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La Zone d'intérêt (The Zone of Interest)

Publié le par Rosalie210

Jonathan Glazer (2024)

La Zone d'intérêt (The Zone of Interest)

"La zone d'intérêt" est une véritable expérience de cinéma et son grand prix à Cannes est tout à fait mérité. Comme dans "L'Empire des lumières" de René Magritte, deux mondes coexistent sans quasiment jamais se croiser. Celui du camp d'Auschwitz qui reste presque totalement hors-champ et celui du domaine de la famille du commandant du camp, Rudolf Höss dans lequel se déroule la majeure partie du film. Comme souvent en pareil cas, de hauts murs dérobent à la vue ce qui se joue de l'autre côté. Pourtant, jamais le spectateur ne perd de vue qu'il est enfermé dans une sorte de cage dorée jouxtant un complexe concentrationnaire. Les trois premières minutes déjà nous plongent dans une obscurité quasi totale que l'on peut interpréter de multiples manières: la cécité de ceux qui vivent juste à côté dans une totale indifférence ou bien les dernières images de ceux qui vont mourir, plongés dans d'insondables ténèbres. Par la suite et comme dans "Parasite" (2019) qui évoquait la contamination des riches par les pauvres dont ils voulaient se préserver sous prétexte d'hygiénisme, la réalité de l'extermination ne cesse de s'infiltrer dans le paradis artificiel des Höss. Par les bruits qui ne peuvent être étouffés par les murs (le travail sur la bande-son est remarquable), par les odeurs de chairs brûlées, par les cendres emportées par le vent ou fertilisant la terre, par les fragments d'ossements que l'on retrouve jusqu'au beau milieu de la nature idyllique, par le rougeoiement des flammes qui donnent à la nuit des allures d'enfer sur terre dans un contraste saisissant avec les pelouses bien taillées, les fleurs éclatantes et la piscine de la maison des Höss. Le film devient alors une étude de caractères, ceux de la famille Höss face à ce monde schizophrénique. Rudolf (Christian FRIEDEL), à l'image d'Eichmann et de tant d'autres hauts dignitaires nazis est un fonctionnaire zélé, un gestionnaire méticuleux qui raisonne en termes d'efficacité technique ou logistique sans jamais s'interroger sur la nature de ses actes. Les seuls moments où l'être humain se manifeste en lui sont ceux où il tente de protéger ses enfants d'une confrontation trop directe avec la mort et la fin où cette espèce de mécanique se met à vomir comme si ses entrailles agissaient indépendamment de lui. Mais en terme de monstruosité, Hedwig (Sandra HULLER) le bat à plate coutures. Elle est en effet tellement aliénée que l'environnement toxique dans lequel elle élève ses enfants lui apparaît comme un paradis et la matérialisation de sa réussite sociale qu'elle ne veut quitter à aucun prix. Chaque fois qu'un grain de sable vient gripper son "bonheur" comme lorsque sa mère finit par s'enfuir, épouvantée par ce qu'elle perçoit malgré l'écran de fumée dressé entre la maison et le camp, elle a une réaction éloquente, effaçant les traces en les brûlant et menaçant de mort sa domesticité (que l'on devine être de pauvres prisonnières polonaises). "La zone d'intérêt" est un film franchement inconfortable et claustrophobique dont la portée dépasse l'époque qu'il dépeint. On pense en effet à d'autres murs, ceux que dressent les pays riches contre les pays pauvres, les quartiers riches contre les quartiers pauvres pour les occulter, s'en protéger et les refouler.

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