Fleur de Lotus (The Toll of the sea)
Chester M. Franklin (1922)
C'est le premier grand rôle au cinéma de Anna May WONG qui n'avait alors que 17 ans, ce qui lui permis ensuite d'être repérée par Douglas FAIRBANKS pour "Le Voleur de Bagdad" (1924). C'est aussi le premier film réalisé en technicolor et le résultat est splendide avec une richesse et un raffinement dans le choix des couleurs, des costumes et des paysages qui se retrouve jusque dans les intertitres qui ressemblent à des estampes japonaises. Par ailleurs, si les films colorisés existent depuis les débuts du cinéma, la technique mise en oeuvre ici donne au film (restauré en 1985) une allure très moderne qui désoriente quelque peu le spectateur. S'il n'était pas muet on pourrait tout à fait croire qu'il a été réalisé dans les années 30 ou 40. Enfin, le scénario adapté de l'opéra de Puccini, "Madame Butterfly" et transposé en Chine est de Frances MARION, la scénariste la plus en vue de l'époque avant que le parlant ne balaye les femmes des fonctions de commandement de l'industrie cinématographique.
Mais si par certains aspects, "Fleur de lotus" est un film en avance sur son époque (et sur les suivantes), par d'autres, il offre hélas le témoignage des préjugés racistes qui allaient pourrir la carrière hollywoodienne de Anna May WONG. Celle-ci, enfermée dans un rôle fleurant bon l'exotisme orientaliste joue le rôle tragique d'une jeune fille séduite et abandonnée par un amant WASP aussi insipide que lâche. Dès que sa famille lui demande de retourner aux USA et que ses amis commencent à évoquer l'inconvenance de sa situation, on voit tout d'un coup Allen Carver cesser de regarder Fleur de lotus dans les yeux ce qui n'est pas très bon signe. Mais celle-ci s'enferme dans le déni, jusqu'à ce que Carver, qui ne lui a pourtant donné aucune nouvelle revienne quelques années plus tard, flanquée de son épouse WASP bien comme il faut. C'est dire la considération qu'il a pour elle. Coup de grâce qui montre bien les biais d'écriture de l'époque: Fleur de lotus non seulement ne lui en veut pas mais elle confie à sa femme l'enfant qu'ils ont eu ensemble (enfant d'ailleurs à l'apparence 100% anglo-saxonne) avant d'aller se jeter à la mer, sous-entendu: je suis une intruse, je m'efface du paysage.
Mais là encore, le film n'est pas ce qui s'est fait de pire en la matière. De même que le parlant a évincé les femmes des postes de pouvoir dans le cinéma hollywoodien, il a coïncidé avec la mise en place du code Hays qui a aggravé le sort réservé aux minorités. C'est en partie à cause de lui que Anna May WONG a vu le rôle pourtant a priori fait pour elle de "Visages d'Orient" (1936) lui échapper au profit d'une actrice blanche grimée en asiatique. Le code, reflet des mentalités suprémacistes et ségrégationnistes de la société américaine interdisait de montrer des relations amoureuses à l'écran entre acteurs issus d'ethnies différentes. Par la force des choses, Anna May WONG a eu donc une carrière contrariée mais sa combativité, ca capacité à se réinventer en n'hésitant pas à changer d'air pour échapper aux stéréotypes et l'épreuve du temps ont fini par lui donner la place qu'elle méritait, celle d'une pionnière.
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