Le Ravissement
Iris Kaltenbäck (2023)
Un premier film maîtrisé, subtil et passionnant. Il y a plusieurs histoires ou disons plusieurs points de vue dans "Le Ravissement" à l'image de son titre polysémique. Ravissement signifie en effet rapt, enlèvement mais aussi extase, transport de joie. Bien que le film s'appuie sur un fait divers et possède dans sa première partie une dimension documentaire sur le métier de sage-femme, son réel propos consiste justement à lui échapper quand l'héroïne créé sa propre fiction, "se fait un film" car elle se persuade que seul le mensonge peut lui permettre de concrétiser ses désirs et de parvenir à exister. Lydia est montrée comme une laissée-pour-compte dans une société atomisée. Son travail consiste à mettre au monde les enfants des autres mais personne ne s'intéresse à elle et à ce qu'elle ressent. Or elle se retrouve seule après avoir rompu avec son compagnon infidèle qui en dépit de leur longue relation n'avait pas fondé de famille avec elle. Et elle perd sa meilleure amie, Salomé quand celle-ci tombe enceinte, se centre sur sa famille et décide au final de déménager. Ayant perdu les deux seules personnes qui lui tenaient lieu de famille, Lydia part à la dérive et sur un coup de tête, s'approprie le bébé de son amie. Le fait qu'elle débite ce mensonge pour un amant de passage à qui elle fait croire qu'il est le père et qu'il tombe aussitôt dans le panneau s'avère aussi troublant que la mystification de "Cyrano de Bergerac" (1990). Sauf que ce n'est pas l'éloquence qui est le passeport vers la conquête amoureuse mais le fait d'être mère. C'est d'autant plus facile pour Lydia qu'elle a accouché le bébé, l'a prénommé et le garde régulièrement pour soulager Salomé qui fait un baby-blues (mais on peut tout à fait imaginer qu'il s'agit de l'interprétation de Lydia). Les agissements de Lydia sont montrés pour ce qu'ils sont, une folie dont l'issue ne peut être que dramatique mais un film n'est pas un reportage, il n'est pas là pour enregistrer froidement les faits. Il n'est pas non plus un tribunal amené à condamner ou à innocenter. Il nous montre par quel cheminement Lydia est passé pour en arriver là et interroge tout autant notre société individualiste et la place qu'elle accorde aux femmes. Hafsia HERZI, magnifique est un choix tout à fait pertinent qui apporte une dimension supplémentaire aux questionnements du film. Car après avoir été le support de fantasmes masculins dans ses films tels que ceux de Abdellatif KECHICHE ou des clients de "L'Apollonide, souvenirs de la maison close" (2010), celle-ci s'est émancipée, a accédé à la réalisation et travaille la question féminine de façon intime pour d'autres réalisatrices.
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