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Personne ne veut jouer avec moi (Mit mir will keiner spielen)

Publié le par Rosalie210

Werner Herzog (1976)

Personne ne veut jouer avec moi (Mit mir will keiner spielen)

Financé par le ministère de l'éducation ouest-allemand, ce film qui date de 1976 a été tourné avec des enfants d'âge préscolaire à Munich. Bien que fictionnel, le récit est partiellement basé sur des faits réels que Werner HERZOG a recueilli auprès des enfants eux-mêmes et la technique employée (caméra à l'épaule et enregistrement du son rudimentaire) prolonge celle de ces précédents courts-métrages qui étaient documentaires.

L'histoire très simple fait ressortir une thématique majeure de la filmographie de Werner HERZOG: celle du paria. Les enfants commencent par imiter le monde des adultes. Il forment un cercle dans la classe qui symbolise la société de l'entre-soi. Ils tournent ostensiblement le dos à un petit garçon allongé tout seul dans un coin sous un meuble. La raison de cet ostracisme nous est expliquée à travers les messes basses des enfants. Ils le rejettent parce qu'il est pauvre et que son apparence est négligée. Personne ne vient le chercher à la sortie de l'école. Sa mère est malade et ne peut pas s'occuper de lui et son père le maltraite. Pourtant il n'y a aucun misérabilisme dans le film qui montre qu'en dépit de cette réalité sociale très sombre le monde de l'enfance reste celui ou tout encore est possible (comme celui du cinéma) contrairement à celui des adultes qui semble indifférent à son sort. Werner HERZOG superpose ainsi dans un même plan la banalité du train-train quotidien et une tragédie insondable.

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La Lettre écarlate (The Scarlet Letter)

Publié le par Rosalie210

Victor Sjöström (1926)

La Lettre écarlate (The Scarlet Letter)

Deux ans avant "Le Vent" (1928), Victor SJÖSTRÖM réalisait un autre chef d'œuvre du cinéma muet avec le tandem Lillian GISH et Lars HANSON. L'histoire est tirée d'un roman de Nathaniel Hawthorne publié en 1850 et a un caractère fondateur à plus d'un titre. C'est l'un des premiers romans de la littérature américaine et il retourne deux siècles en arrière sur les conditions dans lesquelles ont été fondées les 13 colonies. Non sur des valeurs humanistes mais sur le fanatisme religieux et ses soubassements patriarcaux. Les premiers colons étaient en effet des puritains et parmi eux, il y avait l'ancêtre de Nathaniel Hawthorne comme il s'en explique dans la préface:
« Plus de deux siècles se sont maintenant écoulés depuis que le premier émigrant britannique portant mon nom arriva sur ces côtes … Sa figure, investie par la tradition familiale d’une sombre grandeur, faisait partie de mon imaginaire d’enfant aussi loin que je m’en souvienne. Elle me hante encore … Arrivé avec sa bible et son épée, il fut soldat, législateur et juge ; il possédait tous les traits de caractère d’un puritain, les meilleurs comme les pires. Il fut également un persécuteur sans merci comme peuvent en témoigner les Quakers qui se souviennent encore de sa dureté envers une des femmes de leur secte … Le fils de cet ancêtre qui avait hérité de ses traits de caractère fut tellement impliqué dans la persécution et le martyre des sorcières [de Salem] qu’on peut dire que leur sang a laissé sur lui une tache indélébile … »

"La lettre écarlate" est donc avant tout un pamphlet virulent contre le puritanisme de l'époque coloniale, son intolérance et son hypocrisie. Et c'est aussi un grand plaidoyer féministe toujours d'actualité. Dans la première image du film Victor SJÖSTRÖM oppose un arbre fleuri symbole de vie et de fertilité au premier plan à une sinistre prison en arrière plan qui vaut pour la ville de Boston tout entière et ses pères puritains geôliers. Il dresse un tableau de ce puritanisme qui n'a rien à envier à celui de l'islamisme radical tel qu'on a pu l'observer par exemple en Afghanistan au temps des talibans. Tous les extrémismes religieux se rejoignent dans leur haine (et leur peur) de la nature humaine. Jugez vous-mêmes: la jeune Hester Pryne (Lillian GISH) se retrouve clouée au pilori en place publique parce qu'elle a couru pour rattraper son oiseau qui s'était envolé hors de sa cage. De plus, l'oiseau est accusé de détourner les fidèles de Dieu parce qu'il chantait et en courant, la coiffe d'Esther a glissé, révélant sa chevelure tentatrice. Eliminons donc les femmes et les oiseaux puisqu'on ne peut les enfermer dans une cage! Très symbolique, cette scène d'introduction oppose une société répressive qui stigmatise et châtie le moindre débordement (y compris anodin tel qu'un éternuement en plein office) à la spontanéité de la jeune femme coupable de ne pas réfréner ses instincts naturels. Pourtant tout avait été fait pour la mater dès le plus jeune âge, son père ayant veillé à la marier de force avec un homme plus âgé. Mais comme ce dernier semble s'être évanoui dans la nature, elle a repris sa liberté. Car contrairement au pasteur (Lars HANSON) qui fuit, dissimule et se mortifie, elle assume fièrement cet amour qualifié d'adultère et donc frappé du sceau de l'infamie. Car si elle a les hommes contre elle, elle est en phase avec ses désirs profonds et la nature est de son côté. C'est dans la forêt lors de scènes renversantes de beauté que cet amour s'épanouit. C'est dans cette même forêt qu'elle affirme sa révolte, envoyant la marque infamante valser au loin et libérant encore une fois ses cheveux alors que le pasteur préfère se morfondre plutôt que de s'évader avec elle. On comprend en quoi Hawthorne a inspiré D.H. Lawrence avec ces femmes mal mariées qui secouent le joug du patriarcat en se connectant à la nature et en se réappropriant leur corps.

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Le Vent (The Wind)

Publié le par Rosalie210

Victor Sjöström (1928)

Le Vent (The Wind)

Au XIX° siècle, Letty (Lillian GISH) est une jeune femme raffinée et coquette qui quitte le cocon de sa Virginie natale pour se rendre dans le ranch de son cousin situé dans le Far West. Un autre monde, un monde encore indompté, rude, âpre et sauvage auquel elle n'est pas préparée. Dans ce monde, le vent est omniprésent, lancinant, obsédant, il dicte sa loi aux hommes lorsqu'il prend l'aspect de violentes tornades ou lorsqu'il s'infiltre insidieusement dans le train et dans la maison qu'il recouvre de poussière. On ne l'entend pas, on le sent, on le ressent grâce à la puissance expressive des images et de la musique. L'omniprésence du vent et de la poussière dans le film est une traduction de cette prise de pouvoir de la nature sur la culture et du glissement imperceptible de la réalité vers les profondeurs de l'inconscient, le film se situant à la lisière du fantastique et prenant la forme d'un long rêve éveillé.

Au contact de cette nature déchaînée Letty "s'ensauvage" et libère ses émotions profondes et ses pulsions enfouies: la métaphore de la chevelure dénouée et du pistolet chargé se rejoignent dans le même maelstrom de désir et de mort, les deux mystères les plus insondables de la nature humaine. Elle affronte également au corps à corps celles des autres qui se révèlent dans toute leur crudité: la jalousie viscérale (la carcasse qu'elle vide est tout à fait éloquente) de la femme de son cousin (Dorothy CUMMING) et la bestialité de Roddy (Montagu LOVE), le vendeur de bétail (!) dont l'apparence avenante cache un féroce prédateur. A l'inverse, Lige (Lars HANSON), le cow-boy frustre qu'elle épouse par défaut dissimule sous sa gaucherie une noblesse d'âme insoupçonnée. C'est lorsqu'il veut l'aider à reprendre sa liberté qu'elle s'attache à lui et tente de dompter sa peur (du vent, des chevaux, de la sexualité). Car ne voir que bassesse, noirceur et tragédie dans ce film c'est passer à côté de son autre dimension. La nature se nourrit de l'équilibre des contraires si bien qu'en accepter le versant négatif permet d'accéder également au versant lumineux. "Le Vent" n'est pas qu'un déchaînement de pulsions c'est aussi un grand film d'amour. Un amour qui ne peut s'épanouir que dans le renoncement à la possession. Il est une élévation, un dépassement de son petit moi égoïste pour embrasser l'infini du cosmos. Letty aurait pu ne pas survivre à l'épreuve, perdre la raison et errer dans le désert Mojave comme Travis dans "Paris, Texas" (1984). C'était la première fin envisagée. Mais la voir ouvrir grand sa porte et écarter ses bras pour accueillir la force du vent à la manière de la figure de proue du "Titanic" (1997) est tout aussi puissant.

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Witness

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1985)

Witness

"Witness" est le premier film américain de Peter WEIR. Il n'en perd pas pour autant son regard singulier qui le pousse à s'intéresser à de micro-sociétés vivant en circuit fermé et selon leurs propres règles en marge de la civilisation dominante. Si ce n'était la faute de goût de la musique au synthétiseur qui trahit l'époque où a été tourné le film, celui-ci parvient à épouser la vision du monde d'une communauté qui vit hors du temps: les Amish. Les premières images entretiennent l'incertitude sur l'identité de ce groupe et l'époque dans laquelle il vit. On peut en effet les confondre dans un premier temps avec des juifs orthodoxes (une confusion commise d'ailleurs par le petit Samuel lorsqu'il recherche une silhouette familière dans la gare de Philadelphie) alors que leur anachronisme nous est révélé lorsque leurs carrioles à cheval se retrouvent sur la même route que les engins motorisés. On remarque également que les Amish ne parlent pas l'anglais mais un dialecte allemand issu de leur pays d'origine, la Suisse. Cette volonté de désorienter place le spectateur face à l'étrangeté d'un groupe autarcique dont la première règle est le refus de se conformer au monde qui l'entoure et qui exclue tous ceux qui ne s'y plient pas.

Cependant les films de Peter WEIR font en sorte que ces communautés fermées deviennent poreuses vis à vis de l'extérieur. Dans le cas de "Witness", c'est dans une gare, lieu de passage et de brassage que Samuel (Lukas HAAS), un enfant Amish qui s'est un peu éloigné se retrouve plongé bien malgré lui dans un règlement de comptes sanglant entre policiers véreux et policiers intègres. Il devient en quelque sorte leur otage, les premiers voulant l'éliminer et les seconds le protéger. C'est par ce biais que la violence s'infiltre dans une communauté qui a élevé le pacifisme au rang de dogme. La violence meurtrière mais aussi celle du désir. Car John Book, le policier intègre joué par Harrison FORD n'apporte pas seulement avec lui ses poings, son flingue et ses cartouches mais également son magnétisme animal débridé qui fait rapidement tourner la tête de Rachel (Kelly McGILLIS), la mère de Samuel. Le carcan religieux dans lequel elle a été élevé semble tout d'un coup bien dérisoire pour contenir la violence de ses pulsions. A l'inverse, l'expérience immersive vécue par John Book au sein de la communauté agit comme un retour aux sources. Peter WEIR a pu s'appuyer sur le passé de charpentier de Harrison FORD dont c'est le premier film intimiste pour nous offrir la très belle scène œcuménique de la construction de la grange qui frappe par son authenticité et son harmonie. Enfin, de façon plus anecdotique, c'est le premier film où apparaît Viggo MORTENSEN dans un rôle de figuration (il joue l'un des membres de la communauté).

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Les voitures qui ont mangé Paris (The Cars That Ate Paris)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1974)

Les voitures qui ont mangé Paris (The Cars That Ate Paris)

On sait depuis 1984 grâce à Wim WENDERS qu'il y a Paris au Texas. Mais dix ans plus tôt, le premier film de Peter WEIR nous faisait découvrir l'existence d'une bourgade prénommée Paris située au fin fond de l'Australie. Un lieu haut en couleurs mais peu recommandable, surtout pour les infortunés voyageurs ayant la mauvaise idée de quitter la route principale pour s'y rendre. Ils risquent de subir le même sort que les employés du boucher de "Delicatessen" (1990), sort orchestré par le maire de la ville avec la complicité de tous les villageois. Si je cite le film de Marc CARO et Jean-Pierre JEUNET c'est également parce que l'on y retrouve le même humour noir teinté d'étrange et d'absurde qui fait penser à celui des MONTY PYTHON. Peter WEIR partage notamment avec eux le même imaginaire médical délirant à la fois férocement drôle et cauchemardesque: médecin frappadingue, instruments de torture disposés sur la table d'opération, naufragés de la route qui lorsqu'ils ne sont pas morts se retrouvent réduits à l'état de légumes en conserve ^^ et finissent par se mélanger aux citoyens ordinaires tout aussi dégénérés dans un final complètement surréaliste. A cette influence british vient s'ajouter celle du western spaghetti, les villageois pilleurs d'épaves étant explicitement comparés à des hors-la-loi tant par leurs costumes (cache-poussières) que par des plans rappelant les duels ou une musique aux accents de "Il était une fois dans l'Ouest" (1968). Mais le film a également une identité proprement australienne. Il renvoie à sa fondation par les parias du vieux continent, l'île ayant été d'abord une colonie pénitentiaire ayant longtemps conservé son caractère sauvage et brutal. Les hordes de véhicules customisés conduits par des voyous réduits à l'état de silhouette préfigurent l'un des monuments du cinéma australien, la saga futuriste et motorisée Mad Max de George MILLER qui fait d'ailleurs de multiples clins d'oeils au film de Peter WEIR. L'acteur Bruce SPENCE qui joue l'idiot du village dans "Les voitures qui ont mangé Paris" apparaît dans "Mad Max 2 : le Défi" (1981) alors que le dernier volet à ce jour "Mad Max : Fury Road" (2014) fait apparaître la voiture customisée la plus iconique du film de Peter WEIR, la Volkswagen Type 1 hérissée de dards. "Les voitures qui ont mangé Paris" est par ailleurs parfaitement représentatif de l'œuvre à venir de Peter WEIR. On y navigue dans un microcosme vivant en vase clos selon des règles dignes d'une société secrète sous une férule totalitaire dans lequel un intrus vient se glisser. Derrière l'itinéraire bis et délirant du film, on reconnaît notamment la trame de "The Truman Show" (1998): un homme prisonnier d'une communauté accueillante en apparence mais hostile en réalité et sous l'emprise d'un père abusif (ici le maire) qui en surmontant sa phobie (ici ce n'est pas l'eau mais sa peur de conduire) parvient à s'enfuir alors que les dissensions intérieures éclatent entre l'ancienne génération (qui régule la violence pour le "bien commun") et les jeunes (pour qui la violence n'a plus de limites). A trop se compromettre avec le mal, celui-ci finit par tout détruire.

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Dumbo

Publié le par Rosalie210

Tim Burton (2019)

Dumbo


Tim BURTON a fait de "Dumbo" un film personnel, celui-ci fonctionnant comme une mise en abyme de sa propre place dans le monde et au sein de l'Empire Disney dont il nous offre une hilarante satire. En effet les (més)aventures de l'éléphanteau aux grandes oreilles ressemblent comme deux gouttes d'eau à celles vécues par le créateur de l'histoire de "L'Étrange Noël de Monsieur Jack" (1994). Trop gothique pour le royaume enchanté, son univers a d'abord été mis sur la touch(stone) avant d'être finalement accueilli triomphalement au sein des studios et des parcs (goodies compris) lorsque le succès a été au rendez-vous. Il arrive exactement la même chose à Dumbo. Méprisé et rejeté dans un premier temps pour sa non conformité, il devient ensuite la superstar de la cathédrale du divertissement "Dreamland" dirigé par le patron mégalomane Vandemere (Michael KEATON). Il y a même un magasin où l'on s'arrache les peluches à son effigie et l'une des attractions, "The Carousel of Progress" est la copie conforme de celle qui existe à Disneyworld ^^. Comme le dit la critique de Télérama "On apprécie que Tim BURTON même pour rire, morde un peu la main qui le nourrit" ^^. Car bien entendu Dumbo ne se plie pas au jeu que l'on veut lui faire jouer et échappe à ceux qui veulent le dompter.
Cependant, cet aspect réjouissant n'occulte pas pour autant la douceur et la poésie de l'œuvre originale que Tim BURTON parvient à restituer avec beaucoup d'intelligence. Je pense en particulier à la manière dont il rend hommage à la scène culte de la parade des éléphants roses ou encore sa reconstitution du numéro des clowns pompiers. Son éléphanteau en images de synthèse possède une anima qui le rend irrésistible, et est filmé avec beaucoup de tendresse. Enfin le film a un petit côté engagé contre l'asservissement de l'animal par l'homme qui n'existait pas dans la version originale.
Toutes ces qualités permettent de fermer les yeux sur l'ajout de personnages humains tellement peu travaillés qu'ils paraissent plus toc que Dumbo et sa mère tels que Holt (Colin FARRELL) et ses enfants ou encore Colette la trapéziste (Eva GREEN). L'aspect "Freaks" du film reste donc superficiel mais "Dumbo" est l'un des rares remake en prises de vues réelles des classiques Disney qui sorte du lot.

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Le Plombier (The Plumber)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1979)

Le Plombier (The Plumber)

L'effet miroir du "Plombier", téléfilm réalisé par Peter WEIR en 1979 est implacable. Une expérience d'ethnologie décentrée très instructive. L'ethnologie n'est en effet en aucune façon une science neutre. Elle s'est constituée au XIX° dans le contexte de la colonisation européenne de l'Afrique, de l'Asie et de l'Océanie quand l'homme blanc s'est mis à vouloir étudier les populations étrangères "primitives" avec lesquelles il était entré en contact, lui-même se concevant comme "évolué". Poursuivant sa passionnante réflexion sur l'histoire de son pays, Peter WEIR déconstruit cet ethnocentrisme en déplaçant le clivage racial sur le terrain de la lutte des classes et en inversant les rôles. C'est la jeune intellectuelle occidentale arrogante qui devient l'objet d'étude du frustre plombier. Le résultat est éloquent:

- L'ethnologie est insidieusement intrusive. Tout en prétendant se faire discrète, elle s'impose chez ceux qui n'ont rien demandé, prend ses aises et finit par envahir leur espace vital, préparant ainsi le terrain aux colonisateurs à qui elle sert de justificatif. De fait Jill supporte de moins en moins la présence de Max dans sa maison, celui-ci s'avérant extrêmement bruyant et ne cessant de sortir de son rôle pour lui demander des services ou tout simplement pour discuter. De plus, loin de réparer la tuyauterie de la salle de bains, il la déglingue un peu plus à chaque nouvelle intervention ce qui préfigure les méfaits des central Services dans "Brazil" (1985). A plusieurs reprises dans le film, Jill et Max s'affrontent sur la notion de propriété privée. Jill accuse Max d'envahir son territoire mais il lui rétorque que l'immeuble qui l'emploie est autant à lui qu'à elle. La salle de bains devient un terrain symbolique d'affrontement puisqu'en la rendant invivable et ouverte à tous les vents, il prend le dessus sur elle.

- La maison, déjà traitée par Peter WEIR comme une métaphore de l'identité de celui qui l'habite dans "La Dernière vague" (1977) permet à Max de se faire une idée de Jill à partir de ses propres préjugés de classe ce qu'elle ne supporte évidemment pas. L'ethnologue prétendument ouverte aux autres vit quasiment recluse chez elle et quand elle en sort, c'est pour se limiter à un étroit périmètre. Délaissée par son mari, Brian qui ne pense qu'à sa carrière, elle néglige son apparence et est complètement dévitalisée sexuellement, ce que ne manque pas de remarquer Max avec la lotion pour cheveux qu'utilise Brian ou encore la statuette indigène dotée d'un énorme membre viril en érection qui traîne chez elle. Celui-ci, plutôt bien pourvu en cheveux et en testostérone se pose en ouvrier viril face à des intellos forcément dépourvus du moindre sex-appeal. A l'inverse, le préjugé de classe de Jill se manifeste d'abord lorsque Max la provoque en lui disant avoir fait de la prison pour viol avant de se rétracter. Puis lorsqu'il la pousse à bout, elle l'humilie en corrigeant devant son amie une faute de langage puis en le traitant "d'ouvrier", trahissant ainsi son complexe de supériorité. Enfin elle le chasse en le faisant accuser de vol, un réflexe classique de la bourgeoisie qui pour tester son "petit" personnel laisse traîner des objets de valeur ou des bijoux à sa portée, voire même les dissimule dans ses affaires. Le plus malhonnête des deux n'est en effet pas celui que l'on pense.

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La Dernière Vague (The Last Wave)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1977)

La Dernière Vague (The Last Wave)

"La Dernière Vague" troisième film de Peter WEIR s'inscrit dans le prolongement du précédent "Pique-nique à Hanging Rock" (1975). Sur le plan formel, on retrouve un univers qui brouille les repères entre réalisme et fantastique comme entre le passé et le présent et entre le "moi" et "l'autre". En résulte un film atmosphérique assez hypnotisant où l'élément liquide grâce à l'aspect poreux du film s'immisce partout et où la musique produit un effet d'envoûtement certain. Le seul bémol étant que certaines sonorités au synthétiseur et effets spéciaux sont datés aujourd'hui alors que ce n'est pas le cas de "Pique-nique à Hanging Rock" (1975) qui a gardé toute sa fraîcheur. Sur le plan thématique, Peter WEIR approfondit son sujet de prédilection: la superposition de la mince pellicule de colonisation anglo-saxonne sur une culture aborigène profondément enracinée depuis 50 mille ans dans la terre australienne et qui en dépit du déni des premiers n'a pas disparu. Les descendants de colons sont en effet persuadés qu'ils ont repoussé la culture aborigène aux marges du pays et qu'ils ont définitivement conquis l'espace urbain. Peter WEIR montre que cette prétention n'est qu'une illusion. De même que l'eau s'infiltre partout, la culture tribale indigène tant bien que mal étouffée ressurgit là où s'arrête le pouvoir de contrôle de l'homme blanc: dans la sphère de l'inconscient et dans les manifestations de la nature. Le personnage principal, David Burton (Richard CHAMBERLAIN), un avocat qui appartient au groupe dominant voit pourtant son identité vaciller au travers de rêves prémonitoires qui le connectent à deux aborigènes accusés avec des comparses d'avoir commis un meurtre. Lui est persuadé qu'il s'agit d'un meurtre rituel (qui bénéficie d'une mansuétude en Australie) mais l'institution judiciaire ne peut pas admettre que des tribus survivent et agissent en plein cœur de Sydney. Par ailleurs des manifestations surnaturelles se déclarent dans la maison de David qui est peu à peu envahie et détruite: l'eau de la baignoire déborde et dévale l'escalier, les branches des arbres en s'abattant arrachent les portes et des cloisons, l'épouse et les enfants terrifiés désertent le lieu. Les visions de David et ce qu'il faut appeler ses pouvoirs magiques (les mêmes phénomènes se déclenchent dans sa voiture) rejoignent ceux des aborigènes et se manifestent sous forme de phénomènes météorologiques cataclysmiques: des trombes d'eau s'abattent ainsi qu'une pluie noire, le vent souffle en tempête, des glaçons gros comme des pavés attaquent une école dans une scène inaugurale digne de "Les Oiseaux" (1962) de Alfred HITCHCOCK alors que le ciel reste d'un bleu éclatant. Ces phénomènes annoncent l'apocalypse finale, une vague (de tsunami?) qui s'apprête à déferler sur l'île, David apercevant dans l'une de ses visions prémonitoires une rue noyée sous les eaux et parsemée de cadavres, vision confirmée par les peintures rupestres aborigènes. Le film ne nous donne pas toutes les clés de compréhension, tout au plus suggère-t-il la vengeance divine (on pense forcément au Déluge ou au Jugement dernier même si le phénomène se rattache aux croyances aborigènes) et laisse-t-il entendre que David pourrait avoir des origines lointaines améridiennes, (ce qui est parfaitement logique, ce serait son identité profonde, recouverte par le vernis de la civilisation occidentale qui ressurgirait, sa femme ne sachant plus "qui il est"). Il ne faut pas être sorcier pour comprendre d'où Jeff NICHOLS a tiré la substantifique moëlle de son "Take Shelter" (2011). 

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Love & Mercy

Publié le par Rosalie210

Bill Pohlad (2014)

Love & Mercy
Love & Mercy

Avant d'aller voir "Love & Mercy" au cinéma, je n'avais des Beach Boys qu'une vague idée, aussi superficielle que la partie du générique qui évoque à l'aide d'une esthétique vintage l'affichage marketing "sea, sand, sun and surfin USA" du groupe. J'en suis sortie profondément remuée par la personnalité de Brian Wilson, le portrait délicat et juste qui est fait de lui et une seule idée en tête: acheter "Pet Sounds" au plus vite, son chef d'oeuvre introspectif qui est au cœur du film (avec la symphonie de poche "Good Vibrations"). L'autre partie du générique, en rupture totale avec l'image extravertie du groupe fait écho à cette œuvre intimiste en montrant un écran noir traversés par des éclairs sonores. Et une grande partie du film reconstitue avec un souci du détail qui tue sa création et son enregistrement. On y voit un Brian Wilson (joué par un Paul DANO exceptionnel) qui tel une antenne se connecte aux flux énergétiques de l'univers qui le traversent (nombre de ses gestes et attitudes relèvent du Qi-Gong) avec ou sans prise de drogue. En dépit des considérations commerciales de sa famille qui ne comprennent pas sa musique, Brian Wilson maintient le cap, poussé par une impérieuse nécessité plus forte que tout "Il faut que cela sorte". Par ailleurs, le film s'ouvre sur les propos par lequel il exprime ses doutes et ses peurs à propos de cette voix intérieure qui l'inspire mais sur laquelle il n'a aucun contrôle: "Ca me fait peur parfois de ne pas savoir d'où cela vient. Comme si quelqu'un d'autre était en moi. Et si ça disparaissait, que je n'y arrivais plus, je ferais quoi?" Dans l'autre volet du film, on retrouve le même Brian Wilson plus âgé (joué par John CUSACK qui est lui aussi très convaincant), celui qui ne se soucie que de cette voix intérieure qui le guide et se fiche du commerce. ("Ce n'est pas important, c'est de l'ego"). Bien que cette voix ne lui permette plus à ce moment-là de créer mais lui indique comment sortir de sa dépression et de son isolement. Brian Wilson décrit comme un "enfant dans un corps d'adulte" a en effet tout de la proie facile sur laquelle fondent les vautours. Si le même acteur (Paul GIAMATTI) interprète à la fois son père et le docteur Eugène Landy, ce n'est certainement pas par hasard. Brian Wilson est ce que Alice Miller appelle un ancien "enfant sous terreur", celui qui a grandi sous la férule d'un père violent qui l'a maltraité physiquement (au point de le rendre à demi-sourd) et psychiquement et qui continue à exercer son emprise sur son fils adulte en exploitant son talent tout en le dénigrant (et en l'escroquant). Après sa mort, son influence néfaste continue à s'exercer au travers de l'avatar qu'est le gourou, oups, le "docteur" Eugène Landy, homme aussi creux que cupide, misogyne et infatué de lui-même qui exerce un contrôle absolu sur tous les aspects de la vie de Brian Wilson. Il lui colle l'étiquette d'un malade psychiatrique, le menace d'internement, l'abrutit de médicaments sans doute pour l'achever plus vite et fait le vide autour de lui afin de toucher le jack pot sur son cadavre (lui aussi escroc, il avait fait falsifier son testament). Néanmoins Brian Wilson n'est pas et n'a jamais été un aliéné. C'est sa planche de salut d'être de par sa nature aussi imperméable aux intrusions extérieures que les bulles dans lesquelles il se réfugie. De même qu'il n'a pas cédé aux pressions de son entourage dans les années 60 et a fait l'album qui lui correspondait quitte à le payer après par sa mise à l'écart de groupe et sa dépression, il cherche à échapper à la surveillance de son geôlier en lançant un S.O.S. qui finit par être capté par Mélinda (Elizabeth BANKS). Elle va se lancer dans une bataille psychologique et juridique pour l'arracher aux griffes du vampire qui lui suce le sang, discrètement mais efficacement aidée par une autre femme, Gloria (Diana Maria RIVA), l'employée de maison de Brian Wilson qui comme beaucoup de latinos clandestins vit pourtant sous l'épée de Damoclès de l'expulsion que lui agite sous le nez Landy pour la faire taire.

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L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1956)

L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt)

L'intrigue de "L'invraisemblable vérité", le dernier film américain de Fritz LANG semble truffée d'invraisemblances et en partie cousue de fil blanc. Je dis bien "semble" car à la réflexion (et la réflexion avec un tel film est indispensable), cette impression est sans doute voulue pour susciter un maximum de confusion, le film n'étant qu'une gigantesque manipulation des personnages les uns envers les autres mais aussi de Fritz LANG vis à vis du spectateur. Au départ, l'histoire se présente comme un plaidoyer contre la peine de mort. A la manière de l'armée dans l'Affaire Dreyfus mais pour la "bonne cause", Austin Spencer (Sidney BLACKMER), le directeur d'un grand journal propose à son futur gendre, le romancier Tom Garrett (Dana ANDREWS) de fabriquer de faux indices pour se faire passer pour coupable dans une affaire de meurtre tout en fabriquant en même temps de vraies preuves le disculpant. L'idée est de faire juger et condamner Tom afin de prouver que la machine judiciaire peut envoyer un innocent à la mort. Mais il se pourrait que démêler le vrai du faux ne soit pas aussi simple. Aucun des deux hommes n'est animé d'intentions philanthropiques. Spencer souhaite se faire de la publicité pour augmenter ses ventes en se payant la tête du procureur Roy Thompson (Philip BOURNEUF) qui se montre impitoyable avec les accusés pour mieux servir son ambition de devenir gouverneur. Quant à Tom Garrett, personnage insondable, le spectateur se demande longtemps pourquoi celui-ci accepte aussi facilement de se mettre dans une situation inconfortable voire dangereuse. Il se demande aussi pourquoi il laisse toutes les preuves de son innocence dans les mains de Spencer. On se dit, et s'il lui arrivait quelque chose? Et si les preuves disparaissaient? Evidemment cela ne manque pas d'arriver et cela paraît bien gros aux yeux du spectateur qui se dit qu'il en aurait au moins gardé une sur lui comme "assurance-vie". Sauf que rien de ce que nous avons cru voir ne correspond à la vérité et qu'une fois celle-ci dévoilée lors d'un twist final à la "Usual suspects" (1995), ces "preuves" prennent un tout autre sens, proche de celui du précédent film de Fritz LANG, "La Cinquième victime" (1956) avec lequel "L'invraisemblable vérité" forme un diptyque particulièrement sombre et amer en forme de bilan sans appel sur la gangrène qui ronge la société américaine (et que Fritz LANG quittera bientôt comme il avait fui l'Allemagne au début des années 30). Ces preuves d'innocence pourraient bien être des indices de culpabilité, des sortes de selfies flattant le narcissisme morbide du criminel. Tom Garrett a beau avoir une apparence respectable et un flegme à toute épreuve, il ne cesse de commettre des actes manqués, comme celui de revenir sans cesse sur les lieux du crime. Ou de laisser tout ce qui pourrait l'innocenter entre les mains d'une seule et fragile vie humaine. Ou de lâcher au plus mauvais moment un prénom compromettant. Et le spectateur floué d'en arriver à souhaiter sa mort c'est à dire d'être excité dans ses bas instincts, mis dans la peau du lyncheur de base. Bref, un film peut-être un peu trop froid et intellectuel mais diaboliquement intelligent et qui demande un certain recul pour en apprécier toute la portée. 

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