité et peur que celle-ci ne resurgisse quand elle entame une liaison avec Sandro). Une autre contradiction -qui n'est qu'apparente- la traverse, entre la solitude qui l'entoure (c'est le seul personnage non accompagné de l'histoire et elle ne peut former un couple qu'au prix de la disparition d'un autre) et le regard pesant que la société pose sur elle (les cadres se peuplent soudain de gens au regard inquisiteur auxquels elle a du mal à échapper). Enfin, c'est le seul personnage qui semble connecté à une dimension invisible qui s'invite dans le film à plusieurs reprises quand l'image et la bande-son laissent entrer les puissances de la nature: mouvement des vagues, force du vent. Et c'est là que je n'ai pu m'empêcher de penser à un film postérieur d'une quinzaine d'années à "L'Avventura" mais qui présente de troublantes similitudes avec lui: "Pique-nique à Hanging Rock" (1975) de Peter WEIR et ses adolescentes blondes ultra-civilisées évaporées sans explication dans la nature, comme "avalées" dans les anfractuosités d'un site rocheux dont on ne parvient pas à percer le mystère (celui du gouffre insondable du désir et de la sexualité).

Cette dualité est parfaitement résumée dans la dernière scène et à l'intérieur de celle-ci par la dernière image du film, absolument fascinante. Bien qu'une scène antérieure nous fasse comprendre que derrière sa minéralité de façade, Sandro n'est en fait qu'un bloc de frustrations (l'incapacité de créer, encore), il faut attendre la fin pour voir enfin ce monolithe de pierre se fissurer et quelque chose d'humain apparaître derrière, quelque chose d'accablé et de vaincu auquel Claudia répond, non sans hésitation. On voit alors l'image se couper en deux de manière parfaitement symétrique: le mur de pierres à droite et l'ouverture à gauche avec le couple regardant un paysage dans le lointain.

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