John Huston est un cinéaste qui aime les gens. Son cinéma se situe à leur hauteur. Il capte en gros plan les moindres expressions de leurs visages ce qui donne un relief saisissant aux personnages et aux acteurs qui les interprètent. Ce préambule pour souligner le fait que si "Quand la ville dort" est un tel chef d'œuvre "copié mais jamais égalé" (expression discutable d'ailleurs, les polars de J.P Melville peuvent en témoigner) c'est parce qu'il dépasse son sujet. S'il ne l'avait pas dépassé il serait resté dans l'histoire du cinéma comme le premier film de casse montrant avec une grande maîtrise cinématographique toutes les étapes d'un cambriolage. Mais le titre en VO du film est "The Asphalt Jungle". L'aventurier adepte des contrées exotiques qu'est Huston braque sa caméra sur la faune urbaine nocturne qui peuple les villes américaines au temps de la grande Dépression et nous en extrait quelques saisissants portraits:
- L'avocat véreux Emmerich (Louis Calhern) qui s'enfonce dans le crime par goût du luxe (et de la luxure, sa très jeune maîtresse Angela n'étant autre que Marilyn Monroe alors âgée de 24 ans). Criblé de dettes, il est aux abois ce qui le rend peu fiable. Avec Ditrich le flic (Barry Kelley), il symbolise la corruption qui gangrène la ville et ses institutions les plus respectables. Mais Louis Calhern donne une interprétation nuancée de son personnage qui apparaît faible et désemparé face à une situation dans laquelle il s'est enfermé et qui le dépasse.
-Le petit bookmaker Cobby (Marc Lawrence) qui avec Emmerich est le financier du casse. C'est un homme nerveux, angoissé, peureux qu'il est facile de faire craquer.
- Le cerveau du casse Doc Riedenschneider (Sam Jaffe) véritable "gentleman cambrioleur" dont l'intelligence, la distinction et le sang-froid imposent le respect. Tout juste sorti de prison, il rêve de prendre sa revanche sur la vie. Huston nous montre d'autant mieux sa vulnérabilité: il joue de malchance ("Que peut-on contre la fatalité?") et son penchant pour les jeunes filles le perd.
- L'homme de main Dix Handley (Sterling Hayden) dont la famille a été chassée de sa ferme par la crise et qui rêve de retrouver ses racines rurales. C'est avec Doc le personnage le plus approfondi de l'histoire et sans doute le plus tragique. Son apparence rustre et ses actes criminels sont contrebalancés par son sens de l'honneur et de l'amitié (avec Gus le bossu et son formidable interprète James Withmore qui en fait un homme écorché à la fois capable d'une grande tendresse et d'explosions de violence). Cependant c'est son penchant autodestructeur qui l'emporte. Il perd systématiquement tout ce qu'il gagne et ironiquement, ne s'arrache de l'asphalte que pour venir agoniser dans la prairie sous les yeux impuissants de la femme qui l'aime, Doll (Jean Hagen dans un rôle aux antipodes de celui qu'elle jouera deux ans plus tard dans "Chantons sous la pluie").
"L'Ultime Razzia" est le troisième film de Stanley Kubrick et son premier film majeur. Puisant son inspiration dans les films noirs de John Huston à qui il emprunte également l'un de ses acteurs phares, Sterling Hayden, il n'en reste pas moins que le long-métrage porte la marque d'un style original. Kubrick utilise les codes du genre (mythe du "dernier coup", femme fatale etc.) et démonte minutieusement les mécanismes du film de casse en déstructurant la narration. Il n'était pas si fréquent à l'époque de briser ainsi la linéarité de l'intrigue pour faire des flashbacks en montrant une même scène avec des points de vue différents. Une mise en scène qui influencera beaucoup le style de Quentin Tarantino par exemple.
Mais ce qui intéresse vraiment Kubrick, c'est l'écart entre la théorie et la réalité. Sur le papier, le plan a l'air parfait, dans la pratique, la belle mécanique va s'enrayer et s'autodétruire. Dans chacune des pièces du puzzle, Kubrick introduit une part d'imprévisibilité qui fait monter la tension. Par exemple Micky Arano (Timothy Carey), le tireur est sans cesse importuné par le gardien du parking dans lequel il s'est posté pour tuer le cheval vedette de la course. Ou encore le policier véreux, Randy Kennan (Ted De Corsia) qui est interpellé par une femme juste au moment où il doit aller se poster sous la fenêtre d'où Johnny Clay (Sterling Hayden) doit balancer l'argent du braquage. Or, la voix off du film le martèle, chaque seconde compte. C'est pourquoi les quinze minutes de retard de Clay auront un impact décisif sur le dénouement du film. Dénouement dans lequel un petit chien jouera le rôle non de l'ultime razzia mais du grain de sable de trop!
Mais encore plus que l'imprévu, ce sont les faiblesses humaines qui vont priver les protagonistes des fruits de leur hold-up et les vouer à une fin tragique. C'est dans ce domaine que le scénario s'avère le moins convaincant. On sent bien que la mécanique de précision de sa narration et mise en scène importe plus à Kubrick que ses personnages. Il n'est pas crédible deux secondes qu'un gangster aguerri comme Johnny Clay prenne pour complice un homme aussi faible que George Peatty (Elisha Cook Jr) qui vit sous le joug de son épouse vénale et manipulatrice, Sherry (Marie Windsor) qui veut récupérer le magot pour elle et son amant Val Cannon (Vince Edwards). Agissant dans la précipitation, Clay commet d'ailleurs d'autres erreurs d'amateur qui lui seront fatales. C'est pourquoi la résolution de l'histoire est un peu trop sèche et mécanique pour satisfaire pleinement.
"L'école des facteurs", court-métrage d'une quinzaine de minutes tourné en 1947 est le brouillon de "Jour de fête", le premier long-métrage de Tati sorti deux ans plus tard. Tati y créé le personnage de François le facteur que l'on retrouvera dans "Jour de fête" quasiment à l'identique. La seule différence provient des paroles qu'il prononce qui sont plus compréhensibles. Le court-métrage correspond à la séquence de la tournée à l'américaine du long-métrage. Quasiment tous les gags qui y sont présents seront réemployés dans "Jour de fête", de la bicyclette qui se désolidarise de son conducteur jusqu'aux différents moyens qu'il trouve pour grignoter du temps sur sa tournée.
Car c'est le temps qui est au cœur du court-métrage, fort différent au final du film qui suivra. La première scène (absente du long-métrage) montre les facteurs en train de s'entraîner à la poste sur des vélos comme dans une salle de sport. Effectuant des gestes stéréotypés et synchronisés où ils décomposent leurs mouvements, ils font penser à de bons petits soldats aux ordres de leur capitaine ou à des travailleurs à la chaîne aux ordres de leur contremaître. Connaissant la phobie de Tati pour tout ce qui relève de l'encadrement (et pour cause, son père qui aurait voulu le voir lui succéder était encadreur!) on comprend assez vite que la belle course à la productivité va s'enrayer. Tati n'est pas un comique burlesque fan de Chaplin et Keaton pour rien! L'enchaînement des gags produit de l'inattendu, des contretemps avec un vélo récalcitrant qui semble doué d'une vie propre. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'elle incarne les vrais désirs du facteur, ceux qui lui disent de s'arrêter au bistrot et d'aller prendre du bon temps!
Les studios Pixar étaient dans le creux de la vague lorsqu'ils ont sorti "Monstres Academy" en 2013. Je ne serai toutefois pas aussi sévère que le site du magazine "Première" qui le classe en dernier avec le commentaire suivant: "Pas le moins bon Pixar, non. Le pire. Avec la pire histoire (une origin story pourrie), les pires gags et la pire mise en scène. Produit comme un Dreamworks médiocre. La vraie daube du studio. Si l’erreur est humaine elle est aussi Pixar".
Pixar n'est quand même pas Dreamworks. Techniquement, le film est bluffant comme tous ceux du studio. les personnages de Bob et Sulli bénéficient d'un tel capital sympathie qu'on est content de les retrouver. De plus l'intrigue, divertissante, se suit sans déplaisir.
Il n'en reste pas moins qu'on attend autre chose de Pixar qu'une préquelle inutile et infantile de l'un de leurs chefs-d'oeuvre "Monstres et Compagnie". Le scénario est superficiel et sans originalité (3 épreuves à passer pour prouver que l'on est digne d'être une terreur d'élite) avec une morale convenue du genre "quand on veut, on peut" ou "si on est tous ensemble, on peut arriver à dépasser nos limites". De plus le folklore des campus américains n'intéresse guère hors des frontières. Il y a dans ce film, comme dans "Rebelle", "Le voyage d'Arlo" ou "Cars 2" un renoncement aux différents niveaux de lecture qui font d'ordinaire la richesse des oeuvres du studio, une tentation de la facilité scénaristique un peu mercantile qui aurait pu lui faire perdre son identité mais la suite a montré qu'il lui restait des ressources pour réagir.
Les courts-métrages de Griffith des années 10 sont composés comme des tableaux vivants et font une large place aux déchaînements de la nature (qui compensent la fixité des plans). C'est aussi une période où Griffith adapte des poèmes. Celui de Charles Kingsley a été traduit en VF par "La Mer calme" mais c'est un contresens. Il aurait fallu le traduire par "La Mer immuable". En effet il s'agit d'une réflexion poétique sur l'impermanence et l'éternité. Le flux et le reflux immuable des vagues vient sceller et dissoudre aveuglément les relations humaines. Le point de vue qui est celui d'une femme de marin renforce cette impression. Les vagues lui prennent son mari et finissent par le lui rendre 20 ans plus tard alors qu'entretemps le temps lui a pris définitivement sa fille. Le tout distille une immense mélancolie. Griffith compose avec cette trame des images magnifiques. Celle de l'épouse de dos ployant progressivement l'échine au premier plan tandis que la barque emportant son homme s'éloigne peu à peu est sublime. L'interprétation en revanche est assez sommaire et Mary Pickford qui joue la fille du couple a un temps de présence limité à l'écran (et peu de choses à faire).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.