Pas son genre
Lucas Belvaux (2014)
Je suis loin de connaître la totalité de la filmographie de Emilie DEQUENNE, néanmoins pour ce que j'en ai vu, ce sont les belges qui ont su le mieux mettre en valeur son talent alors que le cinéma français l'a souvent sous-exploitée. Ainsi dans "Pas son genre", elle vole la vedette à son partenaire, Loic CORBERY et rayonne comme un soleil au point de faire émerger un autre thème que celui qui est présenté comme étant au coeur du film. Alors oui, bien sûr que "Pas son genre" raconte un impossible dépassement de différence de milieu socio-culturel à la manière d'autres films ayant traité le même sujet de façon plus ou moins subtile ("Le Gout des autres" (1999), "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2 -" (2013) etc.) Par-delà la différence de goûts, de références, d'activités qui n'est pas insurmontable (pas besoin d'être fusionnel pour former un couple viable) c'est le mépris de classe qui est le plus dévastateur. Rien de tel que le test de la rencontre inopinée entre le couple naissant et les amis de celui qui en constitue le membre le plus aisé pour s'en rendre compte: dans "Pas son genre" (2014) comme dans "Minnie and Moskowitz" (1971) ou "Les Amants du Capricorne" (1949), le plus défavorisé se retrouve brutalement éclipsé par une complicité de classe dont il est exclu, son partenaire, confus et honteux préférant l'ignorer. Une violence qui se traduit tellement bien sur le visage de Emilie DEQUENNE (dans une scène de carnaval qui n'a pas dû être choisie au hasard) qu'elle n'a pas besoin de l'exprimer par les mots. Et qui laisse la fin, celle où elle s'efface pour de bon du paysage ouverte à l'interprétation. Car comme je le disais plus haut, un autre thème émerge dans le film, celui qui questionne l'épanouissement dans le couple. Le personnage de Clément nous est présenté en amont de sa rencontre avec Jennifer comme un intellectuel de la rive gauche (ajoutant le parisianisme mondain considérant la province comme un exil punitif aux autres attributs de son appartenance bourgeoise) mais aussi comme un infirme émotionnel et relationnel. Un misanthrope froid, distant, taciturne, refusant de s'engager et de fonder une famille. A l'opposé, Jennifer, solaire et énergique est l'incarnation de la joie de vivre. Elle ne dégage que des ondes positives, que ce soit avec son fils, avec ses amis ou avec ses clients. Sa rencontre avec Clément agit comme un éteignoir. On la voit le porter à bout de bras, déployer de l'affection, de la tendresse pour deux (comme dans la scène du karaoké) mais à un moment donné, le manque de réciprocité la vide de son énergie d'autant qu'elle est suffisamment lucide pour comprendre qu'elle n'est pour Clément qu'un bouche-trou et que leur romance est surtout physique. Seulement voilà, elle a été façonnée par le mythe du prince charmant* comme l'ont été des générations de femmes avant elle et comme le sont encore trop de jeunes filles aujourd'hui, la rencontre amoureuse étant "vendue" comme l'horizon incontournable de l'accomplissement de soi. Ainsi, sous couvert d'analyse sociologique, c'est également à une analyse des rapports genrés aux résonances bien actuelles que se livre ce film d'une grande richesse et aussi d'une grande justesse. En disparaissant, Jennifer échappe à toutes les formes de domination que Clément, consciemment ou non lui impose et donc à son propre conditionnement de femme soumise, passive, ayant intériorisé son infériorité, si bien analysé dans le livre poignant de Christine ANGOT, "Un amour impossible" (2018). Ainsi contrairement aux apparences, le film de Lucas BELVAUX dépeint une émancipation féminine, bien aidé par une Emilie DEQUENNE impériale.
* Mythe analysé notamment par le sociologue Jean-Claude Kaufman dans son livre "La femme seule et le prince charmant".
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