Quand viendra l'heure du bilan (en tournant un film par an avec la régularité d'un métronome, il repousse toujours l'échéance mais il ne pourra pas le faire éternellement), il sera intéressant d'étudier les variations dans les génériques des films de Woody Allen. Ceux-ci sont connus pour leur identité immuable: lettres blanches sur fond noir, police Windsor depuis "Manhattan", casting dans l'ordre alphabétique (et non par ordre d'importance), fond musical classique ou jazz etc. Cependant, si le film le rend nécessaire, Woody Allen n'hésite pas à y insérer des images. On se souvient de la scène d'ouverture de "Harry dans tous ses états" répétée 4 fois en alternance avec le déroulement du générique. "Minuit à Paris" propose de commencer par une série de plans-clichés touristiques de la capitale au soleil et sous la pluie, de jour et de nuit. Le générique n'intervient qu'après alors que l'on entend le premier dialogue mettant en évidence la faille au sein du couple Gil (Owen Wilson) et Inez (Rachel McAdams). Le premier qui est écrivain trouve à Paris une aura particulière et aime marcher dans ses rues sous la pluie et pas la seconde dont les œillères californiennes l'empêchent d'apprécier le charme de la situation. La mésentente manifeste au sein de ce couple désaccordé permet à Woody Allen de creuser deux sillons.
Le premier, le volet diurne est satirique et très drôle. Il caricature Inez et ses parents, de riches américains républicains tendance Tea-Party (on dirait aujourd'hui pro-Trump) ignares, vulgaires et imbus d'eux-mêmes. Mais le summum de la fausse monnaie est atteint avec le personnage de Paul, un (pseudo)-intellectuel pédant qui pérore sans cesse et croit tout savoir mieux que tout le monde. Inez pour qui seules comptent les apparences n'a d'yeux que pour lui mais Allen s'amuse plus d'une fois à le mettre en boîte pour notre plus grande joie.
L'autre volet, nocturne fait la part belle à l'onirisme et à la poésie. Insatisfait par la médiocrité de sa vie présente avec Inez et ses futurs beaux-parents, Gil s'évade dans le passé artistique de la ville-lumière. Un voyage rendu possible par la magie du cinéma, thème allénien par excellence. Tous les soirs à minuit, un carrosse (ou plutôt une vieille Peugeot) l'emmène dans un monde de fantasmagories où il rencontre un club d'artistes internationaux parmi les plus brillants des années 20 de Picasso à Dali en passant par Fitzgerald et Hemingway. Il se sent revivre auprès d'eux mais Allen n'oublie pas de signaler au spectateur que cet échappatoire n'est qu'une illusion. Adriana, la muse et maîtresse de ces artistes (jouée par Marion Cotillard) rêve en effet de vivre au temps de la Belle Epoque. Lorsque Gil et elle y parviennent, ils rencontrent au autre club d'artistes (Toulouse-Lautrec, Gauguin, Degas...) qui eux rêvent de retourner au temps de la Renaissance. La mise en abyme montre qu'il s'agit d'une fuite en arrière. Reste pour Gil à explorer une troisième option: rompre avec Inez et vivre un autre présent, plus en conformité avec sa vraie personnalité.
Et on fermera les yeux sur le casting français outrageusement pistonné pour jouer dans le film, Carla Bruni et Léa Seydoux en tête.
Un court-métrage mêlant habilement le documentaire en noir et blanc et prise de vues réelles et le dessin à l'encre noire à peine animé. Le tout forme une satire au vitriol des pulsions meurtrières de l'être humain.
Dès les premières images, le ton antimilitariste du film est donné. On voit des gamins jouant à la bagarre et à la guerre pendant que le commentaire affirme de façon un peu provocante que "sur ce monde vivent des êtres pourvus de quatre membres. Deux pour avancer ou reculer, les inférieurs. Deux pour tuer, les supérieurs. Principale ressource de l'homme, la mort. Il en vit, il en meurt aussi." Les dessins surréalistes de Topor qui montrent une humanité fracassée, mutilée par la violence sont à la fois beaux et dérangeants. La séquence où Marianne, debout sur des cadavres embroche un innocent au bout de son épée s'inspire sans doute de la Une du journal satirique anticolonialiste du début du vingtième siècle "L'Assiette au beurre" montrant un soldat français tenant une épée avec deux enfants africains empalés dessus et son supérieur lui disant "Deux d'un coup! C'est superbe, tu auras la croix".
L'hypocrisie de la bonne société qui se nourrit de chair à canon est dénoncée. 40 avant la fameuse formule de Patrick Le Lay sur le temps de cerveau humain disponible pour manipuler ses comportements de consommateur dans une société capitaliste on est frappé par la similitude de cette phrase formulée dans un contexte de société belliciste: "Il reste toujours des vivants. Il en faut pour recommencer. Que faire pour ces cadavres du futur? Leur donner l'oubli donc des loisirs." Lesquels ("les temps morts") consistent à continuer le massacre sur d'autres victimes, les animaux par exemple ou bien la criminalité domestique. "L'homme pense, donc il vise bien!" (Quel détournement de la formule de Descartes "Je pense donc je suis"). Et le film de se terminer sur cette forme d'assassinat légal qu'est la peine de mort, sous toutes ses formes.
En 1960, René Laloux travaille en tant que moniteur d'activités artistiques au sein de la clinique psychiatrique de La Borde à Cour-Cheverny dans le Loir et Cher avec les docteurs en psychanalyse Jean Oury (également psychiatre) et Félix Guattari. C'est à cette occasion qu'il réalise son premier court-métrage d'animation, "Les dents du singe" avec l'aide d'une dizaine de malades mentaux qui écrivent l'histoire et se chargent des dessins en papiers découpés articulés.
Autant dire que la démarche thérapeutique de cette œuvre d'art saute aux yeux. On ressent dans ce film assez aride (sauf à la fin) toute la souffrance de leurs auteurs. Perdre ses dents en rêve est considéré comme un signe d'impuissance (le contraire de l'expression "mordre la vie à pleine dents"). Le dentiste qui les arrache pour les donner aux riches est à l'inverse tout-puissant. Il peut symboliser le monde médical qui règne parfois abusivement sur les malades (dans le film, leur charcutage est suggéré plus d'une fois). Cette autorité oppressive est également représentée par les policiers qui pourchassent le pauvre et s'infiltrent partout en avançant parfois masqués. Quant au singe, il peut représenter la nature animale qui reprend ses droits en restituant les dents volées et en provoquant la floraison des arbres.
L'atmosphère surréaliste qui se dégage de ce film tapa dans l'œil de Roland Topor avec lequel René Laloux allait entamer une collaboration fructueuse d'une dizaine d'années.
"La planète sauvage" est le fruit de trois créateurs visionnaires, Stephen Wul (auteur du roman dont est tiré le film), René Laloux (réalisateur) et Roland Topor (scénariste et animateur). A l'époque, il faisait figure d'OVNI cinématographique car il bousculait les catégories préétablies. Il s'agissait en effet de l'un des premiers films d'animation pour adulte (bien que Laloux ait toujours dit que c'étaient les enfants qui avaient le mieux compris son film). Il était également précurseur en tant que film d'animation de science-fiction alors que l'alliance des deux genres était jugée jusque là trop space pour le public.
"La planète sauvage" est un conte philosophique qui renverse le rapport qu'entretient l'homme à son environnement et suscite ainsi la réflexion. Le voilà réduit à la taille d'un insecte, traqué et exterminé comme un nuisible ou bien instrumentalisé comme un objet ou un animal de compagnie par des êtres qui se pensent supérieurs. Une supériorité fondée sur la taille et sur la technologie mais à qui il manque un élément fondamental: l'empathie. Autrement dit, les Draags sont des colosses aux pieds d'argile ce que confirmera la fin du film lorsque les Oms se seront appropriés leur savoir. Ce scénario est d'une telle intelligence et d'une telle pertinence que l'on peut y projeter aussi bien le colonialisme, l'esclavagisme, la shoah, la guerre froide (contexte de la réalisation du film) ou encore la question écologique.
Le film est également marquant par la richesse de son esthétique. L'animation se compose de dessins découpés en phases ce qui donne à la palette graphique une richesse de nuances impossible à rendre avec des cellulos. Et puis il y a l'imaginaire surréaliste de Roland Topor dont le style psychédélique fait penser à celui de Terry Gilliam à l'époque des Monty Pythons.
L'héroïne du film s'appelle Alice et sa sœur s'appelle Dorothy. Quelle entrée en matière! Il n'est pas difficile de comprendre que l'on va se promener dans ce film quelque part entre le pays des merveilles et le pays d'Oz. Pas au sens littéral du terme mais les herbes magiques du docteur Yang permettent à Alice une surprenante (et parfois jubilatoire) traversée du miroir.
Cette bourgeoise BCBG insatisfaite en dépit de son train de vie fastueux (montré avec force détails satiriques qui préfigurent "Match Point") voit son corps se révolter sous la forme d'un mal de dos chronique et de rêves d'adultère. Elle ose alors pousser la porte du bouge mal famé où officie l'omniscient docteur et c'est le début d'une aventure que seul le cinéma rend possible (d'où l'absence de Woody Allen à l'écran: c'est lui le docteur Yang! Et "Alice" préfigure de nombreux films où la magie joue un rôle important "Le Sortilège du Scorpion de Jade", "Scoop", "Magic in the Moonlight" etc.)
Qui n'a jamais rêvé de voir ses inhibitions tomber pour pouvoir réaliser ses désirs? Se rendre invisible pour savoir ce que l'on dit de soi ou surprendre son mari en flagrant délit d'infidélité? Revivre des moments heureux du passé avec les gens que l'on a aimé? S'envoler au-dessus de la ville avec le fantôme de son premier mari? Rencontrer sa muse pour réaliser ses aspirations artistiques? Mia Farrow s'en donne à cœur joie dans plusieurs registres, passant de la catho coincée à la nymphomane en un clin d'œil, le tout avec cette sensibilité qui donnent aux films de Woody Allen de cette époque leur aura particulière.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.