Sois belle et tais-toi
Delphine Seyrig (1981)
C'est en assistant à une conférence au Forum des images par un spécialiste de Delphine SEYRIG, Alexandre Moussa qui lui a consacré une thèse en 2021, "Je ne suis pas une apparition, je suis une femme" que j'ai découvert son activité de réalisatrice, la plupart du temps au sein de collectifs tels que le bien nommé "Insoumuses". C'est au sein de ce collectif féministe fondé en 1974 que Delphine SEYRIG s'est formée au maniement de la caméra vidéo sous l'égide de Carole Roussopoulos, première femme a s'être saisie de cette nouvelle technologie permettant de réaliser des documentaires militants donnant la parole à tous ceux que les médias traditionnels délaissaient, dont les femmes.
"Sois belle et tais-toi" qui est son seul long-métrage, nommé ainsi d'après le film éponyme de Marc ALLEGRET a été tourné entre les USA et la France de 1975 à 1976. Il se compose d'une série d'entretiens réalisés avec vingt-trois actrices de différentes nationalités, très célèbres pour la plupart (Jane FONDA, Marie DUBOIS, Louise FLETCHER, VIVA, Maria SCHNEIDER, Shirley MacLAINE, Anne WIAZEMSKY etc.). En dépit de la médiocre qualité de l'image, c'est passionnant d'écouter une parole sincère pouvant s'exprimer librement et en confiance dans un rapport égalitaire. C'est le précurseur du mouvement "Metoo cinéma" et également des questions posées par le film de Justine TRIET, "Anatomie d'une chute" (2022). Dans ces conditions, il n'est guère étonnant qu'après une sortie confidentielle en 1981, il ait été restauré et soit ressorti en 2023. Nombre d'actrices sont frappées par la pertinence des questions que leur pose Delphine SEYRIG et se livrent à un constat édifiant des inégalités sexistes qui entravent leur carrière dans une industrie "faite par et pour les hommes". Tout y passe:
- Le faible nombre de rôles écrits pour les femmes, un pour cinq écrits pour les hommes en moyenne.
- Les stéréotypes attachés à ces rôles, souvent des ingénues, des femmes au foyer ou des prostituées. L'une des actrices qui tente de tirer l'un de ces rôles vers quelque chose de plus réaliste s'entend dire "c'est ce que les hommes veulent".
- L'absence presque complète d'histoire d'amitiés entre femmes (d'où le petit événement que fut à l'époque la sortie d'un film comme "Thelma et Louise") (1991).
- L'humiliation d'avoir été formée à l'Actor studios pour se voir proposer un rôle de pom pom girl.
- Variante, le "mansplaining" résumé par une actrice "Je suis idiote, expliquez-moi tout".
- Autre variante, la complicité masculine entre le réalisateur et son acteur principal au détriment de l'actrice qui se retrouve non seulement isolée mais piégée et manipulée. Maria SCHNEIDER évoque ainsi sa désastreuse expérience sur "Le Dernier tango a Paris" (1972) qui fait penser aux propos récents de Judith GODRECHE sur "La Fille de quinze ans" (1989) de Jacques DOILLON à savoir le coup de la scène de sexe rajoutée au dernier moment dans le scénario sans que l'actrice en soit informée et sans qu'elle ait son mot à dire.
- Plus globalement, ces femmes évoquent la dépossession de leur identité par des tyrans-Pygmalion contrôlant toute la chaîne de production et cherchant également à prendre le contrôle de leur image et de leur corps, la question du remodelage physique et de l'âge étant également abordée (les femmes priées de dégager avant la cinquantaine alors que les jeunes filles se retrouvent systématiquement avec des partenaires quinquagénaires).
Et s'il fallait encore convaincre de la brûlante actualité de ce film, il suffit d'écouter sa conclusion par Ellen BURSTYN: "En cet instant même, c'est la planète Terre qu'il faut sauver. (…) Ce film annonce le début du changement de ce qui doit se produire sur cette planète sans quoi il n'y aura plus de planète.” Ce film a près de cinquante ans. Sur le fond, on dirait qu'il a été tourné hier.
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