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Brainwashed: le sexisme au cinéma (Brainwashed: Sex-Camera-Power)

Publié le par Rosalie210

Nina Menkès (2022)

Brainwashed: le sexisme au cinéma (Brainwashed: Sex-Camera-Power)

L'éducation au regard comme moyen de combattre le sexisme dans la société et ses ravages, tant du point de vue des discriminations que du harcèlement et plus généralement de ce qu'on appelle "la culture du viol". Voilà l'objectif que s'est fixé dans sa masterclass la réalisatrice Nina MENKES dans un documentaire post-metoo qui interroge la filmographie mondiale et plus généralement le monde du cinéma. Elle ne se contente pas de pointer du doigt les contenus sexistes des films, elle propose une grille d'analyse de l'image en cinq parties (la relation sujet-objet, le cadrage, le mouvement de caméra, l'éclairage, le point de vue de la narration) qui met en évidence le "male gaze" dont elle rappelle l'origine. A savoir l'article de la théoricienne du cinéma Laura Mulvey (qui intervient dans le documentaire) paru en 1975 et intitulé "Plaisir visuel et cinéma narratif". Article qui met en évidence la façon dont le patriarcat a inconsciemment structuré la forme cinématographique de façon à réduire les femmes à l'état d'objet. Deux types d'objectification coexistent dans la plupart des films: la femme-icône déifiée (qui la coupe de son environnement, la réduit au silence, lui interdit d'exister et d'évoluer) et le corps féminin fragmenté avec souvent des gros plans sur les parties les plus excitantes de leur anatomie pour un regard masculin. On retrouve ainsi les deux visages auxquels les hommes réduisent les femmes, celui de la sainte et celui de la putain (cette dernière ayant pris le pas sur la première avec la sexualisation de plus en plus importante des corps féminins au cinéma). Ce dont on prend conscience en regardant le documentaire, c'est combien cette grille de lecture non seulement structure 96% du cinéma mondial depuis les années 30 (le film rappelle que les femmes dominaient le cinéma avant) mais combien il est difficile de s'en défaire. Ainsi même des oeuvres récentes, même réalisées par des femmes et même se voulant plus féministes produisent des images d'objectification de femmes et de fillettes, par exemple "Lost in translation" (2004) ou "Titane" (2020) ou "Scandale" (2019) ou encore "Mignonnes" (2019). Il en va de même des films de super-héros mettant en avant des héroïnes, certes puissantes mais filmées lubriquement ou formatées comme des mannequins en train de défiler. Car tous ces films mettent en valeur un type de beauté esthétiquement normé qui ne correspond pas à la réalité. Si le cinéma hollywoodien est au coeur de cette déconstruction des rapports de pouvoir, le documentaire décortique également des films asiatiques et européens, notamment français qui fonctionnent exactement de cette manière. Le cas de Jean-Luc GODARD est particulièrement mis en valeur car il a réfléchi à son art et livré des oeuvres "méta" mais ne s'adressant qu'à un public à l'image du chef-opérateur de "Le Mepris" (1963), un public "mâle-cis-hétéro" regardant avec insistance les fesses de Brigitte BARDOT, découpée façon "pièces de boucher". Une femme jeune et nue et un homme mûr habillé qui la regarde et la décrit. Mais surtout qui la contrôle et il devient logique que cette impuissance devant la caméra entraîne des abus de pouvoir sur les plateaux comme ceux décrits par Maria SCHNEIDER ou Judith GODRECHE, d'autant que les postes de pouvoir sont détenus par des hommes la plupart du temps. Ainsi le documentaire pointe du doigt avant que cela ne devienne d'actualité en France le problème fondamental du cinéma de Abdellatif KECHICHE ou de réalisateurs dénudant ou sexualisant de très jeunes filles comme Louis MALLE ou Luc BESSON. Le documentaire montre également que lorsque les hommes sont sexualisés, leur corps n'est jamais fragmenté et ils sont toujours en mouvement (comme dans "Magic Mike") (2012), échappant ainsi à l'objectification. Par ailleurs les films les plus célébrés sont des films la plupart du temps qui glorifient le regard masculin alors que les oeuvres fondées sur le regard féminin sont marginalisées.

Face à ce constat édifiant et accablant, un seul remède: être toujours plus conscient et toujours plus critique vis à vis de ce que l'on regarde. En tant que spectateur mais aussi en tant que créateur d'images. De ce point de vue, l'un des rares contre-exemples cités dans le documentaire est celui de Agnes VARDA qui avant d'être cinéaste avait été photographe. Elle était parfaitement consciente des images qu'elle composait et de l'importance du point de vue. "Cleo de 5 a 7" (1961) est même entièrement construit là-dessus: une femme regardée devient une femme qui regarde et se met en mouvement.

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