Apocalypse Now
Francis Ford Coppola (1976)
Après "L'Esprit de la ruche" (1973) il y a quelques jours qui évoquait l'imaginaire d'une petite fille face à la mort dans un contexte de dictature franquiste, "Apocalypse Now" (1976) est le deuxième film que je visionne baignant presque entièrement dans la lumière dorée des heures magiques de l'aube et du crépuscule, prolongées en nocturne par la lueur des flambeaux. Le dantesque chef-d'oeuvre que Francis Ford COPPOLA a consacré à la guerre du Vietnam est un voyage dans l'espace-temps dont la dernière demi-heure atteint des sommets de mysticisme magnifié par la renversante photographie. Le colonel Kurtz (Marlon BRANDO) et son alter ego le capitaine Willard (Martin SHEEN) sont filmés comme des idoles de sang et d'or à demi noyées dans l'obscurité. Des idoles condamnées à un crépuscule éternel. Car si le film s'ouvre et se ferme sur "The End" des Doors, il est composé comme une relecture de la tétralogie de Wagner: l'Or du Rhin, c'est le fleuve Congo de la nouvelle de Joseph Conrad "Au coeur des ténèbres" ayant servi de base scénaristique au film. C'est aussi une métaphore: "Apocalypse now" est un film-fleuve. C'est enfin le Nung, nom du fleuve vietnamien que remonte Willard et son équipage à la recherche du colonel Kurtz devenu un seigneur de la guerre vivant avec ses fidèles à la frontière du Cambodge. Pour avoir accès au fleuve, Willard doit faire appel au lieutenant-colonel Bill Kilgore (Robert DUVALL) qui lui fraie un chemin avec sa cavalerie d'hélicoptères au son de la chevauchée des Walkyries. Une séquence entrée dans la légende du cinéma d'autant que l'épique y est modéré par l'horreur et le grotesque qui souligne que Francis Ford COPPOLA n'est pas dupe des images qu'il filme en coupant court à toute héroïsation. Car personne n'a oublié la petite phrase de Kilgore regardant brûler la jungle avec satisfaction "j'aime l'odeur du napalm le matin" alors que sur son ordre deux de ses hommes surfent en terrain pas tout à fait conquis. Puis le film se mue en fleuve-movie oscillant entre séquences introspectives (la lecture des lettres de Kurtz qui "hante" l'ensemble du film bien avant qu'il ne se matérialise en chair et en os) et rencontres symboliques et oniriques qui forment autant de jalons expérimentaux dans la quête de ce nouveau Sigfried qu'est Willard. Outre des soldats abandonnés à eux-mêmes continuant absurdement le combat tels "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021), l'une des plus saisissantes est celle des colons français qui a été rajoutée lorsque Francis Ford COPPOLA a pu remonter le film a postériori. Baignant elle aussi majoritairement dans une lumière crépusculaire, elle peut s'interpréter comme une halte au pays des revenants d'une époque révolue vivant en vase clos hors-sol, celle de l'Indochine française dont la disparition avait donné lieu à une première guerre dans laquelle les USA avaient soutenu la France. Francis Ford COPPOLA parvient ainsi à une rare osmose entre mythologie, histoire et critique: "La Charge héroïque" (1948) du lieutenant-colonel Kilgore avait elle-même de relents de conquête de l'ouest génocidaire du XIX° siècle. Et que dire de la fin avec son décor d'autel païen rempli d'offrandes sanglantes à un monstre terré dans son antre se prenant pour un Dieu et incarnant de même que la lumière en clair-obscur la dualité humaine ("qui fait l'ange fait la bête"). Monstre qui doit être sacrifié par un double adoubé sorti des eaux comme Nessie et devant lequel on se prosterne pour que l'Amérique puisse conserver la conscience claire.
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