Lolita, méprise sur un fantasme
Olivia MOKIEJEWSKI (2021)
Arte consacre une série de documentaires aux grands romans qui ont fait scandale à leur sortie, soit parce qu'ils ont été l'objet de malentendus voire de contresens, soit parce qu'ils étaient en avance sur leur époque. "Lolita, méprise sur un fantasme" revient sur la fabrication de toutes pièces d'une icône populaire de la littérature et du cinéma à partir du livre "le plus incompris de toute l'histoire de la littérature", à savoir "Lolita" de Vladimir NABOKOV. Un contresens lourd de sens en réalité. Son auteur apatride n'ayant pu publier son sulfureux livre aux USA, c'est un éditeur français de roman érotiques qui s'en chargea en 1955. L'adaptation du livre par Stanley KUBRICK fit le reste. Contrairement aux intervenants du documentaire, je ne trouve pas le film (trop superficiellement analysé) si éloigné du véritable sens du livre. Mais passé à la moulinette du puritanisme américain, avec une actrice Sue LYON trop âgée pour le rôle et une affiche aguicheuse, l'imagerie attachée au film de Stanley KUBRICK effaça le contenu du livre au profit de photos de couvertures montrant de jeunes femmes aux poses suggestives. Celui-ci devint ainsi le support de fantasmes masculins porté à l'extrême au Japon avec le phénomène "Lolicon" ou "Lolita complex" (l'attirance d'hommes adultes pour les écolières). Un contresens lié à la subtilité dans le procédé d'écriture du livre où l'auteur se place du point de vue du narrateur qui est Humbert Humbert mais sans se confondre avec lui. Une incompréhension qui a poussé certains à penser que le livre faisait l'apologie de la pédophilie. Un contresens surtout lié à une interprétation du livre dominée durant des décennies par le "male gaze" ce qui poussa Vladimir NABOKOV à faire une mise au point sur le plateau du magazine "Apostrophes" en 1975. Mise au point qui ne fut pas entendue par Bernard PIVOT puisque 15 ans plus tard, il recevait sur son plateau Gabriel Matzneff avec le même regard égrillard et le même vocabulaire sur les "nymphettes" emprunté aux fantasmes de Humbert Humbert pris pour argent comptant. Sans se rendre compte que contrairement à Nabokov, il n'y avait aucune différence entre Matzneff le narrateur et Matzneff l'auteur, ce dernier se servant de la littérature pour assouvir une perversion bien réelle. Les mouvements Metoo et Metoo inceste qui ont permis aux femmes victimes d'abus d'accéder à une bien plus grande visibilité ont démystifié Matzneff et au contraire rendu au roman de Nabokov sa signification première. Vanessa Springora, ancienne victime de Matzneff témoigne du rôle que le livre a joué dans sa vie et si celui-ci n'avait pas été réalisé en 2021 mais aujourd'hui, il inclurait sûrement le témoignage de Neige Sinno qui dans "Triste Tigre" se livre à une relecture radicale du roman qui rejoint les mots que l'écrivain avait prononcé en 1975 mais qui n'avaient alors pas été entendus.
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