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Une sale histoire

Publié le par Rosalie210

Jean Eustache (1977)

Une sale histoire

" Rétines et pupilles
Les garçons ont les yeux qui brillent
Pour un jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles

Et la vie toute entière
Absorbés par cette affaire
Par ce jeu de dupes
Voir sous les jupes des filles
(...)

On en fait beaucoup
Se pencher, tordre son cou
Pour voir l'infortune
À quoi nos vies se résument ".

Oui il y a beaucoup de ça dans "Une sale histoire", récit d'une obsession racontée d'abord par un comédien professionnel (Michael LONSDALE) puis par celui qui est censé l'avoir sinon vécue du moins écrite (Jean-Noel PICQ) de façon quasiment identique ce qui redouble l'obsession tout en brouillant les repères entre documentaire et fiction. Les deux mots clés, "sale" et "trou" sont polysémiques. Ils renvoient au lieu du récit, les toilettes, plus précisément à leur cuvette. Ils renvoient au sexe féminin observé par le voyeur alors que la femme est en train d'uriner sans parler d'un autre trou jamais évoqué directement, celui de la défécation. Ils renvoient au trou de la serrure par lequel en se prosternant sur le sol souillé, le voyeur peut satisfaire sa pulsion scopique. Ils renvoient aussi à un trou noir, celui de la dépression qui guette le voyeur, enfermé dans sa névrose et au néant de ses relations avec les femmes, réduites à leur trou. Le trou, c'est aussi celui d'une représentation impossible autrement que par la parole, l'ouïe étant selon les dires de Jean-Noel PICQ qui cite Sade l'organe majeur de l'érotisme.

L'intérêt du film réside moins dans son contenu qui fleure bon les conversations d'il y a cinquante ans où il était de bon ton de choquer le bourgeois avec des propos crus mais énoncés avec une diction parfaite, un niveau de langue recherché et par la bouche de dandys germanopratins raffinés et décadents que dans ses interrogations sur les limites du cinéma et également de la libération sexuelle. Le besoin de recréer une forme de transgression dans une société l'ayant officiellement abolie ainsi que la description pathétique des collègues de bistrot s'adonnant à la même addiction perverse laisse entrevoir un paquet de frustrations non résolues. D'ailleurs le café est comparé à un cinéma porno, royaume de la masturbation. Les critiques envers les femmes "constipées" qui exigent tout un protocole social avant de se dénuder ne donne pas une image très heureuse des rapports entre les sexes. Enfin en prenant le parti de tout dire et de ne rien montrer, le film interroge la difficulté du cinéma à retranscrire visuellement la sexualité. Ainsi aussi scabreux soit-il, "Une sale histoire" renvoie au mal-être de "Mes petites amoureuses" (1974) d'autant que le poème de Rimbaud qui donne son titre au film donne une vision sadique et répugnante de la sexualité:

" Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou :
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs

Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères
Mes laiderons !

Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !

Un soir, tu me sacras poète
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron;

J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.

Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !

Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !

Piétinez mes vieilles terrines
De sentiments;
Hop donc ! Soyez-moi ballerines
Pour un moment !

Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent,
Tournez vos tours !

Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !

Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
− Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !

Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons."

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