Plus étriqué dans le monde qu'il dépeint que "Le Goût des autres" (1999), "Comme une image" ne manque néanmoins pas de qualités. En effet la satire du microcosme intello-gaucho-bobo-parigot se double d'un portrait sensible de Lolita (Marilou BERRY), jeune femme enrobée qui se sent rejetée de ce milieu. Il faut dire que sans l'aval du nom du père, aucune porte ne s'ouvre devant elle, pas même celle des boîtes de nuit qui d'ailleurs jettent également à ses pieds un certain "Sébastien" qui s'avère s'appeler Rachid. Mais qui est-il ce père finalement dont le nom et l'attitude fait instantanément retourner la veste des taxis mal embouchés, des profs de chant débordés, des tâcherons de l'écriture et des vedettes de la TV? Pas grand-chose à vrai dire. Jean-Pierre BACRI est impérial dans le rôle antipathique du type dont les poches débordent de ce type de cadeaux empoisonnés qui font de ceux qui les acceptent ses obligés mais qui en réalité n'a strictement rien à donner de ce dont sa fille aurait le plus besoin: de l'attention, de l'estime, de la considération. L'émancipation par le chant de Lolita est certes une façon (vaine) d'attirer l'attention de son père mais aussi une manière de s'élever au dessus du marigot (intello-gaucho-bobo-parigot) afin d'y voir plus clair. Car bien que très amère de ne susciter l'intérêt que pour son "image" (la carte de visite de son père serait un terme plus exact), Lolita n'est pas toujours lucide et accorde sa confiance à des gens qui n'en valent peut-être pas la peine ou à l'inverse qui s'avèrent plus intègres qu'elle ne le croit. Le petit monde filmé par Agnès JAOUI et scénarisé par le duo a beau donc être rempli de faux-semblants (et parfois de maladresses), il s'avère sonner juste.
En dépit du changement d'époque, du changement de lieu, du changement de contexte par rapport à "M le Maudit" (1931) réalisé vingt ans plus tôt, "M", son remake réalisé par Joseph LOSEY, montre que l'histoire se répète. On assiste en effet dans les deux cas à la montée en puissance du fascisme dans une société démocratique, avec un intense climat de paranoïa propice à la délation, à la chasse à l'homme et au lynchage avec une persécution des artistes trop libres, n'ayant bien souvent que le choix de l'exil. Peu de temps après avoir tourné "M", Joseph LOSEY est en effet contraint de quitter les Etats-Unis pour l'Europe afin d'échapper à la chasse aux sorcières du maccarthysme qui l'avait blacklisté en raison de ses sympathies communistes. Il est d'ailleurs étrange que Fritz LANG qui n'appréciait pas l'idée que son chef d'oeuvre fasse l'objet d'un remake n'ait pas vu le parallélisme entre sa situation au début des années 30 et celle de Joseph LOSEY au début des années 50. Dommage pour lui.
Toujours est-il qu'après avoir été longtemps éclipsé par son illustre aîné, "M" a aujourd'hui refait surface et c'est tant mieux. En effet la version de Losey, tout aussi sinon même plus contrainte par la censure que celle de Lang parvient néanmoins à l'égaler en puissance tout en s'inscrivant dans un cadre plus réaliste et plus moderne dans la lignée des films noirs américains et non plus dans celle de l'expressionnisme allemand. Les personnages évoluent en effet avec la fluidité des plans-séquence dans les décors naturels de la ville de Los Angeles qui sont remarquablement utilisés pour isoler le tueur du reste de la ville ou au contraire lui permettre de s'y fondre. L'influence de la psychanalyse a aussi un impact sur le portrait qui est fait du tueur qui apparaît moins comme un dément incapable de comprendre l'origine de ses pulsions que comme une victime passe-partout de ses parents dans son enfance et d'une société normative qui cautionne les violences infra-familiales tant qu'elles servent à maintenir l'ordre. Car oui, "M" a beau dater des années cinquante, son aspect le plus intimiste est lui d'une brûlante actualité lorsqu'on écoute la confession finale d'un tueur qui est ramené au niveau de ses victimes. En effet en ces temps de libération de la parole, il est plus que jamais nécessaire de comprendre que c'est le déni des violences subies dans l'enfance qui fait le lit des violences de l'âge adulte.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.