Inland Empire
David Lynch (2006)
"Inland Empire" est le dernier long-métrage de David LYNCH, un film expérimental de près de trois heures, sorte de labyrinthe mental très "Shining" (1980) et "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) mais qui s'apparente aussi à un microcosme de tout l'univers lynchien. Les références à ses oeuvres antérieures sont innombrables. L'introduction rappelle celle de "Lost Highway" (1997) sauf que le magicien d'Oz est cette fois-ci une femme, Grace ZABRISKIE (la mère de Laura Palmer dans "Mysteres a Twin Peaks" (1990), sa préquelle et sa suite) qui vient annoncer à Nikki Grace (Laura DERN, l'actrice fétiche de David LYNCH qu'il filme en gros plans sous toutes les coutures et tous les éclairages) ce qu'il va lui arriver sous la forme d'un conte cruel. Conte qui ressemble aussi à l'intrigue de "Mulholland Drive" (2001) (Laura HARRING fait d'ailleurs une apparition-éclair): une jeune fille perdue (entre deux identités contraires, celle de l'épouse en pleine crise conjugale sur fond d'adultère et celle de la prostituée) qui se projette dans la peau d'une star hollywoodienne (Nikki qui signifie la victoire en grec et Grace dont le patronyme fait penser à Grace KELLY, icône hitchcockienne) avec une vision de l'usine à rêves commençant comme un rêve de princesse dans un château et se terminant comme un cauchemar sur le trottoir de Hollywood Boulevard au milieu des SDF. Coralie FARGEAT s'est sûrement inspirée de cette séquence de démythification du Walk of Fame pour créer le visuel de l'étoile souillée et pour le personnage d'Elisabeth dont l'avatar jeune se prénomme Sue, soit le nom du rôle que décroche Nikki Grace. Car questions mises en abymes, on est servi. Nikki Grace n'est qu'une projection de l'esprit "sur l'écran noir de mes nuits blanches" sauf que la frontière entre cinéma et télévision est abolie. La jeune fille perdue entre chambre d'hôtel de passe et espace domestique regarde à la façon d'une image-miroir une étrange sitcom surréaliste autour d'une famille lapin qui en réalité est un court-métrage lynchien intitulé "Rabbits" réalisé juste après "Mulholland Drive" (2001) avec les voix de Naomi WATTS et Laura HARRING. L'ambiance glauque m'a beaucoup rappelé celle de "Eraserhead" (1976) qui évoquait déjà la famille comme un film d'horreur. Nikki Grace interprète elle-même un rôle, celui de Sue dans un film qui s'avère être le remake d'un film allemand lui-même adapté d'un conte polonais. Conte qui ressemble peu ou prou à celui que la mystérieuse voisine raconte à Nikki Grace, le film ajoutant une fin horrifique: l'assassinat des deux acteurs principaux sur le tournage. Par conséquent le film dans le film (la jeune fille coincée entre deux réalités glauques rêvant de Grace qui joue Sue) se double d'un film derrière le film (l'original germano-polonais qui ne cesse de s'inviter dans son remake). Le spectateur se demande donc si Nikki parviendra à sortir vivante de cet infernal labyrinthe ou bien si elle y succombera comme d'autres avant elle: David LYNCH rend une fois de plus hommage aux actrices sacrifiées avec une allusion à Judy GARLAND et également au film de Stanley KUBRICK, "Lolita" (1962) dont l'actrice s'appelait justement Sue (Sue LYON). Bref, à condition de se laisser embarquer sans se poser de questions, on voit que même un film aussi destructuré en apparence que "Inland Empire" n'est pas si abscons qu'il n'y paraît, qu'il y a toujours chez David LYNCH une trame (et ce même si le film a été réalisé en partie sans scénario!) parce qu'il est certes un artiste plasticien mais aussi un conteur, qualité ô combien précieuse qui le distingue radicalement par rapport à nombre de cinéastes sacrifiant le fond à la forme.
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