Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

La Nuit nous appartient (We Own the Night)

Publié le par Rosalie210

James Gray (2006)

La Nuit nous appartient (We Own the Night)

"La Nuit nous appartient" est le premier film de James GRAY que je vois auquel j'adhère pleinement. Peut-être parce que la tragédie shakespearienne sied bien à sa vision du monde faite d'appartenances étanches les unes aux autres et auxquelles il est impossible d'échapper (alors que dans la vie quotidienne, cette vision fataliste de l'existence m'exaspère). D'ailleurs son dernier film "Armageddon Time" (2021) met en pièces le mythe du melting pot new-yorkais à travers notamment la ségrégation scolaire révélant des fractures sociales et ethnico-religieuses que l'on retrouve également dans le pays ayant inspiré aux USA une partie de ses valeurs: le nôtre.

L'ouverture de "La Nuit nous appartient" est magistrale car programmatique. Elle est en effet fondée sur un hiatus cinématographique (fixité contre mouvement, noir et blanc contre couleurs, travail contre fête etc.) présentant deux camps que tout oppose entre lesquels le héros va devoir choisir. Le titre est d'ailleurs en soi signifiant. En étant la devise cousue sur les uniformes des policiers de la brigade anti-criminelle de New-York alors que l'on sait parfaitement que la nuit est le royaume des hors-la-loi, celle-ci devient l'enjeu d'une guerre de territoire, "eux" contre "nous". Tout est dit en quelques images avec une efficacité imparable. Mais bien que l'histoire s'inscrive dans un contexte historique (la guerre contre la drogue), c'est son volet intime qui intéresse James GRAY. A savoir le parcours de Bobby (Joaquin PHOENIX) prétendu roi de la nuit mais en réalité roi du "passing". En sociologie, le passing désigne la capacité d'une personne à être considérée comme membre d'un groupe social autre que celui auquel elle appartient réellement. Bobby s'est désaffilié au point de prendre le nom de sa mère et de se choisir un père de substitution en la personne du patron de la boîte dont il est le gérant. Evidemment pour que l'imposture fonctionne, le secret doit être bien gardé. En dehors de sa petite amie, Amada (Eva MENDES), personne ne sait qu'il est issu d'une famille de policiers et lui-même ne veut pas savoir ce qui se trame derrière les paillettes de sa vie d'hédoniste immature (en cela, son personnage préfigure celui de "Two Lovers") (2007). Sauf que lorsque l'heure de vérité sonne, c'est à dire lorsque les liens du sang sont mis en péril, la vie de Bobby bascule en un clin d'oeil exactement comme celle de Michael dans "Le Parrain" (1972) (modèle évident du film de James GRAY). Comme dans le film de Francis Ford COPPOLA, une scène initiatique scelle le destin du héros qui mue de "fils rebelle" à "héritier" qui doit prendre la tête d'une famille dont le père (Robert DUVALL) a disparu et dont le frère (Mark WAHLBERG) a été mis hors-jeu par sa blessure. Une mue douloureuse et payée au prix fort puisque les pertes jalonnent son parcours de plus en plus tumultueux (le point de vue subjectif de la séquence de course-poursuite sous la pluie est un must) et qu'il se retrouve seul à l'arrivée, emprisonné dans un destin qu'il avait fui et qui l'a rattrapé. James GRAY redonne ainsi au mot "lien" tout son sens, remettant en cause la réalité du libre-arbitre du héros au profit de forces qui le dépassent (ce qui est le sens de la tragédie). Et si la mafia russe qui se cache derrière les paillettes des night-clubs est montrée sans aucune complaisance, la police apparaît comme un monde dévitalisé, normatif et intolérant (la façon dont ils renvoient sa petite amie à son origine en la surnommant "la portoricaine" fait comprendre d'emblée qu'elle n'aura pas sa place dans ce monde-là).

Commenter cet article