Première année
Thomas Lilti (2018)
Avec un film aussi bien documenté -Thomas LILTI est fils de médecin et médecin lui-même- on découvre les ravages de cinquante années de numerus clausus dont nous payons maintenant le prix avec des déserts médicaux qui ne cessent de se renforcer en France. Et si officiellement, celui-ci a été supprimé, les capacités des universités et des CHU restent trop limitées pour former tous les médecins dont le pays aurait besoin. Un manque d'anticipation bien pratique pour limiter de fait l'offre et donc les dépenses de santé alors que le vieillissement de la population ne peut que les faire augmenter. Mais plutôt qu'à l'aval, c'est à l'amont que s'intéresse Thomas LILTI, c'est à dire à la première année commune aux études de santé (PACES) qui était en vigueur jusqu'en 2020. Au menu, bachotage intensif et sélection drastique sur fond de massification du nombre d'étudiants. Un élevage en batterie que Thomas LILTI montre à l'aide de nombreux plans sur les hangars à concours ainsi que sur des amphis bondés à craquer où les meilleures places sont aussi chères que celles de l'obtention du concours. On se demande d'ailleurs quand ces pauvres étudiants pressurisés de tous les côtés peuvent trouver le temps de dormir et de manger tant leur quotidien est vampirisé par les études. Si encore ce qu'ils apprenaient était intéressant. Mais Thomas LILTI montre qu'il s'agit de régurgiter bêtement des tonnes de données inutiles sous forme de réponses-réflexes à des QCM en temps limité. Comme le dit ironiquement Benjamin (William LEBGHIL), ce sont les cerveaux reptiliens qui réussissent le mieux ces épreuves abrutissantes où il suffit de faire deux ou trois erreurs de trop pour perdre toutes ses chances. Un tel mode de sélection ne semble donc guère lié aux compétences ou à la motivation. En revanche et c'est l'autre aspect sur lequel porte le film de Thomas LILTI, il a tout à voir avec l'inégalité des chances. A travers l'amitié contrariée liant Benjamin à Antoine (Vincent LACOSTE), il dépeint deux profils bien différents. Celui de Benjamin, l'héritier au sens bourdieusien du terme qui en plus de ses facilités intellectuelles et matérielles évolue avec aisance dans un monde dont il possède les clés de lecture qu'il décode pour Antoine et pour nous. Antoine en revanche n'est pas du sérail et bien qu'ayant la vocation, il se retrouve en échec, triplant sa première année et mettant sa santé physique et mentale en danger. Si la pirouette finale déçoit par son manque de crédibilité, le reste du film est en tous points remarquable.
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