La majorité des critiques français qui se sont exprimés sur "L'Ami américain" ont souligné son caractère morbide, inscrit dans les décors, l'atmosphère et la trajectoire de son personnage principal dont on apprend dès le début qu'il est condamné. Certains critiques plus finauds ont souligné à quel point il était inclassable, à mi chemin entre le film noir américain et le film d'auteur européen. Peu, très peu en revanche ont souligné que le film tout entier était parcouru de tensions contradictoires parfaitement gérées qui le rendent fascinant, surtout dans sa deuxième partie.Le morbide et le cafardeux se mêlent à des aspects comico-ludiques quelque peu régressifs (comme dans "Si Loin si proche!" qui a également un aspect néo-noir) même si le film est bien plus sombre que le titre du roman original de Patricia Highsmith dont il est adapté "Ripley s'amuse".
Le personnage principal de l'histoire, c'est Jonathan Zimmermann (joué par Bruno Ganz), un petit artisan de Hambourg sans histoire vivant modestement avec sa femme et son fils. Ce qui le détruit à petit feu, c'est justement d'être sans histoire. Alors va lui tomber dessus une histoire complètement invraisemblable "bigger than life" qui va peut-être (on ne le saura jamais vraiment) précipiter sa fin mais aussi lui permettre de vivre dangereusement, c'est à dire intensément ses derniers moments. Et dans le rôle du père noël/ange gardien/ange de la mort, "l'ami américain" alias Tom Ripley, alias Dennis Hopper, le symbole de la contre-culture US. Ce monstre de charisme est habillé et filmé de façon à encore amplifier son statut de mythe vivant.
La relation Zimmermann/Ripley, intime et complexe est faite d'attraction-répulsion. Zimmermann refuse de lui serrer la main pour ensuite mieux tomber dans ses bras pour ensuite mieux le fuir. Et Ripley est celui qui précipite Zimmermann dans un cauchemar éveillé à base de diagnostics médicaux truqués et de contrats criminels à remplir tout en intervenant pour le protéger. Le jeu outrancier de Dennis Hopper tire son personnage vers le burlesque, un genre qui occupe une place importante dès le début du film avec une allusion au "Mecano de la General" de Buster Keaton. Il faut dire que la séquence du train ou l'on voit le tueur amateur allemand et son doppelgänger américain multiplier les tours de passe-passe dans les toilettes pour éliminer un truand et son garde du corps est 100% jouissive (et le train est présent dans un autre livre de Patricia Highsmith adapté par Hitchcock pour le cinéma, "L'inconnu du Nord-Express"). Comme dans d'autres films de Wenders, les personnages fonctionnent en miroir l'un de l'autre. Ripley est pour Zimmermann "l'autre soi", ce soi inconnu sauvage, violent, fou que seule l'approche de la mort peut faire sortir du bois. La femme de Zimmermann (Lisa Kreuzer) est mise à l'écart par ce couple Eros-Thanatos qu'elle a bien du mal à briser.
Film sur le pouvoir du cinéma, "l'Ami américain" est rempli de références cinéphiles. Pas moins de sept réalisateurs y font des apparitions de Nicholas Ray à Samuel Fuller en passant par Jean Eustache dans les trois villes où se déroule le film (Hambourg, Paris et New-York).
"L'Odyssée de Charles Lindbergh" réalisé en 1957 est un des films invisibles de Billy Wilder. Peu connu et peu projeté depuis sa sortie, le DVD ne semble jamais avoir été édité en France (il existe cependant une version anglaise multizone avec la VF et la VOST).
La principale raison de ce désamour est le manque de personnalité du film. Impossible de voir à l'œil nu qu'il s'agit d'un Billy Wilder. Il s'agit plutôt d'un film de studio et de prestige, réalisé en Scope et en Warnercolor. Et pour cause, c'est un film de commande (je dirais même de propagande) à la gloire de l'exploit réalisé en 1927 par Charles Lindbergh lorsqu'il traversa d'une seule traite la distance séparant New-York de l'aéroport du Bourget à Paris à bord de son "Spirit of St-Louis". L'aviateur qui avait tout pouvoir sur le film et était un maniaque du contrôle avait exigé qu'il soit entièrement consacré à cet épisode héroïque si éloigné de l'esprit Wilder. Pas question d'égratigner son image immaculée auprès du public. Très ironique comme toujours, Wilder n'avait pas hésité à le taquiner à ce sujet. Un jour qu'ils effectuaient un vol agité, Wilder lui avait dit "Charles, ça serait drôle, non, si cet avion s'écrasait maintenant, vous voyez d'ici les manchettes des journaux, Lucky Lindy s'écrase avec un ami juif!" (Lindbergh était connu pour son antisémitisme et ses sympathies pro-nazies).
La Wilder's touch se réduit à la portion congrue dans le film, cependant elle existe. L'événement est traité de façon journalistique (l'ancien métier de Wilder), il nous est présenté en temps quasi réel comme une retransmission. L'accent est mis sur l'obstination du héros littéralement obsédé par cette course (et la peur de se faire doubler par ses concurrents) au point d'en perdre le sommeil et de prendre de gros risques. A l'intérieur du cockpit où est confiné Lindbergh pendant 33 heures, Wilder apporte des touches de réalisme documentaire bienvenue en plus de flashbacks rythmant la progression dramatique. On le voit lutter contre le sommeil, contre la peur, contre la solitude, contre le givre qui recouvre son appareil. James Stewart sur qui repose le film est parfait pour le rôle même s'il a 20 ans de trop. D'abord parce qu'il est un ancien pilote de guerre, ensuite parce qu'il incarne parfaitement le héros américain, patriote et valeureux homme d'action.
Dernier volet de la "trilogie de l'errance", "Au Fil du temps" est avec les "Ailes du désir", le film le plus géopolitique de Wim Wenders. Ces deux films témoignent de l'existence d'une barrière infranchissable séparant l'Allemagne (pour "Au Fil du temps") et Berlin (pour "Les Ailes du désir") en deux parties durant la guerre froide. Ce qui en fait de drôles de road movie (terrestre pour "Au Fil du temps", spirituel pour "Les Ailes du désir") en vase clos. Wenders a beau filmer la campagne allemande comme s'il s'agissait des grands espaces désertiques américains, il étouffe (ne se définit-il pas lui-même comme un homme né "dans un paysage trop petit pour lui"?) et il ira tourner les films suivants aux USA. De fait, l'irruption de Roger Lander (Hanns Zischler) dans l'histoire est on ne peut plus significative: il jette sa voiture dans l'Elbe qui servait de frontière naturelle aux deux Etats.
"Au Fil du temps" se déroule donc pour l'essentiel dans la zone frontalière entre la RFA et la RDA que les personnages longent à défaut de pouvoir la traverser. Comme dans les autres volets de sa trilogie, Wenders dresse un état des lieux peu reluisant de son pays. Hanté par son passé nazi et la fracture générationnelle, morale et identitaire qui en a résulté, le no man's land de la frontière traduit bien l'errance d'une jeunesse privée de re-pères (l'admiration que Wenders porte à Nicholas Ray, le réalisateur de la "Fureur de vivre" prend ici tout son sens). Durant tout le film, les personnages traversent des villes fantômes, une succession de lieux vides, complètement dévitalisés. Bruno Winter, l'un des deux héros (joué par Rüdiger Vogler, véritable fil rouge de cette trilogie) est réparateur ambulant de matériel cinématographique ce qui permet à Wenders de montrer l'état de déliquescence de cette industrie dans son pays: des salles délabrées, vides, fermant les unes après les autres diffusant des sous-produits à caractère pornographique. Par contraste, il rend hommage à la grandeur du cinéma à plusieurs reprises, notamment lors d'une scène magique ou Bruno et Roger font un numéro burlesque muet derrière un écran de cinéma.
Enfin, ce film est la première histoire d'une amitié quasi fusionnelle entre deux hommes en apparence opposés (l'un est un hippie vivant en marge de la société, l'autre un intellectuel ne tenant pas en place) mais qui se découvrent en cours de route de nombreux traits communs. "Si Loin, si proches", ils se cessent de se séparer et de se retrouver. Tous deux sont dans une impasse existentielle qui se traduit par leur mal être et leur solitude. Symboliquement, c'est dans un poste-frontière américain qu'aura lieu la grande explication au bout de laquelle ils concluent qu'ils doivent tout changer "On ne peut vivre ainsi sans changement, c'est comme si tu étais mort".
Rüdiger Vogler et Hanns Zischler constituent le premier grand couple "hétéro-gay" de la filmographie de Wenders qui en comptera plusieurs autres (Ganz-Hopper, Ganz-Sander etc.) Ce genre de liens entre hommes fait penser à "Husbands" de Cassavetes avec lui-même, Gazzara et Falk ou à "Mikey et Nicky" de Elaine May avec Cassavetes et Falk. Le fait que ce dernier ait fini par entrer dans l'univers de Wenders tombe sous le sens.
Le deuxième volet de la trilogie de l'errance de Wenders est un film abscons, bavard et cérébral. Mais il est néanmoins passionnant. Cet état des lieux d'une Allemagne en pleine crise identitaire et morale s'avère de fait extrêmement pertinent.
Contrairement aux autres films de cette trilogie, "Faux mouvement" est très écrit. Il s'agit d'une adaptation par Peter Handke d'un roman de Goethe, "Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister". Sauf que le bildungsroman tourne à vide. Wilhelm (Rüdiger Vogler) n'apprend rien de son voyage. Etre en mouvement n'est plus une garantie de changement comme il le constate amèrement lorsqu'il arrive au bout de son périple "j'avais l'impression de manquer quelque chose et de toujours manquer quelque chose à chaque nouveau mouvement". C'est sur une impasse que s'achève le film. Et un constat d'impuissance. Wilhelm n'a réussi à s'accomplir ni comme écrivain, ni comme être humain. Il est passé à côté des êtres et des choses.
Sur sa route, il croise comme dans un rêve les fantômes du passé mal digéré de l'Allemagne. Un couple de saltimbanques étrange et mal assorti se composant d'un vieil homme Laertes (Hans Christian Blech) et d'une adolescente muette Mignon (Nastassia Kinski) se fait inviter par l'écrivain. Il s'avère que le premier est un ancien nazi qui n'en finit plus d'expier ses crimes alors que la seconde représente la chape de plomb que ce monstrueux passé fait peser sur les jeunes générations, réduites au silence. Wilhelm essaye d'ailleurs en vain de se débarrasser du vieil homme après avoir au début du film décidé d'échapper à une mère tout aussi oppressante "Ma langue a disparu. Depuis deux jours, je n'ai pas sorti un mot." Quand les mots font défaut, il ne reste que les coups. Et le sang comme preuve matérielle de la souffrance endurée: Wilhelm se coupe les mains en balançant ses poings à travers la vitre et Laertes saigne du nez (dans un tout autre contexte, l'éveil des sens de Damiel dans "Les Ailes du désir" se fera d'abord par la vue et le goût de son propre sang).
Les autres personnages croisés par l'écrivain complètent le tableau d'une Allemagne dépressive et traumatisée: une actrice, Thérèse (Hanna Schygulla) qui fait fantasmer Wilhelm mais devant laquelle il se dérobe, un industriel veuf et solitaire (Ivan Desny) et un jeune poète qui prétend être son neveu (Peter Kern) mais qui en réalité est tout aussi désafilié que les autres. L'absence de foyer où se réfugier était déjà un thème majeur de "Alice dans les villes" où l'on voyait Philip et Alice chercher la maison de la grand-mère de cette dernière pour finalement découvrir qu'elle n'y habitait plus. Dans "Faux mouvement", l'industriel accueille à bras ouverts le petit groupe dans sa demeure mais c'est pour mieux le pulvériser en se suicidant un peu plus tard. Trente ans après la fin de la guerre, ses séquelles n'ont pas encore fini de causer des ravages.
Tout Wenders est en place dans ce que l'on peut considérer comme son premier film important. Tourné en 1974 avec un petit budget, celui-ci appartient au courant de la nouvelle vague allemande et constitue le premier volet d'une "trilogie de l'errance" qui est le fil rouge de toute son oeuvre. On y retrouve la fascination pour une certaine Amérique, la relation "flottante" à l'Allemagne allant de pair avec l'improvisation, l'errance d'un personnage déraciné qui n'arrive pas à écrire son histoire (à tous les sens du terme), les concerts rock conçus comme des oasis où l'on peut retrouver des forces avant de reprendre la route. Et enfin la rencontre avec un enfant par lequel enfin l'histoire peut s'écrire.
Philip (Rüdiger Vogler), journaliste solitaire en panne d'inspiration ne peut que prendre des polaroïds pour se sentir exister. Des photos de paysages, vides d'hommes. Des photos sans vie. Des clichés sans âme. Et même si on le voit rouler de patelin en patelin, la mise en scène qui le montre s'échouant invariablement le soir dans un motel anonyme suggère qu'il fait en réalité du sur-place. Son patronyme, Winter suggère assez bien son état d'hypothermie. Jusqu'à ce que son chemin croise celui d'Alice (Yella Rottländer), une gamine aussi paumée que lui avec laquelle il va entreprendre une odyssée géographique et intérieure.
"Alice dans les villes" préfigure "Paris, Texas" dans la manière dont Wenders traite la relation entre l'enfant et l'adulte. Ce dernier est immature et c'est l'enfant qui va le responsabiliser dans une inversion des rôles assez troublante. La présence de l'enfant par ses demandes et remarques très concrètes, va le faire redescendre sur terre, l'obliger à se décentrer pour finalement mieux se retrouver lui-même. Cela passe par la rééducation du regard (y compris caméra). La fillette s'appelle Alice et aide Philip (autoportrait de Wenders) à voir de l'autre côté du miroir (exactement comme dans les "Ailes du désir" où les enfants sont les seuls à percevoir les anges, invisibles pour la plupart des adultes). Pour Wenders, l'enfance est un paradis perdu qu'il convoque avec nostalgie tout comme le cinéma de John Ford. Perdu mais que l'on peut retrouver en soi comme le montrent aussi les moments de tendre complicité entre Philip et Alice qui au fil de leur voyage tissent un lien filial électif qui se substitue à celui de leurs familles respectives.
Le troisième court-métrage réalisé par René Clément est une collaboration avec Jacques Tati dont c'est également le troisième scénario. Tous deux sont alors très jeunes (23 ans pour Clément, 29 pour Tati) et ne rentreront dans la cour des grands que 10 ans plus tard (le premier long-métrage de Clément et le premier court-métrage réalisé par Tati, prélude à "Jour de fête" datent tous deux de 1946).
"Soigne ton gauche" est très marqué par la personnalité de Tati. Tout d'abord il se situe dans le même univers rural que "Jour de fête" et s'ouvre sur le personnage d'un facteur très proche de celui qu'interprètera Tati ( il est ici joué par Max Martel). Puis il tourne autour d'un entraînement de boxe qui est un grand classique du burlesque muet américain, notamment chez Chaplin ("Charlot et Fatty dans le ring" en 1914, "Charlot boxeur" en 1915, "Les Lumières de la ville" en 1931). Bien que le film soit sonorisé, il se caractérise par son économie de paroles, l'essentiel reposant sur le comique visuel lié à la pantomime du corps dégingandé de Tati. Lequel pratique la boxe d'une manière très personnelle, entre l'escrime et la bagarre pure et simple. On mesure à quel point son style est déjà abouti car on reconnaît bien à travers Roger les futurs François et M. Hulot. Quelques gags annexes (comme le combat de coqs ou le ring qui s'effondre) complètent le tableau de ce court-métrage prometteur.
"Qui es-tu?" Mima voudrait bien choisir ce qu'elle voudrait être. Mais cette jeune fille sans histoire, sans aspérité n'y arrive pas, prisonnière des images que les autres façonnent, prisonnière de leurs fantasmes et de leurs projections. Progressivement, elle se perd dans ce labyrinthe d'images jusqu'aux limites de la folie alors qu'autour d'elle, les cadavres s'accumulent dans la pure tradition du thriller hitchcockien et de son héritier, celui de Brian de Palma.
Film culte et visionnaire, le premier long-métrage de Satoshi Kon l'est assurément puisqu'en 1997, la révolution numérique n'avait pas encore envahi les foyers. Pourtant Mima découvre que sur Internet, quelqu'un tient un blog en se faisant passer pour elle. Ce vol d'identité numérique n'est que le dernier avatar d'une longue chaîne d'illusions véhiculées par les médias (presse, affiches, photos, TV, cinéma). La première Mima que nous voyons, c'est la pop idol, ces jeunes chanteuses kleneex véhiculant une image fraîche, gaie et innocente fabriquées par une industrie du divertissement qui les médiatise à outrance durant quelques années avant de les rejeter pour en prendre d'autres. Dans l'espoir d'échapper à ce destin, Mima décide d'arrêter en pleine gloire pour saisir l'opportunité qu'on lui propose de devenir actrice et mannequin. Elle tombe ainsi dans un autre système d'exploitation d'images, sauf que celui-ci la sexualise à outrance, la faisant poser nue et la soumettant à une scène de viol. Mais l'ancienne Mima maintenue en vie par ses fans otakus les plus acharnés ne veut pas périr et revient tel un fantôme harceler la nouvelle Mima et massacrer ceux (des hommes évidemment) qui l'ont créé. De façon significative, le tueur crève les yeux de ses victimes pour les punir de leur transgression. Chez Kon, tout est affaire de mise en abyme. Au Japon, les poils pubiens sont un véritable tabou culturel, or Satoshi Kon n'hésite pas à l'exploser en montrant ceux de Mima ce qui le place dans une position très provocatrice, susceptible de provoquer des réactions violentes à son égard. Une vraie note d'intention pour son cinéma.
Que pèsent au final les limites techniques face à une réflexion aussi vertigineuse et une mise en scène aussi brillante? On ne se pose pas la question lorsqu'il s'agit de films live utilisant des effets spéciaux datés, pourquoi cela devrait-il pénaliser exclusivement les films d'animation? En tout cas celui à qui cela n'a pas posé de problème, c'est Darren Aronofsky qui s'est largement inspiré de "Perfect blue" pour réaliser "Black Swan" jusqu'à reprendre à l'identique des plans entiers.
Puisque le "Voyage d'Arlo" est fondé sur la réécriture de l'histoire de la terre, faisons-en de même pour le film. Il n'aurait pas fait partie des Pixar (heureusement peu nombreux à ce jour) passe partout aussitôt vus, aussitôt oubliés s'il avait tenu toutes les promesses de son pitch initial consistant à dévier la fameuse comète à l'origine de la fin des dinosaures, à leur faire inventer l'agriculture, l'élevage et le langage tandis l’homme aurait été rabaissé au rang d'animal de compagnie dépourvu de langage audible. Avec un point de départ aussi stimulant, il y avait de quoi sortir des sentiers battus.
Seulement voilà, c'est l'inverse qui s'est passé. Les personnages ont été grossièrement définis (tant sur le plan plastique que psychologique) et l'intrigue s'avère conventionnelle au possible, usant de grosses ficelles vues et revues notamment chez Disney: perte d’un être cher, apprentissage de la vie et ses épreuves, personnage principal qui ressemble au départ à une petite chose chétive et peureuse qu’un voyage initiatique fera devenir un homme avant de retrouver les siens, personnages secondaires sans aucun intérêt. La sainte famille est glorifiée et après un temps de cohabitation entre homme et saurien, chacun rentre chez soi et les vaches seront bien gardées. On regrette d'autant plus les Pixar osant les turbulences familiales: la crise d'ado de Riley dans "Vice Versa" sorti la même année, la crise du couple des "Indestructibles" ou les renoncements de celui de "Là-Haut" ou encore Marin, le papa veuf hyper angoissé qui doit apprendre à lâcher son fils dans "Le monde de Nemo". Tout dans ce film (dont la production fut compliqué) respire la paresse et la panne d'inspiration.
Reste la majesté des paysages reconstitués de manière époustouflante, variations de lumière incluse et un divertissement premier degré sympathique pour les plus petits mais qui ne les accompagnera pas au delà de 6 ans.
"Le Feu Follet" est la première adaptation cinématographique du roman de Pierre Drieu La Rochelle publié en 1931 en hommage à un ami écrivain surréaliste qui s'était suicidé deux ans auparavant. Drieu finira d'ailleurs de la même façon en 1945. Louis Malle a légèrement modifié le texte du livre pour l'adapter à son époque, 1963 en pleine période des 30 Glorieuses (on voit d'ailleurs les grands ensembles de banlieue en construction). Près de cinquante ans plus tard, le norvégien Joachim Trier fera sa propre version, ce sera "Oslo 31 août". Le "Feu Follet" de Malle se situe quant à lui à Versailles et dans le Paris germanopratin. Il dresse le portrait d'un milieu bourgeois délétère dans duquel navigue un héros en pleine dépressurisation existentielle. Naguère séducteur mondain porté sur la bouteille, il sort de quatre mois de cure de désintoxication avec l'envie d'en finir. Auparavant, il revient sur les lieux dans lesquels il a vécu, revoit les gens (le plus souvent décadents) qu'il a connu, repartant un peu plus amer et dégoûté à chaque fois.
Film profondément mélancolique et morbide, bercé par les airs d'Erik Satie, le "Feu Follet" réussit à nous communiquer le sentiment d'impuissance de son héros, son incapacité à ressentir et à créer qui fait de lui un mort-vivant en sursis. Louis Malle filme en très gros plan les moments cruciaux où Alain tente d'entrer en communication avec autrui, surtout les femmes. Mais ici une vitre, là un miroir ou encore une porte (représentant symboliquement le pouvoir social, celui de l'argent ou celui de la force virile) dressent des murs infranchissables entre elles et lui, entre la vie et lui. Maurice Ronet fait une remarquable prestation. Il porte le film sur ses épaules, la caméra ne lâchant presque jamais son visage en train de se désagréger peu à peu au fil de son errance urbaine sans issue.
Un proverbe chinois dit que "L'important n'est pas le but, mais le chemin". C'est exactement la philosophie du deuxième film de Satoski Kon. Mieux vaut être bien accroché: en une heure et vingt-trois minutes, on parcours 40 ans de la vie d'une grande actrice japonaise, retravaillées par sa mémoire. 40 ans d'une course folle à travers les années, les films, les rêves, les genres du cinéma et de quelques uns de ses plus grands réalisateurs. Le tout ne forme qu'une seule et même expérience, l'expérience totale d'une vie d'être humain. Le film par sa construction en scènes emboîtées les unes dans les autres fait penser aux poupées russes ou aux miroirs qui se réfléchissent à l'infini.
Néanmoins ces scènes ne sont que des variations de la même histoire. Une histoire extrêmement simple, celle du désir humain voué à n'être jamais satisfait mais constituant l'aiguillon indispensable pour avancer et créer. Le film devient ainsi une réflexion sur la destinée. La vocation d'actrice de Chiyoko Fujiwara naît le jour où son chemin croise furtivement celui d'un jeune peintre traqué par le pouvoir autoritaire du Japon nationaliste des années 30. Elle passera les trente années suivante à le rechercher, traversant de multiples périls (la guerre, la répression totalitaire, les tremblements de terre), endossant de multiples rôles (princesse, geisha, cosmonaute, infirmière, maîtresse d'école etc.) et genres (mélodrame, science-fiction, film de sabre à la Kurosawa, film de guerre, film de monstres type Godzilla) sans jamais parvenir à le rejoindre.
Son désir croise sans cesse par ailleurs celui du réalisateur venu faire un documentaire sur elle, Genya Tachibana ce qui approfondit encore la mise en abyme entre vie réelle, cinéma et fantasmes. Lui aussi apparaît quasiment dans toutes les scènes du film, la plupart du temps flanqué de son caméraman. Parfois simple observateur du récit de la vieille actrice, il occupe la plupart du temps le rôle du chevalier blanc venant au secours de sa belle. Plus jeune, il a travaillé dans les mêmes studios qu'elle et l'a réellement protégé. Son désir pour elle qui perdure à travers le temps est tout aussi inaccessible que celui qu'elle porte au peintre dont on ne verra jamais le visage.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.