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Les Naufragés (Lifeboat)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1943)

Les Naufragés (Lifeboat)

Un tour de force que ce huis-clos à ciel ouvert dans un canot de sauvetage que la caméra ne quitte jamais, cinq ans avant "La Corde" (1948). Et pour filer la métaphore, une belle façon de tordre le cou à la propagande qui était censée motiver le public américain des salles de cinéma à acheter des "war bonds" qui aidaient l'Etat à financer l'économie de guerre. Adaptation d'une oeuvre de Steinbeck quant à elle ouvertement propagandiste, le film de Alfred HITCHCOCK est bien plus troublant en tant que démonstration des tares de deux sociétés ennemies se retrouvant embarquées "sur le même bateau". D'un côté un échantillon diversifié d'américains rescapés du torpillage de leur paquebot par un sous-marin allemand, de l'autre Willy (Walter SLEZAK), le commandant nazi de ce même sous-marin (coulé à son tour), déterminé et discipliné qui prend rapidement l'ascendant sur eux tout en se faisant passer pour un simple marin ne parlant pas leur langue et en dissimulant ses intentions comme ses ressources. Du moins un certain temps car lorsque la vérité est découverte, on voit à l'oeuvre l'un des aspects les plus détestables de l'Amérique: le lynchage collectif. Le seul à ne pas y participer est comme par hasard le seul afro-américain de l'équipage, celui qui de plus parvient à deux reprises à confondre Willy en lui dérobant des objets qui révèlent sa duplicité mais aussi ses valeurs nazies (le sacrifice de l'infirme Gus joué par William BENDIX en étant l'expression). Joe (Canada LEE) ne peut pas participer à ce règlement de comptes entre frères ennemis nourris à la même source du racisme biologique et du darwinisme social. Il se place donc en position d'observateur de cette petite comédie humaine dans laquelle la différence de classe sociale est également marquée tout en étant tournée en dérision. Ainsi la journaliste mondaine Connie Porter (Tallulah BANKHEAD) qui est la seule à avoir réussi à monter à bord du canot sans mouiller une mèche de sa mise en plis et en emportant tous ses biens voit ceux-ci lui échapper un à un de même que sa parure luxueuse, révélant in fine qu'elle n'est qu'une parvenue issue des mêmes bas-fonds de Chicago que le machiniste communiste par lequel elle est attirée, Kovac (John HODIAK) qui s'oppose à l'industriel capitaliste Rittenhouse (Henry HULL). Bref, la distance ironique à l'anglaise de Alfred HITCHCOCK, y compris vis à vis de lui-même (son cameo-signature en faveur d'un régime amincissant qui lui avait perdre 30 à 40kg sur un journal rescapé du naufrage est hilarant) s'accommode bien mal de l'appel à l'unité nationale face à l'ennemi qu'était censé être le film, il montre plutôt la réalité des fractures de l'Amérique et sa proximité idéologique cachée avec l'Allemagne. En résumé si "Lifeboat" peut tout à fait être lu comme un appel à s'unir dans la même galère face à un ennemi commun mais c'est sa lucidité qui en plus de sa virtuosité technique le rend si pertinent encore aujourd'hui.

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