Eraserhead
David Lynch (1977)
"Eraserhead", le premier long-métrage de David LYNCH est le terreau de tous ses autres films ainsi que de la série Twin Peaks. Mais c'est une oeuvre expérimentale, aride, radicale, à la fois passionnante et repoussante qui a mis cinq ans à voir le jour, se taillant un succès d'estime underground mais durable qui a suffi pour que Mel BROOKS repère le talent du réalisateur et lui confie les clés de ce qui allait devenir son premier grand succès (et futur grand classique), "Elephant Man" (1980).
"Eraserhead", c'est la rencontre de deux univers. L'un, purement mental est énoncé dès le générique: nous allons plonger dans la tête de Henry (Jack NANCE, l'un des fidèles coéquipiers au long cours du cinéaste), jeune homme qui voit lui tomber dessus une conjugalité et une paternité non désirées, thème que l'on retrouve dans sa dernière oeuvre cinématographique "Twin Peaks : Le Retour" (2017). L'autre, environnemental, est une zone industrielle désolée et crasseuse de la ville de Philadelphie que David LYNCH qui y a vécu quelques années transforme en terrain de jeux pour ses expérimentations visuelles et sonores. On ressent l'influence de l'artiste-peintre, plasticien, animateur et musicien à chaque seconde, sa fascination pour les textures, les bruits de fond et les formes notamment dont beaucoup deviendront des leitmotivs dans sa filmographie: le grésillement des lampes, les trous noirs, le rideau de scène par exemple. Quant au fond, "Eraserhead" est construit comme le seront ses futures oeuvres sur des allers-retours permanents entre les mondes. Henry qui arbore une coiffure chargée d'électricité statique (la même que celle qui deviendra plus tard la signature de David LYNCH) cherche à fuir une réalité subie qui l'oppresse et que David LYNCH nous fait ressentir sensoriellement (espace exigu, fenêtre murée, gémissement ou bourdonnement incessant) en s'évadant dans le rêve. Rêve plus ou moins lunaire dans lequel il s'imagine avoir une aventure avec sa superbe voisine ou bien rejoindre une simili Marilyn Monroe se produisant sur scène derrière le radiateur, "over the rainbow". Mais ses angoisses contaminent ses rêves tels ces vers en forme de cordons ombilicaux ou de spermatozoïdes géants qui tombent sur la scène et que la fille écrase avec jubilation, son visage aux joues hypertrophiées ou les vagissements qui perturbent ses ébats avec la voisine. Le bébé prématuré aux allures de lapin écorché est un pur produit de body horror qui suscite chez le spectateur comme chez Henry des pulsions de meurtre. Soit exactement l'effet que produit à l'autre bout du spectre lynchien le personnage de Richard Horne dans "Twin Peaks : Le Retour" (2017), lui aussi le fruit d'une conception non désirée dont le comportement monstrueux nous fait penser comme le bébé de "Eraserhead" qu'il est une aberration de la nature (ou d'un monde post-apocalyptique très fortement suggéré par la minéralité, la pollution, l'absence de lumière et la plante morte près du lit) et qu'il doit y retourner au plus vite. Et ce n'est pas la seule "aberration" récurrente puisque "Eraserhead" flirte aussi avec le thème de l'inceste. Non celui qui se cache au coeur de "Twin Peaks" mais sous la forme que l'on peut observer dans "Sailor & Lula" (1990): une belle-mère se jetant avidement sur son beau-fils comme si elle allait le dévorer.
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