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Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop)

Publié le par Rosalie210

Monte Hellman (1971)

Macadam à deux voies (Two-Lane Blacktop)

"Macadam à deux voies" est un road-movie qui s'inscrit dans la mouvance de la contre-culture de la fin des années 60 et du début des années 70. Un terme à prendre aussi au sens littéral. Comme son immédiat prédécesseur "Easy Rider" (1969), les personnages font la route en sens inverse des pionniers, de l'ouest vers l'est, de Los Angeles à un hypothétique Chicago, New-York ou Miami, horizon qu'ils n'atteindront jamais. Plutôt que de faire, il s'agit de défaire, plutôt que de progresser, il s'agit de faire le vide. Le nihilisme de ce film, son caractère expérimental confinant à l'abstraction explique sans doute aussi bien son échec à sa sortie que son statut de film culte aujourd'hui. Nihilisme et abstraction dans la caractérisation de personnages privés d'identité: ils sont "le chauffeur", "le mécanicien", "la fille", "GTO". Tous sont privés d'attaches comme d'histoire. Chauffeur et mécanicien parlent peu et seulement de problèmes techniques liés à leur voiture, une Chevrolet trafiquée. La fille tout aussi peu causante semble être une zonarde paumée errant sans but et sans limites d'un véhicule et d'un homme à l'autre. Seul GTO, le conducteur de la Pontiac est bavard mais c'est un pur mythomane. Warren OATES est d'ailleurs le seul véritable acteur parmi les protagonistes principaux, incarnés par des musiciens (James TAYLOR et Dennis Wilson). Bref le spectateur n'a rien à quoi se raccrocher d'autant que ces personnages semblent également dénués d'affects, de réflexion comme de motivations. Soi-disant concurrents, ils déjouent complètement le scénario de la course-poursuite entre leurs deux véhicules, prenant tout leur temps, discutant, échangeant leurs places à bord, s'entraidant. Il en va de même des autres péripéties qui pourraient émerger comme la rivalité amoureuse, la confrontation avec les flics ou avec les rednecks du coin: celles-ci sont systématiquement désamorcées. Cette impuissance à produire un quelconque récit qui fasse sens tout comme à s'ancrer quelque part s'achève dans un geste radical d'autodestruction qui laisse pantois.

L'influence européenne a été souvent soulignée à propos de ce film "méta-physique", notamment celle du théâtre de l'absurde à la Beckett mais personnellement, j'ai reconnu également certains leitmotivs du cinéma de Wim WENDERS. Celui du voyage immobile déconstruisant le "Bildungsroman" ("Faux mouvement") (1975) ou encore celui du non-sens de la vie, résumé par le monologue que Marion prononce devant Damiel dans "Les Ailes du désir" (1987): "Quand j'étais avec quelqu'un, j'étais souvent heureuse mais en même temps, je prenais tout pour des hasards. Ces gens étaient mes parents, mais d'autres aussi auraient pu l'être. Pourquoi ce garçon aux yeux marrons était-il mon frère plutôt que les garçons aux yeux verts que je voyais passer sur le quai d'en face? La fille du chauffeur de taxi était mon amie et de la même façon j'aurais aussi bien pu entourer de mes bras la tête d'un cheval. J'étais avec un homme, amoureuse de lui. Et j'aurais aussi bien pu le planter là et poursuivre ma route avec cet inconnu que nous venions de croiser dans la rue." La présence fugace de Harry Dean STANTON dans le rôle de l'un des auto-stoppeurs embarqués par GTO renforce cette impression.

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