"Peines d'amour perdues" sorti en 2001 est la quatrième adaptation d'une pièce de Shakespeare par Kenneth Branagh après "Henry V" (1989), "Beaucoup de bruit pour rien" (1993) et "Hamlet" (1996). Et c'est la moins réussie des quatre, contrairement aux 3 autres, elle est d'ailleurs passée relativement inaperçue. Le fait que Branagh transpose, modernise ou coupe une partie du texte d'origine n'est pas en soi un problème. Il avait fait de même pour "Henry V" et "Beaucoup de bruit pour rien" et le résultat était enthousiasmant. L'ennui c'est qu'ici tout ce dispositif semble tourner un peu à vide:
- Cette pièce déjà mineure dans l'œuvre du dramaturge est en plus privée des 3/4 de son texte, remplacé pour l'essentiel par des numéros chantés et dansés extraits des plus grandes comédies musicales américaines des années 30 et 50. Mais le mariage des deux genres fonctionne mal. L'introduction de la comédie musicale est trop timide à cause de chorégraphies assez minables alors qu'en revanche le verbe de la pièce est largement vidé de sa substance, se réduisant à un bavardage inconsistant ou à des numéros burlesques consternants.
-Pour donner un peu de poids au film, Branagh transpose l'histoire à la veille de l'éclatement de la seconde guerre mondiale. On pense à "La Règle du jeu" de Jean Renoir réalisé en 1939 où les personnages dignes d'une comédie de Marivaux "dansaient sur un volcan". Mais il ne change pas le contexte Renaissance de la pièce ce qui jure horriblement avec celui de la guerre. On se retrouve ainsi avec un roi de Navarre et une princesse de France alors que le royaume de Navarre a disparu depuis belle lurette et que la France n'est plus une monarchie depuis près de 70 ans! Les "Actualités" qui commentent les actions de la pièce semblent ainsi raconter un conte de fées déconnecté de la réalité de cette époque.
-La fadeur du casting est sans doute une autre conséquence malheureuse du choix de faire une comédie musicale. Au lieu des acteurs chevronnés plein de talent auxquels nous avait habitué Branagh, on a en personnages principaux des Ken et des Barbie plus insignifiants les uns que les autres et en personnages secondaires des caricatures absolument grotesques qui gesticulent dans le vide. Résultat: on s'ennuie ferme.
Paddington est un monument national au Royaume-Uni, l'équivalent de notre Astérix en France. L'ironie étant qu'Astérix incarne plutôt le chauvinisme du petit village gaulois replié sur lui-même qui résiste encore et toujours à l'envahisseur alors que Paddington, l'ourson péruvien incarne l'étranger à qui une famille londonienne va offrir l'asile avant de l'adopter comme un des sien alors "qu'il n'est pas de la même espèce". On comprend pourquoi l'adaptation cinématographique la plus réussie d'Astérix ("Mission Cléopâtre") fait dialoguer les cultures et les personnages de diverses origines, noyant ainsi l'indigeste poisson gaulois dans le cosmopolitisme.
Il y a au moins deux allusions à des faits historiques majeurs dans "Paddington". La première fait référence aux voyages d'exploration du XIX° siècle, prélude à la conquête coloniale. Sauf qu'au lieu de ramener un spécimen empaillé de ses découvertes au muséum d'histoire naturelle, le géographe Montgomery Clyde préfère fraterniser avec la famille ours bipède et capable d'apprendre l'anglais qu'il a rencontré dans la jungle péruvienne. Il est d'ailleurs radié pour cela de son club de géographie et c'est sa fille, la méchante du film (jouée par Nicole Kidman) qui incarne le rôle de taxidermiste d'espèces rares. La deuxième fait allusion aux kindertransport, une opération de sauvetage de milliers d'enfants juifs d'Europe centrale et orientale recueillis par des familles britanniques, des pensions ou des fermes peu de temps avant le début de la seconde guerre mondiale. La Chambre des communes avait approuvé un décret permettant aux réfugiés de moins de dix-sept ans de pouvoir s'installer dans le pays à la condition d'y trouver un lieu d'accueil et de déposer cinquante livres en garantie pour un éventuel billet de retour chez eux. L'ami des Brown, l'antiquaire M. Gruber (joué par Jim Broadbent) est l'un de ces anciens enfants réfugiés.
Rien qu'avec un tel substrat, le film ne pouvait déjà que sortir du tout venant. Si on ajoute qu'il est bon enfant, charmant et élégant ce qui n'est pas si fréquent, on ne peut que vivement le conseiller comme un spectacle de qualité qui ravira petits et grands.
Le film de Peter Jackson est un remake high tech et XXL du chef-d'oeuvre de 1933 de Marian Caldwell Cooper et Ernest Beaumont Schoedsack. En fait le mot hommage serait plus approprié que celui de remake. Jackson a respecté le découpage du film d'origine (pas de transition entre la capture de Kong et son exhibition contrairement au film de 1976 par exemple), repris de nombreuses scènes quasiment à l'identique (comme celle où Naomi Watts vole une pomme ou joue devant la caméra du bateau, la scène finale...), inclus des allusions à son équipe (par exemple à travers le personnage de réalisateur-aventurier joué par Jack Black qui est un mélange d'Orson Welles et de Marian Caldwell Cooper ou celui de Naomi Watts qui succède à tout le casting féminin envisagé pour le film de 1933).
Le respect et l'admiration que le réalisateur voue à cette œuvre est indéniable, néanmoins le résultat, meilleur que la version "Tahiti douche" de 1976 laisse quand même un peu perplexe. Certes, la reconstitution du New-York en crise des années 30 est hyper-soignée, l'écosystème de Skull Island est considérablement développé mais il manque à tout cela un véritable sens. Le film de 1933 était contemporain de la crise et de la colonisation sur lesquelles il portait un regard critique. Celui de 2005 utilise ces thèmes révolus comme un simple décor et n'apporte rien de nouveau. Le film de 1976 avait eu au moins le mérite de tenter une réactualisation avec les préoccupations des années 70 (crise pétrolière et écologie). Il y a aussi une tendance à la surenchère lourdingue (un travers très contemporain) à tous les niveaux: plus de personnages, plus de bébêtes, plus de scènes d'action, plus d'effets spéciaux (pas toujours finalisés d'ailleurs).
Finalement l'aspect le plus intéressant du film, le seul quasiment par lequel il diverge intelligemment de l'original et acquiert une personnalité propre, c'est dans la relation entre Ann et Kong. Ni marionnette hurlante (en 1933), ni midinette stupide (en 1976), la Ann 2005 (bien servie par Naomi Watts) est un personnage sensible qui résiste à la pression mercantiliste de son entourage notamment en nouant un lien privilégié avec Kong. Certes l'attachement à un géant velu qui la protège peut passer pour une métaphore machiste (la fille sans défense qui cherche la sécurité dans les bras d'un monstre hyperviril). Mais il n'y a pas que ça, d'ailleurs son attachement perdure quand Kong devient une victime traquée et martyrisée. Celui-ci en dépit de sa sauvagerie et de sa dangerosité s'humanise dès qu'il est en sa présence. Les scènes de contemplation en haut du rocher/de la tour sont "beautiful." Dommage que cet aspect ne soit pas davantage approfondi.
"Les Invisibles" est un documentaire intimement lié au besoin de combler un vide mémoriel. Le réalisateur, Sébastien Lifshitz confie dans les bonus du DVD que l'idée du film est partie d'une dizaine d'albums photos qu'il a trouvé dans une brocante qui appartenaient à un couple de femmes vivant dans les années 50. Des photos en décalage avec "l'histoire officielle" (moi je dirais plutôt les clichés) attachés à l'homosexualité qui aurait été en ce temps là forcément tragique. Poussé par le besoin de combler l'absence de transmission générationnelle liée à l'invisibilité sociale des homo seniors (sans parler du vide laissé par la génération fauchée par le sida), il décida de mener une enquête auprès d'hommes et de femmes âgés de 60 à 80 ans venant de tous les milieux sociaux et géographiques et capables de produire du sens c'est à dire ayant un recul sur leur vie, des archives et vivant dans un environnement signifiant.
Le résultat, passionnant démonte un certain nombre de clichés sur l'homosexualité mais aussi sur la vieillesse. Tout d'abord et à sa grande surprise, Sébastien Lifshitz a découvert que la plupart des témoins vivaient au sein de couples de longue durée, qu'ils étaient plutôt épanouis et que leur parole était franche voire crue sur la sexualité. Certains ont toujours su qu'ils étaient homosexuels, d'autres l'ont découvert sur le tard. Certains sont passés par la voie du militantisme pour s'affirmer, d'autres non. A cause de leur différence et de la forte répression familiale et sociale qu'ils ont vécu pour la plupart, ces hommes et ces femmes ont dû aller plus loin que les autres sur le chemin de leur vérité intime afin de vivre en harmonie avec leur nature. Ce qui frappe d'ailleurs dans ce documentaire, c'est justement l'omniprésence de la nature, qu'elle soit filmée ou évoquée. A contre-courant de l'idée reçue selon laquelle la ville serait le milieu "naturel" des homos, une partie d'entre eux ont vécu toute leur vie ou trouvé refuge à la campagne. Les propos de Pierrot sur les pratiques sexuelles des animaux vont dans le même sens. A savoir que l'homosexualité est naturelle, que sa place est dans la nature et que ce sont les constructions sociales qui sont à l'origine de son bannissement.
Au final, le film dépasse son sujet initial pour évoquer le travail qu'il est nécessaire d'effectuer pour être soi c'est à dire être libre, heureux, vivant tout simplement. Pierrot, le chevrier philosophe évoque d'ailleurs le fait que renoncer à sa sexualité c'est comme s'assoir sur une chaise pour regarder la TV au moment de la retraite, cela conduit tout droit au cimetière.
Kiki, film enchanteur et vivant comme toutes les œuvres de Miyazaki est aussi l'un des plus subversifs. Pourtant son thème principal est archi-classique. Il s'agit du passage à l'âge adulte avec ses rituels comme l'adoubement avec la remise du balai ou le voyage initiatique à la manière du grand tour d'Europe qu'effectuaient les jeunes gens de bonne famille à l'époque moderne. S'y ajoute un récit d'apprentissage, d'émancipation et d'intégration. L'aspect intemporel et universel de cette histoire est renforcé par le fait que la ville est une synthèse architecturale de nombreuses villes d'Europe voire des USA (San Francisco) et que plusieurs époques se télescopent des années 30 (le ballon dirigeable) aux années 60 (la télévision noir et blanc).
Mais là où l'histoire devient originale et profondément moderne c'est dans le renversement des rôles sexués. Miyazaki remplace en effet le héros habituel de ce genre de récit (en littérature comme au cinéma) par une héroïne. Il ne pouvait s'agir d'ailleurs que de que cette figure féministe avant l'heure qu'est la sorcière. Dans son livre "Ame de sorcière ou la magie du féminin" Odile Chabrillac écrit que la magie est aussi (et avant tout) "un parcours de vie, un chemin initiatique, que l’on peut souhaiter investiguer" et que "se réapproprier leur histoire, leurs savoirs, leurs pouvoirs, c’est autoriser chaque femme à retrouver sa puissance, en faisant d’elle une digne héritière des guérisseuses et des sages-femmes d’antan. C’est ouvrir de nouveaux possibles, dans tous les champs (politique, artistique, écologique, philosophique, humain surtout), c’est oser se revendiquer différente, puissante et néanmoins bienfaisante".
Ainsi en attribuant à une jeune fille ayant des pouvoirs des préoccupations dévolues habituellement aux garçons (trouver sa place dans le monde, se réaliser professionnellement, s'affirmer, devenir indépendante) Miyazaki en chantre du féminisme offre aux filles japonaises (mais aussi occidentales) un magnifique récit d'émancipation auxquelles elles peuvent s'identifier. Et il ne s'arrête pas là puisque les deux femmes adultes qui aident Kiki à se réaliser sont de la même trempe. Osono la figure maternelle enceinte jusqu'aux yeux qui tient la boulangerie porte la culotte face à un conjoint complètement effacé. Quant à Ursula, elle est une artiste-peintre un peu marginale qui vit seule dans la forêt. Elle symbolise une Kiki un peu plus âgée, trouvant son inspiration dans le cosmos c'est à dire exactement là où Kiki puise son pouvoir magique (l'énergie du ki qui relie l'homme à l'univers).
Eblouissant poème visuel porté par la sublime musique de Joe Hisaishi, récit épique foisonnant où s'affrontent les hommes entre eux mais surtout les hommes et les dieux, "Princesse Mononoké" est également une réflexion philosophique de haut niveau sur la complexité des relations entre l'homme et la nature. La difficulté que rencontre aujourd'hui le développement durable à concilier le progrès économique, la justice sociale et le respect de l'environnement est parfaitement retranscrite par le clairvoyant Miyazaki.
L'histoire de "Princesse Mononoké" se déroule dans un Japon médiéval en proie à une mutation irréversible. Celle où l'homme jusque là soumis à la nature cherche à en devenir le maître. Il y a quelque chose de prométhéen dans cette problématique car la forêt dépeinte par Miyazaki est le refuge des dieux. Ceux-ci prennent la forme d'animaux géants aux capacités exceptionnelles. Comme dans "King Kong" qui bien qu'occidental a un imaginaire proche, l'assaut des hommes leur est fatal. Tout au long du film, on voit ces êtres surnaturels agoniser ou se consumer de haine, dévorés de l'intérieur par des vers géants.
Leur principal antagoniste est le village des forges qui incarne l'industrialisation et le progrès technique par lequel l'homme s'élève au-dessus de sa condition initiale au prix de l'abattage des arbres. Qui voudrait aujourd'hui vivre dans les ténèbres de l'ignorance? (cela me fait penser au film de Solveig Anspach "Haut les cœurs" où une femme enceinte atteinte d'une cancer -jouée par Karin Viard- disait haut et fort qu'elle "remerciait la science et emmerdait la nature"). De plus le village des forges incarne aussi le progrès social. Il est dirigé par une femme, Dame Eboshi qui a ouvert sa porte à tous les exclus de l'ère féodale (lépreux, vachers, prostituées) soigne les premiers et donne aux seconds de grandes responsabilités aussi bien dans la production économique que dans la défense du village.
C'est pourquoi, et c'est l'une des grandes forces du film, Miyazaki, à l'image du héros Ashitaka se refuse à choisir un camp. Il recherche le dialogue, l'équilibre, la cohabitation pacifique. Et pour cause, à l'image de San, fille de la forêt élevée par une louve mais qui est humaine, ces deux mondes en conflit sont en réalité inextricablement liés. Lorsque Dame Eboshi décapite le dieu-cerf qui est le principe d'équilibre entre la vie et la mort pour offrir l'immortalité à l'empereur, ce qui reste de l'entité divine détruit aussi bien la forêt que les constructions humaines (une image évidente de l'apocalypse). Quant à Dame Eboshi, elle paye ce geste de la perte d'une part d'elle-même puisque elle y laisse un bras. A l'inverse, les efforts de San et d'Ashitaka pour réunifier le dieu-cerf sont récompensés par la guérison du mal qui gangrenait leur corps. Mais en dépit de leur amour qui les lie, chacun vivra dans son monde sans pouvoir espérer les réunir. Et tout est à reconstruire. Si la civilisation repart de zéro, la fragilité de la renaissance de la forêt est telle qu'elle reste ambiguë: le petit Kodama est-il un rescapé ou le premier rejeton d'une ère nouvelle?
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.