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Les 3 Boutons

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (2015)

Les 3 Boutons

Court-métrage de Agnès VARDA présenté au festival de Venise en 2015, "Les 3 Boutons" fait partie d'un ensemble de 16 courts-métrages regroupés sous le titre "Women's tales" réalisés par diverses actrices et réalisatrices pour la marque de haute couture Miu Miu (filiale du groupe Prada). Le cahier des charges précisait que les films devaient répondre à des questionnements tels que: comment les femmes se perçoivent-elles elles-mêmes ? Quel est leur regard sur les autres femmes ? L’apparence des femmes n’est-elle pas aussi politique ?

Agnès Varda a choisi de s'amuser avec les clichés entourant la robe de princesse et les contes de fées. Rendant au passage un subliminal hommage au "Peau d âne" (1970) de son mari défunt, elle narre l'histoire d'une bergère de 14 ans du sud de la France qui reçoit en cadeau une magnifique robe de haute couture. En l'enfilant, la voilà projetée non comme on pourrait le penser dans un magnifique palais un soir de bal où les prétendantes se bousculent pour obtenir les faveurs du prince charmant mais dans un univers on ne peu plus réaliste, celui des études puis de la montée à Paris (un changement de lieu mis en scène par un effet de montage du plus bel effet puisque le travelling sur un muret de pierres se prolonge avec un raccord parfait par celui bordant le mur entourant un cimetière parisien). Monde dans lequel la jeune fille, Jasmine fait son apprentissage en côtoyant du beau linge ^^ mais aussi la misère sous les ponts. Durant son itinéraire (elle passe notamment devant la maison de Agnès Varda rue Daguerre), elle perd des boutons, comme le petit Poucet, lesquels sont ramassés à Paris par un collectionneur et à la campagne par un petit garçon qui le plante dans la terre, le bouton se transformant en graine puis en fleur. Le tout est emballé avec des dialogues poétiques jouant sur des associations de mots et d'idées créant des images parfois surréalistes (la mine et la mineure, la basse cour et la haute couture etc.)

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Dracula

Publié le par Rosalie210

Tod Browning (1931)

Dracula

"Dracula" n'est pas le premier film consacré au célèbre vampire transylvanien créé par Bram Stoker puisqu'il y avait eu quelques années auparavant le chef d'œuvre muet de Friedrich Wilhelm MURNAU, "Nosferatu le vampire" (1922). Mais c'est le premier film officiel puisque Murnau n'avait pas acheté les droits du roman. Force est de constater que bien que mythique dans le genre, il n'a pas réussi à s'imposer au panthéon de la cinématographie mondiale au contraire du film de Murnau et de "Frankenstein" (1931) de James WHALE sorti quelques mois plus tard. C'est sans doute lié au fait que le film d'Universal est inégal. L'œuvre adaptée n'est en effet pas le roman de Bram Stoker mais la pièce de théâtre qui en a été tirée. Et cet aspect théâtral se fait un peu trop ressentir dans la deuxième partie du film qui se résume beaucoup à des conversations de salon au détriment du rythme et du langage visuel propre au cinéma. C'est d'autant plus dommage que l'ouverture du film était plus que prometteuse avec des décors grandioses, une photographie à tomber par terre (normal, c'est le grand chef opérateur allemand Karl FREUND qui officie à ce poste), une atmosphère bien glauque et une interprétation magnétique d'un Bela LUGOSI littéralement habité par son personnage (qu'il interprétait déjà au théâtre). Toutes les scènes où il apparaît, drapé dans sa grande cape noire avec son maintien aristocratique et son élocution lente et onctueuse et encore plus celles où il est filmé en gros plan avec son regard perçant, hypnotique magnifié par la photo de Freund fascinent aujourd'hui encore. Une fois possédé, Dwight FRYE dans le rôle de son visiteur Renfield fournit une prestation hallucinée également tout à fait remarquable. Enfin en dépit de la mise en scène trop sage de la partie londonienne, on ressent bien ce que cette histoire a de subversif sexuellement parlant. En effet il y a beaucoup de plans de Dracula pénétrant dans les chambres de jeunes femmes endormies sous sa forme de chauve-souris avant de les dévorer ^^ (du regard, les morsures restant suggérées). L'aspect morbide de la relation charnelle entre Mina (Helen CHANDLER) et Dracula est indissociable d'une aura romantique dont son fiancé officiel, John Harker (David MANNERS) est totalement dépourvu. D'ailleurs comment pourrait-il la protéger et de quoi puisqu'à lui, sa chambre est défendue.

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Les Enfants du Temps (Tenki No Ko)

Publié le par Rosalie210

Makoto Shinkai (2019)

Les Enfants du Temps (Tenki No Ko)

"Les enfants du temps" est le dernier film de Makoto SHINKAI le réalisateur du très remarqué "Your name" (2016). Mais "Les enfants du temps" lui est encore supérieur en jouant avec virtuosité et une grande précision sur deux tableaux, celui de l'hyper réalisme et celui du fantastique poétique. Le titre est très approprié car effectivement les enfants du film sont bien de "leur temps", un temps de crise sociale et écologique aigüe. Les héros sont des adolescents laissés-pour-compte de la société, livrés à eux-mêmes et tentant de survivre dans la jungle urbaine de Tokyo comme dans "Le Garçon et la Bête" (2015). Peu à peu, on les voit tenter de reconstruire quelque chose qui ressemble à un foyer. Mais comme dans "Une Affaire de famille" (2018) ils sont rapidement inquiétés par les autorités alors que le seul adulte qui leur a tendu la main se dérobe à son tour, de peur de ne plus pouvoir rendre visite à sa propre fille, lui aussi ayant vu sa famille se faire atomiser. Et bien qu'en ces temps troublés par les catastrophes écologiques à répétition, c'est le feu qui occupe le devant de la scène, la montée des eaux est tout aussi préoccupante. Makoto SHINKAI imagine quelque chose qui ressemble au Déluge. Une pluie diluvienne qui ne peut être interrompue que par le sacrifice d'une "fille-soleil" dotée de pouvoirs paranormaux. Mais le garçon qui l'aime se révolte contre l'injustice qui consiste à échanger une innocente contre le sauvetage d'une société malade et préfère vivre avec elle dans une ville noyée sous les eaux et "sans soleil". Comment ne pas voir dans ce thème un hommage à Chris MARKER et son documentaire sur les "pôles extrêmes de la survie" incluant le Japon, seul pays riche à avoir conservé un tel degré de conscience de sa fragilité intrinsèque et de ce fait à avoir gardé un lien puissant avec les forces invisibles. Hina la "fille-soleil" étant reliée au ciel de par sa nature même, elle a le pouvoir de provoquer des éclaircies ou de faire tomber la neige en plein milieu de l'été.

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Le Monde perdu (The Lost world)

Publié le par Rosalie210

Harry O. Hoyt (1925)

Le Monde perdu (The Lost world)

"Le Monde perdu" est l'œuvre matricielle d'où sont sortis des films de monstre tels que les "Jurassic park" (du côté des USA) et les "Godzilla" (du côté du Japon). Il préfigure également le premier chef- d'œuvre parlant du genre "King-Kong" qui reprend la même technique mélangeant prises de vue réelles et animation en stop motion pour les créatures fantastiques ou disparues. "Le Monde perdu" et "King Kong" sont les deux réussites les plus éclatantes de Willis O'Brien, l'inventeur et le metteur en scène de cette technique d'effets spéciaux*. En dépit de leur âge, les scènes mettant en scène les dinosaures restent impressionnantes (dommage qu'il y ait parmi eux un homme déguisé en singe qui ne fait quant à lui pas du tout illusion). Il y a même devant leur fuite éperdue devant l'éruption volcanique et l'incendie géant qui en résulte une étrange résonnance contemporaine.

Ceci étant si "King Kong" est davantage passé à la postérité que "Le Monde perdu" (sauf via des citations dans ses avatars contemporains) c'est à cause principalement de son scénario. Celui du "Monde perdu", adapté du livre éponyme de Sir Conan Doyle (le père de Sherlock Holmes) paru en 1912 relève du récit d'aventure divertissant à la Jules Verne ou H.G Wells** alors que celui de "King-Kong", bien que présentant des similitudes avec celui du "Monde perdu" (dont il s'est sans doute inspiré) est plus érotique, plus tragique et intègre une puissante dimension de critique politique et sociale. Bref il y a comme une différence de maturité ^^. Le contexte des deux films a sans doute une incidence dans leur tonalité. "Le Monde perdu" a été écrit à la Belle Epoque et réalisé durant les "roaring twenties" alors que "King Kong" date du début des années 30 alors que sévissait la grande crise. 

* Ici assisté de Marcel Delgado qui créa les modèles réduits de sauriens à l'aide d'une armature métallique recouverte de caoutchouc et de matière spongieuse afin de faire illusion à l'écran.

** Le dénouement du "Monde perdu" peut être considérée comme l'histoire de la genèse du monstre du Loch Ness.

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The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy

Publié le par Rosalie210

Willis O'Brien (1915)

The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy

"The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" est le premier film réalisé par Willis O'Brien en 1915. Il combine ses deux passions: les dinosaures et l'animation en stop motion dont il est un pionnier. C'est en effet en manipulant des figurines en pâte à modeler qu'il fabriquait lui-même qu'il a eu une idée géniale. En s'inspirant des techniques utilisées pour animer les dessins il a l'idée d'enregistrer millimètre par millimètre tous les déplacements de ses figurines pour que le défilement des images créé l'illusion du mouvement. Après un essai concluant d'une durée de une minute montrant un combat entre un homme des cavernes et un dinosaure, il décide de créer un court-métrage d'animation avec cette technique, c'est "The Dinosaur and the missing link: a prehistoric tragedy" qui en dépit de son titre est comique et se situe quelque part entre les "Pierrafeu", la partie préhistorique de "Les Trois âges" (1923) et pour les anachronismes tels que "je vous offrirai bien le thé mais celui-ci n'a pas encore été inventé", "The Three Must-Get-There" (1922). Par la suite, Willis O'Brien a perfectionné cette technique dans le domaine des effets spéciaux pour le cinéma de science-fiction en prises de vues réelles qui offrait plus de débouchés que les films d'animation avec la consécration de "King Kong" (1932). Il faut d'ailleurs souligner que si ce court-métrage a été réalisé en 1915, il n'est sorti qu'en 1917 lorsque la compagnie Edison l'a acheté et l'a distribué.

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The Ghost of Slumber mountain

Publié le par Rosalie210

Willis O'Brien (1918)

The Ghost of Slumber mountain

Georges MÉLIÈS est le père des effets spéciaux. Willis O'Brien est le père des effets spéciaux des films de monstre. Il est en effet l'un des pionniers de la technique d'animation en stop motion qui l'a rendu célèbre avec la création et l'animation du bestiaire de "King Kong" (1932) (y compris son gorille géant). Il a également réalisé un long-métrage célèbre "Le Monde perdu" (1925) dans lequel il a donné libre cours à sa passion pour les dinosaures. C'est cette passion conjuguée à celle des effets spéciaux qui l'a amené à faire du cinéma. Son premier film en 1915, "The Dinosaur and the Missing Link: A Prehistoric Tragedy" était déjà consacré à ces animaux préhistoriques.

La postérité de Willis O'Brien est immense. Elle se divise en deux grandes catégories. D'une part les cinéastes qui réalisent des films d'animation en volume et se réclament de son héritage comme Tim BURTON ou Nick PARK et de l'autre, les réalisateurs de films fantastiques et de science-fiction qui se sont fortement inspirés de son élève Ray HARRYHAUSEN: George LUCAS, Steven SPIELBERG, James CAMERON etc. Tous ont intégré de la stop motion à un moment ou à un autre dans leurs films (le jeu d'échecs animé de Star Wars par exemple) mais la filiation la plus éclatante est celle de "Jurassic Park" (1993) qui par sa thématique, ses choix de mise en scène et de techniques d'effets spéciaux a rendu "Le Monde perdu" (1925) éternel. Le titre de la suite est d'ailleurs sans équivoque, "THE LOST WORLD: JURASSIC PARK" (1997).

"The Ghost of slumber mountain" durait à l'origine 40 minutes. Mais à la suite d'une querelle entre Willis O'Brien et le producteur Herbert M. Dawley (à qui certains attribuent même la paternité du court-métrage) il fut réduit à 18 minutes. Il vaut surtout pour les séquences où apparaissent les bébêtes préhistoriques dans le viseur d'un objet permettant de voyager dans le temps: un brontosaure paissant dans un sous-bois, un oiseau géant mangeant un petit serpent, un combat entre deux tricératops et enfin, le clou du film, un combat entre un tricératops et un tyrannosaure.

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Seul au monde (Cast Away)

Publié le par Rosalie210

Robert Zemeckis (2001)

Seul au monde (Cast Away)

L'un des thèmes transversaux de la filmographie de Robert ZEMECKIS est la relation que l'homme entretient avec le temps depuis son court-métrage de fin d'études "The lift" (1971) jusqu'à ce prenant "Seul au monde", film "performance" où pendant 1h30 (sur les 2h17 que dure le film) le spectateur est invité à s'immerger avec le héros dans une expérience de temps suspendu sur une île déserte. Grâce à la grande humanité que dégage Tom HANKS (et à son engagement physique qui rend terriblement crédible l'épreuve qu'il traverse) l'épreuve de la lenteur sur la durée et du dépouillement n'a rien d'aride.

"Seul au monde" est construit avec la rigueur scénaristique qui caractérise Robert ZEMECKIS comme un triptyque: avant/pendant/après. Avant, le héros, le bien nommé Chuck Noland ("sans terre") est un obsédé de la productivité. Il court littéralement après le temps qu'il ne cesse de mesurer avec les outils derniers cris de la technologie. Bref Chuck est le Winslow Taylor* du début du XXI°. A force de chercher à gagner du temps, il n'en a plus pour sa vie personnelle ce que lui fait discrètement remarquer sa fiancée Kelly (Helen HUNT) en lui offrant une montre à gousset de collection héritée de ses ancêtres avec sa photo le soir de noël. Un moment familial symbolique que le monde du travail ne respecte même plus avec les nouvelles technologies ce qui anticipe les ravages des mails professionnels bombardés sur les têtes des employés à toute heure du jour et de la nuit, pulvérisant la notion de vie privée et empêchant la déconnexion. Mais Chuck est victime d'un accident d'avion (une scène spectaculaire filmée d'une façon particulièrement immersive, les moyens de transport étant toujours source d'imprévus voire de catastrophes) et se retrouve coupé du monde et coupé du temps "mesurable" puisque son naufrage aérien a détruit les mécanismes des objets qui se trouvent dans ses poches. Plus que les étapes obligées de la robinsonnade, c'est la manière dont il réinvente l'usage des objets issus du naufrage qui fascine. Ultimes vestiges de la société de consommation de laquelle il a été contraint de s'extraire, tous ces objets superflus à l'origine deviennent des outils indispensables à sa survie: lames de patin transformées en couteau, tulle de robe devenu un filet de pêche, ruban magnétique de cassette vidéo servant de corde etc. Mais à la survie matérielle s'ajoute la survie psychique avec Wilson, le ballon de volley transformé en ami imaginaire. Là, on touche à ce qu'il y a de plus intime dans le cinéma de Robert ZEMECKIS, un univers peuplé de solitaires marginaux vivant en autarcie ("cast away" le titre original du film qui signifie "naufragé" résonne comme "outcast", "banni") dans un temps et un monde parallèle peuplé d'objets animés (de "Retour vers le futur" (1985) et son savant "fou" vivant dans son garage hors du temps à "Bienvenue à Marwen" (2018) et son village reconstitué de la seconde guerre mondiale peuplé de poupées à travers lequel le héros exorcise ses traumatismes). Des hommes-enfants tellement semblables à des autistes asperger qu'après son retour à la "civilisation", Chuck sera plus que jamais "Noland", son principal repère n'étant plus le temps industriel mais une paire d'ailes d'ange (les asperger ont le sentiment d'être des extra-terrestres dans le monde qui les entoure).

* L'inventeur du taylorisme ou "travail en miettes" qui consiste à décomposer la fabrication d'un objet en taches simples dont l'exécution millimétrée se fait sous la surveillance d'un chronomètre. Son application dans les usines Ford a donné naissance au travail à la chaîne et à la robotisation des hommes, une deshumanisation dénoncée entre autre par Charles CHAPLIN et Jacques PRÉVERT. Les critiques superficielles soulignant le placement de produit effectué par la société Fedex dans le film n'ont pas pris la peine de l'analyser en profondeur.

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Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs)

Publié le par Rosalie210

Jonathan Demme (1991)

Le Silence des agneaux (The Silence of the Lambs)

"Le silence des agneaux" n'est pas seulement le thriller psychanalytique et horrifique qui a renouvelé le genre dans les années 90 comme l'avait fait en son temps "Psychose" (1960). C'est un film très fort qui sort des sentiers battus et bénéficie d'un scénario*, d'une mise en scène et d'une interprétation hors-pair. La comparaison avec Alfred HITCHCOCK s'impose tant la mise en scène est précise et rigoureuse, nous faisant comprendre les intentions des protagonistes à travers les mouvements de caméra sur des objets-clés tels qu'un stylo, instrument d'une scène d'évasion spectaculaire et sanglante ou un papillon symbole de la métamorphose corporelle du criminel. En même temps cette mise en scène use d'un art consommé du trompe l'œil en nous égarant jusqu'au bout sur des fausses pistes.

"Le silence des agneaux" dépeint l'envers de l'Amérique hygiéniste, puritaine et bien-pensante. Tout y est glauque, poisseux, oppressant. A l'image du puit dans lequel le tueur enferme ses victimes, on a l'impression de plonger dans une fosse à purin d'autant que les perspectives sont bouchées (dans une suprême ironie, on voit un dessin représentant la ville de Florence, temple de l'art de la Renaissance fondé sur la ligne de fuite apposé contre un mur de cachot).

Mais si ce film a marqué autant les esprits, c'est surtout pour le face à face fascinant parce qu'ambivalent entre Clarice Sterling, la jeune agent du FBI jouée par Jodie FOSTER et le psychopathe cannibale Hannibal Lecter qui a été pour Anthony HOPKINS le rôle de la consécration internationale. Ces deux êtres semblent en effet liés malgré la vitre qui les sépare et les rôles sociaux qui les opposent. Tous deux sont paradoxaux et hors-normes. Clarice est farouche, déterminée et en même temps très vulnérable. Son statut de femme-flic indépendante cache un passé traumatique que Lecter, ancien psychiatre détecte tout de suite. D'autre part en se comportant de façon asexuée, elle se heurte à beaucoup d'agressivité de la part du monde d'hommes qui l'entoure. Certains l'infantilisent, d'autres la traite avec condescendance ou bien cherchent à assouvir leurs pulsions sexuelles. La mise en scène suggère, particulièrement à la fin dans la scène inoubliable où elle affronte le tueur dans le noir qu'elle est une proie (l'agneau) face au(x) loup(s) et qu'elle rejoue son passé. La victime qu'elle vient sauver est symboliquement une sorte de double d'elle-même. Hannibal Lecter qui est supérieurement intelligent est quant à lui un mélange détonant de suprême raffinement et de suprême bestialité. Avec ses yeux qui ne cillent jamais, il semble aspirer l'âme autant que la chair, sa nature de vampire ne faisant aucun doute (d'autant que ses sens sont particulièrement aiguisés). En même temps et paradoxalement, il se donne pour mission de guider Clarice dans sa quête (extérieure et intérieure) et de la venger des prédateurs qui l'entourent. Il n'est finalement guère surprenant que ce soit lui qui lui inspire au final le plus de respect (et réciproquement).

* Adapté du livre éponyme de Thomas Harris qui forme la deuxième partie d'une tétralogie consacrée à Hannibal Lecter. Les trois autres segments, "Hannibal" (2000), "Dragon Rouge (2002)" et "Hannibal Lecter : les origines du mal" (2006) ont été depuis adaptés au cinéma mais sans le génie qui caractérise le film de Jonathan DEMME.

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Les Horizons perdus (Lost Horizon)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1937)

Les Horizons perdus (Lost Horizon)

"Horizons perdus" c'est L'Utopie de Thomas More revue et corrigée par James Hilton (auteur du roman), Frank CAPRA (réalisateur du film adapté du livre) et indissociable du contexte historique très sombre des années 30 et 40 dans lequel le cinéaste a forgé ses plus grands chefs d'oeuvre humanistes (le roman date quant à lui de 1933 soit l'année de l'arrivée de Hitler au pouvoir). S'y ajoute une dimension mystique lié au lieu où le romancier a décidé d'implanter sa cité idéale: non sur une île mais au beau milieu d'une vallée perdue quelque part aux confins de la chaîne de l'Himalaya. Shangri-La est d'ailleurs un surprenant mélange entre une lamaserie tibétaine et un palais art déco occidental (à l'image de sa population). Inspiré du mythe bouddhiste de Shambhala ("lieu du bonheur paisible") il se situe hors du temps et hors de l'histoire dans un lieu secret à l'abri des tempêtes qui agitent le reste du monde. Un lieu qui est d'ailleurs plus spirituel que matériel puisqu'il suffit d'y croire pour le retrouver (en soi) et qu'à l'inverse ceux qui ne sont pas en paix avec eux-mêmes sont incapables d'y rester comme l'illustre l'itinéraire tragique du frère de Robert Cornway*.

La première scène de "Horizons perdus" est une plongée saisissante dans l'enfer des années précédent l'éclatement de la seconde guerre mondiale vu à travers le prisme d'une petite colonie britannique chinoise sur le point de basculer sous la domination japonaise. On assiste à une scène chaotique d'évacuation des blancs par avion alors que les chinois sont impitoyablement refoulés. Expression du racisme occidental décomplexé, cette évacuation sélective est aussi une manifestation de la vision nazie du monde "la lutte pour la vie" dont ne peuvent se sortir que "les plus forts" c'est à dire "les races supérieures"**.

Cependant l'organisateur de cette évacuation, le diplomate Robert Cornway (Ronald COLMAN) se pose des questions. Sa curiosité et ses interrogations vont l'entraîner dans la direction opposée à celle qu'il avait (consciemment) voulu prendre, entraînant avec lui ses quatre compagnons pour le meilleur ou pour le pire. Car ce que souligne également Frank CAPRA c'est le peu d'appétence de l'homme occidental pour le bonheur qui implique une frugalité, une simplicité et une modestie dont il est dépourvu. Son "logiciel idéologique" est celui du conquérant et du compétiteur agressif et perpétuellement insatisfait, pas celui du sage qui rayonne de sérénité. D'ailleurs on découvre que la raison d'être de Shangri-La est de mettre hors de portée de cet homme prétendûment seul civilisé mais en réalité enclin à la destructivité tous les trésors accumulés au cours des siècles (James Hilton et Frank Capra en se focalisant sur les livres avaient sans doute en tête les autodafés nazis mais les menaces récentes de Donald Trump sur le patrimoine culturel iranien ou les bombardements et pillages des œuvres d'art irakiennes en 2003 montrent que les occidentaux ne se sont pas vraiment amendés de ce côté en dépit des actions de l'UNESCO en faveur de la protection du patrimoine mondial de l'humanité).

Bref il y a de quoi réfléchir avec ce film très riche et remarquablement construit pour peu qu'on le replace dans son contexte et que l'on comprenne que Frank CAPRA n'avait rien de naïf mais bien au contraire érigeait ses fables humanistes en rempart contre le désespoir (un désespoir qui conduira par exemple l'écrivain Stefan Zweig au suicide en 1942). Ayant été au fil du temps amputé de 25 minutes (il en faisait 132 à l'origine), il a bénéficié d'un travail de recherche qui a permis de le restaurer en majeure partie: la bande-son a été entièrement retrouvée et quant aux images, il en manque environ sept minutes. Elles sont remplacées par des photos de tournage.

* Dans "Brazil" (1985) de Terry GILLIAM qui dépeint un terrifiant monde totalitaire dont on ne peut s'échapper qu'en esprit, la cité où vit Jill, la femme idéale que Sam retrouve (en rêve) dans les cieux se nomme justement "Shangri-La".

** Jusqu'à la bataille d'Angleterre, les nazis ont espéré trouver un terrain d'entente avec les anglais qu'ils considéraient comme des cousins "naturels" situés dans la partie haute de leur hiérarchie raciale.

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L'Arbre, le maire et la médiathèque

Publié le par Rosalie210

Eric Rohmer (1993)

L'Arbre, le maire et la médiathèque

Film hybride se situant entre la fiction et le documentaire où les jeux des "sept hasards" (sous-titre du film) ne concernent plus l'amour mais l'action politique. Un maire vendéen tendance gauche plurielle (Pascal GREGGORY) veut faire construire un grand centre sportif et culturel dans le village qu'il dirige. S'engage une discussion sur le bien-fondé de son projet avec des journalistes, des politiques, sa petite amie romancière (Arielle DOMBASLE), l'instituteur du village (Fabrice LUCHINI) et les habitants. Quoiqu'on pense du style très écrit de Éric ROHMER, le fait est qu'il est l'égal d'un Jacques TATI pour ce qui est d'analyser les transformations du paysage français. Au début des années 90 (époque où a été réalisé le film), les villes s'étendent et les campagnes soit se périurbanisent, soit se désertifient. Dans le premier cas de figure, elles sont menacées de perdre leur identité (c'est l'un des enjeux de la construction de la médiathèque dans un pré du village de St-Juire: s'agit-il de le "revitaliser" ou de l'annexer à la ville?) Dans le second, c'est le vieillissement et la disparition des agriculteurs et des services de proximité qui guette. Le film s'interroge aussi déjà sur la question sociale et écologique. Il oppose les paysans gardiens de la nature à l'agriculture productiviste et aux projets d'aménagement mégalos et hors-sol d'hommes politiques n'ayant plus qu'un lien ténu avec leurs racines rurales (une maison secondaire par exemple) et bien plus proches des technocrates parisiens que de leurs administrés. Une opposition qui dessine déjà la coupure profonde de la société française entre son peuple et ses élites avec tous les conflits qui en résultent. Et ce même si la fin du film est optimiste avec une pirouette en forme de "la vérité sort toujours de la bouche des enfants"!

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