Buffet froid
Bertrand Blier (1979)
"Buffet froid" que je n'avais jamais vu m'a fait l'effet d'une pièce de théâtre de l'absurde dans un univers cauchemardesque, mi "Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)", mi "Orange mécanique": le nôtre. Celui d'une urbanisation tentaculaire à l'architecture inhumaine qui inspirait des dystopies à la chaîne au début des années 70. "C'est ce béton qui me rend fou" hurle le personnage joué par Jean Carmet, un étrangleur de femmes mais tous les personnages sont à l'avenant. Des êtres paumés, sans attaches, anesthésiés, pour lesquels rien n'a d'importance. Des rôles si désincarnés (celui du mari chômeur, du flic et de l'assassin) qu'ils en deviennent interchangeables. Des âmes errantes dans des tunnels glauques, des immeubles de cités sinistres ou des paysages froids et désolés. Et pourtant, malgré cette désespérance généralisée, le film scintille d'humour non sensique. Bertrand Blier met notamment dans la bouche de son père, Bernard des mots savoureux à la Michel Audiard du genre "Ca sent le tabac et quand ça sent le tabac, ça veut dire que ça va bientôt sentir le roussi" ou bien "C'est une tour interdite aux musiciens, une tour sans gammes et sans arpèges". Autrement dit, ni création, ni émotions. Impossible de monter dans les tours: une voiture qui ne démarre pas, un homme qui refuse d'enlever son manteau, même pour dormir, des oiseaux qui ne chantent plus, la nuit, les néons ou un jour blafard et humide. Et pour finir en beauté et boucler la boucle du surréalisme un "ange exterminateur" alias Carole Bouquet sorti tout droit de "Cet obscur objet du désir". L'influence de "Buffet froid" m'a paru manifeste dans "Au Poste" de Quentin Dupieux qui se déroule dans le même quartier de la Défense et qui est aussi l'un de ses hommages les plus appuyés à Luis Bunuel.
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