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The Brutalist

Publié le par Rosalie210

Brady Corbet (2025)

The Brutalist

"The Brutalist" est un film hors-normes, d'une ambition que l'on croyait révolue dans le cinéma américain avec l'avènement des plateformes et de l'IA. Les films d'une amplitude comparable, il faut aller les chercher dans les années 70 et 80 avec "Le Parrain, 2e partie" (1974) ou "Il était une fois en Amerique" (1984)* et "The Brutalist" va même jusqu'à ressusciter l'entracte avec la vente ambulante de confiseries dans un panier d'osier! Pourtant si, "The Brutalist" fait penser à ces illustres prédécesseurs et inscrit son histoire dans l'Histoire avec une fresque allant de l'après-guerre jusqu'aux années 80, c'est bien d'aujourd'hui qu'il nous parle tant politiquement que cinématographiquement. L'affiche comme la première séquence du film ont une valeur programmatique semblable à l'ouverture de "La Zone d'interet" (2021) ou "Le Fils de Saul" (2015) soit les oeuvres les plus récentes ayant pour sujet la Shoah: au sortir d'un chaos sensoriel matriciel (voix de femme sur images d'un homme essayant de s'extraire du néant), le film "accouche" d'une étrange vision. Celle d'un cliché retourné. La statue de la Liberté, premier aperçu de la "terre promise" aux migrants mais vue à l'envers. L'envers du rêve américain, donc. "The Brutalist" est en effet l'histoire d'une reconstruction/déconstruction. Celle de son héros (fictionnel), Laszlo Toth, architecte juif hongrois rescapé des camps de la mort, tout comme le reste de sa famille. Le film inscrit les traumatismes dans leur chair: Laszlo outre son nez cassé est alcoolique et toxicomane, sa femme est paralytique et sous médicaments pour supporter de vives douleurs qui l'assaillent la nuit au milieu de ses cauchemars, leur nièce est mutique. Ce "passé qui ne passe pas" agit dans un présent qui rejoue certains aspects de ce qu'ils ont vécu. L'Amérique comme promesse de nouveau départ s'avère donc être un mirage. Le film, dans une démarche là aussi très contemporaine déconstruit le mythe de l'âge d'or américain des années 50 en montrant aussi bien la brutalité des rapports de classe fondés sur l'argent et le pouvoir que l'antisémitisme qui s'y exprime sans retenue. La relation entre Laszlo et son mécène, le richissime Harrison Van Buren qui est au coeur du récit est cruelle et perverse. Car le second fait miroiter au premier la possibilité du "temps retrouvé", celui où il était un grand architecte reconnu du Bauhaus pour mieux le "crucifier". Sous l'emprise de ce prédateur, semblable à celle de sa toxicomanie, Laszlo se consume sous les yeux effarés du spectateur. C'est le choc de ces deux volontés titanesques, l'une mue par ses désirs de toute-puissance, l'autre par un besoin créatif existentiel qui s'inscrit dans la cathédrale brutaliste (mot à l'évidence polysémique tant il définit les rapports humains autant qu'un style architectural) qu'ils sont contraints d'ériger ensemble. Une alliance contre-nature puisque enfantée par l'éternel conflit entre l'art et l'argent à l'image de cette cathédrale dont le sens caché est révélé à la fin du film. Le nom de Brady CORBET m'était totalement inconnu avant ce film. Il ne m'a pas marqué en tant qu'acteur et les deux films qu'il a réalisé avant ne sont pas sortis (sans doute sortiront-ils dans le sillage de celui-ci). Son irruption dans le paysage cinématographique en est d'autant plus saisissante. On peut également souligner son sens du casting. Grâce à lui, Adrien BRODY trouve enfin un rôle à la hauteur de celui qu'il avait interprété plus de vingt ans auparavant pour Roman POLANSKI et il en va de même pour son antagoniste, l'excellent mais trop rare Guy PEARCE.

* Avec tout le respect que je dois à Paul Thomas ANDERSON, ses films n'ont pas la même portée.

Présentation:

J'ai pris un certain retard sur les sorties cinéma, la faute au décès de David Lynch et de Bertrand Blier que j'aimais beaucoup tous les deux et qui m'a conduit à me replonger dans leurs oeuvres. Mais je ne pouvais pas passer à côté de "The Brutalist". Parce que j'adore Adrien Brody et que depuis "Le Pianiste", je suis toujours restée sur ma faim quant aux rôles qui lui ont été proposé. Je pourrais dire presque la même chose de Guy Pearce d'ailleurs. Parce que les thèmes du film m'intéressent également beaucoup ainsi que la manière de les raconter. En effet si "The Brutalist" peut faire penser aux grandes fresques des années 70-80 sur l'Amérique vue par un immigré, il s'agit d'une oeuvre bien contemporaine. La Shoah y est présente comme elle peut l'être dans "La Zone d'intérêt", non plus à travers les faits mais à travers les signes. Car finalement, c'est son héritage que l'on ausculte aujourd'hui. Ainsi lorsqu'à la mi-temps du film apparaît l'entracte, j'ai fixé longuement la photo qui nous fait patienter avant la deuxième partie. Et j'ai pensé à un plan précis de "Shoah" de Claude Lanzmann: celui de l'ancienne synagogue de Grabow transformée en magasin de meubles... comme celui où Laszlo atterrit au début de son périple en Amérique. Est-ce un hasard?

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