L'Histoire de Souleymane
Boris Lojkine (2024)
Cela valait le coup de rattraper au cinéma "L'Histoire de Souleymane" que j'avais raté à sa sortie. Heureusement, outre les prix reçus à Cannes en section parallèle, le film a réussi à dépasser les 500 mille entrées, élargissant son public, notamment à des jeunes qui peuvent enfin voir à l'écran un personnage qui n'est pas souvent représenté au cinéma de façon aussi centrale*. Abou SANGARE qui est de tous les plans porte le film sur ses épaules et se donne sans compter dans une histoire qui lui ressemble, même si on reste dans la fiction. Comme le personnage de Laure CALAMY dans "A plein temps" (2021), Souleymane est lancé dans une course contre la montre dans laquelle il joue à la fois sa survie quotidienne et son avenir en France ce qui imprime un rythme trépidant à la majeure partie du film. Une tension proche du thriller qui n'occulte pas pour autant une description réaliste de la vie d'un migrant sans-papiers aujourd'hui en France. Vie que la plupart des français ne connaissent que sous l'angle de discours politiques démagogiques, occultant le fait que des secteurs entiers de l'économie profitent de cette main d'oeuvre privée de droits et donc taillable et corvéable à merci. Souleymane l'est d'autant plus qu'il est demandeur d'asile et n'a pas le droit de travailler. Il se fait donc exploiter par un "compatriote" en effectuant des livraisons à son nom et sur son compte ce qui signifie qu'il est à sa merci pour être payé. Un autre "compatriote" lui réclame de l'argent pour soi-disant aider à étoffer son dossier dans l'entretien qu'il doit passer à l'OFPRA. Et comme si cela n'était déjà pas assez difficile comme ça, Souleymane qui est SDF doit se lever aux aurores pour réserver chaque jour sa place d'hébergement d'urgence et être le soir à l'heure pour attraper le bus social, faute de quoi, il se retrouve à la rue. Bref une vie d'enfer, constamment sous pression qui fait qu'on tremble à le voir pédaler comme un fou sur son vélo au milieu de la dense circulation parisienne. C'est pourquoi l'entretien en face à face de la fin tranche autant avec tout ce qui précède. Une fin bouleversante, à plusieurs niveaux de lecture et qui pose beaucoup plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.
* Un pied-de-nez à la critique négative de "Critikat" qui considérait que le film était calibré pour les bobos "Tout cela s’adresse avec un peu trop d’évidence à un profil type de spectateur : blanc, citadin, bourgeois de préférence, usager compulsif ou occasionnel des applications de livraison à domicile, qui pourra se reconnaître parmi les clients de Souleymane". C'était sans compter avec ce que charrie Abou SANGARE et qui visiblement passe au-dessus de la tête de "Critikat".
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